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Date : 19990212


Dossier : A-749-98

CORAM :      LE JUGE LINDEN

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :     


NISHAN GAGEETAN JEYARAJAH,


appelant,


et


SA MAJESTÉ LA REINE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimés.


Audience tenue à Toronto (Ontario), le vendredi 12 février 1999.


Jugement rendu à l'audience

à Toronto (Ontario), le vendredi 12 février 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      LE JUGE SEXTON

     Date : 19990212

     Dossier : A-749-98

CORAM :      LE JUGE LINDEN

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :     


NISHAN GAGEETAN JEYARAJAH,


appelant,


et


SA MAJESTÉ LA REINE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimés.


MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

le vendredi 12 février 1999.)

LE JUGE SEXTON

LES FAITS

[1]      Il s'agit de l'appel de la décision par laquelle le juge Deneault a rejeté la demande présentée par l'appelant en vue d'obtenir une injonction provisoire qui empêcherait l'expulsion de ce dernier vers le Sri Lanka.

[2]      L'appelant a quitté le Sri Lanka à l'âge de 12 ans et a par la suite obtenu le statut de réfugié. En 1995, il a été accusé d'avoir importé des stupéfiants ayant une valeur marchande de près d'un million de dollars, il a plaidé coupable et il a été condamné à quatre ans et cinq mois d'emprisonnement dans un pénitencier fédéral. Le 10 avril 1996, il a reçu une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada l'avisant qu'ils possédaient des preuves laissant entendre qu'il était une personne qui constituait un danger pour le public au Canada, et que le ministère avait l'intention de demander un avis à cet égard au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il a par la suite été avisé que si le ministre jugeait qu'il constituait un danger pour le public au Canada il n'aurait alors pas le droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion prise contre lui par la Section d'appel de l'immigration, et il pourrait être renvoyé du Canada vers le pays duquel il avait été considéré comme étant un réfugié au sens de la Convention. Il a également été avisé dans la lettre qu'en plus d'évaluer s'il constituait un danger pour le public, le ministre évaluerait aussi :

             [TRADUCTION] les circonstances d'ordre humanitaire propres à votre situation. Cela demandera une évaluation de la menace que vous représentez pour le public au Canada ainsi que du risque éventuel que vous pourriez courir en étant renvoyer au pays d'où vous venez.             

[3]      L'appelant a aussi été avisé dans la lettre qu'avant que le ministre ne prenne une décision, il pouvait présenter les observations ou les arguments qu'il jugeait nécessaires ainsi que toute preuve documentaire qu'il estimait pertinente. On lui a également dit que :

             [TRADUCTION] les éléments de preuve, les arguments ou les autres observations que vous présenterez devraient porter sur le fait de savoir si votre cas comporte des considérations humanitaires convaincantes ou la mesure dans laquelle votre vie ou votre liberté est menacée par votre renvoi du Canada.             

[4]      L'appelant a répondu à la lettre du 10 avril 1996 par le biais de son avocat dans une lettre datée du 24 juillet 1996. Cette dernière contenait de longues observations s'étendant sur cinq pages, mais elle ne faisait aucunement mention d'un risque éventuel que l'appelant pourrait courir s'il devait retourner dans son pays d'origine. Un rapport sur l'avis du ministre a été dûment préparé au sujet de l'appelant et il indiquait :

             [TRADUCTION] Les observations reçues de la part de M. Jeyarajah ne démontrent pas qu'il craint de retourner au Sri Lanka.             

[5]      Le 23 août 1996, un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, conformément au paragraphe 70(5) et à l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration, a émis l'avis selon lequel l'appelant constituait un danger pour le public, laquelle décision lui a été communiquée le 29 août 1996. De nouveau, l'appelant n'a entrepris aucune démarche pour faire part de ses craintes face aux risques que représente son expulsion. En mai 1997, l'appelant a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de l'avis du ministre par une procédure intentée par son avocat. La procédure énumérait les motifs de l'erreur que le ministre avait prétendument commise, mais ne faisait aucunement référence au risque que l'appelant pourrait courir s'il était renvoyé dans son pays d'origine. La demande de l'appelant a été rejetée le 23 septembre 1997.

[6]      Le 17 avril 1998, un arbitre a pris une mesure d'expulsion contre l'appelant, et l'exécution de cette mesure était prévue pour le 17 décembre 1998.

[7]      L'appelant a attendu sept mois, soit jusqu'au 25 novembre 1998, avant d'intenter une action déclaratoire contre le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration pour faire interdire à ce dernier de le renvoyer au Sri Lanka. Dans son action, l'appelant cherche à démontrer que le renvoi de quelqu'un vers un pays comme le Sri Lanka, où les gens comme lui font l'objet de violence, en l'absence d'une évaluation du risque appropriée antérieurement au renvoi, va à l'encontre des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[8]      Devant le juge Deneault, l'appelant a cherché à obtenir une injonction provisoire interdisant au ministre de procéder à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui jusqu'à ce que les actions qu'il a intentées soient tranchées. L'appelant n'a fait aucune allusion particulière à des menaces réelles pour lui. Il a plutôt invoqué la façon dont les gens comme lui sont traités par les autorités sri-lankaises.

[9]      Le juge Deneault a rejeté la demande d'injonction provisoire, ayant conclu qu'il n'existait pas de question sérieuse à trancher. L'appelant a allégué devant la Cour que le juge saisi de la requête avait commis une erreur en concluant qu'il n'existait pas de question sérieuse à trancher : premièrement, parce que le juge de première instance avait appliqué le mauvais critère quand il a décidé qu'il n'existait pas de question sérieuse et, deuxièmement, parce que le juge de première instance a commis une erreur quand il a décidé que le dossier dont il était saisi ne présentait pas de question sérieuse à trancher. Dans la présente affaire, il n'est pas nécessaire que la Cour détermine le critère juridique correct. À ce sujet, la Cour se fonde sur divers avis émis par la Section de première instance dans les affaires Barre c. M.C.I. et Farhadi c. M.C.I., cette dernière ayant été portée en appel. Pour que l'appelant réussisse dans sa demande, il devait démontrer, compte tenu des faits, qu'il existait une question sérieuse à trancher. Le juge saisi de la requête a conclu en exerçant son pouvoir discrétionnaire :

             [J]e conclus également que, dans les circonstances de l'espèce, le demandeur a en fait été invité, le 10 avril 1996, lorsque Citoyenneté et Immigration Canada l'a avisé qu'on demandait au ministre d'émettre l'avis selon lequel il constituait un danger pour le public, à faire des observations sur la question de savoir s'il constituait un danger pour le public, et si des considérations humanitaires convaincantes existaient. Il a en outre été avisé que le ministre examinerait [TRADUCTION] "...la possibilité d'un risque pour vous qui pouvait être précipité par le fait de vous renvoyer au pays...de votre nationalité...".             

[10]      Le juge saisi de la requête a signalé que le demandeur n'avait pas fourni de renseignements dans son argumentation écrite indiquant qu'il craignait de retourner au Sri Lanka.

[11]      La jurisprudence est claire, afin d'obtenir un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi ou une injonction, un demandeur doit démontrer que la Cour dispose d'éléments de preuve attestant qu'il existe une question sérieuse à trancher. La Cour d'appel fédérale a clairement énoncé cette obligation dans l'arrêt Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451; [1989] A.C.F. no 14, greffe no A-163-88, 18 janvier 1989 (à la page 33 de la version Quicklaw) :

             Selon mon interprétation des principes en jeu, cette souplesse [de la Cour] doit finalement être atteinte par une application de l'énoncé de l'arrêt American Cyanamid dans son entier qui tienne compte de la répartition des inconvénients entre les parties, un facteur qui devient ainsi déterminant dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Le fait pour un demandeur de satisfaire au critère de la [TRADUCTION] " question sérieuse à trancher " a pour seul effet de déloqueter la porte du redressement recherché; il ne lui ouvre pas cette porte et ne lui permet surtout pas d'en franchir le seuil. Cette possibilité ne lui est offerte que s'il est jugé que la répartition des inconvénients le favorise. Ce point est établi clairement par lord Diplock dans American Cyanamid et se trouve réitéré par ce même lord dans l'arrêt Woods. Siégeant à titre de membre du Conseil privé dans l'affaire Eng Mee Yong v. Letchumanan s/o Velayutham, [1980] A.C. 331, le lord juge Diplock a énoncé encore une fois ce principe en déclarant à la page 337 :             
                     [TRADUCTION] Le principe régissant l'octroi d'une injonction interlocutoire est celui de la répartition des inconvénients; celui qui demande le prononcé d'une injonction interlocutoire n'a pas à convaincre la cour de l'existence d'une " probabilité ", ni à établir une " apparence de droit " ou une " forte apparence de droit " : il n'a pas à démontrer qu'il aura gain de cause si son action est instruite; avant cependant que ne puisse se poser la question de la répartition des inconvénients, la partie qui sollicite l'injonction doit convaincre la cour que sa demande n'est ni futile ni vexatoire; en d'autres termes, cette partie doit établir que les éléments de preuve présentés à la cour révèlent l'existence d'une question sérieuse à trancher : American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. , [1975] A.C. 396.             

[12]      La Cour est d'accord avec la conclusion tirée par le juge saisi de la requête. Il est peu vraisemblable, si l'appelant croyait réellement qu'il courrait un risque, qu'il ne l'ait pas fait savoir à Citoyenneté et Immigration Canada quand il a été invité à le faire. En fait, il a attendu près de deux ans et demi après avoir été invité à présenter de telles observations avant de soulever cette question. Pendant ce temps, il a été conseillé par un avocat et a intenté une action contre le ministre sans mentionner de circonstances qui pourraient représenter un risque pour sa personne. Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que le juge saisi de la requête a eu raison de conclure qu'il n'existait pas de question sérieuse à trancher. La simple existence d'un statut de réfugié, particulièrement quant un tel statut a été accordé il y a de nombreuses années, n'est pas, en l'absence d'une preuve d'un risque réel, suffisante pour donner lieu à une question de fait sérieuse. La Cour refuse de toucher à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge saisi de la requête.

[13]      Par conséquent, la Cour rejette le présent appel.

                                 " J. Edgar Sexton "

             J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                  A-749-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          NISHAN GAGEETAN JEYARAJAH

                                     appelant
                         et
                         SA MAJESTÉ LA REINE et         
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION         
                                     intimés

DATE DE L'AUDIENCE :          LE VENDREDI 12 FÉVRIER 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                  LE JUGE SEXTON

Prononcés à Toronto (Ontario),

le vendredi 12 février 1999

ONT COMPARU :                      M. Lorne Ealdman

                    

                                 pour l'appelant
                             M. David Tyndale

                                 pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Jackman, Waldman & Associates
                             Avocats
                             281, avenue Eglinton Est
                             Toronto (Ontario)
                             M4P 1L3
                                 pour l'appelant
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                                 pour les intimés

                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE
                                         Date : 19990212
                                         Dossier : A-749-98
                                         ENTRE :
                                         NISHAN GAGEETAN JEYARAJAH,
                                              appelant,
                                         et
                                         SA MAJESTÉ LA REINE et
                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                              intimés.
                                        
                                         MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
                                        
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