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Date : 20070314

Dossier : A‑239‑06

Référence : 2007 CAF 107

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JOHN McNAMARA

défendeur

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), les 12 et 14 mars 2007.

Jugement rendu à l’audience à Edmonton (Alberta), le 14 mars 2007.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

 


 

 

Date : 20070314

Dossier : A‑239‑06

Référence : 2007 CAF 107

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JOHN McNAMARA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Edmonton (Alberta), le 14 mars 2007)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire dans le cadre de laquelle le procureur général du Canada (demandeur) sollicite de la Cour l’annulation de la décision rendue par le juge‑arbitre Haddad (CUB65619) en application de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

 

[2]                Le juge‑arbitre a accueilli l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre d’une décision par laquelle un conseil arbitral (conseil) a refusé au défendeur des prestations d’assurance‑emploi, estimant que, s’il a perdu son emploi, c’est en raison de son inconduite au sens de l’article 30 de la Loi.

 

[3]               Le demandeur sollicite le rétablissement de la décision du conseil. Il appartient par conséquent à la Cour de dire si c’est à tort que le juge‑arbitre a conclu, pour les motifs que nous évoquerons ci‑dessous, que l’inconduite du défendeur n’avait pas été démontrée.

 

[4]               Voici ce que prévoit l’article 30 :

 

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

 

30. (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

 

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

 

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

 

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

[5]               Voici les faits et les circonstances à l’origine de la présente affaire.

 

Les faits et les circonstances

 

[6]               Le défendeur est tuyauteur et membre de l’Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie des États‑Unis et du Canada, section locale 488. En novembre 2004, par l’intermédiaire de son syndicat, il obtient un emploi chez Lockerbie & Hole Inc. (l’employeur). À l’époque, l’employeur était prestataire de services de Syncrude, maître d’oeuvre d’un chantier de construction.

 

[7]               Le 19 novembre 2004, en vue d’avoir accès au chantier de Syncrude, le défendeur a subi un test de dépistage de drogues. Il a commencé à travailler sur ce chantier le 22 novembre 2004, avant que les résultats du test ne soient obtenus. Le 26 novembre 2004, après quatre jours de travail, le défendeur apprend qu’on a décelé chez lui des traces de THC, principe actif de la marijuana. Conformément aux politiques de Syncrude, le défendeur n’a pas pu accéder au chantier. L’employeur a par conséquent mis fin à son emploi.

 

[8]               Avant d’être engagé par l’employeur en question, le défendeur avait déjà travaillé sur le chantier Syncrude, et avait subi sans encombre quatre autres tests de dépistage. Le défendeur affirme avoir cru que, selon les politiques en vigueur chez Syncrude, il ne serait pas tenu de se soumettre à un nouveau test de dépistage dans les 90 jours suivant le test précédent. Il considérait donc être à l’abri derrière le paravent du test précédent. Il ne pensait pas subir un autre test le 19 novembre 2004 : voir les paragraphes 8 à 10 du mémoire des faits et du droit du défendeur. Le dossier produit devant la Cour ne contient hélas pas de copie des politiques de Syncrude concernant l’accès aux chantiers.

 

[9]               Les conditions régissant les tests de dépistage imposés par l’employeur figurent dans la convention collective, qui lie le défendeur et son employeur. Le défendeur affirme que le test de dépistage imposé par Syncrude et conditionnant l’accès au chantier n’est pas conforme à la convention collective : ibidem, aux paragraphes 5 et 6.

 

[10]           Après son licenciement, le défendeur a déposé une demande de prestations d’assurance‑emploi. Il avait déjà touché, à partir du 15 février 2004, des prestations d’assurance‑emploi. Le 19 janvier 2005, la Commission de l’assurance‑emploi (la Commission), invoquant les motifs dont il a été ci‑dessus fait état, a décidé qu’à partir du 26 novembre 2004, le défendeur n’avait plus droit aux prestations.

 

La décision du juge‑arbitre

 

[11]           Selon le juge‑arbitre, si l’employeur a licencié le défendeur, c’est parce que Syncrude avait refusé que le défendeur entre sur le chantier : voir les motifs de la décision, page 94 du dossier du demandeur. La conclusion du juge-arbitre n’est contestée par ni l’une ni l’autre des parties.

 

[12]           Le juge‑arbitre a en outre constaté que le défendeur avait consommé la substance illicite en question avant d’être engagé par l’employeur. Cette constatation l’a porté à conclure en ces termes :

 

Il existe une jurisprudence abondante montrant qu’une activité criminelle ayant eu lieu avant l’embauche d’un employé ne peut être utilisée comme preuve d’une inconduite. Selon mon interprétation, cela signifie que les actes commis avant l’obtention d’un emploi ne peuvent être utilisés comme preuve d’inconduite pour justifier un congédiement. Le prestataire ne travaillait pas encore pour l’employeur lorsque l’inconduite présumée a eu lieu. Il ne pouvait donc pas être congédié pour son inconduite. Il a été congédié parce que Syncrude ne lui permettait pas d’entrer sur le chantier. Compte tenu des circonstances de son congédiement, le prestataire est admissible aux prestations d’assurance‑emploi.

 

                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

L’analyse de la décision

 

 

 

[13]           Nous estimons qu’en ce qui concerne l’article 30 de la Loi, le juge‑arbitre a commis une erreur dans son interprétation du terme « inconduite ». Sa conclusion erronée sur une question de droit est soumise au contrôle de la Cour selon la norme de la décision correcte.

 

La conclusion du juge‑arbitre selon laquelle une activité criminelle précédant l’embauche ne peut être invoquée comme preuve d’inconduite

 

 

[14]           Dans Smith c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1182, la Cour a jugé que l’inconduite peut résulter d’un acte ou d’une omission qui a eu lieu avant le début de l’emploi dont l’employé a par la suite été congédié si cette inconduite est la cause du licenciement. L’employé pourrait, autrement, sachant que son inconduite au travail risque d’entraîner son licenciement, simplement changer d’emploi. S’il est renvoyé de son nouveau travail, il pourra prétendre toucher des prestations d’assurance‑emploi, son inconduite ayant précédé son nouvel emploi, même si cette inconduite est effectivement la cause essentielle de la perte de son nouvel emploi.

 

[15]           Les faits de l’affaire Smith illustrent bien cette éventualité et les résultats incongrus qui risqueraient d’en résulter. M. Smith était accusé de conduite en état d’ébriété. Il a par la suite trouvé un travail comme chauffeur de camion. Déclaré coupable d’une infraction qu’il avait commise avant son entrée en fonction, il s’est vu retirer son permis de conduire et, par conséquent, ne pouvait plus faire le travail pour lequel il avait été engagé. Autrement dit, il n’était plus en mesure de remplir les obligations lui incombant aux termes de son contrat de travail.

 

[16]           Selon la théorie du droit appliquée par le juge‑arbitre, et l’interprétation qu’il a donnée de l’article 30 de la Loi, M. Smith aurait eu droit à des prestations d’assurance‑emploi. Il ne saurait en être ainsi. Ce n’est pas ce que prévoit la Loi étant donné que l’inconduite de M. Smith était bien la cause de la perte de son emploi. L’article 30 parle en effet de la perte d’« un emploi » en raison d’une inconduite. Selon cette disposition, l’exclusion du bénéfice des prestations ne se limite aucunement à l’emploi occupé à l’époque où a eu lieu l’inconduite. Le lien entre l’emploi et l’inconduite est un lien de causalité et non un lien de simultanéité. Le défendeur invoque l’interprétation que le juge‑arbitre a donnée des dispositions applicables, mais sa thèse ne peut se fonder ni sur une interprétation raisonnable de l’article 30 de la Loi, ni sur le jugement rendu par la Cour dans l’affaire Smith.

 

L’argument du défendeur selon lequel il fut injustement congédié parce que le test de dépistage des drogues administré par Syncrude ne se justifiait pas dans les circonstances

 

 

[17]           Le défendeur invoque également le caractère injustifié de son congédiement. À l’appui de cette thèse, il avance deux arguments.

 

[18]           Le test de dépistage auquel il a été soumis était selon lui contraire à la politique en vigueur chez Syncrude car, selon lui et selon son syndicat, le test de dépistage précédent demeurait valable jusqu’à ce qu’il s’absente du chantier pendant au moins quatre‑vingt‑dix (90) jours : voir les paragraphes 8, 9, 10 et 37 du mémoire des faits et du droit produit par le défendeur. Il prétend que, au cours de cette période de 90 jours, il pouvait passer d’un employeur à un autre sans avoir à se soumettre de nouveau à un test.

 

[19]           Comme nous l’avons indiqué dans le résumé des faits, le défendeur affirme en outre que les conditions dans lesquelles lui a été imposé un test de dépistage n’étaient pas en l’occurrence conformes à ce que prévoit le Canadian Model for Providing a Safe Workplace, texte régissant la relation de travail avec son employeur : voir, aux pages 63 à 66 du dossier du demandeur, les extraits de ce document. Il n’existait selon lui aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité en raison de sa consommation de drogue : ibidem, clause 4.4.1, page 64. Il n’avait pas non plus, affirme‑t‑il, été impliqué dans un accident, un quasi-accident ou autre incident présentant un danger : ibidem, clause 4.5.1.

 

[20]           Le défendeur prétend en fait avoir droit aux prestations d’assurance‑emploi en raison de l’inconduite de Syncrude et de son employeur, qui l’ont injustement congédié. Cet argument appelle une double réponse.

 

[21]           D’abord, on a demandé au défendeur de passer un test de dépistage. Il s’y est plié tout à fait volontairement. Cela étant, il a renoncé au droit d’invoquer une stricte application de la politique de Syncrude en la matière. Il ne peut donc reprocher à Syncrude ou à son employeur d’avoir agi de manière illégale ou abusive.

 

[22]           Deuxièmement, selon une jurisprudence constante de la Cour, il n’appartient pas au conseil ou au juge‑arbitre de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il leur appartient de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi : voir Canada (Procureure générale) c. Marion, 2002 CAF 185; Canada (Procureur général) c. Caul (2006), 354 N.R. 21 (C.A.F.); Fakhari c. Canada (Procureur général), 197 N.R. 300 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Namaro, 46 N.R. 541 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Jewell, 175 N.R. 350 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Secours, 179 N.R. 132 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Langlois (21 février 1996), no A‑94‑95, A‑96‑95 (C.A.F.).

 

[23]           Dans l’interprétation et l’application de l’article 30 de la Loi, ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé. Cela ressort nettement du membre de phrase « s’il [le prestataire] perd un emploi en raison de son inconduite ». L’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé.

 

[24]           Pour les motifs énoncés, et malgré les efforts appréciables de l’avocat du défendeur, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans adjudication des dépens, le demandeur y ayant renoncé. La décision du juge‑arbitre sera infirmée et l’affaire sera renvoyée au juge‑arbitre en chef, ou à son délégué, pour être tranchée à nouveau en tenant compte du fait que le défendeur a perdu son emploi en raison de son inconduite et qu’il n’avait par conséquent pas droit aux prestations d’assurance‑emploi.

 

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑239‑06

 

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        c.

                                                                        JOHN McNAMARA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LES 12 ET 14 MARS 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LA JUGE DESJARDINS

                                                                          LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                          LE JUGE RYER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :         LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Heseltine

POUR LE DEMANDEUR

 

Micah J. Field

Craig Madill

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Blakely & Dushenski

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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