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Date : 20060614

Dossier : A-562-04

Référence : 2006 CAF 219

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

VALÉRIE CÔTÉ

défenderesse

Audience tenue à Québec (Québec), le 12 juin 2006.

Jugement rendu à Québec (Québec), le 15 juin 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL


Date : 20060614

Dossier : A-562-04

Référence : 2006 CAF 219

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

VALÉRIE CÔTÉ

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                Il s'agit ici, une fois de plus, de l'exclusion d'une personne du bénéfice de prestations d'assurance-emploi pour le motif qu'elle a quitté un emploi afin de poursuivre des études.

[2]                La défenderesse occupait un emploi d'agent de sécurité-étudiante au Casino de Charlevoix pendant qu'elle complétait, à Québec, son CEGEP en techniques policières. Elle travaillait au Casino toutes les fins de semaine.

[3]                Le 31 mars 2002, elle informe son employeur qu'elle s'est inscrite à un cours à l'École nationale de police, à Nicolet, du 8 avril au 12 juillet et que, vu l'ampleur des déplacements, elle ne pourra travailler qu'une fin de semaine sur trois pendant cette période. Elle mentionne à son employeur qu'elle souhaitait reprendre son poste au Casino par la suite.

[4]                Le 1er avril 2002, l'employeur met fin à l'emploi de la défenderesse, et ce à compter du 8 avril.

[5]                La défenderesse complète son stage à Nicolet et occupe différents emplois pendant les mois qui suivent. Elle est éventuellement mise à pied et, en février 2003, elle dépose une demande de prestations auprès de la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la « Commission » ).

[6]                La Commission se dit d'avis que la défenderesse a quitté volontairement son emploi sans justification, entraînant dès lors l'exclusion établie à l'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi. Selon les termes du paragraphe 30(5) de ladite Loi, les heures d'emploi assurables provenant de son emploi au Casino ne pouvaient plus dès lors être comptabilisées aux fins du calcul du nombre d'heures requis pour établir son admissibilité aux prestations.

[7]                Le conseil arbitral accueille l'appel de la défenderesse. Il se dit d'avis qu'en vertu même du contrat d'emploi des étudiants au Casino de Charlevoix, les études avaient priorité et qu'en l'espèce « c'est l'employeur qui a pris l'initiative de la rupture d'emploi » . Il en conclut que la défenderesse n'a pas volontairement quitté son emploi.

[8]                Le juge-arbitre confirme en ces termes la décision du conseil arbitral:

À l'examen de l'ensemble du dossier, il apparaît inconcevable que l'employeur qui a déjà Mme Côté à son emploi depuis un bout de temps et qui semble satisfait de son travail, se base sur son statut étudiant pour la congédier, alors qu'il s'agit d'un emploi d'étudiant.

En fait, l'employeur devait s'attendre à ce que pour l'étudiant en techniques policières qui complète son CEGEP en techniques policières, l'étape suivante serait l'École nationale de police qui est en fait, le seul débouché pour les étudiants qui complètent un DEC en techniques policières.

Mme Côté demeurait disponible les fins de semaine et c'est l'employeur qui a décidé de rompre un lien d'emploi.

[9]                C'est à tort, à mon avis, que le débat a porté sur la question de savoir qui, de l'employeur ou de la défenderesse, avait pris l'initiative. Il y a eu, me semble-t-il, méprise sur le concept juridique connu sous le vocable de « départ volontaire » . Ce que l'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi vise à empêcher, c'est qu'un travailleur décide de lui-même, sans justification, de laisser son emploi. Un employé qui informe son employeur qu'il est moins disponible qu'auparavant invite à toutes fins utiles l'employeur à mettre fin au contrat si l'employeur ne peut s'accommoder de la disponibilité réduite de l'employé. Le congédiement n'est alors que la sanction de la cause réelle de la perte d'emploi, soit la décision de l'employé de poursuivre ses études dans des conditions qui ne lui permettent plus d'être disponible. Le congédiement n'est en fait que la conséquence logique de l'acte délibéré de l'employé et ne saurait faire oublier qu'il y a eu, d'abord et avant tout, départ volontaire de l'employé.

[10]            Ce départ volontaire peut être justifié de la manière permise par la Loi à l'alinéa 29c). Or, il est acquis depuis belle lurette qu'une personne qui quitte son emploi pour poursuivre des études non autorisées par la Commission, n'est pas « justifiée » de ce faire au sens de la Loi (voir Canada (Procureur général) c. Lessard, (2002) 300 N.R. 354 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Bédard, 2004 CAF 21; Canada (Procureure générale) c. Bois, 2001 CAF 175).

[11]            La cause de la défenderesse est sympathique, comme l'est celle de toute étudiante qui travaille à temps partiel pour payer ses études. Dès lors que les circonstances forcent cette étudiante à quitter un emploi à temps partiel pour parfaire ses études, elle perd le bénéfice des heures de travail accumulées dans le cadre de cet emploi. Mais cette Cour a établi le principe qu'il est de l'essence du régime d'assurance-emploi « que l'assuré ne crée pas ou n'accroisse pas délibérément le risque » (Tanguay c. Commission d'assurance-chômage, (1985), 10 C.C.E.L. 239 (C.A.F.) à la p. 244; Smith c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1998] 1 C.F. 529, à la p. 537). Je ne crois pas qu'il y ait de différence de principe entre le fait de retourner aux études ou d'en entreprendre, et le fait de les poursuivre. L'étudiant-assuré qui renonce à son travail à temps partiel pour mieux parfaire ses études crée délibérément le risque. L'objectif, certes, est louable, mais comme le soulignait le juge Pratte dans Tanguay, à la p. 243, le mot « justification » n'est pas synonyme de « raison » ou « motif » et, j'ajouterais, d'objectif. Je constate par ailleurs que toutes les formes de « justification » retenues par le législateur à l'alinéa 29c) de la Loi, à l'exception de celles visées aux sous-alinéas (vi) ( « assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat » ) et (xiv) ( « toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement » ), supposent l'intervention d'un tiers. Je suis conscient que la liste n'est pas exhaustive, mais j'hésiterais à y ajouter par voie jurisprudentielle une forme de justification aussi dépendante de la volonté d'un assuré que le retour aux études ou la continuation de celles-ci. Je préfère laisser le Parlement ou le gouverneur en conseil en décider.

[12]            Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire du Procureur général du Canada, j'annulerais la décision du juge-arbitre et je renverrais l'affaire au juge-arbitre en chef ou à son délégué pour qu'il en décide à nouveau en tenant pour acquis que la défenderesse doit être exclue du bénéfice des prestations parce qu'elle a quitté volontairement son emploi sans justification. Le tout sans frais.

Robert Décary

j.c.a.

Je suis d'accord.

            Gilles Létourneau, j.c.a.

Je suis d'accord

            Marc Noël, j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-562-04

INTITULÉ :                                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. VALÉRIE CÔTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    12 juin 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE DÉCARY

Y ONT (A) SOUSCRIT :                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE NOËL

MOTIFS CONCOURANTS :                                               

MOTIFS DISSIDENTS :                                                      

DATE DES MOTIFS :                                                           14 juin 2006

COMPARUTIONS :

Me Paul Deschênes

POUR LE DEMANDEUR

Madame Valérie Côté

POUR ELLE-MÊME

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la justice Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Madame Valérie Côté

POUR ELLE MÊME

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