Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060331

Dossier : A-230-05

Référence : 2006 CAF 129

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LA SURVIVANCE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 1er mars 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER


Date : 20060331

Dossier : A-230-05

Référence : 2006 CAF 129

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LA SURVIVANCE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                La Survivance ( « l'appelante » ) en appelle d'une décision rendue par le juge Dussault de la Cour canadienne de l'impôt (2005 DTC 689) confirmant la validité d'une cotisation établie à l'égard de son année d'imposition 1998. Cette cotisation a pour effet de refuser le report d'une perte autre qu'en capital prétendument issue d'une perte au titre d'un placement d'entreprise ( « PTPE » ) subie en 1994. La cotisation reconnaît cette perte comme étant une simple perte en capital.


Les faits

[2]                L'appelante est une société publique au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1 (la « Loi » ). Elle disposa en 1994 de toutes les actions détenues dans une filiale à une société privée avec laquelle elle traitait à distance. Cette disposition donna lieu à une perte dont le report fut refusé en 1998.

[3]                La transaction en question est décrite dans le cadre d'une entente sur les faits déposée par les parties devant la Cour canadienne de l'impôt. On y constate que l'appelante exploite une entreprise d'assurance-vie alors que sa filiale, Les Clairvoyants, Compagnie d'Assurance Générale Inc. ( « Les Clairvoyants » ) ainsi que l'acquéreur, Société Nationale d'Assurance Inc. ( « Société Nationale » ) exploitent toutes deux une entreprise d'assurance dommages.

[4]                Le 3 mai 1994, une entente intervint entre l'appelante et Société Nationale ( « l'Entente » ) par laquelle cette dernière offrait d'acheter et l'appelante acceptait de vendre au prix unitaire de 0,15 $ les actions qu'elle détenait auprès de Les Clairvoyants dans le cadre d'une offre publique d'achat d'actions ( « OPA » ) portant sur la totalité des actions ordinaires émises et en cours de cette dernière.

[5]                Conformément à l'Entente, Société Nationale lança en date du 8 juin 1994 une OPA au comptant assujettie aux dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, L.R.Q., c. V-1.1 ( « LVM » ). En date du 16 juin 1994, l'appelante déposa irrévocablement la totalité des actions qu'elle détenait dans le capital-actions de Les Clairvoyants conformément aux termes de l'OPA et à l'article 6 de l'Entente.

[6]                L'OPA prévoyait à son paragraphe 4 que « si le 30 juin 1994, toutes les conditions de cette offre étaient remplies, [Société Nationale] prendra livraison et paiera toutes les actions déposées aux termes de [l'OPA ...] au plus tard le 11 juillet 1994 » (Dossier d'appel, onglet 6D).

[7]                Toutes les conditions furent effectivement rencontrées et le 5 juillet 1994, durant les heures ouvrables, Société Nationale prit livraison contre paiement de toutes les actions déposées par l'appelante conformément aux termes de l'OPA. Le registre des actionnaires de Les Clairvoyants fut modifié au cours de la même journée pour y inscrire Société Nationale et radier l'appelante.

[8]                La vente donna lieu à une perte de l'ordre de 2 654 372 $ et l'enjeu de cet appel découle du fait qu'une PTPE est déductible à l'encontre de tout revenu alors qu'une simple perte en capital n'est déductible qu'à l'encontre des gains en capital imposables, s'il en est.

[9]                Selon la Loi, cette perte est une simple perte en capital si au moment de la disposition Les Clairvoyants demeurait sous le contrôle d'une société publique (i.e., celui de l'appelante). Par contre, si le contrôle était entre les mains de Société Nationale (société privée), la perte se qualifie à titre de PTPE.

[10]            Ce contrôle se situerait indubitablement entre les mains de l'appelante n'eût été du fait que le paragraphe 256(9) de la Loi crée une fiction légale quant au moment où le contrôle d'une société est acquis en décrétant qu'aux fins de la Loi, « [...] le contrôle d'une société qui est acquis à un moment donné est réputé l'être au début du jour où tombe ce moment [...] » .

[11]            Se fondant sur cette présomption, l'appelante est d'avis qu'au moment de la disposition des actions qu'elle détenait dans sa filiale, pendant les heures ouvrables du 5 juillet 1994, cette dernière n'était plus sous son contrôle mais bien sous celui de Société Nationale, de sorte qu'elle a droit à la perte réclamée.

[12]            Par avis de cotisation émis en date du 20 juillet 2000, le Ministre refusa la perte. Cette cotisation fut par la suite ratifiée et l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt s'ensuivit.

[13]            En date du 26 avril 2005, la Cour canadienne de l'impôt rejeta l'appel et confirma le bien fondé de la cotisation.

Dispositions statutaires

[14]            L'appelante est une société privée mais elle est considérée comme étant une société publique aux fins de la Loi du fait qu'elle exploite une entreprise d'assurance-vie et qu'elle réside au Canada :

248. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« compagnie d'assurance-vie » Société qui exploite une entreprise d'assurance-vie [...]

248. (1) In this Act,

...

"life insurance corporation" means a corporation that carries on a life insurance business ...

141.(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la compagnie d'assurance-vie qui réside au Canada est réputée être une société publique.

141.(2) Notwithstanding any other provision of this Act, a life insurance corporation that is resident in Canadais deemed to be a public corporation.

[Je souligne.]

[15]            Une société ne peut se qualifier à titre de « société privée sous contrôle canadien » ( « SPCC » ) tant qu'elle demeure sous le contrôle d'une société publique :

125. (1) La société qui est tout au long d'une année d'imposition une société privée sous contrôle canadien peut déduire de son impôt payable par ailleurs pour l'année en vertu de la présente partie 16 % [...]:

a) [...]

(i) [...] le revenu de la société pour l'année tiré d'une entreprise exploitée activement au Canada [...]

[...]

(7) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

[...]

« société privée sous contrôle canadien » Société privée qui est une société canadienne, à l'exception des sociétés suivantes:

a) la société contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, [...] par une ou plusieurs sociétés publiques [...]

125. (1) There may be deducted from the tax otherwise payable under this Part for a taxation year by a corporation that was, throughout the year, a Canadian-controlled private corporation, an amount equal to 16% ...

(a) ...

(i) the total of all amounts each of which is the income of the corporation for the year from an active business carried on in Canada

...

(7) In this section,

...

"Canadian-controlled private corporation" means a private corporation that is a Canadian corporation other than

(a) a corporation controlled, directly or indirectly in any manner whatever, ... by one or more public corporations

[Je souligne.]

[16]            Les alinéas 39(1)b) et c) de la Loi définissent ce qu'est une perte en capital d'une part et une PTPE d'autre part. Dans le cas d'une PTPE, le libellé précise la nature du bien susceptible de donner lieu à ce type de perte, en l'occurrence, le capital-actions d'une « société exploitant une petite entreprise » ( « SEPE » ) :

39. (1) Pour l'application de la présente loi:

[...]

b) une perte en capital subie par un contribuable [...] du fait de la disposition d'un bien quelconque est la perte qu'il a subie [...] déterminée conformément à la présente sous-section [...] du fait de la disposition d'un bien quelconque [...]

c) une perte au titre d'un placement d'entreprise subie par un contribuable, [...] s'entend [...] de la perte en capital que le contribuable a subie [...] résultant d'une disposition [...]:

d'un bien qui est:

(iii) [...] une action du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise,

39. (1) For the purposes of this Act,

...

(b) a taxpayer's capital loss ... from the disposition of any property is the taxpayer's loss ... determined under this subdivision ... from the disposition of any property of the taxpayer ...

(c) a taxpayer's business investment loss ... is ... the taxpayer's capital loss ... from a disposition ...

of any property that is

(iii) a share of the capital stock of a small business corporation,

[Je souligne.]

[17]            Tant et aussi longtemps qu'elle demeurait sous le contrôle de l'appelante, Les Clairvoyants ne répondait pas à la définition d'une SPCC et donc n'était pas une SEPE au sens de la Loi :

248. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

société exploitant une petite entreprise [...] société privée sous contrôle canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont:

a) soit utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada;

[...]

« société privée sous contrôle canadien » [...] S'entend au sens du paragraphe 125(7).

248. (1) In this Act,

...

Canadian-controlled private corporation ... has the meaning assigned by subsection 125(7);

...

"small business corporation"... Canadian-controlled private corporation all or substantially all of the fair market value of the assets of which at that time is attributable to assets that are

a)used principally in an active business carried on primarily in Canadaby the particular corporation

...

[Je souligne.]

[18]            Par contre, Société Nationale était à tout moment pertinent une « société privée » de sorte qu'après avoir acquis le contrôle de Les Clairvoyants, cette dernière devenait une SPCC et une SEPE :

248. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« société privée » S'entend au sens du paragraphe 89(1).

248. (1) In this Act,

...

"private corporation" has the meaning assigned by subsection 89(1);

89. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

[...]

« société privée » [...] société qui, [...] réside au Canada, [et qui] n'est pas une société publique et n'est pas contrôlée par une ou plusieurs sociétés publiques [...]

89. (1) In this subdivision,

...

"private corporation" ... a corporation that, ... is resident in Canada, is not a public corporation and is not controlled by one or more public corporations ...

[Je souligne.]

[19]            Enfin, avant de reproduire le paragraphe 256(9) qui est à la source du présent litige, je crois utile de citer le paragraphe 249(4) qui laisse entrevoir sa raison d'être :

249(4) En cas d'acquisition du contrôle d'une société à un moment donné [...] par une personne ou un groupe de personnes, les règles suivantes s'appliquent dans le cadre de la présente loi :

a) sous réserve de l'alinéa c), l'année d'imposition de la société qui, sans le présent alinéa, comprendrait ce moment est réputée se terminer immédiatement avant ce moment;

b)une nouvelle année d'imposition de la société est réputée commencer à ce moment;

249(4) Where at any time control of a corporation ... is acquired by a person or group of persons, for the purposes of this Act,

(a) subject to paragraph 249(4)(c), the taxation year of the corporation that would, but for this paragraph, have included that time shall be deemed to have ended immediately before that time;

(b)a new taxation year of the corporation shall be deemed to have commenced at that time;

[20]            Le paragraphe 256(9) se lit comme suit :

256(9) Pour l'application de la présente loi, le contrôle d'une société qui est acquis à un moment donné est réputé l'être au début du jour où tombe ce moment ou, si la société en fait le choix, au moment de ce jour où le contrôle est effectivement acquis. Le choix se fait dans la déclaration de revenu de la société produite en vertu de la partie I pour l'année d'imposition se terminant immédiatement avant l'acquisition du contrôle.

256(9) For the purposes of this Act, where control of a corporation is acquired by a person or group of persons at a particular time on a day, control of the corporation shall be deemed to have been acquired by the person or group of persons, as the case may be, at the commencement of that day and not at the particular time unless the corporation elects in its return of income under Part I filed for its taxation year ending immediately before the acquisition of control not to have this subsection apply.

[Je souligne.]

            Inutile d'ajouter que le choix mentionné au paragraphe 256(9) ne fut pas exercé.

Décision frappée d'appel

[21]            Le juge Dussault a résumé l'argument de l'appelante comme suit :

[7]    [...], étant donné la règle déterminative, la présomption irréfragable, contenue dans le paragraphe 256(9) de la Loi, le contrôle qui est acquis à un moment donné est réputé l'être au début du jour où tombe ce moment, soit, en l'occurrence, au début de la journée du 5 juillet 1994. Ainsi, selon l'avocat de l'appelante, au moment où il y a eu disposition et acquisition des actions du capital-actions de Les Clairvoyants, cette dernière était contrôlée non plus par La Survivance, une société publique, mais par Société Nationale, une société privée. Les Clairvoyants était donc, dès le début de la journée du 5 juillet 1994, une SPCC [...]

[22]            Avant d'aborder cette question, le juge Dussault s'est penché sur la question entourant la date de la disposition des actions. Ce faisant, il répondait à l'argument préliminaire formulé par le Ministre à l'effet que la disposition des actions et la prise de contrôle avaient eu lieu le 30 juin et le 5 juillet 1994 respectivement, de sorte que le paragraphe 256(9) ne peut avoir l'effet que lui attribue l'appelante, quelque soit l'interprétation qu'on en fait.

[23]            Le juge Dussault a tout d'abord rappelé qu'il y a disposition selon la Loi lorsque le vendeur a droit au prix de vente du bien vendu (article 54 de la Loi). Après avoir précisé que l'appelante ne pouvait avoir ce droit avant qu'il y ait vente selon le droit privé applicable (Hewlett Packard (Canada) Ltée c. Canada, [2004] A.C.F. No. 1084 (Q.L.)) (motifs, para. 22), il a jugé que la disposition a eu lieu le 5 juillet 1994. Selon lui, (motifs, para. 23) :

Tout ce qui s'est passé avant le 5 juillet 1994 constituait une promesse de vente et aucun effet de la vente elle-même ne peut avoir été créé puisque la promesse de vente n'était pas accompagnée de délivrance et possession (Art. 1710 C.c.Q.)

[24]            En tirant cette conclusion, le juge Dussault s'en est remis essentiellement à l'intention des parties tel qu'établie par leur conduite et les circonstances entourant l'OPA. Il a fait état d'une opinion juridique du cabinet Ogilvy Renault qui fut communiquée aux actionnaires de Les Clairvoyants dans une note d'information accompagnant l'OPA, opinion qui est exprimée dans les termes suivants (Dossier d'appel, onglet 6, p. 10):

L'actionnaire ne sera pas considéré comme ayant disposé de ses actions au moment du dépôt des actions en réponse à l'offre, mais il sera plutôt considéré comme ayant disposé de ses actions au moment où il est pris livraison des actions, contre paiement.

[25]            Après avoir indiqué que cette opinion n'était pas déterminante quant à la question précise qu'il avait à décider, le juge Dussault l'a tout de même prise en compte dans sa recherche de l'intention des parties. Il insiste sur le fait qu'il s'agit d'une opinion claire qui a été transmise au nom de Société Nationale, à tous les actionnaires, en même temps que l'offre (Motifs, para. 23). Rien ne laisse croire que ces derniers entrevoyaient différemment les effets de la transaction.

[26]            Le juge Dussault cite aussi la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Raschella c. 3633713 Canada Inc., [2003] J.Q. No. 23 (Q.L.) où le juge Rochon explique (motifs, para. 23) :

La convention des parties constitue une promesse synallagmatique qui n'équivaut pas à vente puisque les parties ont notamment convenu de reporter à plus tard la conclusion du contrat de vente et le transfert de propriété (Art. 1396 C.c.Q.). Récemment, dans l'arrêt Amiska Corporation Immobilière inc. c. Alain Bellerive, le juge Forget écrit :

À ce sujet également, je suis d'avis que le premier juge n'a pas commis d'erreur en concluant que la promesse d'achat du 16 décembre 1994 ne constituait pas une vente.

Il est vrai que sous l'ancien droit, il y avait une certaine controverse à savoir si la promesse de vente synallagmatique équivalait à vente. La jurisprudence avait toutefois tranché qu'une telle promesse ne pouvait équivaloir à une vente lorsque le transfert de la propriété était reporté au moment du contrat de vente, ce qui est le cas en l'espèce.

La situation serait la même si on appliquait, comme l'a fait le premier juge, le droit nouveau qui avait cours au moment de la signature de la promesse d'achat. Il faudrait également conclure qu'il n'y a pas eu vente (Art. 1396 C.c.Q.) [Ibid. p. 1499].

[27]            Appliquant ce même raisonnement, le juge Dussault a conclu que les effets de la vente ont été différés au 5 juillet 1994. Ce n'est qu'à cette date que la propriété des actions changea de mains et que le droit qui permet l'inscription de l'appelante en tant qu'actionnaire fut acquis (motifs, para. 24).

[28]            Le juge Dussault s'est ensuite penché sur la question entourant l'effet du paragraphe 256(9). Après une longue analyse il a conclu que la présomption établie au paragraphe 256(9) n'a pas l'effet suggéré par l'appelante. Selon lui, le but de la présomption est de faire en sorte que la nouvelle année d'imposition provoquée par un changement de contrôle rétroagisse au début de la journée au cours de laquelle le contrôle est acquis. Le paragraphe 256(9) ne modifie pas autrement la situation réelle qui doit prévaloir.

[29]            La présomption fait rétroagir le moment où Société Nationale est réputée avoir acquis le contrôle de Les Clairvoyants, rien de plus. Elle n'établit pas que la personne qui détenait le contrôle a cessé simultanément de l'exercer. Elle est du même ordre que celle prévue à l'alinéa 69(1)a) de la Loi en ce qu'elle n'a d'effet qu'à l'égard de l'acquéreur.

[30]            Le juge Dussault ajoute que rien n'interdit la coexistence d'un contrôle réel (tel celui exercé par l'appelante) et d'un contrôle réputé (tel celui exercé par Société Nationale) d'une même société au même moment. Il s'inspire à cet égard de la décision du président Jackett de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Viking Food Products Ltd. v. M.N.R., 67 DTC 5067 [Viking Food].

[31]            Le juge Dussault conclut que malgré le paragraphe 256(9), l'appelante détenait toujours le contrôle de Les Clairvoyants lors de la disposition des actions au cours de la journée du 5 juillet 1994, de sorte qu'elle n'a pas droit à la perte réclamée.

Prétentions des parties

[32]            Devant nous, les parties s'en sont essentiellement tenues aux arguments qu'elles ont fait valoir devant la Cour canadienne de l'impôt.

[33]            Le Ministre pour sa part soutient que l'acquisition du contrôle a eu lieu le 5 juillet 1994, mais que c'est le 30 juin 1994 qu'a eu lieu la vente des actions. Selon lui, l'OPA constitue une véritable offre de contracter au sens de l'article 1388 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. » ) qui fut acceptée le 16 juin 1994 lorsque l'appelante déposa irrévocablement toutes ses actions auprès du dépositaire désigné. Cette acceptation était conditionnelle à la réalisation de certains événements prévus dans l'OPA lesquels se sont tous réalisés en date du 30 juin 1994. Société Nationale a donc acquis la propriété des actions à cette date.

[34]            Le délai prévu à l'OPA dont Société Nationale disposait pour prendre livraison des actions et en payer le prix constitue un terme au sens de l'article 1508 du C.c.Q. lequel n'affecte en rien le caractère exécutoire que la vente a acquis le 30 juin.

[35]            Puisque l'acquisition de contrôle ne s'est effectuée que cinq jours plus tard, lors de l'inscription de Société Nationale dans le registre des actionnaires de Les Clairvoyants (Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795 aux pp. 815 et 817), le paragraphe 256(9) ne peut avoir l'effet que l'appelante y attribue.

[36]            Dans l'hypothèse où la vente a eu lieu le 5 juillet, le Ministre prétend que c'est à bon droit que le premier juge a conclu que la présomption du paragraphe 256(9) n'a pas d'effet à l'égard de l'appelante. En effet les termes clairs de la Loi démontrent, sans équivoque, qu'une société publique ne peut bénéficier d'une « PTPE » . Il serait extraordinaire qu'une intention législative si clairement exprimée puisse être contrée par une simple fiction légale.

[37]            L'appelante a pour sa part fait valoir que la vente a bel et bien eu lieu le 5 juillet. Elle insiste sur la distinction entre un contrat de vente (Art. 1708 C.c.Q.) et la promesse bilatérale ou synallagmatique de vente par laquelle une partie s'engage à vendre un bien et le contractant s'engage à l'acheter :

En ce qui concerne d'abord la promesse bilatérale, le nouveau texte de l'article 1396, alinéa 2 du Code civil du Québec paraît clair : elle ne constitue pas une vente, mais un avant-contrat par lequel les parties s'obligent à passer ultérieurement la vente ... En principe la promesse elle-même n'engendre aucun des effets de la vente; notamment, elle ne transfère pas la propriété du bien ni ne confère au promettant-acquéreur aucun droit réel qui justifierait l'inscription. (Pierre-Gabriel Jobin, La Vente, 2e éd., Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2001, au para. 44).

[38]            Pour déterminer si une entente est un contrat de vente ou une promesse bilatérale, il faut rechercher la commune intention des parties (Art. 1425 C.c.Q.) tenant compte de la nature du contrat, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de la conduite des parties et des usages (Art. 1426 C.c.Q.).

[39]            S'en remettant aux usages commerciaux entourant l'OPA et sa mise en oeuvre, l'appelante fait valoir que les parties ont d'une commune intention différé les effets de la vente au 5 juillet 1994, soit jusqu'à ce que Société Nationale prenne livraison des actions et en paye le prix.

[40]            Puisque la disposition des actions et le changement de contrôle ont eu lieu durant la même journée, l'appelante prétend que la fiction légale que comporte le paragraphe 256(9) a comme effet précis et incontournable de reporter au premier moment de la journée du 5 juillet 1994, l'acquisition de contrôle par Société Nationale. C'est donc à tort que le premier juge a conclu que cette dernière ne contrôlait pas Les Clairvoyants lorsque l'appelante a disposé des actions plus tard au cours de la même journée.

Analyse et Décision
1re question : date de la disposition

[41]            Selon l'article 54 de la Loi, l'expression « disposition de biens » comprend « toute opération ou tout événement donnant droit [...] au produit de disposition de biens [...] » . Dans le cas d'une vente, l'expression « produit de disposition » est définie au même article comme étant « le prix de vente du bien qui a été vendu » .

[42]            Comme l'indique le juge Dussault, notre Cour a récemment eu l'occasion de se prononcer sur la portée de ces définitions dans le cas d'une vente (Hewlett Packard, supra). Le principe qui fut confirmé est qu'il ne peut y avoir disposition avant qu'il y ait vente selon le droit privé applicable, en l'occurrence selon le C.c.Q. (Hewlett Packard, supra, aux para. 45 à 51).

[43]            Appliquant ce droit, je suis d'avis comme le juge Dussault, que la disposition des actions de Les Clairvoyants a eu lieu le 5 juillet 1994. C'est à cette date que les parties ont convenu que le droit de propriété des actions serait transmis et pas avant.

[44]            L'Entente du 3 mai 1994 est une promesse de vente au sens du Code civil du Québec. Une promesse de vente est un contrat, en ce qu'elle crée des obligations réciproques, mais elle n'équivaut pas à vente (Pierre-Gabriel Jobin, La Vente, 2e éd., Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2001, au para. 44, cité par la Cour supérieure dans l'affaire Fonds de placement immobilier Cominar (fiduciaire de) c. Constructions Myo inc., [2000] J.Q. no. 2129, aux para. 42 et 47. Voir aussi, Jacques Deslauriers, Le droit commun de la vente, Collections de droit 2003-2005, volume 5, « Obligations et contrats » , à la p. 161, cité par la Cour supérieure dans l'affaire Larabie c. 3917592 Canada inc., [2004] J.Q. no. 11574, au para. 152.)

[45]            Selon l'Entente, Société Nationale a offert d'acheter et l'appelante a accepté de vendre les actions de Les Clairvoyants qu'elle détenait « dans le cadre d'une [OPA] en conformité avec les lois applicables du Québec et portant sur la totalité des actions ordinaires émises et en cours de la Compagnie » (Dossier d'appel, onglet 6B, article 1 de l'Entente). Le fait que la vente se soit effectuée dans le cadre d'une OPA assujettie à la LVM fait partie des circonstances qui doivent être considérées dans l'analyse de l'intention des parties.

[46]            La LVM prévoit que celui qui se propose d'acquérir une participation supérieure à 20 % des actions votantes dans une société doit procéder par voie d'une OPA (LVM, article 110). L'OPA lancée le 8 juin 1994 selon les termes de l'Entente ciblait la totalité des actions en circulation de Les Clairvoyants. Elle était donc assujettie aux dispositions de la LVM, incluant celles concernant la durée de l'offre, le mode de l'acceptation, le droit de retrait, le moment où Société Nationale pouvait et devait prendre livraison des actions déposées et en payer le prix etc. (LVM, articles 147.3 et 147.5 à 147.7). L'appelante a éventuellement accepté l'OPA selon les modalités y prévues, en déposant en date du 16 juin 1994 auprès du dépositaire de façon irrévocable les actions qu'elle détenait.

[47]            De telles conventions de dépôt ( « lock-up agreements » ) sont pratique courante lorsque la société ciblée est détenue par un ou plusieurs actionnaires importants :

Lorsqu'un bloc important (10 % ou plus) des actions en circulation d'une société visée est détenu par un actionnaire important, l'initiateur potentiel voulant s'assurer du succès de l'offre publique ou autre type de transaction de changement de contrôle qu'il proposera, exigera de la part de l'actionnaire- important que celui-ci s'engage comme suit :

(a) dans le contexte d'une offre publique, à déposer les actions de la société visée qu'il détient, et ce, de façon irrévocable à moins que le conseil d'administration ne retire, conformément aux termes de la convention de support, son support à la transaction proposée par cet initiateur; [...] (Francis R. Legault, « Offres publique d'achat et d'échange (fusions et acquisitions) » , dans Développements récents sur les valeurs mobilières, Formation permanente du Barreau du Québec, vol. 164, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, pp. 113 à 137. Voir aussi, J.G. MacIntosh et C.C. Nicholls, Securities Law, Irwin Law, Toronto, 2002, p. 303).

[48]            La LVM prévoit que l'initiateur est tenu, si les conditions de l'offre sont rencontrées, de prendre livraison des titres et de les régler dans le délai imparti. L'OPA, en conformité avec la LVM, stipule que Société Nationale prendra livraison et paiera toutes les actions déposées, et non retirées, après le 30 juin 1994, mais au plus tard le 11 juillet 1994. Toute action déposée en acceptation de l'offre peut être retirée avant 17 h le 30 juin 1994 et en tout temps après le 25 juillet 1994, si Société Nationale n'a pas pris livraison ou payé les actions (Dossier d'appel, onglet 6D, article 5 de l'OPA).

[49]            L'expression « prendre livraison et régler » ( « take up and pay for » ) a un sens précis dans le domaine des prises de contrôle par voie d'OPA :

"Taking up" is the process whereby the offeror accepts the securities tendered pursuant to the TOB [Takeover Bid] (David Johnston et Kathleen Doyle Rockwell, Canadian Securities Regulation, 2e éd. Toronto, Butterworths, 1998, à la p. 160).

[50]            Selon moi, toutes les étapes prévues à l'Entente, incluant celles allant du lancement de l'OPA jusqu'à la prise de livraison et le paiement des actions, devaient être franchies avant qu'il y ait transfert de propriété. Il serait sans doute contraire à l'objet de la loi qui régit l'OPA et contraire à l'intention des parties si le droit aux fruits et revenus des actions devait appartenir à l'initiateur avant qu'il en paye le prix.

[51]            Cette conclusion est conforme au résumé des incidences fiscales qui fut communiqué aux actionnaires dans le cadre de l'OPA (voir le para. 24, ci-haut). Elle est aussi conforme à ce qui fut présenté par l'appelante comme étant l'opinion généralement reconnue en la matière, sans qu'elle ne soit remise en question d'aucune façon par le Ministre :

The date on which the acquirer "takes up and pays for" deposited target shares is generally regarded as the date on which the vendor disposes of his target shares (J. George Vesely et Robert A. Roberts, « Takeover Bids: Selected Tax, Corporate, and Securities Law Considerations » , Report of Proceedings of the Forty-Third Tax Conference, 1991 Conference Report, Toronto, Canadian Tax Foundation, 1992, 11:1-47, n. 42. Voir aussi, Dr. Arthur W. Nauss, et al. c. MNR, 78 DTC 1796).



[52]            Considérant que la transaction s'inscrit dans le domaine particulier de la vente de valeurs mobilières, considérant aussi les termes particuliers de l'OPA, il est manifeste que les parties se sont entendues pour que le transfert de propriété coïncide avec la prise de possession des actions contre paiement. C'est à bon droit selon moi que le juge Dussault a conclu que la vente des actions a eu lieu le 5 juillet 1994, et pas avant.

2e question : l'effet de la fiction prévue au paragraphe 256(9)

[53]            Dans l'affaire La Reine c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838 à la p. 845, le juge Beetz précisait ainsi la portée d'une disposition déterminative :

[...] Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu'une chose n'est pas ce qu'elle est censée être, mais décrète qu'à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu'elle n'est pas [...].

[54]            Plus récemment, notre Cour dans l'affaire Canada c. Loreto Scarola, 2003 CAF 157 citait le passage suivant d'un texte de doctrine française qui illustre bien l'utilisation que l'on fait de la fiction en matière législative (para. 19) :

La fiction est un procédé qui, on l'a assez souvent signalé, appartient à la pragmatique du droit. Elle consiste d'abord à travestir les faits, à les déclarer autres qu'ils ne sont vraiment, et à tirer de cette adultération même et de cette fausse supposition les conséquences de droit qui s'attacheraient à la vérité que l'on feint, si celle-ci existait sous les dehors qu'on lui prête. (Yan Thomas, « Fictio Legis. L'empire de la fiction romaine et ses limites médiévales » (1995), 21 Droits - Revue française de théorie juridique).

[55]            Dans la mesure où le paragraphe 256(9) a pour effet de transformer la réalité, sa portée doit être limitée à ce qui est clairement exprimé. Une disposition déterminative ne peut pas autrement modifier la situation réelle qui prévaut. Avant de considérer la portée du paragraphe 256(9), il y a lieu de s'interroger sur sa raison d'être.

[56]            Le paragraphe 256(9) s'inscrit dans le contexte d'autres dispositions (dont les paragraphes 111(4) et (5) et 249(4) de la Loi) lesquelles ont pour but de limiter le partage inopportun de pertes que peuvent engendrer les prises de contrôle de sociétés à pertes par des sociétés bien nanties qui sont en mesure de les absorber ( « stop loss rules » ). C'est afin de tracer une ligne claire délimitant les pertes encourues avant une prise de contrôle que le paragraphe 249(4) prévoit que l'année d'imposition de la société ciblée est réputée se terminer immédiatement avant le moment précis dans une journée donnée où a lieu la prise de contrôle.

[57]            C'est cette première fiction qui est modifiée par la fiction créée par le paragraphe 256(9). D'ailleurs, l'essentiel du raisonnement du juge Dussault pour restreindre la portée du paragraphe 256(9), repose sur ce qu'il perçoit comme étant le but limité de cette disposition :

[33]          Le but du paragraphe 256(9) est de fixer l'acquisition du contrôle d'une société survenue durant un jour donné à un moment qui est au début de ce jour plutôt qu'au moment réel de l'acquisition de contrôle (sous réserve du choix en sens contraire) de sorte que l'année d'imposition de cette société se terminant immédiatement avant l'acquisition de contrôle puisse se terminer à la fin du jour précédant celui au cours duquel le contrôle est réellement acquis plutôt qu'à un moment quelconque du jour au cours duquel le contrôle est acquis c'est-à-dire au moment de ce jour qui précède immédiatement le moment réel de l'acquisition de contrôle. Pour la société, il s'ensuit qu'une nouvelle année d'imposition commence alors également au début du jour au cours duquel le contrôle est acquis. La règle évite qu'une année d'imposition se termine et une autre commence au milieu d'une journée avec toutes les complications que cela peut entraîner notamment sur les calculs requis par la Loi dans de telles circonstances.

Le juge Dussault conclut aux paragraphes 34 et 36 :

[34]          À mon avis, le paragraphe 256(9) ne modifie pas autrement la situation réelle qui doit prévaloir. Ce paragraphe ne comporte pas de corollaire pour l'autre partie à la transaction. [...]

[...]

[36]          [...] Dans le cas présent, Société Nationale a acquis le contrôle de Les Clairvoyants durant la journée du 5 juillet 1994. Le paragraphe 256(9) établit que ce contrôle est réputé avoir été acquis au début de cette journée du 5 juillet 1994, rien de plus. Il n'établit pas que la personne qui détenait le contrôle légal ou effectif de Les Clairvoyants, soit [l'appelante], a cessé simultanément de détenir ce contrôle. [...]

[Je souligne.]

[58]            Selon le premier juge, autant la société qui acquiert le contrôle est réputée l'acquérir au début de la journée où a lieu cette prise de contrôle, autant la société qui l'abandonne n'est pas affectée par la fiction et maintient son contrôle jusqu'à ce qu'ait lieu la vente des actions tributaires du contrôle.

[59]            Il ne fait aucun doute qu'en créant la fiction prévue au paragraphe 256(9), le législateur voulait atténuer les difficultés de calcul engendrées par des années d'imposition qui se terminent par l'effet du paragraphe 249(4), au moment précis auquel a lieu une prise de contrôle. Toutefois, avant d'en déduire que le paragraphe 256(9) n'a pas d'effet sur l'appelante, il y a lieu d'examiner son libellé.

[60]            Le paragraphe 256(9) fait reculer dans le temps l'événement déclencheur d'une année d'imposition (i.e., la prise de contrôle), et ce, « pour l'application de la présente loi » ( « for the purposes of this Act » ). Cette expression est utilisée partout à travers la Loi. Elle apparaît à plus de 160 reprises. C'est une formule qui est toujours utilisée dans le même but, soit afin d'identifier une règle d'application générale sujet à toute disposition expresse faisant exception à cette règle.

[61]            Le paragraphe 256(9) est conforme à ce modèle. La règle qui y est énoncée se veut d'application générale mais certaines dispositions expresses viennent contrer ses effets. Par exemple, l'alinéa 88(1)c.6) prévoit qu'aux fins de l'application de l'alinéa c.3) « et malgré le paragraphe 256(9) » , le contrôle d'une société, dans les circonstances prévues, est réputé avoir été acquis à la fin de la journée. De même, le paragraphe 6204(4) du Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 prévoit que « pour l'application du paragraphe (3), il n'est pas tenu compte du paragraphe 256(9) de la Loi » .

[62]            Il n'est pas nécessaire d'en dire plus sur les effets de ces exceptions. Je les mentionne dans le seul but de démontrer que le paragraphe 256(9) énonce une règle d'application générale quant au moment auquel a lieu une prise de contrôle, laquelle s'applique aux fins de la Loi à moins d'être écartée de façon expresse. Je n'ai décelé aucune disposition qui aurait l'effet de soustraire l'appelante à l'application de cette règle.

[63]            Avec égards, je suis d'avis que le paragraphe 256(9) produit ses effets tant pour la société qui acquiert le contrôle, que pour celle qui en dispose.

[64]            Il suffit pour s'en convaincre de constater que selon ce paragraphe, la première déclaration fiscale de Les Clairvoyants sous le contrôle de Société Nationale doit couvrir la période débutant au premier moment de la journée du 5 juillet 1994, tout comme la dernière déclaration produite sous le contrôle de l'appelante doit couvrir la période qui se termine à ce même moment (voir respectivement les alinéas 249(4)a) et b)). Aucune des sociétés impliquées dans la prise de contrôle n'échappe à la fiction.

[65]            Le paragraphe 256(9), malgré ses particularités, doit être interprété dans son contexte global conformément au sens ordinaire et grammatical des mots, en harmonie avec l'esprit de la Loi, son objet et l'intention du législateur (voir par exemple, Les Entreprises Ludco Ltée c. Sa Majesté la Reine, [2001] 2 R.C.S. 1082 aux para. 36-37).

[66]            Si l'on est fidèle à cette approche, l'on doit conclure qu'aux fins de la Loi, et sujet aux exceptions prévues, Société Nationale est réputée avoir acquis le contrôle de Les Clairvoyants et l'appelante est réputée l'avoir cédé au premier moment de la journée du 5 juillet 1994. C'est ce qui ressort du sens ordinaire des mots lus dans leur contexte et de l'objectif législatif recherché.

[67]            Les deux situations sur lesquelles se fonde le juge Dussault pour limiter l'effet de la présomption à l'acquéreur sont très différentes. Quant à la première, c'est à bon droit que le juge Dussault fait remarquer que la présomption prévue à l'alinéa 69(1)a) de la Loi s'applique pour déterminer les conséquences fiscales de l'une des parties à une transaction (l'acheteur), sans altérer la fiscalisation de l'autre (le vendeur). Cependant cette asymétrie résulte du texte clair de l'alinéa 69(1)a) lequel réduit le prix de vente de l'acheteur en le réputant égal à la juste valeur marchande du bien vendu, et de façon évidemment voulue, laisse le vendeur subir les conséquences fiscales qui découlent du montant supérieur effectivement payé (voir à titre d'exemple Colubriale c. La Reine, 2005 CAF 329 au para. 28).

[68]            Quant à la décision de la Cour de l'Échiquier dans l'arrêt Viking Food, supra, le juge Dussault remarque d'emblée que le contexte de la présente affaire est différent. Il y réfère tout de même pour démontrer qu'il peut y avoir coexistence de contrôle (effectif et réputé) d'une même société. Encore une fois, cette décision s'explique par la disposition particulière qui était en cause.

[69]            Dans cette affaire, la Cour devait interpréter une mesure anti-évitement dont l'un des buts était d'empêcher que soient contournées certaines règles limitatives visant des sociétés assujetties à un même contrôle (sociétés dites « associées » ). Afin d'étendre la portée de ces règles, l'ancien alinéa 139(5d)b) (maintenant l'alinéa 251(5)b)) prévoyait que la personne qui détient le droit d'acquérir les actions du capital-actions d'une société était réputé occuper "la même position relativement au contrôle de la [société] que si les actions lui appartenaient".

[70]            Devant la Cour de l'Échiquier, Viking Food a invoqué cette fiction pour faire valoir qu'elle n'était plus sous le contrôle des propriétaires de son capital-actions, mais bien sous celui de leurs petits enfants, à qui ils avaient octroyé le droit d'acquérir leurs actions. Il est utile de préciser que, contrairement aux grands-parents, les petits-enfants ne contrôlaient aucune autre société, de sorte que l'argument, si retenu, avait l'effet de « dissocier » Viking Food des autres sociétés contrôlées par les grands-parents. La question qui se posait était donc de savoir si le contrôle réputé qui découlait de la présomption avait comme effet d'exclure celui exercé par les grands-parents.

[71]            Le président Jackett a conclu que non. Le fait qu'un individu soit réputé occuper la même position relativement au contrôle d'une société que s'il était propriétaire des actions n'emporte pas la présomption additionnelle à l'effet que le propriétaire des actions a cessé de l'être et d'exercer le contrôle qui en découle. Le législateur en élargissant la notion de contrôle ne voulait évidemment pas la restreindre en excluant le contrôle exercé par le propriétaire des actions (Viking Food, supra, p. 5072 in fine).

[72]            Après que le jugement eût été rendu, l'avocat de Viking Food avisa la Cour que selon ce raisonnement, ni les propriétaires des actions, ni leurs petits-enfants ne contrôlaient Viking Food puisque les deux groupes d'individus détenaient par l'effet de la Loi une position égale face à elle. L'avocat demanda que le jugement soit corrigé en conséquence.

[73]            Dans un addendum au jugement rendu (Viking Food, supra, à la p. 5072), le président Jackett indiqua que l'avocat avait mal compris la disposition en cause. Autant les détenteurs du droit d'acquérir les actions étaient dans la même position que ceux qui en étaient propriétaires quant au droit d'exercer le contrôle (soit, quant au contrôle de jure), autant la Cour devait décider lequel de ces deux groupes exerçait dans les faits ce contrôle. En l'occurrence, ce contrôle était exercé par les propriétaires des actions et non par leurs petits-enfants.

[74]            La question qui se pose ici est d'un autre ordre. Elle se limite à déterminer si la règle établie par le paragraphe 256(9) est d'application générale ou si la partie qui cède le contrôle y échappe. La réponse est selon moi incontournable. Une acquisition de contrôle ne peut s'effectuer sans qu'il y ait de façon concomitante un abandon de contrôle.

[75]            C'est d'ailleurs cette lecture qui fut faite du paragraphe 256(9) par le Ministre dans une opinion technique émise à l'égard d'une transaction semblable à la nôtre (ministre du Revenu national, Interprétation technique 9525315, « Société associées » (26 février 1996), (eC : Taxnetpro)). Il n'est pas nécessaire de reproduire la demande d'opinion dans ses détails. Il suffit de dire pour nos fins que la société qui a fait la demande (A Inc.) entendait se départir du contrôle de sa filiale (Opco) au profit d'un tiers acquéreur (B Inc.). Elle désirait savoir si le paragraphe 256(9) aurait ses effets à son égard. Elle craignait que dans le cas contraire, elle demeurerait associée à sa filiale pendant les quelques heures entre le début de la journée de la transaction et le moment où elle devait se consommer, avec les conséquences négatives que cela comporte (Selon la Loi, une société est associée à une autre pour l'année si elle est associée « à un moment donné » durant l'année).

[76]            Le Ministre dans une réponse non équivoque s'est dit d'avis que la présomption avait ses effets à l'égard de chacune des parties à la transaction:

[...] la position du Ministère est de considérer que malgré que les actions ont été effectivement disposées qu'à 17h00 le 1er juillet, A Inc. s'est départi de son contrôle de Opco immédiatement avant le moment où B Inc. est réputée avoir acquis le contrôle de Opco [...]

[Je souligne.]

[77]            En fin d'analyse, la seule raison pour laquelle le Ministre refuse de donner effet à la fiction dans la présente affaire est qu'il n'aime pas le résultat qu'elle engendre. Le juge Dussault fait écho à cette préoccupation lorsqu'il conclut (motifs para. 40) :

[... il serait] incongru que [l'appelante] puisse réclamer un PEPE suite à la disposition d'actions du capital-actions d'une société se qualifiant comme une SPCC et une SEPE au motif que Société Nationale qui en acquis le contrôle était une société privée alors qu'elle ne pouvait ni détenir ni disposer de telles actions puisqu'elle était elle-même, en tout temps pertinent une société réputée une société publique qui contrôlait cette société.

[78]            Le résultat semble incongru seulement si l'on choisit d'ignorer la fiction. Il ne l'est pas si on donne à la fiction l'effet de la vérité. Dans cette hypothèse, ce n'est pas l'appelante mais bien Société Nationale qui contrôlait Les Clairvoyants au moment où l'appelante a disposé de ses actions et il n'y a rien d'incongru à ce que Les Clairvoyants soit, de ce fait, traitée comme étant une SPCC et une SEPE puisque tel était son statut selon la Loi.

[79]            L'on risquerait de créer une incertitude intolérable si les tribunaux pouvaient écarter une disposition déterminative d'application générale au seul motif que le résultat qu'elle produit dans un cas particulier leur semble indésirable. Le législateur est bien conscient de l'effet des présomptions qu'il édicte, et c'est à lui qu'il revient d'en délimiter la portée. Dans le présent cas, il a fait du paragraphe 246(9) une règle d'application générale et le rôle des tribunaux consiste à y donner effet.

[80]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement de la Cour canadienne de l'impôt et je référerais la cotisation au Ministre pour qu'il en émettre une nouvelle en tenant pour acquis que l'appelante avait droit à la déduction de la perte reportée pour son année d'imposition 1998 tel que réclamée, le tout avec dépens en cette Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt.

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

      Robert Décary j.c.a. »

« Je suis d'accord.

      J.D.Denis Pelletier j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-230-05

APPEL D'UN JUGEMENT DE L'HONORABLE PIERRE. R. DUSSAULT DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT EN DATE DU 26 AVRIL 2005, N ° DU DOSSIER 2001-4281 (IT)G

INTITULÉ :                                                                            La Survivance c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 1er mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 31 mars 2006

COMPARUTIONS :

MR. ROBERT COUZIN

MS BRENDA DIDIY

POUR L'APPELANT

MR YANICK HOULE

MS JANE MEAGHER

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

COUZIN TAYLOR LLP

TORONTO, ONTARIO

POUR L'APPELANT

JOHN H. SIMS

OTTAWA, ONTARIO

POUR L'INTIMÉ

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.