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Date : 20070130

Dossier : A-469-05

Référence : 2007 CAF 60

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

COMBINED INSURANCE COMPANY OF AMERICA

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

et

MÉLANIE DRAPEAU

 

intimés

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 14 décembre 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 

 


 

Date : 20070130

Dossier : A-469-05

Référence : 2007 CAF 60

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

COMBINED INSURANCE COMPANY OF AMERICA

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

et

MÉLANIE DRAPEAU

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]                                Il s’agit d’un appel d’une décision du juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt en date du 6 septembre 2005, confirmant la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») datée le 20 septembre 2004, selon laquelle l’intimée Mélanie Drapeau (« l’intimée ») exerçait auprès de l’appelante, durant la période du 18 août 2003 au 16 janvier 2004, un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, C-23 (la « Loi »)


[2]                                L’appelante soutient que le juge a erré en concluant que l’intimée exerçait un emploi assurable. Elle prétend, au contraire, que compte tenu de la preuve et de la jurisprudence de notre Cour, l’intimée était un travailleur autonome.

 

Les faits

[3]                                Un bref résumé des faits sera utile à une bonne compréhension de la question en litige, à savoir si le juge a erré en concluant que l’intimée était une employée de l’appelante plutôt qu’un travailleur autonome.

 

[4]                                L’appelante est une compagnie d’assurance dont l’objet est la vente à travers le Canada de différentes polices d’assurance, y compris des polices d’assurance-vie et d’assurance-santé.

 

[5]                                Au mois de juillet 2003, l’intimée s’engageait envers l’appelante à vendre ses polices d’assurance et à en assurer le service et le renouvellement. Plus particulièrement, l’intimée signait un contrat prenant effet le 14 juillet 2003 intitulé « Entente standard d’agence de Combined » et s’engageait à faire « le placement de contrats d’assurance [de l’appelante] à son propre compte en qualité d’entrepreneur indépendant ».

 

[6]                                L’intimée signait un deuxième contrat, similaire au premier, qui entrait en vigueur le 1er janvier 2004.

 

[7]                                Les contrats signés par l’intimée prévoyaient ce qui suit :

1.                  L’intimée qui se déclare être un entrepreneur indépendant reconnaît ne pas avoir droit de participer à aucune des régimes offerts par l’appelante à ses salariés et que l’appelante n’est pas tenue de lui accorder des avantages sociaux. En outre, l’intimée reconnaît qu’elle n’est pas un salarié au sens de la Loi sur les normes du travail, ni du Code du travail du Québec.

2.                  L’intimée agira pour l’appelante sur une base non-exclusive.

3.                  L’appelante versera à l’intimée des commissions suivant la manière et en un montant conformes aux pratiques uniformes de l’appelante, suivant ce qui est prévu à l’annexe des contrats signés par l’intimée.

4.                  L’intimée aura toute latitude relativement au choix des personnes de qui elle sollicitera des propositions d’assurance, ainsi que du moment, lieu et façon de les solliciter, le tout conformément à un niveau et à des normes de qualité au moins égaux aux normes et pratiques généralement reconnues au Canada pour des services semblables.

5.                  L’intimée devra en tout temps détenir, à ses frais, une police d’assurance appropriée couvrant sa responsabilité civile personnelle.

6.                  L’intimée devra, à ses frais, garder en dépôt auprès de l’appelante une assurance contre le détournement de fonds.

 

[8]                                L’intimée a été recrutée par M. Jean-Guy Saint-Laurent, par le biais d’une annonce placée dans le journal de Granby La voix de l’est visant à recruter de nouveaux représentants pour la vente des produits de l’appelante, plus particulièrement des polices d’assurance-accident et d’assurance-maladie. M. Saint-Laurent occupait alors le poste de gérant de district et était lui-même sous contrat avec l’appelante en tant que représentant-entrepreneur indépendant. Je souligne le fait que le coût de l’annonce a été défrayé par M. Saint-Laurent et non par l’appelante.

 

[9]                                M. Saint-Laurent, aidé par son gérant des ventes, M. Sylvain Poulin, avait pour mission, inter alia, de former les nouveaux représentants, dont l’intimée, dans le domaine de l’assurance. Cette formation faisait suite à celle de huit jours dispensée par l’appelante aux nouveaux représentants pour l’octroi de leur permis d’assurance. L’appelante offrait en outre deux semaines additionnelles de formation sur les produits, les techniques de vente, les manuels de vente, l’administration et l’éthique dans le domaine de l’assurance. La formation offerte par l’appelante avait lieu à ses bureaux de Boucherville, Québec.

 

[10]                            La formation dispensée par M. Saint-Laurent consistait en un stage obligatoire de 15 semaines en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q. c. D-9.1. Durant ce stage, les nouveaux représentants étaient invités, entre autre, à participer à des rencontres matinales, appelées « pep meetings », et à des rencontres lors du déjeuner, ayant pour but de les motiver et de leur faire bénéficier de conseils leur permettant d’améliorer la qualité et l’efficacité de leurs services auprès de la clientèle de l’appelante.

 

[11]                            Durant le cours de cette formation, il y avait évidemment la formation « sur la route », durant laquelle M. Saint-Laurent ou M. Poulin pouvait accompagner le nouveau représentant. Plus particulièrement, durant la première semaine du stage, M. Poulin accompagnait le nouveau représentant. Par la suite, de la deuxième à la septième semaine, M. Poulin ou M. Saint-Laurent accompagnait le nouveau représentant deux jours par semaine. Finalement, de la huitième à la quinzième semaine, M. Laurent ou M. Poulain accompagnait le nouveau représentant une journée par semaine.

 

[12]                            M. Saint-Laurent, agissant à titre de maître de stage de l’intimée, devait superviser tous les actes que posait cette dernière dans le cadre de sa formation. L’assurance-responsabilité du nouveau représentant entrant en vigueur uniquement à la fin de son stage, soit au moment où l’Autorité des marchés financiers lui décernait un permis de vente d’assurance, la responsabilité de l’intimée était alors couverte par l’assurance-responsabilité de M. Saint-Laurent.

 

[13]                            Il est à noter que l’intimée faisait partie de l’équipe de vente de M. Saint-Laurent qui était composée d’un gérant des ventes et de quatre à cinq représentants. Néanmoins, l’intimée n’avait aucun lien contractuel avec M. Saint-Laurent, chacun d’eux étant sous contrat avec l’appelante pour vendre ses produits d’assurance à leur propre compte en qualité d’entrepreneurs indépendants. Je souligne aussi le fait qu’à l’égard des ventes effectuées par son équipe de vente, dont l’intimée, M. Saint-Laurent était en droit de recevoir, en raison de son entente contractuelle avec l’appelante, une quote-part des primes générées par la vente de nouvelles polices par les représentants de son équipe.

 

[14]                            L’appelante ne mettait pas de bureau à la disposition de ses représentants, ceux-ci devant rencontrer leurs clients à domicile, à leur lieu de travail ou à tout autre endroit convenu avec eux. Elle ne fournissait non plus ni service téléphonique ni papeterie. Les coûts échéants devaient être assumés par les représentants. Je souligne, par ailleurs, que M. Saint-Laurent louait un local à Granby, dont il assumait le loyer et toutes les dépenses. C’est à cet endroit que se tenaient, inter alia, les « pep meetings » du matin.

 

[15]                            En outre, les représentants devaient assumer le coût de tout matériel de promotion que leur remettait l’appelante, y compris les cartables de présentation, les manuels de vente et les cartes d’affaires. Les représentants devaient utiliser leur propre voiture et en défrayer toutes les dépenses, incluant les dépenses relatives à l’essence.

 

[16]                            Tel que prévu aux contrats signés par l’intimée, celle-ci était libre de vendre des polices autres que celles de l’appelante et pouvait se faire remplacer par d’autres représentants dans l’exécution de ses tâches dans la mesure où les représentants étaient liés par contrat à l’appelante.

 

[17]                            Pour son année d’imposition 2003, l’intimée s’est déclarée travailleur autonome et, par conséquent, a déduit de son revenu les dépenses qu’elle avait encourues pour le gagner.

 

[18]                            Durant le cours de son témoignage, l’intimée a reconnu qu’elle savait qu’un employé ne pouvait déduire ses dépenses. Elle a aussi témoigné que lorsqu’elle a réclamé de l’assurance-emploi en avril 2004, elle ignorait qu’un travailleur autonome n’y avait pas droit.

 

Législation pertinente

[19]                            Les articles 2085, 2098 et 2099 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, sont pertinents et je les reproduis :

2085.     Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

 

2098.     Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

 

2099.     L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

2085.     A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

 

 

2098.     A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or to provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

 

2099.     The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

 

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[20]                            Le juge McArthur a conclu que l’intimée était une employée de l’appelante et que, par conséquent, elle exerçait un emploi assurable. À son avis, le degré de contrôle exercé par l’appelante était tel qu’il existait un lien de subordination dans la relation entre l’intimée et l’appelante suffisant pour conclure à l’existence d’un contrat de travail.

 

[21]                            Considérant d’une part l’applicabilité des articles 2085, 2098 et 2099 du Code civil du Québec qui définissent le contrat de travail et le contrat d’entreprise et considérant d’autre part la décision de son collègue le juge Dussault dans Lévesque c. Canada (Ministère du Revenu national), 2005 ACI No. 183, en vertu de laquelle la présence ou non d’un lien de subordination dans la relation des parties était l’élément déterminant, le juge a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’adopter, hormis le critère du contrôle, les critères énoncés par notre Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.N.R., [1986] 3 C.F. 553 – à savoir la propriété des instruments de travail, les chances de profits et les risques de pertes, et l’intégration – et acceptés par la Cour suprême du Canada dans 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 953.

 

[22]                            Par conséquent, le juge a accepté les critères suivants énumérés par le juge Dussault au paragraphe 25 de ses motifs dans Lévesque, précité, comme devant servir à déterminer l’existence ou non d’un lien de subordination dans la relation des parties. : la présence obligatoire à un lieu de travail, le respect de l’horaire de travail, le contrôle des absences du salarié pour des vacances, la remise de rapports d’activité, le contrôle de la quantité et de la qualité du travail, l’imposition des moyens d’exécution du travail, le pouvoir de sanction sur les performances de l’employé, les retenues à la source, les avantages sociaux, le statut du salarié dans ses déclarations de revenus, et l’exclusivité des services pour l’employeur.

 

[23]                            Par la suite, le juge a appliqué ces critères aux faits de l’instance et il a conclu à l’existence d’un lien de subordination. Aux paragraphes 25 à 27 de ses motifs, il conclut comme suit :

25.     À la lumière des indices énumérés plus haut, je conclus que le degré de contrôle dans la relation entre l’appelante et l’intervenante était tel qu’il y avait un lien de subordination suffisant pour qu’il existe un contrat de travail plutôt qu’un contrat d’entreprise.

 

26.     Cependant, il n’est pas question en l’espèce de faire le procès du modèle selon lequel l’appelante fait affaire. Il est fort possible que la grande majorité de ses représentants travaillent en tant que travailleurs autonomes. Il est même possible que M. Saint-Laurent, qui disposait d’un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui concernait la façon dont il gérait les représentants, n’ait pas exercé le même degré de contrôle sur le travail des autres représentants qui travaillaient sous sa supervision.

 

27.     Par contre, il me paraît clair que pendant la période durant laquelle l’intervenante a travaillé pour l’appelante, en étant soumise au contrôle exercé par l’appelante, elle a connu tous les désavantages du statut d’employé sans pour autant avoir eu accès aux avantages qui peuvent découler de ce statut, comme admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.

 

 

La jurisprudence

[24]                            Dans Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396, où le contrat entre M. Wolf et Canadair Limitée était régi par le droit québécois, notre Cour se penchait sur les critères permettant de déterminer si le contrat en était un de travail ou d’entreprise.

 

[25]                            Dans cette affaire, Madame la juge Desjardins se disait d’avis que cette détermination pouvait se faire à la lumière des critères élaborés par la jurisprudence, tant en droit civil qu’en common law. Par conséquent, elle examinait la relation entre les parties à la lumière des critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door, précité, tels que reformulés par la Cour suprême dans Sagaz, précité. Plus particulièrement, la juge Desjardins s’en remettait aux propos du juge Major où ce dernier, aux paragraphes 47 et 48 de ses motifs dans Sagaz, écrivait :

47.     Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48.     Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[Le souligné est le mien]

 

 

[26]                            Plus particulièrement, au paragraphe 72 de ses motifs, la juge Desjardins énonçait que la Cour devait considérer toute la preuve à la lumière des critères applicables et qu’il fallait donner à la preuve le poids que les circonstances de l’affaire exigeaient. En outre, elle affirmait qu’il fallait donner du poids à l’intention des parties lorsque cette dernière reflétait la véritable relation juridique entre elles.

 

[27]                            Le juge Décary, souscrivant aux conclusions de la juge Desjardins à l’effet que le contrat de M. Wolf était un contrat d’entreprise, proposait un raisonnement différent. À son avis, dans la mesure où les parties signaient de bonne foi un contrat d’entreprise et que le contrat était exécuté « comme tel », l’intention des parties était claire et l’examen de la question était terminé.

 

[28]                            Dans des décisions subséquentes, notre Cour réitérait l’importance qu’il faut apporter à l’intention des parties, car un contrat représente l’accord des volontés des parties à ce contrat : voir D & J Driveway c. Le ministre du Revenu national, 2003 CAF 453, Poulin c. Le ministre du Revenu national, 2003 CAF 50. Dans l’affaire Le Livreur Plus Inc. c. Canada, ACF no 267, au paragraphe 17, le juge Létourneau écrit pour la Cour :

17.     La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2003 CAF 453. Mais en l'absence d'une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties : Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, 97-1416-UI, 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s'agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution : voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., 2004 C.A.F. 54.

 

[Le souligné est le mien]

 

 

[29]                            Plus récemment, dans Royal Winnipeg Ballet c. Canada (M.N.R.), 2006 CAF 87, 2 mars 2006, notre Cour avait à déterminer si trois danseurs engagés par le Royal Winnipeg Ballet (le « RWB ») étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. Une majorité de la Cour (le juge Evans dissident) concluait que les danseurs n’étaient pas des employés du RWB.

 

[30]                            Après avoir constaté que les danseurs et le RWB s’entendaient sur le fait que les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants, la juge Sharlow se disait d’avis que le juge de la Cour canadienne de l’impôt devait examiner les critères énoncés dans Wiebe Door, précité, en fonction de la compréhension qu’avaient les parties de la nature de leur relation pour déterminer si cette compréhension était en accord avec la façon dont elles avaient « exécuté » leur contrat.

 

[31]                            Selon la juge Sharlow, puisque le juge avait erré en n’adoptant pas cette approche, il devenait nécessaire pour la Cour d’examiner la relation des parties à la lumière des facteurs énoncés dans Wiebe Door, précité. Cet examen l’amenait à conclure que « la façon dont les parties interprétaient la nature de leur relation juridique est établie par les clauses contractuelles et les autres faits pertinents » (paragraphe 67 des motifs).

 

[32]                            En outre, même si la juge Sharlow était d’avis que le critère du contrôle méritait, comme dans la majorité des cas, une attention particulière, elle concluait néanmoins que le contrôle exercé par le RWB sur ses danseurs n’était pas incompatible avec l’intention des parties de les considérer comme des entrepreneurs indépendants. Au paragraphe 66 de ses motifs, elle énonçait :

[66]           Dans la présente affaire, comme dans la plupart des affaires d’ailleurs, le facteur du contrôle mérite une attention particulière. Il me semble que le RWB exerce un contrôle étroit sur le travail des danseurs, mais ce contrôle ne dépasse pas ce qu’exige la présentation d’une série de ballets pendant une saison de spectacles bien planifiée. Si le RWB devait présenter un ballet en ayant recours à des artistes invités pour tous les rôles principaux, le contrôle qu’exercerait le RWB sur les artistes invités serait le même que si tous ces rôles étaient exécutés par des danseurs engagés pour la saison. Si l’on accepte (comme on doit le faire) le fait qu’un artiste invité peut accepter un rôle au sein du RWB sans pour autant devenir son employé, il faut en déduire que le facteur du contrôle exercé doit être compatible avec le fait que l’artiste invité est un entrepreneur indépendant. Il s’ensuit donc qu’on ne peut raisonnablement considérer comme incompatible avec l’intention des parties d’attribuer aux danseurs le statut d’entrepreneur indépendant le contrôle exercé en l’espèce sur les danseurs.

 

[Le souligné est le mien]

 

 

[33]                            La juge Desjardins, souscrivant aux motifs de la juge Sharlow, a quant à elle réitéré le principe que le juge devait s’assurer que la qualification donnée au contrat par les parties était en accord avec la situation factuelle. Aux paragraphes 79 et 80 de ses motifs concordants, la juge Desjardins écrivait ce qui suit :

[79]           En l’espèce, c’est la nature du contrat qu’il convient de préciser, et ce, en effectuant une analyse de ses clauses à la lumière du critère à quatre volets, à savoir le niveau de contrôle, la propriété de l’équipement, l’ampleur du risque financier et la possibilité de faire des bénéfices.

 

[80]           Compte tenu de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, je ne vois aucune raison convaincante qui empêcherait le juge de common law, amené à trancher la difficile question de savoir s’il s’agit d’un contrat d’entreprise ou d’un contrat de louage de services, de recourir à tous les critères et indices possibles dans le but de déterminer la véritable nature de la relation unissant les parties.

 

 

[34]                            En terminant ce survol de la jurisprudence pertinente, je m’en remets aux propos que tenait le juge Létourneau dans Le Livreur Plus Inc. c. Canada, précité. Après avoir déterminé que la question sur laquelle devait se prononcer la Cour était toujours celle de la détermination de la véritable nature de la relation entre les parties, le juge Létourneau se prononçait au paragraphe 18 de ses motifs relativement à la pertinence des critères de Wiebe Door, précité :

18.     Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem

 

[Le souligné est le mien]

 

 

[35]                            De ces décisions, il se dégage, à mon avis, les principes suivants :

1.                  Les faits pertinents, incluant l’intention des parties quant à la nature de leur relation contractuelle, doivent être examinés à la lumière des facteurs de Wiebe Door, précitée, et à la lumière de tout autre facteur qui peut s’avérer pertinent compte tenu des circonstances particulières de l’instance.

2.                  Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents et leur importance dépendra des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

Même si en règle générale, le critère de contrôle aura une importance marquée, les critères élaborés dans Wiebe Door et Sagaz, précités, s’avéreront néanmoins utiles pour déterminer la véritable nature du contrat.

 

Analyse

[36]                            Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’intimée était un travailleur autonome et, par conséquent, qu’elle n’exerçait pas un emploi assurable auprès de l’appelante.

 

[37]                            Le juge avait devant lui une preuve contradictoire. D’un côté, il avait le témoignage de l’intimée sur lequel il s’est appuyé pour conclure qu’elle exerçait un emploi assurable auprès de l’appelante. D’un autre côté, il avait les témoignages de deux employés de l’appelante, soit Michel Rivest et Stéphane Fortin, respectivement à l’époque pertinente, directeur de la formation et formateur, ainsi que ceux d’Yves Crevier, un représentant-travailleur autonome, et de Jean-Guy Saint-Laurent, le gérant de district et superviseur de l’intimée durant son stage.

 

[38]                            Après une lecture attentive des motifs du juge McArthur, je n’ai aucun doute que ce dernier n’a pas considéré les témoignages de Messieurs Rivest, Fortin, Crevier et Saint-Laurent. N’ayant tiré aucune conclusion quant à la crédibilité des témoins, le juge devait considérer toute la preuve avant d’en arriver à une conclusion concernant la nature de la relation entre les parties. Avec respect pour le juge McArthur, il est clair qu’il a tiré ses conclusions uniquement sur la base du témoignage de l’intimée, ce qui constituait une erreur. En outre, il est indéniable que le juge n’a nullement considéré les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door, précité, qui à tout le moins sont des points de repère utiles servant à déterminer si le contrat en est un de travail ou d’entreprise, comme le disait le juge Létourneau dans Le Livreur Plus, précité.

 

[39]                            Vu cette conclusion, il devient alors nécessaire pour cette Cour de réexaminer la preuve en l’instance à la lumière des critères de détermination.

 

A.        La propriété des instruments de travail

[40]                            Sur ce point, la preuve est claire à l’effet que l’intimée était propriétaire de l’ensemble des instruments de travail dont elle avait besoin pour exécuter ses obligations en tant que représentante de l’appelante. En effet, selon les ententes qu’elle avait conclues avec l’appelante, l’intimée devait assumer le coût de son permis d’exercice comme assureur et de la police assurance-responsabilité à laquelle elle devait souscrire. En outre, elle avait besoin d’un véhicule automobile pour lequel elle assumait toutes les dépenses.

 

[41]                            L’appelante ne lui fournissait aucun bureau et l’intimée devait rencontrer ses clients à un endroit convenu avec ceux-ci. Elle devait également utiliser sa propre papeterie pour remplir la documentation requise par l’appelante. Même si le matériel de vente et les cartes d’affaires étaient préparés par l’appelante en raison des exigences statutaires et réglementaires concernant la vente d’assurance, l’intimée devait assumer la totalité ou, à tout le moins, une partie importante du coût de ce matériel.

 

B.        Les chances de profits et les risques de pertes

[42]                            Tel qu’il appert des contrats signés par l’intimée, celle-ci était en droit de recevoir paiement de commissions relativement aux polices qu’elle vendait et qu’elle renouvelait. La preuve a démontré que les commissions étaient plus importantes dans le cas d’une nouvelle police que dans le cas d’une police renouvelée. Il est donc clair que le revenu de l’intimée dépendait, en grande partie, de son succès à vendre de nouvelles polices d’assurance. Par conséquent, pour réussir, l’intimée devait solliciter de nouveaux clients et les convaincre qu’il était dans leur intérêt de souscrire à une police d’assurance-maladie ou de santé de l’appelante.

 

[43]                            Il ressort clairement des témoignages de Messieurs Rivest, Crevier et Saint-Laurent que les revenus d’un représentant étaient entièrement tributaires des heures de travail investies par elle ou lui à vendre des polices d’assurance. Par ailleurs, même si la preuve a démontré que M. Saint-Laurent avait garanti personnellement à l’intimée des commissions minimales de 400,00$ par semaine pour ses huit premières semaines de travail, l’appelante n’assurait aucun revenu à ses représentants.

 

[44]                            Puisque l’intimée devait encourir de nombreuses dépenses pour gagner ses commissions, et cela peu importe le succès qu’elle avait à vendre des polices d’assurance, je suis d’avis que l’intimée encourait tous les risques de pertes si elle ne parvenait pas à vendre un nombre suffisamment important de nouvelles polices.

 

C.        L’intégration

[45]                            Puisque l’intimée n’a travaillé comme représentante de l’appelante que pour une courte période de temps (du 18 août 2003 au 16 janvier 2004), la preuve n’a su démontrer dans quelle mesure elle avait développé sa clientèle de façon suffisante pour qu’elle constitue une entreprise.

 

[46]                            Par ailleurs, il est intéressant de noter le témoignage de M. Crevier, un représentant-travailleur autonome, au même titre que l’intimée, selon lequel après un début difficile, il a su développer et maintenir une clientèle nombreuse, grâce à laquelle il percevait des commissions importantes à chaque année. M. Crevier a témoigné (p. 205 de la transcription) qu’il recevait approximativement  2 700,00$ par mois « avant de commencer à travailler », cette somme représentant des ristournes sur des polices d’assurance qui se renouvelaient à chaque mois. Concernant son revenu, M. Crevier a expliqué qu’il devait évidemment assumer toutes les dépenses encourues pour gagner ce revenu, telles repas, essence, entretien de son véhicule automobile, téléphone cellulaire, papeterie, etc.

 

[47]                            Finalement, selon les témoignages de Messieurs Rivest, Crevier et Saint-Laurent, un représentant de l’appelante, tel que l’intimée, n’était pas tenu de travailler exclusivement pour l’appelante et, par conséquent, pouvait vendre des produits d’assurance autres que ceux de l’appelante. En outre, M. Rivest, maintenant administrateur divisionnaire de l’appelante, a témoigné que même si ses représentants pouvaient vendre des polices d’assurance pour le compte d’autres compagnies d’assurance, il ne les encourageait pas dans ce sens « par intérêt pécuniaire tout simplement » (p. 179 de la transcription).

 

[48]                            Je conclus donc que les activités de l’intimée n’étaient pas intégrées à l’entreprise de l’appelante, notamment, parce que son contrat prévoyait qu’elle n’était pas représentante exclusive de l’appelante, qu’elle pouvait donc vendre des produits d’autres compagnies et, qu’en outre, dans la mesure où elle respectait les exigences statutaires et réglementaires, elle pouvait se faire remplacer par d’autres représentants.

 

[49]                            Je termine sur ce point en soulignant que l’intimée, ayant obtenu son permis d’assureur, pouvait sans aucun doute vendre des produits d’assurance pour n’importe quel assureur dans la mesure où elle réussissait à conclure une entente avec cet assureur.

 

D.        Degré de contrôle

[50]                            Comme je le mentionnais plus tôt, les contrats signés par l’intimée prévoyaient qu’elle agirait pour l’appelante en tant que travailleur indépendant et qu’elle aurait toute latitude quant au choix des personnes de qui elle solliciterait des propositions d’assurance, ainsi que du moment, du lieu et de la façon de les solliciter. Malgré le fait que l’intimée ait témoigné qu’elle avait signé ces contrats sans les lire, il est clair d’après les témoignages de Messieurs Fortin et Rivest que les termes des contrats lui ont été expliqués avant qu’elle ne les signe.

 

[51]                            Même si ses contrats avec l’appelante prévoyaient expressément qu’elle agirait en tant que travailleur indépendant, l’intimée prétend que la réalité était autre. Après lecture attentive de tous les témoignages, il ne peut faire de doute, à mon avis, que la prétention de l’appelante découle de sa relation avec son gérant de district, M. Jean-Guy Saint-Laurent. Lors de son témoignage, l’intimée déclarait à la Cour qu’elle avait « peur de lui, finalement » (p. 50 de la transcription).

 

[52]                            Avant d’examiner les raisons spécifiques pour lesquelles l’intimée prétend qu’elle était une employée et non un travailleur autonome, il est important de se rappeler qu’il n’existait aucune relation contractuelle entre l’intimée et M. Saint-Laurent. De fait, ce dernier, tout comme l’intimée, avait signé un contrat avec l’appelante s’engageant à travailler pour celle-ci à titre de travailleur autonome. Ni l’intimée ni le ministre n’ont contesté le statut de M. Saint-Laurent. Il est aussi important de souligner à nouveau que puisque M. Saint-Laurent avait droit de recevoir une quote-part des primes générées par les ventes effectuées par l’intimée, il avait un intérêt certain à ce que l’intimée réussisse à vendre le plus grand nombre de polices d’assurance possible.

 

[53]                            L’intimée prétend qu’elle était une employée parce qu’elle devait se présenter tous les jours à une rencontre matinale et sur l’heure du déjeuner avec M. Saint-Laurent et d’autres représentants, qu’elle devait faire rapport à M. Saint-Laurent à la fin de chaque journée pour l’informer quant à ses ventes, qu’elle était soumise à un horaire de travail de 8h00 à 21h00, qu’elle devait couvrir un territoire prédéterminé par M. Saint-Laurent et, finalement, qu’elle était sujette à des sanctions si elle n’obéissait pas aux directives de M. Saint-Laurent.

 

[54]                            À mon avis, la preuve n’appuie aucunement la prétention de l’intimée.

 

E.        Présence obligatoire au lieu de travail et respect de l’horaire de travail

[55]                            Selon l’intimée, elle devait, sans faute, rencontrer M. Saint-Laurent et d’autres représentants tous les matins et durant l’heure du déjeuner pour discuter de leurs techniques de ventes et pour recevoir une distribution de cartes relativement au renouvellement de polices de l’appelante. En outre, elle a témoigné qu’elle était soumise à un horaire de travail débutant à 8h00 et se terminant à 21h00.

 

[56]                            Par ailleurs, elle a reconnu qu’à l’exception de la période de son stage, ni son gérant de district ni son gérant des ventes ne pouvaient véritablement vérifier son emploi du temps puisqu’il était de son ressort de fixer les rendez-vous avec les clients et d’être présente à ces rendez-vous. Par conséquent, M. Saint-Laurent n’avait pas connaissance de toutes ses allées et venues. Durant le cours de son témoignage, l’intimée a même admis qu’à l’occasion elle ne disait pas la vérité à M. Saint-Laurent relativement à son emploi du temps.

 

[57]                            Parallèlement, Messieurs Rivest, Crevier et Saint-Laurent ont témoigné qu’il n’y avait pas lieu d’imposer ou de dicter un horaire fixe aux représentants puisqu’il était impossible pour ceux-ci d’établir une clientèle à moins de travailler de longues heures à chaque jour. Plus particulièrement, selon M. Rivest, l’appelante n’imposait à ses représentants aucun horaire fixe ou nombre d’heures minimal. En ce qui a trait aux « pep meetings » du matin, il indiquait que ces rencontres n’étaient nullement obligatoires et qu’aucune sanction n’était imposée au représentant qui ne se présentait pas à ces rencontres.

 

[58]                            Quant à M. Crevier, toujours représentant de l’appelante, il a aussi témoigné qu’aucun horaire de travail n’était imposé aux représentants puisque, à son avis, il serait impossible d’exercer un tel contrôle. Ayant travaillé avec différents gérants de district au cours de sa carrière, dont M. Saint-Laurent, M. Crevier a témoigné qu’il avait tiré beaucoup d’avantages à participer aux réunions matinales et à celles du déjeuner, particulièrement au début de sa carrière, puisqu’il avait su développer ses techniques de vente à même l’expérience d’autres représentants. Il a aussi témoigné qu’il n’avait jamais considéré ces rencontres comme étant obligatoires. Il témoignait aussi qu’il n’avait jamais pensé que des sanctions pouvaient découler en raison de sa non-participation à ces rencontres, mais qu’il avisait néanmoins son gérant de district lorsqu’il était dans l’impossibilité d’y assister, tout simplement par respect et courtoisie pour ceux qui se présentaient aux réunions.

 

[59]                            Quant à M. Saint-Laurent, il a témoigné que les rencontres n’étaient pas obligatoires mais qu’il était avantageux pour un nouveau représentant d’y assister afin de bénéficier de l’expérience d’autres représentants. M. Saint-Laurent a également reconnu qu’il avait droit à un pourcentage sur les primes générées par les ventes de ses représentants et qu’il avait donc grand intérêt à s’assurer que ces derniers soient pleinement motivés à vendre des polices.

 

 

 

F.        Contrôle des absences pour vacances

[60]                            L’intimée a témoigné qu’elle n’avait pris aucune vacance durant la période en litige, mais qu’elle avait pris plusieurs journées de congé en raison d’une grossesse difficile, ajoutant qu’elle devait justifier ses absences, avec documentation en main, à M. Saint-Laurent ou à M. Poulin.

 

[61]                            M. Crevier a témoigné, comme il l’avait fait dans le cas des absences aux réunions quotidiennes, qu’aucune sanction n’était prise lorsqu’il prenait des vacances, mais qu’il s’assurait toujours de prévenir en temps opportun son gérant de district qu’il ne serait pas disponible durant une certaine période. Selon M. Crevier, aucune approbation n’était nécessaire pour qu’il puisse prendre ses vacances.

 

G.        Pouvoirs de sanctions

[62]                            L’intimée a été incapable d’indiquer à la Cour quelles sanctions pouvaient lui être imposées par M. Saint-Laurent si elle ne se conformait pas à ses exigences. Plus particulièrement, elle a reconnu que malgré le fait que M. Saint-Laurent lui avait indiqué qu’il pouvait l’envoyer dans une autre équipe si sa performance n’était pas satisfaisante, il ne l’avait jamais menacé de mettre fin à son contrat.

 

H.        L’imposition des moyens d’exécution de travail

[63]                            L’intimée a témoigné que M. Saint-Laurent exigeait que son travail soit effectué selon des directives précises, notamment, l’utilisation de certaines phrases préétablies lors des rencontres avec les clients. Dans ce sens, elle ajoutait que lors de sa période de formation avec l’appelante, cette dernière lui avait fourni du matériel comprenant de l’information sur les techniques de vente développées par l’appelante, et que M. Saint-Laurent insistait, lorsqu’il l’accompagnait, qu’elle utilise ces techniques. Par ailleurs, elle a reconnu que puisque M. Saint-Laurent ne l’accompagnait pas de façon régulière, il ne pouvait aucunement vérifier si elle utilisait ces techniques. Elle a, en outre, reconnu que lorsqu’elle était accompagnée par M. Poulin, son gérant des ventes, il n’exigeait aucunement que les techniques de vente de l’appelante soient utilisées.

 

[64]                            Quant à M. Rivest, il expliquait à la Cour qu’en raison de la réglementation sévère qui prévaut dans le domaine de l’assurance, l’appelante devait s’assurer que ses représentants respectaient en tout point les exigences de la loi et des règlements. C’est pourquoi l’appelante donnait une formation complète à ses représentants et qu’elle leur fournissait du matériel de vente détaillé qui pouvait être utilisé par ceux-ci lors de leurs rencontres avec des clients. Il expliquait aussi qu’en raison du stage obligatoire de 45 jours, suivi d’une période de 30 jours au cours de laquelle les représentants devaient être supervisés dans l’attente de l’émission de leur permis d’assureur, l’appelante devait s’assurer que ses représentants se conformaient à la loi et aux règlements.

 

[65]                            M. Rivest témoignait aussi que l’appelante avait développé des techniques de vente considérées efficaces et qu’elle mettait ces techniques à la disposition de ses représentants. Il ajoutait, par ailleurs, que puisque l’appelante n’avait pas de contact direct avec ses représentants, elle n’avait, de fait, aucun moyen de vérifier si ces techniques étaient bel et bien utilisées par ses représentants. À son avis, les représentants n’étaient pas tenus obligatoirement d’adopter ces techniques. Sur ces points, Messieurs Crevier et Saint-Laurent étaient en accord avec le point de vue de M. Rivest.

 

I.          Remise de rapports d’activités

[66]                            Tous les témoins étaient en accord que l’intimée devait produire un rapport hebdomadaire écrit, faisant état des polices renouvelées et des nouvelles polices d’assurance. À défaut de soumettre un tel rapport, l’intimée ne pouvait recevoir ses commissions, puisque les commissions étaient versées par l’appelante à ses représentants sur la base de ces rapports.

 

J.         Contrôle de la qualité et de la quantité de travail

[67]                            L’intimée a témoigné que l’appelante ne lui fixait aucun objectif de base, mais qu’elle fixait elle-même ses objectifs de la semaine, objectifs qu’elle communiquait à M. Saint-Laurent. Elle a témoigné que s’il n’était satisfait de sa performance, M. Saint-Laurent pouvait la pénaliser en lui assignant des cartes pour renouvellement de polices dans un secteur géographique moins intéressant.

 

[68]                            Relativement aux clients qu’elle pouvait solliciter, l’intimée a témoigné qu’elle recevait à chaque semaine de M. Saint-Laurent des cartes de renouvellement relativement à des clients situés dans un secteur géographique précis. Par conséquent, elle était limitée à rencontrer des clients dans le secteur qui lui avait été assigné par M. Saint-Laurent. Selon elle, elle ne pouvait solliciter des clients à l’extérieur de ce secteur, à l’exception des membres de sa famille ou des amis.

 

[69]                            Sur ce point, M. Rivest expliquait à la Cour qu’il était normal, par souci d’efficacité, de faire en sorte que les représentants limitent leurs visites à certains secteurs déterminés, mais que l’appelante n’empêchait nullement ses représentants de développer leur clientèle à l’extérieur des secteurs qui leur étaient assignés. Il témoignait en outre que l’appelante conseillait à ses représentants de ne pas solliciter la clientèle de leurs familles, compte tenu des possibilités de conflits d’intérêts, mais qu’en dehors de ces considérations, aucune limite ne leur était imposée quant à la clientèle sollicité. Ce témoignage était en accord avec ceux de Messieurs Crevier et Saint-Laurent, qui étaient d’avis qu’il était plus efficace pour les représentants de ne pas solliciter de clients dans des secteurs couverts par d’autres représentants et que, par courtoisie, les représentants respectaient cette consigne.

 

[70]                            Le juge s’est aussi référé au contrôle de la qualité du travail de l’intimée pour appuyer sa conclusion que l’appelante exerçait un contrôle sur l’intimée. Au paragraphe 19 de sa décision, il écrit « c’est le degré de contrôle exercé sur la qualité du travail qui compte ». Il s’agit là d’une erreur de droit, car la jurisprudence de notre Cour est constante sur ce point : le contrôle de la qualité du travail, tout comme celui du résultat, ne créent pas nécessairement de lien de subordination. Ils ne doivent d’ailleurs pas être confondus avec le contrôle de l’exécution des travaux : voir Desbiens c. Procureur général du Canada, 2005 CAF 439, au paragraphe 6.

 

Conclusions

[71]                            À mon avis, la qualification donnée par l’appelante et l’intimée à leur relation contractuelle est en accord avec la situation factuelle. Autrement dit, la situation factuelle soutient l’engagement de l’intimée, tel qu’il apparaît aux contrats, de faire le placement des polices de l’appelante en qualité d’entrepreneur indépendant. Après un examen attentif de la preuve, je ne puis, avec égard pour le juge, conclure à l’existence d’un lien de subordination quant à l’exécution du travail que devait faire l’intimée pour le compte de l’appelante.

 

[72]                            En premier lieu, je suis satisfait que les critères de Wiebe Door, précité, appuient la prétention de l’appelante, à savoir que l’intimée était un travailleur autonome. Il ressort de la preuve que l’intimée était propriétaire des instruments nécessaires à l’exercice de ses activités, que les chances de profits et les risques de pertes étaient tributaires du travail investi par l’intimée, et qu’il est probable que si l’intimée avait travaillé comme représentante de l’appelante pour une période plus longue, elle aurait pu développer une clientèle intéressante. Par conséquent, il est possible de conclure que durant la période d’août 2003 à janvier 2004, l’intimée travaillait à développer sa propre entreprise. Finalement, la preuve démontre que l’appelante n’exerçait qu’un contrôle minimal sur le résultat du travail de l’intimée et ce, principalement afin de respecter les exigences statutaires et réglementaires.

 

[73]                            En deuxième lieu, je ne puis être en accord avec la prétention du ministre à l’effet que M. Saint-Laurent exerçait sur l’intimée un degré de contrôle tel à donner naissance à un lien de subordination quant à l’exécution de son travail. À mon avis, M. Saint-Laurent n’exerçait pas sur l’intimée le contrôle requis pour que l’on puisse conclure à l’existence d’un contrat de travail. Je suis plutôt d’avis que M. Saint-Laurent, vu son intérêt pécuniaire à ce que l’intimée vende le plus grand nombre de polices d’assurance possible, prenait tous les moyens dont il disposait pour motiver ses représentants et les rendre plus efficaces. Il ne peut y avoir de doute que M. Saint-Laurent exerçait considérablement de pression sur l’intimée pour l’inciter à vendre les polices de l’appelante.

 

[74]                            Néanmoins, il ressort que les directives de M. Saint-Laurent n’avaient aucune force contraignante sur l’intimée et que rien ne l’obligeait à s’y soumettre. Bien que M. Saint-Laurent ait eu intérêt à ce que les nouveaux représentants assistent aux réunions et augmentent leur productivité en raison des quotes-parts qu’il touchait sur leurs ventes, rien ne permet d’affirmer qu’il exerçait un contrôle susceptible de sanctions sur ces derniers.

 

[75]                            En troisième lieu, le fait que pour son année d’imposition 2003 l’intimée se soit considérée comme travailleur autonome et qu’elle ait dès lors déduit de son revenu les dépenses qu’elle avait encourues est indicatif, à mon avis, de sa compréhension des contrats qu’elle avait conclus avec l’appelante.

 

[76]                            Je conclus donc que l’intimée n’exerçait pas un emploi assurable auprès de l’appelante durant la période du 18 août 2003 au 16 janvier 2004.

 

Disposition

[77]                            Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Rendant le jugement qu’aurait dû rendre la Cour canadienne de l’impôt, j’accueillerais avec dépens l’appel de l’appelante et, comme le permet le paragraphe 103(3)


de la Loi sur l’assurance emploi, L.C. 1996, ch. 23, je modifierais la décision du ministre pour déclarer que l’intimée Mélanie Drapeau n’était pas une employée de l’appelante pour la période du 18 août 2003 au 16 janvier 2004.

 

 

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau j.c.a. »

 

Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-469-05

 

INTITULÉ :                                                                           Combined Insurance Co. of Canada c. Le ministre du Revenu national et Mélanie Drapeau

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 14 décembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 30 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Yves St-Cyr

POUR L’APPELANTE

 

Me Nathalie Goulard

Me Sylvain Ouimet

POUR L’INTIMÉ LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal, Québec

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

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