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Date : 20060511

Dossier : A-261-05

Référence : 2006 CAF 175

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

MARIE-CLAUDE ROBIN

Défenderesse

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 janvier 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 mai 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                 LE JUGE PELLETIER


Date : 20060511

Dossier : A-261-05

Référence : 2006 CAF 175

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

MARIE-CLAUDE ROBIN

Défenderesse

LE JUGE NADON

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision du juge-arbitre Gobeil, datée le 20 avril 2005, qui a confirmé la décision du Conseil arbitral selon laquelle la défenderesse était admissible aux prestations régulières de chômage durant les mois de juillet et août 2004.

[2]                Cette demande de contrôle judiciaire, qui a été entendue avec la demande de contrôle judiciaire dans le dossier A-172-05 (Céline Bazinet et al c. Procureur général du Canada), soulève, comme dans l'affaire Bazinet, une question d'interprétation de l'alinéa 33(2)a) du Règlement sur l'assurance-emploi (le Règlement), DORS/90-54, qui régit l'admissibilité des enseignants aux prestations régulières de chômage durant les périodes de congés scolaires.

[3]                La défenderesse, une enseignante à temps partiel au niveau secondaire à la Commission scolaire de Sainte-Hyacinthe (la Commission scolaire) du 3 septembre 2003 au 23 juin 2004, présentait une demande de prestations le 24 juin 2004 et une période initiale de prestations était établie à son profit à compter du 27 juin 2004.

[4]                Sur sa demande de prestations, la demanderesse indiquait avoir reçu et accepté une offre d'emploi pour un poste permanent à la Commission scolaire et déclarait qu'elle commencerait à enseigner le 25 août 2004. De fait, le 22 juin 2004, la Commission scolaire lui faisait parvenir une offre d'emploi pour enseigner à temps plein à compter du 24 août 2004, offre que la défenderesse a accepté.

[5]                Le 30 juin 2004, la défenderesse signait un document intitulé Contrat d'engagement de l'enseignante ou de l'enseignant à temps plein. Pour les fins de la présente, les articles IA) et III de ce contrat sont pertinents, et je les reproduis :

I.    OBLIGATIONS DE L'ENSEIGNANTE OU L'ENSEIGNANT

A)     L'enseignante ou l'enseignant s'engage, à toutes fins que de droit, à enseigner comme enseignante ou enseignant à temps plein dans les écoles de la commission pour l'année scolaire commençant le 1er juillet 2004 ou pour terminer cette année scolaire.

...

III.    DISPOSITIONS GÉNÉRALES

A)     Ce contrat d'engagement prend effet à compter du 24 août 2004 et se termine le 30 juin 2005 inclusivement.

B)      Les dispositions de la convention collective font partie intégrante du présent contrat.

[6]                Le 14 juillet 2004, la Commission de l'assurance-emploi (la Commission) avisait la défenderesse qu'elle ne pouvait lui payer des prestations pour la période du 28 juin 2004 au 24 août 2004, au motif qu'elle ne rencontrait aucune des exceptions prévues au paragraphe 33(2) du Règlement.

[7]                La défenderesse interjetait appel de la décision de la Commission et le Conseil arbitral, en accueillant son appel, concluait comme suit :

À la lumière des documents déposés, le Conseil Arbitral ne peut que constater que le contrat en litige se terminait effectivement le 23 juin 2004. Le nouveau contrat, quant à lui, prend effet le 24 août 2004.

Le Conseil Arbitral constate par les dires et les pièces déposées devant lui, qu'effectivement l'appelante finissait un contrat qui ne se renouvelait pas tacitement pour l'année suivante. Le Conseil Arbitral en prend comme preuve la convention collective (pièce 12) qui explicite la situation correctement. Ce qui est exactement le cas que nous avons présentement devant nous.

[8]                La Commission portait en appel cette décision devant le juge-arbitre qui, comme je l'ai indiqué précédemment, confirmait la décision du conseil arbitral. S'appuyant sur l'arrêt de cette Cour dans Ying c. Canada (Procureur général), 1998 A.C.F. No. 1615 (Q.L.), le juge-arbitre concluait que puisqu'il n'existait aucune relation employeur/employée durant la période du 24 juin au 24 août 2004, la défenderesse, en raison de l'alinéa 33(2)a) du Règlement, avait droit à des prestations de chômage. À la page 2 de ses motifs, il s'exprimait comme suit :

L'affaire Ying s'applique manifestement au cas sous étude. Entre le 24 juin 2004 et le 24 août 2004, il n'y avait aucune relation employeur/employée entre la prestataire et la Commission Scolaire de Ste-Hyacinthe. Aucun contrat de travail ne les liait. La promesse d'un contrat n'est pas un contrat. Elle n'avait droit à aucune rémunération pour cette période.

[9]                En concluant à l'inexistence d'une relation employeur/employée entre la défenderesse et la Commission scolaire durant la période du 24 juin 2004 au 24 août 2004, le juge-arbitre avait en mémoire le contrat signé par la défenderesse le 30 juin 2004 pour l'année scolaire 2004-2005, reproduit en partie ci-haut, et le contrat signé par cette dernière le 26 février 2004 pour l'année scolaire 2003-2004, intitulé Contrat d'engagement de l'enseignante ou de l'enseignant à temps partiel, qui prévoyait ce qui suit :

III.    DISPOSITIONS GÉNÉRALES

A)     Ce contrat d'engagement prend effet à compter du 3 septembre 2003 et se termine le plus tard le 30 juin 2004 inclusivement ou lors de l'arrivée de l'événement suivant : ou jusqu'au retour de Mme Préfontaine.

B)          Les dispositions de l3a [sic] convention collective font partie intégrante du présent contrat.

Dispositions pertinentes de la convention collective

[10]            Puisqu'il apparaît clairement des deux contrats signés par la défenderesse avec la Commission scolaire que les dispositions de la convention collective faisaient partie intégrante de ces contrats, je reproduis donc certaines de ces dispositions qui m'apparaissent importantes :

5-1.08       Sous réserve de l'article 5-8.00, le contrat d'engagement d'une enseignante ou d'un enseignant, qui est employé en tant qu'enseignante ou enseignant à temps plein, est un contrat d'engagement annuel renouvelable tacitement.

...

5-1.13       Le contrat d'engagement de toute enseignante ou tout enseignant qui est employé en tant qu'enseignante ou enseignant à temps partiel en remplacement d'une enseignante ou d'un enseignant absent se termine automatiquement et sans avis au retour de l'enseignante ou l'enseignant remplacé ou au plus tôt à la dernière journée de présence des élèves prévue au calendrier scolaire de l'année scolaire en cours.

                Le contrat d'engagement de toute autre enseignante ou tout autre enseignant qui est employé en tant qu'enseignante ou enseignant à temps partiel se termine automatique et sans avis:

a)             le 30 juin s'il s'agit d'une contrat pour une journée scolaire non complète durant toute l'année scolaire ou pour une semaine scolaire non complète durant toute l'année scolaire;

b)            au plus tôt à la dernière journée de présence des élèves prévue au calendrier scolaire de l'année scolaire en cours s'il s'agit d'un contrat pour terminer une année scolaire;

c)             à une date précise dans tous les autres cas, que cette date soit clairement stipulée ou qu'elle dépende de l'arrivée d'un événement qui y est expressément prévu.

...

6-7.01      L'enseignante ou l'enseignant à temps partiel a droit à un pourcentage du traitement égal au pourcentage de la tâche éducative qu'elle ou il assume par rapport à la tâche éducative de l'enseignante ou l'enseignant à temps plein.

                Il est de même des primes pour disparités régionales et des congés spéciaux.

...

6-7.03       ...

E)            Cependant, après vingt (20) jours ouvrables consécutifs d'absence de la part d'une enseignante ou d'un enseignant à temps plein, la commission paie, à la suppléante ou au suppléant occasionnel qui la ou le remplace durant ces vingt (20) jours, le traitement qu'elle ou il recevrait si elle ou il était enseignante ou enseignant à temps plein. Ce traitement qu'elle ou il recevrait est basé sur sa catégorie telle qu'elle est établie par la commission au début de l'année ou, le cas échéant, au milieu (à la cent unième journée) de l'année de travail en cours et son échelon d'expérience acquis à la première journée ouvrable de l'année de travail en cours, et est payé à raison de 1/200 du traitement annuel pour chaque jour de travail ainsi effectué. Dans ce cas, ce traitement compte à partir de la première journée de la suppléance et cette suppléante ou ce suppléant doit fournir sans délai les documents servant à établir son traitement. Une ou des absences de la suppléante ou du suppléant occasionnel totalisant trois (3) jours ou moins pendant l'accumulation de ces vingt (20) jours consécutifs de remplacement n'a pas pour effet d'interrompre cette accumulation

...

.6-8.01     L'enseignante ou l'enseignant reçoit son traitement annuel prévu à l'article 6-5.00 et à l'annexe XLII, de même que les suppléments prévus à l'article 6-6.0- et les primes pour disparités régionales prévues au chapitre 12-0.00 s'il y a lieu, en vingt-six (26) versements, selon les modalités suivantes:

a)             à compter du début de l'année de travail, l'enseignante ou l'enseignant reçoit à tous les deux (2) jeudis, 1/26 des montants annuels applicables en traitement, suppléments et primes le premier jour de travail de la période de paie visée;

b)            malgré l'alinéa a), le vingt-sixième (26e) versement pour une année de travail doit être rajusté de sorte que l'enseignante ou l'enseignant ait reçu, pour cette année de travail, 1/200 de son traitement annuel applicable, de même que de ses suppléments et primes applicables s'il y a lieu, pour chaque jour de travail qu'elle ou il a effectué;

c)             malgré l'alinéa a), l'enseignante ou l'enseignant qui quitte le service ce la commission reçoit, au moment de son départ, le solde du traitement ainsi que des suppléments et primes applicables qui lui sont dus.

                La présente clause n'a pas pour effet d'accorder à l'enseignante ou l'enseignant un droit à une somme à laquelle elle ou il n'a pas droit en vertu d'une autre disposition de la convention.

...

6-8.03      Le traitement, de même que les suppléments et primes pour disparités régionales de l'enseignante ou l'enseignant qui entre au service de la commission après le début de l'année de travail ou qui quitte le service de la commission avant la fin de l'année de travail, sont calculés à raison de 1/200 du traitement annuel applicable, de même que des suppléments et primes pour disparités régionales applicables, s'il y a lieu, pour chaque jour de travail effectué.

6-8.04      La commission déduit 1/200 par jour de travail (lire 1/400 par demi-journée de travail et lire 1/1000 pour toute période de tems de 45 à 60 minutes) du traitement annuel applicable, de même que des suppléments et primes pour disparités régionales applicables, s'il y a lieu, de l'enseignante ou l'enseignant dans les cas suivants:

a)             absences autorisées sans traitement pour une durée inférieure à une année de travail;

b)            absences non autorisées ou utilisées à des fins autres que celles autorisées.

...

8-4.01      L'année de travail des enseignantes ou enseignants comporte deux cents (200) jours de travail et, à moins d'entente différente entre la commission et le syndicat, ils sont distribués du 1er septembre au 30 juin suivant.

Législation pertinente

[11]            Avant de débuter mon analyse, je crois opportun de reproduire immédiatement la législation pertinente. L'article 54 de la Loi sur l'assurance-emploi, 1996, ch. 23, qui permet à la Commission de prendre des règlements, se lit, en partie, comme suit :

54. La Commission peut avec l'agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements

...

j) interdisant le paiement de prestations, en tout ou en partie, et restreignant le montant des prestations payables pour les personnes, les groupes ou les catégories de personnes qui travaillent ou ont travaillé pendant une fraction quelconque d'une année dans le cadre d'une industrie ou d'une occupation dans laquelle, de l'avis de la Commission, il y a une période qui survient annuellement à des intervalles réguliers ou irréguliers durant laquelle aucun travail n'est exécuté, par un nombre important de personnes, à l'égard d'une semaine quelconque ou de toutes les semaines comprises dans cette période.

54. The Commission may, with the approval of the Governor in Council make regulations

...

(j) prohibiting the payment of benefits, in whole or in part, and restricting the amount of benefits payable, in relation to persons or to groups or classes of persons who work or have worked for any part of a year in any industry or occupation in which, in the opinion of the Commission, there is a period that occurs annually, at regular or irregular intervals, during which no work is performed by a significant number of persons engaged in that industry or occupation, for any or all weeks in that period.

[12]            La Commission a adopté une disposition particulière applicable aux enseignants dont le but est de régir les conditions d'admissibilité de ces derniers durant les périodes de congés. L'article 33 du Règlement se lit comme suit :

33. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« enseignement » La profession d'enseignant dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle (teaching)

« période de congé. La période qui survient annuellement, à des intervalles réguliers ou irréguliers, durant laquelle aucun travail n'est exécuté par un nombre important de personnes exerçant un emploi dans l'enseignement (non-teaching period)

(2) Le prestataire qui exerçait un emploi dans l'enseignement pendant une partie de sa période de référence n'est pas admissible au bénéfice des prestations - sauf celles prévues aux articles 22, 23 ou 23.1 de la Loi -pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui-ci, sauf si, selon le cas :

a) son contrat de travail dans l'enseignement a pris fin;

b) son emploi dans l'enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance;

c) il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l'égard d'un emploi dans une profession autre que l'enseignement.

(3) Lorsque le prestataire qui exerçait un emploi dans l'enseignement pendant une partie de sa période de référence remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l'égard d'un emploi autre que l'enseignement, les prestations payables pour une semaine de chômage comprise dans toute période de congé de celui-ci se limitent au montant payable à l'égard de l'emploi dans cette profession.

(Je souligne)

33. (1) The definitions in this subsection apply in this section.

"non-teaching period" means the period that occurs annually at regular or irregular intervals during which no work is performed by a significant number of people employed in teaching (période de conge)

"teaching" means the occupation of teaching in a pre-elementary, an elementary or a secondary school, including a technical or vocational school. (enseignement)

(2) A claimant who was employed in teaching for any part of the claimant's qualifying period is not entitled to receive benefits, other than those payable under section 22, 23 or 23.1 of the Act, for any week of unemployment that falls in any non-teaching period of the claimant unless

(a) the claimant's contract of employment for teaching has terminated;

(b) the claimant's employment in teaching was on a casual or substitute basis; or

(c) the claimant qualifies to receive benefits in respect of employment in an occupation other than teaching.

(3) Where a claimant who was employed in teaching for any part of the claimant's qualifying period qualifies to receive benefits in respect of employment in an occupation other than teaching, the amount of benefits payable for a week of unemployment that falls within any non-teaching period of the claimant shall be limited to the amount that is payable in respect of the employment in that other occupation.

(Emphasis added)

Par conséquent, selon l'alinéa 33(2)a) du Règlement, une enseignante sera inadmissible à recevoir des prestations à l'égard de semaines de chômage qui se retrouvent à l'intérieur de la période de congés, soit juillet et août, sauf si « son contrat de travail dans l'enseignement a pris fin » .

[13]            Dans Sheila Stone v.Attorney General of Canada, 2006 FCA 27, 24 janvier 2006, le juge Sexton, s'exprimant pour la majorité, énonçait que l'objectif de l'article 33 du Règlement était celui d'empêcher qu'un enseignant puisse obtenir des prestations d'assurance-emploi alors qu'il n'était pas véritablement en chômage. Au paragraphe 38 de ses motifs, le juge Sexton écrivait ce qui suit :

[38] ... In short, the regulation-making power of the Act and the language of section 33 affirm that paragraph 33(2)(a) is intended to combat the mischief of teachers collecting EI benefits when they cannot be said to be truly unemployed, but nevertheless are not performing work during the non-teaching period.

Au même sens, l'on retrouve les propos du juge Létourneau dans Charlotte Oliver et al c. Le Procureur général du Canada, 2003 CAF 98, où, au paragraphe 27 de ses motifs, le juge Létourneau s'exprimait comme suit :

[27]             Le juge-arbitre a correctement pris en compte tant la jurisprudence de la Cour que l'intention législative sous-jacente à l'article 33 du Règlement. Les deux reposent sur un principe clair : sauf rupture claire dans la continuité de son emploi, l'enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congé. Il importe de souligner avec force ce principe fondamental parce que de nombreuses demandes portant sur cette question sont en cours. La Cour se doit d'être claire sur ce point.

(Je souligne)

[14]            L'article 13 de la Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., chapitre I-13.3, est aussi pertinent et je le reproduis en partie :

13. Dans la présente loi on entend par :

1. « année scolaire » : la période débutant le 1er juillet d'une année et se terminant le 30 juin de l'année suivante.

13. In this Act,

1) the words "school year" mean the period commencing on 1 July in a year and ending on 30 June in the year following;

Analyse

[15]            Le demandeur soutient que le juge arbitre a erré dans son interprétation et application de l'alinéa 33(2)a) du Règlement. En outre, il soutient que la décision de notre Cour dans Ying, précité, n'est nullement applicable, vu l'existence d'un contrat entre la défenderesse et la Commission scolaire à compter du 1er juillet 2004.

[16]            De son côté, la défenderesse soutient que puisqu'elle était sans contrat entre le 24 juin 2004 et le 24 août 2004, il ne pouvait y avoir de continuité dans son emploi dans l'enseignement. Contrairement au demandeur, la défenderesse soumet que notre décision dans Ying, précité, est entièrement applicable en l'espèce et que, par conséquent, elle était dès lors en chômage pendant la période durant laquelle elle était sans contrat et a donc droit aux prestations d'assurance-emploi, tel que l'ont décidé le juge arbitre et le Conseil arbitral.

[17]            Il ne peut faire de doute, à la lecture des motifs du juge-arbitre, que le seul facteur qu'il a considéré comme pertinent, à l'instar du conseil arbitral, est le fait que le contrat de la défenderesse avec la Commission scolaire signé le 26 février 2004, se terminait le 23 juin 2004, alors que le nouveau contrat signé par cette dernière le 30 juin 2004 ne prenait effet qu'à compter du 24 août 2004. À mon avis, en se limitant à ce seul facteur, le juge-arbitre a, de toute évidence, mal saisi les enseignements de notre Cour concernant l'alinéa 33(2)a) du Règlement. Par conséquent, il y a lieu pour cette Cour d'intervenir.

[18]            Puisque je conclus qu'il y a lieu d'intervenir, je dois donc nécessairement parler de la norme de contrôle applicable à la décision du juge-arbitre. Dans Sheila Stone, précité, le juge Sexton, aux paragraphes 19 à 23 de ses motifs, concluait que la norme applicable à la décision du juge-arbitre était celle de la décision raisonnable simpliciter. Il concluait ainsi parce qu'il était d'avis que trois des facteurs à considérer dans l'analyse fonctionnelle et pragmatique militaient en faveur de la retenue judiciaire. Il est à noter que malgré sa dissidence, le juge Evans se ralliait à l'opinion du juge Sexton sur ce point (voir paragraphe 101).

[19]            En premier lieu, ayant conclu que le juge-arbitre avait bien compris les principes juridiques applicables, le juge Sexton se disait d'avis que la nature de la question en était une mixte de faits et de droit, puisqu'elle consistait en l'application des principes juridiques aux faits de la cause. Par conséquent, ce facteur faisait appel à la retenue judiciaire.

[20]            En deuxième lieu, le juge Sexton était d'avis que l'objet de la loi faisait aussi appel à la retenue judiciaire. Au paragraphe 22, il s'exprimait comme suit :

[22]    As I discussed above, the final factor in the functional and pragmatic analysis is that of legislative purpose and, in particular, inexpensive and expeditious decision-making also favours a deferential standard.

[21]            Quand au troisième facteur de l'analyse fonctionnelle et pragmatique, soit la nature du mécanisme d'appel ou de contrôle, qui, selon le juge Sexton, faisait appel à la retenue judiciaire, ce dernier s'appuyait sur l'article 118 de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

118.La décision du juge-arbitre sur un appel est définitive et sans appel; elle peut cependant faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur les Cours fédérales..

118. The decision of the umpire on an appeal is final and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal to or review by any court.

[22]            En ce qui a trait au quatrième facteur de l'analyse, à savoir l'expertise relative du juge-arbitre, le juge Sexton concluait, s'appuyant sur la décision de cette Cour dans Canada (Attorney General) v. Sveinson, 2003 FCA 315 aux paragraphes 16 et 17, que ce facteur ne faisait point appel à la retenue judiciaire.

[23]            En l'instance, la nature de la question n'en n'est pas une mixte de faits et de droit, mais une question pure de droit, à savoir, une compréhension erronée des principes juridiques applicables. Par conséquent, en l'instance, deux des facteurs de l'analyse fonctionnelle et pragmatique, soit la nature de la question et l'expertise relative du juge-arbitre, ne militent pas en faveur de la retenue judiciaire. Dans ces circonstances, je suis d'avis que la norme applicable est plutôt celle de la décision correcte. De toute façon, même si je concluais que la norme applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter, je suis d'avis, compte tenu de l'alinéa 33(2)a) du Règlement et de la jurisprudence de cette Cour, que la décision du juge-arbitre est déraisonnable.

[24]            Depuis quelques années, notre Cour s'est penchée à maintes reprises sur l'alinéa 33(2)a) et il en est résulté des lignes directrices claires (voir : Charlotte Oliver et al c. Le Procureur général du Canada, précité; Bishop c. Canada, 2002 CAF 276; Partridge c. Canada (1999), 245 N.R. 163; et plus récemment (décision rendue le 24 janvier 2006), Sheila Stone v. Attorney General of Canada, précité).

[25]            Dans Oliver, précité, les demandeurs, des enseignants diplômés, avaient des contrats de stage probatoire pour la période de septembre 1998 au 30 juin 1999. Après cette date, ils ont tous été réengagés pour enseigner durant l'année scolaire suivante. La plupart des demandeurs ont conclu leur nouveau contrat avant la fin de l'expiration de celui se terminant le 30 juin 1999, alors que certains d'entre eux ont conclu leur nouveau contrat après le 30 juin 1999.

[26]            Il est aussi à noter que les demandeurs avaient été payés pour 12 mois, même si leur contrat couvrait une période de 10 mois seulement, soit septembre 1998 au 30 juin 1999, et qu'ils avaient reçu le même salaire que les employés engagés au terme d'un contrat de travail permanent (qui étaient payés pour 12 mois, même s'ils n'enseignaient pas durant les mois de juillet et août). Autre facteur pertinent était le fait que les demandeurs n'avaient subi aucune perte de revenu et qu'ils avaient bénéficié d'un régime de soins de santé et d'autres avantages sociaux durant la période de juillet et août.

[27]            Dans Oliver, précité, une majorité de notre Cour confirmait la décision du juge-arbitre, qui avait conclu que les demandeurs n'étaient pas admissibles au bénéfice de prestations régulières de chômage pendant les mois de juillet et août 1999.Au paragraphe 27 de ses motifs, au nom de la majorité, le juge Létourneau, comme je l'indiquais au paragraphe 13 de mes motifs, énonçait de façon non équivoque qu'un enseignant n'avait pas droit à des prestations de chômage pendant les mois de juillet et août, à défaut d'une rupture claire dans la continuité de son emploi .

[28]            Ce faisant, le juge Létourneau, au paragraphe 16 de ses motifs, entérinait les propos suivants du juge-arbitre :

L'intention du Parlement est de verser des prestations d'assurance-emploi aux personnes qui, sans que ce soit leur faute, se retrouvent véritablement en chômage et consacrent de sérieux efforts à se trouver de l'emploi. Les enseignants ne sont pas considérés comme des chômeurs pendant les périodes annuelles de congé et, par conséquent, ils n'ont pas droit au bénéfice des prestations, à moins de satisfaire à l'un des trois critères prévus au paragraphe 33(2) du Règlement : ...

L'intention du Parlement de même que l'objet et l'esprit de la loi, m'amènent à conclure que l'exception prévue aux termes de l'alinéa 33(2)a) du Règlement vise à venir en aide aux enseign[an]ts dont la cessation du contrat, qui prend fin le 30 juin, donne lieu à une véritable rupture de la relation entre l'employeur et l'employé. Autrement dit, l'exception accorde de l'aide aux enseignants qui sont des « chômeurs » , selon le véritable sens de ce terme, qui n'équivaut pas pour autant à l'expression « ne pas travailler »

...

La cessation d'un contrat de travail dans l'enseignement dans le contexte de l'esprit de la Loi sur l'assurance-emploi et son règlement d'application implique une rupture de la relation entre l'employeur et l'employé, sans vouloir dire pour autant qu'il y a eu un changement du statut professionnel et que les stagiaires deviennent des enseignants ayant des contrats de travail permanents. ...

(Je souligne)

[29]            Dans Oliver, précité, le juge Rothstein se disait d'accord avec la façon dont le juge Létourneau disposait de l'affaire et, aux paragraphes 29 à 32 de ses motifs, expliquait son point de vue de la façon suivante :

[29]            Je suis d'accord avec la façon dont le juge Létourneau tranche la présente demande. La possibilité pour les enseignants de recevoir des prestations d'assurance-emploi soulève des difficultés parce que l'année scolaire couvre 10 mois, alors que les enseignants sont généralement payés par versements échelonnés sur une période de 12 mois. Parfois, comme en l'espèce, les versements de juillet et d'août sont payés à la fin du mois de juin.

[30]             La Cour a constamment répété dans ses arrêts que, lorsque leurs contrats se terminent à la fin de juin et qu'ils sont réengagés pour l'année scolaire suivante, les enseignants n'ont pas droit à l'assurance-emploi pour les mois de juillet et d'août. Voir Bishop c. Canada (Commission de l'assurance-emploi), 2002 CAF 276; Canada (Procureur général) c. Partridge (1999), 245 N.R. 163 (C.A.F.); Gauthier c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1995] A.C.F. no 1350 (C.A.); et Canada (Procureur général) c. Hann, [1997] A.C.F. no 1641 (C.A.). La seule exception est l'arrêt Ying c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1615 (C.A.).

[31]            En l'espèce, les demandeurs reçoivent exactement le même salaire que leurs collègues enseignants permanents. Ils prétendent pourtant qu'ils sont admissibles au bénéfice des prestations d'assurance-emploi pour les mois de juillet et d'août. Ils ont tous été réengagés avant ou peu après la fin juin pour l'année scolaire suivante. Selon la jurisprudence dominante de la Cour, leurs demandes de prestations d'assurance-emploi devraient être refusées.

[32]           Les demandeurs ne disent pas que la jurisprudence dominante est erronée. Ils prétendent que les faits de l'espèce sont différents. Je ne suis pas convaincu que ces différences soient suffisantes pour que la Cour soit justifiée de ne pas suivre la jurisprudence dominante qu'elle a établie.

(Je souligne)

[30]            Il ressort donc de Oliver, précité, qu'une enseignante aura droit de recevoir des prestations de chômage si elle démontre que la cessation de son emploi, en l'instance le 23 juin 2004, résulte en une « véritable rupture » de la relation avec son employeur. Autrement dit, l'enseignante devra démontrer de façon satisfaisante qu'en raison de cette rupture, elle est véritablement en chômage.

[31]            Ayant limité son analyse à un seul facteur, le juge-arbitre a conclu que les faits de la présente affaire étaient régis par la décision de cette Cour dans Ying, précité, et que, par conséquent, la défenderesse avait droit à des prestations de chômage. Avec respect, le juge-arbitre a eu tort de s'appuyer, comme il l'a fait, sur Ying, précité, puisque de toute évidence, la portée de Ying, précité, ne peut être étendue au-delà des faits particuliers de cette affaire, par suite de la jurisprudence subséquente de notre Cour.

[32]            Il n'est pas suffisant de s'en tenir, comme l'a fait le juge-arbitre, aux dates de fin et début des contrats pour déterminer si le contrat de travail dans l'enseignement d'une prestataire a pris fin au sens de l'alinéa 33(2)a) du Règlement. Il faut, en outre, comme nous l'enseigne Oliver, précité, déterminer s'il y a eu une rupture claire dans la continuité de l'emploi de la prestataire, de sorte que cette dernière est devenue un « chômeur » . Le fait qu'il puisse exister une intervalle entre deux contrats pendant laquelle l'enseignante n'est pas sous contrat, ne fait pas en sorte, à mon avis, qu'il y a une véritable rupture de la relation entre l'enseignante et son employeur. Il ne faut pas oublier que le but de l'exercice n'est pas d'interpréter les dispositions contractuelles afin d'établir les droits respectifs de l'employeur et de l'employé, mais de décider si un prestataire a droit de recevoir des prestations d'assurance-emploi parce qu'il est, de fait, en période de chômage.

[33]            En l'instance, il est manifeste à la lecture de la décision du juge-arbitre que ce dernier ne s'est nullement interrogé quant à savoir s'il y avait eu une rupture claire dans la continuité de l'emploi de la défenderesse de sorte que cette dernière soit devenue un « chômeur » . À mon avis, si le juge-arbitre s'était ainsi interrogé et s'il avait examiné la situation de la défenderesse à la lumière des enseignements de cette Cour, il aurait conclu que la défenderesse ne rencontrait pas l'exception prévue à l'alinéa 33(2)a) du Règlement.

[34]            Le contrat de la défenderesse pour l'année scolaire 2003-2004 s'est terminé le 23 juin 2004, soit la dernière journée de présence des élèves. Selon l'article 5-1.13 de la convention collective, le contrat de la défenderesse, enseignante à temps partiel durant ladite année scolaire, n'était pas renouvelable de façon tacite, comme dans le cas de l'enseignante à temps plein (article 5-1.08 de la convention collective), mais se terminait sans avis soit au retour de l'enseignante remplacée ou, au plus tard, la dernière journée de présence des élèves prévue au calendrier scolaire de l'année scolaire en cours.

[35]            La défenderesse a signé le 30 juin 2004 un contrat s'engageant à enseigner à temps plein dans les écoles de la Commission scolaire pour l'année scolaire 2004-2005. Il ressort clairement du premier contrat d'embauche, signé le 24 février 2004, pour la période du 3 septembre 2003 au 23 juin 2004, et de ce second contrat, qu'il n'y a pas de rupture dans la relation employeur/employée pour la période en litige, soit du 24 juin 2004 au 25 août 2004.

[36]            Considérant que la défenderesse a travaillé comme enseignante pour la Commission scolaire du 3 septembre 2003 au 23 juin 2004, considérant que le 22 juin 2004, la Commission scolaire lui a fait une offre de travail pour l'année scolaire 2004-2005, offre que la défenderesse a accepté dans les jours suivants, et considérant que la défenderesse, tout comme les autres enseignantes de la Commission scolaire, n'avait pas à travailler durant les mois de juillet et août 2004, je ne puis voir comment il soit possible de conclure qu'il y a eu rupture dans la relation de travail entre la défenderesse et la Commission scolaire.

[37]            La réalité est donc la suivante, à savoir que la défenderesse a enseigné, sans interruption, dans les écoles de la Commission scolaire durant le cours des années scolaires 2003-2004 et 2004-2005. La situation factuelle démontre, hors de tout doute, que la relation de la défenderesse avec son employeur n'a pas pris fin. Par conséquent, il n'y a pas eu de rupture dans la continuité de son emploi auprès de la Commission scolaire.

[38]            Pour ces motifs, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie avec dépens, que la décision du juge-arbitre devrait être annulée, et que l'affaire devrait être retournée au juge-arbitre-en-chef, ou au juge-arbitre qu'il désignera, pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que la défenderesse ne peut bénéficier de l'exception prévue à l'alinéa 33(2)a) du Règlement.

« M. Nadon

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            Gilles Létourneau j.c.a. »

« Je suis d'accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-261-05

(CONTRÔLE JUDICIAIRE D'UNE DÉCISION RENDUE LE 18 MAI 2005 PAR LE JUGE GOBEIL, JUGE-ARBITRE, EN VERTU DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPOLOI , N ° DU DOSSIER CUB63467.)

INTITULÉ :                                                                            PGC c. MARIE-CLAUDE ROBIN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 10 janvier 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 11 mai 2006

COMPARUTIONS :

ME CAROLE BUREAU

ME ANTOINE LIPPÉ

Pour le demandeur

ME GEORGES MARCEAU

ME FINN MAKELLA

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims c.r.

Sous-procureur general du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

MELANÇON MARCEAU GRENIER ET SCIORTINO s.e.n.c.
Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

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