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Date : 20061019

Dossier : A-542-05

Référence : 2006 CAF 337

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS

 

                                                                                                                                    demanderesse

et

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

 

et

 

LA NEIGHBOURING RIGHTS COLLECTIVE OF

CANADA

 

                                                                                                                                    défenderesses

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 octobre 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

 


 

Date : 20061019

Dossier : A-542-05

Référence : 2006 CAF 337

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS

 

                                                                                                                                    demanderesse

et

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

 

et

 

LA NEIGHBOURING RIGHTS COLLECTIVE OF

CANADA

 

                                                                                                                                    défenderesses

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire que l’Association canadienne des radiodiffuseurs (l’ACR) a présentée en vue de faire annuler une décision rendue par la Commission du droit d’auteur conformément au paragraphe 68(3) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42. Dans cette décision, datée du 14 octobre 2005, la Commission a homologué les tarifs de redevances que les stations commerciales de radiodiffusion devaient payer à la Société canadienne des auteurs, compositeurs, et éditeurs de musique (la SOCAN) et à la Neighboring Rights Collective of Canada (la NRCC) au cours des années 2003 à 2007. Ces tarifs sont payables pour l’exécution publique d’oeuvres musicales et d’enregistrements sonores sur lesquels des membres des deux sociétés de gestion possèdent respectivement des droits.

 

[2]               Les tarifs sont basés sur un pourcentage des recettes brutes annuelles tirées de la publicité par les radiodiffuseurs commerciaux. De 1978 à 2002, le taux tarifaire général de la SOCAN pour l’exécution publique d’oeuvres musicales par des radiodiffuseurs commerciaux était demeuré le même, à savoir 3,2 p. 100. En utilisant la même méthodologie que dans le cas du tarif de la SOCAN, la Commission a homologué un taux tarifaire général pour la NRCC, à savoir 1,44 p. 100, pour les années 1998 à 2002.

 

[3]               Dans la décision visée par l’examen, la Commission a homologué un taux tarifaire général de 4,2 p. 100 pour la SOCAN et, compte tenu de son répertoire moins étendu, de 2,1 p. 100 pour le tarif de NRCC. La Commission a rejeté les modèles visant à permettre de déterminer une redevance appropriée que la NRCC et l’ACR avaient proposés. Elle a plutôt pris comme point de départ le tarif existant de la SOCAN et l’a rajusté à la lumière de la preuve soumise par les parties.

 

[4]               La Commission a conclu qu’une augmentation du tarif était justifiée, et ce, pour les motifs suivants : selon le tarif existant, la valeur de la musique, lorsqu’il s’agit de contribuer aux recettes des stations de radiodiffusion, était sous‑estimée; les radiodiffuseurs utilisaient maintenant plus de musique dans leur programmation; de plus, compte tenu de nouveaux supports et d’autres développements au sein de l’industrie, les radiodiffuseurs utilisaient la musique d’une façon plus efficace afin de cibler des auditoires particuliers et, partant, d’accroître leurs recettes.

 

B.        POINTS LITIGIEUX ET ANALYSE

[5]               L’ACR a contesté les tarifs en invoquant les motifs suivants : l’omission de la Commission de tenir compte de l’opposition soulevée par l’ACR à l’égard des tarifs proposés par les sociétés de gestion et le caractère inadéquat des motifs de la Commission.

 

(i) Omission de tenir compte du fardeau cumulatif découlant des redevances

[6]               L’ACR a soutenu que la Commission avait omis de tenir compte de l’objection qu’elle avait soulevée à l’égard des projets de tarifs, à savoir qu’il y avait eu une prolifération du nombre de titulaires de droits à dédommager. La SOCAN était la société de gestion initiale. Un tarif a été homologué pour la NRCC en 1998 et, en 2003, pour CSI, qui représente les titulaires des droits afférents à la reproduction de la musique. Le tarif de CSI est le moins élevé des trois tarifs. La Commission devrait reconnaître le fardeau financier accru que la chose a imposé à l’industrie, a‑t‑il été affirmé, lorsqu’elle homologue les tarifs de la SOCAN et de la NRCC.

 

[7]               L’argument concernant le [traduction] « fardeau cumulatif » n’est pas expressément mentionné dans les motifs de la Commission, mais à mon avis il en a été implicitement tenu compte dans la conclusion de la Commission selon laquelle, compte tenu de la preuve de recettes croissantes, l’industrie a les moyens de payer des redevances encore plus élevées que celles qui ont été homologuées par la Commission. Et, comme Me Laskin, avocat de l’ACR, l’a signalé avec raison, la Commission mentionne les taux combinés payables aux trois sociétés de gestion dans une note de bas de page figurant dans ses motifs.

 

[8]               Dans ces conditions, je ne suis pas convaincu que la Commission ait commis une erreur de droit en omettant de tenir compte d’un facteur pertinent qu’elle était selon la loi tenue de prendre en compte.

 

(ii)        Caractère inadéquat des motifs

[9]               L’ACR a fait valoir que la Commission a omis de fournir des motifs adéquats quant aux deux conclusions suivantes : en premier lieu, que le taux de redevance antérieur sous‑estimait, de 10 à 15 p. 100, la valeur de la musique pour les stations commerciales de radiodiffusion et qu’une augmentation de 10 p. 100 du tarif de la SOCAN était justifiée; en second lieu, que l’efficacité accrue des radiodiffuseurs dans leur utilisation de la musique en vue d’accroître les recettes justifiait une augmentation du tarif de 7,5 p. 100.

 

[10]           L’alinéa 68(4)b) de la Loi sur le droit d’auteur exige que la Commission envoie aux parties une copie des tarifs homologués ainsi que les motifs de sa décision. Il est reconnu qu’afin de se conformer à cette obligation légale, la Commission doit énoncer des motifs suffisants.

 

[11]           Le « caractère suffisant » doit être évalué à la lumière des fonctions remplies par les motifs : accroître la qualité des décisions, garantir aux parties que leurs observations ont été prises en considération, permettre d’assujettir la décision à un examen judiciaire valable et fournir une ligne de conduite future aux personnes réglementées : voir VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), paragraphes 17 à 22. Et ce qui est tout aussi important, il faut apprécier le caractère suffisant des motifs par rapport au contexte dans lequel ils s’inscrivent, notamment le dossier du décideur, les questions litigieuses auxquelles les motifs se rapportent et l’étendue de l’expertise du décideur.

 

[12]           Il est également convenu que le taux de redevance fixé par la Commission dans l’exercice du large pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi est susceptible d’examen uniquement sur la base du caractère manifestement déraisonnable de la décision : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des radiodiffuseurs (1999), 1 C.P.R. (4th) 80 (C.A.F.). Toutefois, le caractère suffisant des motifs de la Commission est une question d’équité procédurale et, cela étant, il appartient à la Commission de prendre une décision à cet égard.

 

a) Sous-estimation passée de la musique

[13]           L’ACR concède que la preuve étaye rationnellement la conclusion de la Commission selon laquelle le taux existant était par le passé fondé sur une sous‑estimation des recettes tirées de la musique par une station de radiodiffusion et elle ne conteste pas la chose. Toutefois, le problème découle de l’explication que la Commission a donnée au sujet de la façon dont elle a quantifié le montant sous‑estimé. Sur ce point, la Commission dit simplement (à la page 20 de ses motifs) que « l’ensemble de la preuve » l’amène à penser que la sous‑évaluation « qu’elle estime importante se situe dans un intervalle de 10 à 15 pour cent ». Elle ajoute qu’étant donné « l’absence d’éléments de preuve plus précis à cet effet », elle a décidé « qu’il vaut mieux être prudent » et qu’elle évalue le montant sous‑estimé à « 10 pour cent ».

 

[14]           L’ACR affirme qu’il n’y a rien dans le dossier qui explique la façon dont la Commission a quantifié le montant sous‑estimé : les motifs de la Commission révèlent si peu de choses au sujet du fondement de la décision de celle‑ci sur ce point que cela a pour effet de dénier à l’ACR le droit d’obtenir un examen judiciaire valable de la décision. Or, la quantification d’un tarif est au coeur de la décision de la Commission.

 

[15]           Les motifs de la Commission sont fort peu étoffés. Les avocats de la SOCAN et de la NRCC ne pouvaient pas non plus nous référer à quoi que ce soit dans la preuve qui explique la façon dont la Commission est arrivée à la fourchette de 10 à 15 p. 100. De fait, comme l’indiquent les motifs de la Commission, les parties n’ont pas soumis de preuve portant directement sur la quantification du montant sous‑estimé. En fait, les avocats ont soutenu que la Commission pouvait à bon droit avoir recours à son expertise pour apprécier la preuve dans son ensemble et qu’elle n’était pas tenue d’expliquer la façon dont elle avait exprimé en pourcentage la preuve du montant sous‑estimé.

 

[16]           La Commission a droit à la plus grande retenue dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’elle possède de fixer un taux; les décisions discrétionnaires qui relèvent de son expertise sont donc uniquement susceptibles de révision compte tenu de leur caractère manifestement déraisonnable. Toutefois, il faut expliquer le fondement de la décision d’une manière qui permet à la Cour, dans le cadre d’un examen judiciaire, de déterminer, sur la base des motifs considérés selon le contexte, si la décision était rationnellement justifiable. Lorsque la décision d’un tribunal administratif est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable, l’examen judiciaire est fondamentalement axé sur ces motifs : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, paragraphes 48 et 49 ainsi que 54 et 55.

 

[17]           À mon avis, eu égard aux circonstances de l’espèce, il ne suffisait pas pour la Commission de justifier sa quantification du montant sous‑estimé en mentionnant simplement la preuve considérée dans son ensemble. Il ne suffit pas de dire en fait : [traduction] « Ce sont nous les experts. Tel est le chiffre : faites‑nous confiance. » Les motifs de la Commission sur ce point ne servaient ni à faciliter un examen judiciaire valable ni à fournir une ligne de conduite future aux personnes réglementées.

 

[18]           Je reconnais que la difficulté à laquelle faisait face la Commission sur ce point semble découler en partie de l’omission de l’ACR de présenter une preuve montrant, par exemple, les taux relatifs de rendement tirés par les stations de radiodiffusion qui avaient énormément recours à la musique et par celles qui n’y avaient pas recours. Il incombe aux parties de soumettre une preuve pertinente à l’appui de leur position. Il ne s’agit pas ici d’un cas dans lequel les motifs omettent de traiter d’une preuve importante qui semble aller à l’encontre de la conclusion tirée.

 

[19]           Toutefois, la Commission peut toujours demander aux parties de fournir une preuve du montant sous‑estimé. Si aucun montant n’est fourni, la Commission peut alors expliquer comment elle s’est efforcée d’estimer l’augmentation du taux qu’il convenait d’accorder. La Commission n’est pas tenue de quantifier chacun des éléments qui justifient une augmentation; elle peut choisir simplement d’expliquer le raisonnement sur lequel est fondée sa quantification de l’augmentation globale du taux des redevances.

 

b) Utilisation plus efficace de la musique

[20]           Avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire, l’ACR a renoncé à contester la suffisance de la preuve sur laquelle la Commission s’est fondée pour conclure que les stations de radiodiffusion sont maintenant en mesure d’utiliser la musique d’une façon plus efficace afin d’attirer un auditoire particulier. Cependant, elle a soutenu que, dans ses motifs, la Commission ne donne pas d’explication adéquate à l’appui de la conclusion qu’elle a tirée, à savoir que ce facteur justifiait une augmentation de 5 à 10 p. 100 du tarif, et de sa décision de choisir le point intermédiaire, de 7,5 p. 100.

 

[21]           La Commission a conclu (à la page 27 de ses motifs) qu’au cours des années 1998 à 2002, les recettes tirées de la publicité au sein de l’industrie avaient en moyenne augmenté chaque année de 40 millions de dollars. Reconnaissant que la contribution de la musique à cette augmentation ne pouvait être mesurée avec précision, la Commission a dit qu’une augmentation de 5 à 10 p. 100 indemniserait adéquatement les titulaires de droits à l’égard de l’efficacité supérieure dont les radiodiffuseurs bénéficiaient grâce à l’utilisation de la musique. La Commission a choisi le point intermédiaire de cette fourchette et elle a porté la redevance à 4,2 p. 100.

 

[22]           Pour les motifs susmentionnés, l’omission de la Commission d’expliquer pourquoi elle avait choisi le chiffre de 7,5 p. 100 constitue un manquement à l’obligation qui lui incombe de fournir des motifs suffisants à l’appui de sa décision. Je me rends bien compte qu’il s’agit peut‑être d’une question de jugement plutôt que d’une question de preuve. Néanmoins, la Commission doit se montrer plus ouverte en révélant le raisonnement qui l’a amenée à tirer sa conclusion.

 

C.        CONCLUSIONS

[23]           À mon avis, il est justifié pour la Cour d’intervenir compte tenu du caractère inadéquat des motifs que la Commission a donnés au sujet de la quantification des redevances accrues attribuables à une sous‑estimation passée de la musique et à l’efficacité accrue obtenue par l’industrie grâce à l’utilisation de la musique.

 

[24]           Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, j’annulerais la décision de la Commission et je renverrais l’affaire à la Commission pour qu’elle tranche à nouveau les questions litigieuses à l’égard desquelles les motifs qui ont été prononcés ont été jugés insuffisants. En ce qui concerne les questions de quantification, la Commission pourra inviter les parties à compléter le dossier existant en soumettant de nouveaux éléments de preuve et de nouvelles observations. Lorsqu’elle entendra à nouveau l’affaire, la Commission sera composée de deux membres autres que ceux qui ont rendu la décision visée par l’examen.

 

 

« John M. Evans »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

   Gilles Létourneau, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

   Marc Noël, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-542-05

 

INTITULÉ :                                                   L’ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS

                                                                        c.

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE et LA NEIGHBOURING RIGHTS COLLECTIVE OF CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LE JUGE NOËL

 

DATE DU JUGEMENT :                             LE 9 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

John B. Laskin

Andrew Bernstein

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Y. A. George Hynna

Gilles M. Daigle

 

Glen A. Bloom

Steve Seiferling

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 


Page : 2

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE,

l’Association canadienne des radiodiffuseurs

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

Osler Hoskin Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

la Neighbouring Rights Collective of Canada

 

 

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