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Date : 20060609

Dossier : A-75-06

Référence : 2006 CAF 214

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE LÉTOURNEAU   

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

intimés

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 mai 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 juin 2006.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                          LE JUGE MALONE

AUXQUELS ONT SOUSCRIT :                                                   LE JUGE LINDEN

                                                                                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 


Date : 20060609

Dossier : A-75-06

Référence : 2006 CAF 214

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE LÉTOURNEAU   

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

I. INTRODUCTION

[1]               Le présent appel concerne le brevet de sélection canadien numéro 1,321,393 (le brevet 393) délivré en 1987, dans lequel Pfizer Limited (Pfizer) revendique l’invention du bésylate d’amlodipine (bésylate), un sel de l’amlodipine. Il s’agit de déterminer si les recherches de Pfizer fondant cette revendication consistaient simplement en la vérification des propriétés de formulation du bésylate ou si elles constituaient véritablement l’invention du bésylate, permettant ainsi à Pfizer de revendiquer un brevet de sélection.

 

[2]               Les appelantes contestent l’ordonnance d’un juge de la Cour fédérale (le juge de première instance) en date du 17 février 2006 rejetant la demande qu’elles avaient présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), afin de faire interdire au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (AC) à Ratiopharm Inc. (Ratiopharm) avant l’expiration du brevet 393 (décision 2006 CF 220).

 

[3]               Il existe deux catégories générales de brevets de produit chimique : les « brevets d’origine », qui portent sur une invention source comportant la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé, et les « brevets de sélection », qui supposent un choix entre des composés connexes procédant du composé original qui ont été décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine (voir In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents, (1930) 47 R.P.C. 283, p. 321, juge Maugham).

 

[4]               Il y a peu de jurisprudence canadienne sur la question des brevets de sélection, mais la décision I.G. Farbenindustrie a bien défini les principaux éléments de ce type de brevets, et lord Diplock l’a citée en l’approuvant dans une affaire de la Chambre des lords où il a statué que [traduction] « l’étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu'un ou plusieurs éléments d'une catégorie de produits antérieurement connue offre certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n'auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite » (voir Beecham Group Ltd. c. Bristol Laboratories International S.A., [1978] R.P.C. 521, p. 579). Tous les éléments de la catégorie connue qui sont revendiqués doivent posséder les avantages spéciaux, lesquels doivent différer des avantages qu’une personne versée dans l’art se serait attendue à trouver dans un grand nombre d’éléments de la catégorie antérieurement divulguée (c.‑à‑d. une qualité d’une nature particulière) (voir I.G. Farbenindustrie, p. 323).

 

[5]               Les brevets de sélection encouragent les chercheurs à continuer d’exercer leur génie inventif de façon à découvrir de nouveaux avantages à des composés appartenant à la catégorie connue. Ils peuvent être demandés pour une sélection opérée dans une catégorie comportant des milliers d’éléments ou n’en comportant que deux (voir, par exemple, I.G. Farbenindustrie, p. 323 et E.I. Dupont de Nemours & Co (Witsiepse’s) Application, [1982] F.S.R. 303 (C.L), p. 310).

 

II. FAITS

[6]               En septembre 1983, Pfizer a présenté la demande de brevet européen numéro 0 089 167 (la DBE). Il s’agissait d’une demande de brevet d’origine revendiquant la découverte de certaines dihydropyridines, incluant l’amlodipine, et de leurs sels acceptables du point de vue pharmaceutique comme agents anti‑ischémiques ou anti‑hypertensifs. La DBE indique que [traduction] « les sels idéaux sont les maléates ».

 

[7]               Les sels acceptables du point de vue pharmaceutique désignent les quatre‑vingt anions décrits dans l’article novateur et rigoureux de Stephen Berge, intitulé « Pharmaceutical Salts », paru en janvier 1977 (Berge) dans le Journal of Pharmaceutical Sciences. M. Berge y énumère environ quatre‑vingt sels de l’amlodipine, dont le bésylate.

 

[8]               L’élaboration et la préparation d’un nouveau médicament peut être une opération complexe, longue et ardue. Il est notamment difficile de s’assurer que la forme posologique définitive possède les propriétés nécessaires pour permettre de fabriquer, entreposer, transporter et vendre aisément le produit.

 

[9]               Il a fallu que Pfizer cherche un nouveau sel lorsqu’elle a découvert que le maléate ne se prêtait pas à une formulation sous une forme posologique adéquate, en raison de problèmes d’instabilité et de traitabilité assez importants pour justifier de prendre la mesure inhabituelle de stopper le développement de l’amlodipine après le début des études cliniques sur des humains. Elle a alors résolu de trouver un nouveau sel de l’amlodipine qui résoudrait ces problèmes de formulation.

 

[10]           La sélection d’un sel est également une opération longue et difficile. Il n’est pas surprenant que Pfizer ait voulu que le sel de remplacement possède une combinaison optimale de propriétés pour ce qui est de la formulation, à savoir (1) une solubilité suffisante pour permettre l’absorption par le corps, (2) la plus grande stabilité possible, (3) la plus grande non-hygroscopicité possible et (4) la plus grande traitabilité possible (non-adhésif) (collectivement : les propriétés de formulation). Après avoir poursuivi ses recherches, Pfizer a choisi le bésylate.

 

[11]           Pfizer défend la validité du brevet 393 comme brevet de sélection. La seule invention qui y est revendiquée est la sélection du bésylate au sein d’une catégorie constituée d’environ quatre‑vingt sels de l’amlopidine acceptables du point de vue pharmaceutique. La divulgation du brevet 393 indique que le bésylate a été choisi parce qu’on avait découvert qu’il présentait une combinaison inhabituelle de propriétés souhaitables pour la formulation de préparations pharmaceutiques. Elle précise également que le bésylate a été comparé à sept autres sels de l’amlodipine acceptables du point de vue pharmaceutique, pour ce qui est des propriétés de formulation. Sur le fondement des tests ainsi réalisés, la divulgation expose ce qui suit :

[traduction] Il a maintenant été constaté inopinément que le benzènesulfonate (ci-après appelé bésylate) présente un certain nombre d’avantages par rapport aux sels connus de l’amlodipine et qu’il possède aussi, on l’a en outre constaté inopinément, une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuses grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine (brevet 393).

(Non souligné dans l’original.)

 

[12]           Pfizer commercialise et vend le bésylate sous la marque nominative NORVASC. Elle possède deux brevets canadiens se rapportant à cette marque : le brevet 393 et le brevet numéro 1,253,865 (le brevet 865). Ce dernier brevet est l’équivalent canadien de la DBE, et il a expiré le 8 mai 2006. Il n’est pas visé dans le présent appel.

 

[13]           Pfizer, qui cherche en l’espèce à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC qui permettrait à Ratiopharm de produire une version générique des comprimés de bésylate après l’expiration du brevet 865, doit prouver suivant la prépondérance des probabilités que les allégations de Ratiopharm relatives à la non‑contrefaçon et à l’invalidité du brevet ne sont pas fondées (voir Pfizer Canada Inc. c. Novapharm Ltd. (2005), 42 C.P.R. (4th) 97 (CAF)).

 

III. LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[14]           Bien que le juge de première instance ait examiné d’autres points, l’essentiel de son analyse a porté sur la question de la vérification et sur le droit en matière de brevets de sélection. Après avoir examiné la jurisprudence plus abondante du Royaume‑Uni à ce sujet, il a conclu qu’ il n’y avait pas eu divulgation d’un avantage particulier à cause de l’absence de raisons expliquant pourquoi certains sels d’une catégorie antérieurement connue avaient été testés. Puisque les brevets de sélection visent à récompenser la découverte de caractéristiques d’éléments de la sélection inconnues auparavant, l’absence d’explication ou de justification a convaincu le juge de première instance qu’il y avait eu simplement vérification de propriétés existantes et du degré de caractéristiques connues, ce qui n’était pas brevetable.

 

IV. NORME DE CONTRÔLE

[15]           La norme de contrôle applicable en matière d’erreur de droit est la norme de la décision correcte (voir Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235). Toutefois, les erreurs portant sur des questions mixtes de fait et de droit peuvent parfois équivaloir à des erreurs de droit et appeler également l’application de la norme de la décision correcte, comme on l’a vu dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, où le juge Iacobucci a affirmé :

[…] si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B, et C, alors le résultat est le même que s'il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

 

 

[16]           J’estime que la question de savoir si le juge de première instance a appliqué le bon critère pour conclure que les recherches menées par Pfizer ne faisaient que vérifier des propriétés existantes (ou leur degré) et étaient dénuées d’inventivité doit être tranchée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

V. QUESTION PRÉLIMINAIRE

[17]           Avant d’aborder la principale question soulevée par l’appel, il s’impose de statuer sur une question préliminaire. Dans son avis d’allégation, Ratiopharm a déclaré que le bésylate n’apportait, en ce qui concerne la stabilité, aucune amélioration notable ou d’une importance pratique par rapport aux autres sels soumis aux essais dans le brevet 393, notamment le maléate d’amlodipine.

 

[18]           Le juge de première instance a estimé que l’avis d’allégation était insuffisant parce qu’il n’indiquait pas les résultats des essais effectués antérieurement à l’avis par Dalton Chemical Laboratories Inc. (les essais Dalton), essais qui portaient sur la stabilité du bésylate, du maléate d’amlodipine et de la formulation de comprimés de ces deux substances. En raison de cette conclusion, le juge n’a pas tenu compte des essais Dalton.

 

[19]           Bien qu’en l’espèce Ratiopharm ne demande pas à la Cour d’examiner les essais Dalton, elle l’invite à s’écarter de la conclusion du juge de première instance sur la suffisance de l’avis d’allégation selon laquelle « [l]es résultats de ces essais constituent des faits nouveaux qui auraient dû être mentionnés dans l’avis d’allégation ». Ratiopharm objecte que cette décision a pour effet d’ajouter une nouvelle exigence procédurale transformant l’avis d’allégation en un long document décrivant la preuve à l’appui des faits allégués.

 

[20]           Je ne crois pas que ce soit la conclusion formulée par le juge de première instance. Selon moi, le juge indique uniquement que l’avis d’allégation aurait dû comporter une brève description des résultats des essais, suffisante pour que la partie adverse sache ce à quoi elle devait répondre. Cette décision est conforme à l’arrêt récent de notre Cour, Pfizer c. Novopharm (précité au par. 13), et rien d’autre n’est exigé.

 


VI. ANALYSE

(i)  Vérification

[21]           Il importe de préciser dès le départ que la recherche empirique visant à opérer une sélection au sein d’une catégorie n’est pas de la vérification. Lord Wilberforce, dans Beecham (précité au paragraphe  4), a signalé que la sélection d’éléments d’un ensemble de composés possibles et la réalisation de recherches empiriques visant à établir s’ils possèdent les qualités voulues diffèrent de la vérification et donnent des résultats différents (p. 568).

 

[22]           Les recherches empiriques débouchant sur une invention protégée par un brevet de sélection doivent comporter [traduction] « à tout le moins la découverte que les éléments retenus possèdent des qualités inconnues jusque là, qui leur sont propres et qui ne peuvent leur être attribuées du fait de leur appartenance à une catégorie décrite par une invention antérieure » (voir Dreyfus and Other Applications (1945), 62 R.P.C. 125, p. 133, juge Evershed).

 

[23]            Dans Pope Alliance Corporation and Spanish River Pulp and Paper Mills, Limited, [1929] A.C. 269 (C.L.), le vicomte Dunedin signale, aux p. 250-251, que [traduction] « une invention est simplement la découverte de quelque chose qui n’a pas été découvert par d’autres ». Un inventeur a droit à un brevet dans lequel il peut démontrer que ses efforts ont abouti à la découverte de connaissances fondamentales pour son invention. On ne saurait opposer que d’autres auraient également pu faire la découverte par expérimentation (voir aussi T.A. Blanco White, Patents for Inventors and the Protection of Industrial Designs, 5th ed. : (London : Stevens & Sons, 1983) p. 99).

 

[24]           La vérification, elle, confirme des qualités prévues ou prévisibles de composés connus, c.‑à‑d. des composés déjà découverts et réalisés. Personne ne peut obtenir un brevet de sélection simplement parce qu’il a vérifié les propriétés d’une substance connue (voir SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2002), 21 C.P.R. (4th) 129 (CAF), par. 21).

 

[25]           Les appelantes affirment que, suivant les principes juridiques qui précèdent, le brevet 393 satisfait aux critères de validité d’un brevet de sélection lorsqu’on tient compte des non‑contestés et des conclusions du juge de première instance suivant lesquels  :

1.      la sélection de sels permet de modifier les propriétés d’un produit d’origine et sont utilisés pour optimiser les propriétés de formulation d’un composé (motifs, par. 39);

 

2.      une personne versée dans l’art ne pourrait ni connaître ni prédire les propriétés de formulation d’un sel; par conséquent, il est impossible de savoir quel sel d’un produit pharmaceutique convient le mieux à une fin particulière tant qu’il n’a pas été préparé et soumis à des essais (motifs, par. 39 et 40);

 

3.      pour choisir un sel, aucune personne versée dans l’art ne préparerait et soumettrait à des essais tous les sels possibles d’un composé, elle en retiendrait plutôt un petit groupe à préparer et soumettre à des essais (motifs, par. 40);

 

4.      une personne versée dans l’art pourrait ne pas avoir inclus le bésylate dans le groupe des sels de l’amlodipine à préparer et soumettre à des essais (motifs, par. 39);

 

5.      les documents d’antériorité ne mentionnent pas précisément le bésylate, ni n’indiquent aux personnes versées dans l’art pourquoi il faut choisir le bésylate, quelles en seront les propriétés ou quels avantages il présentera pour les préparations pharmaceutiques (motifs, par. 41 et 42);

 

6.      les personnes versées dans l’art qui chercheraient un sel de l’amlodipine à préparer sous forme posologique orale rechercheraient une combinaison optimale de solubilité, stabilité non‑hygroscopicité et traitabilité (motifs, par. 39);

 

7.      par suite des recherches de l’inventeur et compte tenu du fait que les essais Dalton n’ont pas été pris en considération pour les raisons susmentionnés, on sait maintenant que, parmi les sels soumis à des essais, le bésylate présente la meilleure combinaison de ces propriétés (motifs, par. 24 et brevet 393);

 

8.      les personnes versées dans l’art ne sauraient pas quels autres sels de l’amlodipine pourraient servir à la préparation d’une forme posologique, et encore moins quels sels présenteraient des propriétés de formulation aussi bonnes ou meilleures pour cette fin.

 

[26]           Invoquant un vieil arrêt de la Cour d’appel anglaise, Sharpe & Dohme Inc. c. Boots Pure Drug Company Ltd. (1928), 45 R.P.C. 153, Ratiopharm oppose que le juge de première instance a conclu à bon droit que le brevet 393 décrit une [traduction] « simple vérification ». Dans cette affaire, le lord juge Sargant avait exprimé l’avis que s’assurer des propriétés utiles d’une substance chimique obtenue au moyen d’essais usuels, bien connus, afin d’identifier ces propriétés et d’établir la valeur thérapeutique de chacune relevait de la vérification non de l’invention.

 

[27]           À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les recherches effectuées par Pfizer constituaient une simple vérification. Comme on l’a vu, la vérification porte sur des composés déjà découverts et préparés. Or, il appert des conclusions du juge et des déclarations des cinq experts que les propriétés de formulation de tout sel de l’amlodipine ne pouvaient être prévues et qu’elles devaient être déterminées empiriquement (motifs, par. 39). S’il avait appliqué les principes énoncés dans I.G. Farbenindustrie (précité au par. 3), Beecham (précité au par. 4), E.I. Dupont (précité au par. 5) et Dreyfus (précité au par. 22) à ses conclusions de fait, le juge de première instance n’aurait pu faire autrement que de conclure à la validité du brevet 393 comme brevet de sélection en raison de la découverte par Pfizer des propriétés de formulation particulières du bésylate qui le rendent avantageux sur le plan de la stabilité sous forme posologique et de la traitabilité. Essentiellement, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Southam (précité au par. 15), le juge de première instance n’a pas appliqué la norme de contrôle correcte, ce qui lui a fait commettre une erreur de droit.

 

(ii) Avantage particulier

[28]           Selon Ratiopharm, le juge de première instance avait également raison de s’interroger sur l’absence de certains détails essentiels relatifs à la découverte de la [traduction] « combinaison unique » de propriétés du bésylate. Elle soutient que si Pfizer pouvait se contenter d’affirmer que la « combinaison unique » des propriétés de formulation du bésylate ne pouvait être prévue et, par conséquent, présentait un avantage imprévu, alors tout sel de l’amlodipine pouvait être choisi et soumis à des essais visant à vérifier toute propriété pouvant théoriquement fonder une revendication de « combinaison unique » non prévisible. Elle soutient qu’une telle situation serait absurde et qu’il est indispensable de fournir plus de précisions sur le choix des sels comparés et les propriétés de formulation et donner des explications complètes sur les résultats minimaux acceptables pour justifier l’avantage spécial présenté par le bésylate sur les autres éléments de la catégorie.

 

[29]           Voici les raisons données par le juge de première instance pour rejeter la revendication de Pfizer selon laquelle il avait été inopinément constaté que le bésylate présentait une « combinaison unique » de propriétés de formulation avantageuses (aux par. 52 à 54 de ses motifs) :

[…] un seuil, pour lequel aucune explication n’a été donnée, a été attribué à chacun des quatre facteurs. Aucune preuve permettant d’établir que les quatre caractéristiques n’étaient pas connues au préalable n’a été présentée. De même, aucune preuve permettant de justifier les seuils en termes d’exigences réglementaires, de normes industrielles, de facilité de production ou de réduction au minimum des coûts n’a été présentée.

 

[…]

 

Toute combinaison des quatre caractéristiques des neuf sels peut être considérée comme unique et comme se prêtant particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine, pourvu qu’aucune raison ne soit donnée pour expliquer la sélection de la valeur seuil. Toute modification de ces seuils pourrait se traduire par un autre sel présentant [tradction] « une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuses grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine ». En fait, on peut manipuler ces seuils de façon à obtenir le résultat recherché.

 

[…]

 

Le but d’un brevet de sélection est de récompenser l’inventeur ayant découvert des caractéristiques jusqu’ici inconnues qui sont propres aux éléments de la sélection. Il ne s’agit pas d’autoriser la création de brevets de sélection valides en permettant à un « inventeur » de vérifier le degré de caractéristiques connues, de fixer, sans justification aucune, des seuils inexpliqués, puis de revendiquer comme unique tout produit satisfaisant à cette combinaison de caractéristiques.

 

[30]           Selon Pfizer, cette analyse est entachée de deux erreurs de droit. S’agissant des seuils, elle place trop haut la barre de ce qui constitue un avantage spécial et, en tout état de cause, l’avis d’allégation de Ratiopharm ne mettait pas ces seuils en cause.

 

[31]           Pour satisfaire à l’exigence d’utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, R.S.C. 1985, ch. P-4 (ancienne loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 S.C.R. 504 p. 525‑526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l’utilité nécessaire à la validité d’un brevet dont traite Halsbury’s Laws of England (3rd ed.), vol. 29, p. 59 :

[traduction] [...] il y a suffisamment d'utilité pour justifier un brevet si l'invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

 

Toutefois, il n’existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d’avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d’avantage comprend l’évitement d’un désavantage, comme c’est le cas en l’espèce (voir I.G. Farbenindustrie, p. 322).

 

[32]           Le juge de première instance craignait également la manipulation des seuils, et il a signalé que Pfizer n’avait pas présenté d’élément de preuve expliquant ces seuils. Il n’a pas considéré, toutefois, que l’insuffisance de preuve relative aux seuils provenait du fait que Ratiopharm n’avait pas élevé d’objection à leur sujet dans son avis d’allégation. La question des seuils devait être soulevée dans l’avis d’allégation afin que Pfizer sache ce à quoi elle devait répondre (voir Pfizer c. Novapharm (précité au par. 13)). Les décisions rendues sur le fondement de thèses non invoquées par les parties peuvent prêter le flanc à l’argument du manquement à l’équité procédurale.

 

[33]           En résumé, le juge de première instance, parce qu’il a mal appliqué le principe de la vérification, a conclu que le bésylate ne présentait pas d’avantage spécial ou de qualité d’une nature particulière pouvant fonder un brevet de sélection. Suivant mon analyse, qui repose sur les faits non contestés et sur les conclusions du juge de première instance, le bésylate possède, en matière de stabilité, solubilité, non‑hygroscopicité et traitabilité un avantage spécial de même qu’une qualité d’une nature particulière pouvant former l’assise d’une revendication valide de brevet de sélection.

 

(iii)  Antériorité

[34]           Un dernier point soulevé par Pfizer nécessite des commentaires. Relativement à l’antériorité, le juge de première instance a conclu que la DBE ne constitue pas une antériorité par rapport au brevet 393. Pour tirer cette conclusion, il a expliqué, en paraphrasant le juge Shore, dans la décision Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., (2005), 39 C.P.R. (4th) 202, que pour déterminer s’il y avait antériorité, il fallait établir si la DBE avait fourni à une personne au fait de l’art des instructions d'une clarté telle qu'elle arriverait infailliblement au sel revendiqué dans le brevet 393. Puisqu’il faudrait procéder à des millions d’expériences pour tester tous les sels acceptables du point de vue pharmaceutique divulgués dans la DBE, le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait pas eu antériorité.

 

[35]           La norme de contrôle applicable aux décisions relatives à l’antériorité est celle de l’erreur manifeste et dominante, car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Après analyse, j’estime que le juge de première instance n’a pas commis une telle erreur en concluant à l’absence d’antériorité. Les principes en matière d’antériorité ont été formulés dans l’arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), et adoptés par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Electro Santo Inc. (2000), 9 CPR (4th) 168 :

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

 

[36]           Il s’agit d’un critère exigeant. Le juge de première instance a estimé qu’une personne versée dans l’art ne saurait pas pourquoi le bésylate s’impose comme l’un des premiers choix, ignorerait s’il forme un sel à l’état solide et ne connaîtrait pas les propriétés particulières du bésylate ou l’avantage qu’elles constituent pour des préparations pharmaceutiques. Il a donc conclu qu’elle n’arriverait pas infailliblement à l’invention revendiquée. Cette conclusion n’est pas entachée d’une erreur manifeste et dominante parce que des éléments de preuve permettaient au juge de la tirer.

 

VII. CONCLUSION

[37]           J’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais l’ordonnance du juge de première instance en date du 17 février 2006 et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais la demande des appelantes avec dépens et rendrais une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Ratiopharm à l’égard de ses produits projetés à base de bésylate d’amlodipine tant que le brevet 393 ne sera pas expiré.

 

 

« B. Malone »

J.C.A.

 

 

« Je souscris à ces motifs.

     A.M. Linden J.C.A. »

 

« Je souscris à ces motifs.

     Gilles Létourneau J.C.A. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-75-06

                       

 

APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 17 FÉVRIER 2006, DOSSIER T-1350-04

 

 

INTITULÉ :                                                               PFIZER CANADA INC. ET AL.

C.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       23 et 24 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Malone

                                               

Y ONT SOUSCRIT :                                                 Le juge Linden

                                                                                    Le juge Létourneau

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                                          9 juin 2006

 

 

COMPARUTIONS :

Sheila R. Block                                                 pour les appelantes

Andrew M. Shaughnessy

Andrew E. Bernstein

 

Glenn A. Bloom                                                            pour l’intimée, Ratiopharm Inc.

David W. Aitken

Matthew R. Castellarin

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP                                                                    pour les appelantes

Toronto (Ontario)

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP                         pour l’intimée, Ratiopharm Inc.

Ottawa (Ontario)

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