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Date : 20040713

Dossier : A-363-04

Référence : 2004 CAF 261

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :

                        GHANASEHARAN SELLIAH, NIRMALA GNANASEHARAN

                                                et MAHISHAN GNANASEHARAN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                    (demandeurs devant la Section de première instance)

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                                        (défendeur devant la Section de première instance)

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                Audience tenue par conférence téléphonique à Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2004.

                                  Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2004.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                          LE JUGE EVANS


Date : 20040713

Dossier : A-363-04

Référence : 2004 CAF 261

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :

                        GHANASEHARAN SELLIAH, NIRMALA GNANASEHARAN

                                                et MAHISHAN GNANASEHARAN

                                                                                                                                            appelants

                                                                    (demandeurs devant la Section de première instance)

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                                        (défendeur devant la Section de première instance)

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.         INTRODUCTION


[1]                Les appelants ont déposé une requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi du Canada dont ils sont l'objet, jusqu'à liquidation de l'appel qu'ils ont interjeté contre un jugement du juge Blanchard, de la Cour fédérale. Le juge Blanchard avait rejeté leurs demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision d'une agente d'immigration selon laquelle ils ne seraient pas exposés à un risque de persécution en cas de renvoi au Sri Lanka, le pays dont ils sont ressortissants, et à l'encontre du rejet, par la même agente d'immigration, de leur demande de résidence au Canada au titre de considérations humanitaires. Les appelants doivent être renvoyés vers les États-Unis le 20 juillet 2004.

[2]                La requête a été instruite par conférence téléphonique. J'ai aussi fait droit à une requête présentée au nom du ministre, à laquelle ne s'est pas opposée l'avocate des appelants, qui visait à faire modifier l'intitulé par ajout du solliciteur général du Canada à titre d'intimé.

B.        LES FAITS

[3]                Un bref résumé des événements qui ont conduit à la requête principale suffira. Les appelants constituent une famille : mari, femme et leur enfant de deux ans. Ils sont arrivés au Canada le 24 novembre 2000, via les États-Unis, et ont demandé l'asile au motif que, en tant que Tamouls, ils craignaient la persécution au Sri Lanka en raison de leur origine ethnique. Leurs revendications ont été rejetées par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 29 mai 2001, parce que les revendicateurs adultes ont été jugés non crédibles et parce qu'ils n'avaient pas prouvé que les persécutions qu'ils craignaient de subir en cas de renvoi au Sri Lanka étaient davantage qu'une simple possibilité.


[4]                La Cour fédérale a fait droit à leur demande d'autorisation d'introduire une procédure de contrôle judiciaire de cette décision, mais la demande elle-même de contrôle judiciaire a été rejetée le 2 octobre 2002.

[5]                Le 18 décembre 2002, les appelants demandaient l'autorisation de rester au Canada en tant que personnes à risque comprises dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la catégorie des DNRSRC); cette demande a été étudiée dans le cadre du programme d'examen des risques avant renvoi (l'ERAR), à l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27 (la LIPR). Le 17 avril 2002, ils demandaient aussi la résidence permanente en invoquant des considérations humanitaires, selon le paragraphe 25(1) de la LIPR.

[6]                Cette dernière demande a été refusée, sans entrevue, le 28 novembre 2002. Le même jour, l'agente qui s'était prononcée sur leur demande fondée sur des considérations humanitaires rejetait aussi leur demande d'ERAR, au motif que les appelants n'avaient pas suffisamment démontré qu'ils étaient personnellement exposés à un risque de torture, à une menace pour leur vie ou à des peines cruelles et inusitées. Les appelants ont été informés des deux décisions lorsqu'ils se sont présentés à un bureau d'Immigration Canada le 23 janvier 2003.


[7]                Des demandes distinctes de contrôle judiciaire à l'encontre de ces décisions ont été rejetées par le juge Blanchard, dans un jugement rendu le 17 juin 2004, soigneusement motivé. Le juge Blanchard a certifié la question suivante comme question grave de portée générale, qui pouvait disposer d'un appel interjeté contre le rejet de la demande de contrôle de la décision d'ERAR :

« L'article 97 de la LIPR requiert-il du revendicateur qu'il prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu'il sera exposé aux risques décrits dans les alinéas 97(1)a) ou b)? »

[8]                Cependant, le juge Blanchard a refusé de certifier deux autres questions au motif que, si des erreurs avaient été commises par l'agente d'immigration, telles erreurs n'invalidaient pas la décision de l'agente. Puisque le juge Blanchard n'a certifié aucune question au regard de la demande de contrôle judiciaire de la décision relative aux considérations humanitaires, le rejet par lui de la demande de contrôle de ladite décision n'est donc pas sujet à appel devant la Cour.

C.        ANALYSE

[9]                Le critère en trois volets applicable à l'octroi d'un sursis d'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à ce qu'une affaire soit jugée au fond est bien connu : Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.).

(i) Existence d'une question grave

[10]            En dépit des jugements rendus par la Cour fédérale pour qui une erreur dans l'application de l'article 97 est sans conséquence lorsque l'analyse selon l'article 96 a été confirmée, je suis disposé à admettre que les appelants répondent de justesse à la condition liminale qui veut que la question certifiée soulève un point plaidable.


[11]            Le juge Blanchard a considéré que la norme de preuve que devait appliquer l'agente pour rendre la décision d'ERAR en application de l'article 97 de la LIPR expliquait la décision défavorable de l'agente. Il a refusé de certifier les autres questions proposées, précisément parce que, selon lui, même si l'agente avait commis les erreurs alléguées, ces erreurs n'auraient pas modifié la décision ultime de l'agente. Le point de savoir si la prétendue erreur est déterminante ici pourra être plaidé à tous égards lorsque l'appel sera jugé.

(ii) Préjudice irréparable

[12]            Je ne suis pas persuadé que les appelants se sont acquittés de leur obligation de prouver que, si la mesure de renvoi n'est pas suspendue jusqu'à liquidation de leur appel, ils subiront un préjudice irréparable. Leur avocate invoque trois genres de préjudice irréparable pour le cas où ils seraient renvoyés le 20 juillet : le mode de vie qu'ils se sont construit au Canada sera bouleversé; ils risquent la persécution s'ils sont renvoyés au Sri Lanka; et leur droit d'appel sera rendu illusoire. J'examinerai brièvement chacun d'eux.

a) bouleversements familiaux


[13]            Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu'elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n'ont aucun souvenir du pays qu'ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu'entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l'arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d'exécution dans la plupart des cas dès lors qu'il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 29.

[14]            Les appelants adultes ont trouvé des emplois (emplois qu'ils perdront à leur renvoi du Canada), ils ont à coeur d'améliorer leurs compétences professionnelles et ils sont engagés dans la communauté, mais je ne crois pas que tout cela suffise à prouver que leur cas est différent de celui de la plupart des autres qui doivent se préparer à un renvoi. De même, le fait d'avoir à retirer leur enfant de son école et à le séparer de ses amis jusqu'à liquidation de l'appel est un incident ordinaire, encore que douloureux, propre à tout renvoi.

[15]            Les racines sociales et économiques que les appelants se sont appliqués à nourrir au Canada au cours des quelque quatre années où ils se sont légitimement prévalus de tous les moyens juridiques d'obtenir le statut de résident permanent ne permettent pas en elles-mêmes d'affirmer que le renvoi des appelants avant que leur appel ne soit jugé leur causera un préjudice irréparable. S'ils ont gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada en attendant la nouvelle décision qui disposera de leur demande relative à l'ERAR.


[16]            Leur avocate a fait valoir que, dans l'arrêt Toth, la Cour avait conclu à l'existence d'un préjudice irréparable sans exiger un niveau particulier de difficultés susceptibles de résulter des bouleversements de la vie du demandeur au Canada par suite de son renvoi. Dans cette affaire cependant, il avait été établi que le renvoi priverait le demandeur de sa capacité de subvenir aux besoins de sa famille au Canada pour le cas où il obtiendrait gain de cause en appel, parce que l'entreprise familiale aurait alors fermé ses portes. Aucune preuve de cette nature n'existe ici.

b) risque de persécution selon les circonstances prévues par l'article 97

[17]            Selon l'avocate, les appelants seront renvoyés du Canada vers les États-Unis le 20 juillet 2004, mais l'on peut présumer qu'ils seront retournés au Sri Lanka depuis les États-Unis. Le dossier de requête révèle que, après une période d'amélioration de la situation des droits de la personne, les conditions qui règnent au Sri Lanka se sont récemment dégradées et que la situation actuelle est incertaine.

[18]            Ainsi par exemple, les négociations de paix visant à mettre fin à la guerre civile au Sri Lanka et à établir une nouvelle relation entre la minorité tamoule et la majorité cinghalaise semblent marquer le pas à la suite des élections tenues en avril de cette année. Le recrutement d'enfants soldats par les Tigres tamouls a repris. Et le récent attentat-suicide à la bombe survenu à Colombo, un attentat attribué aux Tigres tamouls, mais qu'ils refusent de revendiquer, semble être à l'origine d'une recrudescence de la chasse aux Tamouls, avec détentions et interrogatoires.


[19]            À mon avis, eu égard à l'ensemble du dossier, les appelants n'ont pas prouvé que, s'ils sont renvoyés au Sri Lanka, ils seront personnellement exposés au risque de subir l'une des formes de persécution dont parle le paragraphe 97(1). Ni la Section du statut de réfugié ni l'agente d'immigration qui a pris la décision relative à l'ERAR n'ont trouvé que les appelants étaient personnellement exposés à un risque de persécution. Tout au plus ont-elles considéré que les appelants étaient exposés à une simple possibilité de persécution. Je ne crois pas que les preuves nouvelles offrent un fondement qui suffise à justifier une conclusion contraire.

c) l'appel sera rendu illusoire

[20]            Puisque l'appel pourra être habilement plaidé par une avocate d'expérience, en l'absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l'État, je ne puis souscrire à l'idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d'appel.

(iii) Équilibre des inconvénients

[21]            L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.


[22]            Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

D.        DISPOSITIF

[23]            Pour ces motifs, la requête des appelants en sursis d'exécution est rejetée.

                                                                                « John M. Evans »              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   A-363-04

INTITULÉ :                  GHANASEHARAN SELLIAH ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :                                   LE 13 JUILLET 2004

CONCLUSIONS ÉCRITES :

Barbara Jackman                                               POUR LES APPELANTS

Marcel Larouche                                               POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman                                               POUR LES APPELANTS

Avocate

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada


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