Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20070322

Dossiers : A-442-05

A-630-05

Référence : 2007 CAF 115

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

AIR CANADA

Appelante

et

MICHEL THIBODEAU

Intimé

 

et

 

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

 

Intervenante

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 20 mars 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 mars 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                 LE JUGE NOËL

 


 

Date : 20070322

Dossiers : A-442-05

A-630-05

Référence : 2007 CAF 115

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

AIR CANADA

Appelante

et

MICHEL THIBODEAU

Intimé

 

et

 

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

 

Intervenante

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Nous sommes saisis d’un appel à l’encontre de deux décisions du juge Beaudry (juge) de la Cour fédérale, rendues le 24 août 2005 (2005 CF 1156) et le 1 décembre 2005 (2005 CF 1621).

 

[2]               Par ses décisions, le juge accueillait le recours de l’intimé contre l’appelante en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4e suppl.) (LLO).

 

[3]               En Cour fédérale, l’intimé qui se représentait lui-même alléguait une violation de ses droits linguistiques en ce que, contrairement à l’article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. 1985 (4e suppl.) (LLPAC), Air Ontario, une filiale d’Air Canada, ne pouvait lui offrir des services en français sur un vol en provenance de Montréal et à destination d’Ottawa. Le vol eut lieu le 14 août 2000. Il n’est pas contesté que l’agent de bord, qui était seule, était unilingue anglophone.

 

[4]               La décision du 1 décembre 2005 débouchait sur une ordonnance enjoignant à l’appelante de présenter à l’intimé une lettre d’excuses formelles pour le non-respect de ses droits linguistiques. Elle octroyait à l’intimé un montant de 5 375,95 $, incluant des déboursés établis à 1 876,95 $. La différence au montant de 3 500 $ lui fut accordée pour l’étude et l’analyse de la jurisprudence.

 

[5]               L’intimé a logé un appel incident à l’encontre du montant de 5 375,95 $ déterminé par le juge. Il réclame des frais et déboursés de l’ordre de 43 920 $ en lieu et place du montant accordé par le juge.

 

 

Analyse des motifs au soutien de l’appel

 

[6]               Six motifs d’appel, dont cinq sont périphériques, ont été invoqués par l’appelante à l’encontre des deux décisions. Il n’y en qu’un qui a trait au fond même du litige. Je n’examinerai que celui-ci puisqu’il suffit à disposer du litige.

 

[7]               J’examinerai par la suite l’argument de l’appelante selon lequel l’intimé, parce qu’il s’est représenté seul, n’a pas droit à des dépens. Je m’empresse d’ajouter que l’appelante a versé à l’intimé la somme de 5 375,95 $ en exécution du jugement de la Cour fédérale. Elle a ajouté à l’audience qu’elle n’entendait pas réclamer le remboursement de ce montant si son appel devait être accueilli. Mais la question de principe demeurait importante, soumet-elle, étant donné l’appel incident qui recherche en conclusion une appréciation considérable de ce montant.

 

[8]               Comme il fut fait à l’audience par souci d’efficacité, je traiterai donc de cette question dans le contexte de l’analyse de l’appel incident.

 

[9]               En Cour fédérale, un débat s’est engagé sur la nature et l’intensité de l’obligation créée par le paragraphe 2 de l’article 10 de la LPPCAC. Je reproduis les deux premiers paragraphes de cet article :

 

10. (1) La Loi sur les langues officielles s’applique à la Société.

 

(2) Sous réserve du paragraphe (5), la Société est tenue de veiller à ce que les services aériens, y compris les services connexes, offerts par ses filiales à leurs clients le soient, et à ce que ces clients puissent communiquer avec celles-ci relativement à ces services, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elle-même les services, elle serait tenue, au titre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles, à une telle obligation.

10. (1) The Official Languages Act applies to the Corporation.

 

(2) Subject to subsection (5), if air services, including incidental services, are provided or made available by a subsidiary of the Corporation, the Corporation has the duty to ensure that any of the subsidiary’s customers can communicate with the subsidiary in respect of those services, and obtain those services from the subsidiary, in either official language in any case where those services, if provided by the Corporation, would be required under Part IV of the Official Languages Act to be provided in either official language.

 

 

[10]           Suite au débat, le juge a conclu que l’appelante s’était vue imposer par cet article 10 une obligation de résultat, et non simplement une obligation de moyen. Alors que la première est satisfaite par la fourniture d’un résultat précis et déterminé, la seconde l’est si le débiteur de l’obligation a agi avec prudence et diligence en vue d’obtenir le résultat convenu.

 

[11]           En appel, l’intervenante, la Commissaire aux langues officielles, a soutenu que l’intensité de l’obligation faite à l’appelante par le paragraphe 10(2) de la LPPCAC ne s’appréciait pas en fonction de ce modèle de droit civil québécois, mais plutôt en fonction du cadre législatif établi par la partie IV de la LLO et l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[12]           L’appelante a soutenu que, en s’appuyant sur une interprétation littérale de l’article 10 et comparative avec les articles 26, 28 et 29 de la LLO ainsi que les paragraphes 705.43(1) et 705.43(2) du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-443, peu importe le modèle retenu, elle avait droit à une défense de diligence raisonnable pour expliquer et justifier son défaut de se conformer à l’article 10. En d’autres termes, l’obligation qui lui est imposée par l’article 10 n’est pas absolue et n’entraîne pas de responsabilité absolue en cas de manquement.

 

[13]           Quelque soient la nature et l’intensité de l’obligation créée par le paragraphe 10(2) de la LPPCAC et en admettant, sans pour autant en décider, que l’appelante a droit à une défense de diligence raisonnable, il n’y a au dossier aucune preuve donnant ouverture à une telle défense.

 

[14]           De fait, rien dans l’affidavit de Chantal Dugas donné au soutien des prétentions de l’appelante ne permet d’inférer, encore moins de conclure, que l’appelante a agi avec diligence pour se conformer à la LPPCAC et aux obligations que le paragraphe 10(2) lui impose.

 

[15]           La modification apportée à l’article 10 de la LPPCAC par l’insertion du deuxième paragraphe est entrée en vigueur le 7 juillet 2000. Mais depuis février 2000, soit au moment du dépôt du projet de loi modifiant la LPPCAC, l’appelante et Air Ontario savaient que des obligations linguistiques seraient bientôt imposées à Air Ontario sans pour autant, je le reconnais, en connaître la teneur définitive : dossier d’appel, volume 1, page 196. Or, la preuve au dossier n’indique aucune mesure que, pendant cette période de février jusqu’à juin 2000 (moment de l’adoption du projet de loi), l’appelante aurait prise pour assumer ou faire assumer les obligations linguistiques imposées par la LPPCAC.

 

[16]           En outre, au moment de l’adoption du projet de loi en juin 2000, Air Ontario ne disposait que de neuf agents de bord sur 179 possédant une connaissance pratique du français. Malgré cela et le fait que le paragraphe 10(2) de la LPPCAC soit entré en vigueur au début de juillet, ce n’est qu’en septembre 2000, sans plus de précision quant à la date et après l’incident avec l’intimé, que des cours de formation linguistique accélérée débutent pour les agents de bord.

 

[17]           En ce qui a trait aux cours eux-mêmes, le dossier ne contient aucun élément de preuve quant à leur durée, leur fréquence, leur accessibilité et quant au nombre de participants inscrits.

 

[18]           Enfin, il n’y a également aucune preuve au dossier que des efforts ont été faits pour assigner les neuf personnes qui possédaient une connaissance pratique du français sur des routes où l’usage du français était requis.

 

[19]           La défense de diligence raisonnable bien connue dans le contexte des infractions réglementaires et du droit pénal qui les sanctionne requiert plus que de la passivité : voir Lévis (Ville) c. Tétreault, [2006] 1 R.C.S. 420. « Le concept de diligence raisonnable », dira le juge Lebel au paragraphe 30 du jugement unanime de la Cour suprême, « repose sur l’acceptation d’un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées ». Une fois celles-ci connues, il s’agit soit de s’y conformer, soit de prendre les précautions qu’une personne raisonnable aurait prises dans les circonstances pour s’y conformer : ibidem, au paragraphe 15, R. c. Chapin, [1979] 2 R.C.S. 121.

 

[20]           Le fardeau de prouver la diligence raisonnable appartenait à l’appelante et, tenant pour acquis sans le décider qu’une telle défense lui était ouverte, elle ne s’en est pas acquittée.

 

Analyse de l’appel incident

 

[21]           L’octroi de frais est une mesure qui ne vise qu’à indemniser partiellement la partie qui se les voit accorder : Sherman v. The Minister of National Revenue, 2004 FCA 29, au paragraphe 8. Selon la Règle 407 des Règles des cours fédérales, ils sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. Le tarif B se veut un compromis entre une pleine compensation de la partie gagnante et l’imposition d’un écrasant fardeau à la partie perdante. La colonne III vise les cas d’une complexité moyenne ou habituelle : ibidem, paragraphes 8 et 9.

 

[22]           Je ne crois pas qu’il ait lieu de déroger en l’espèce au principe de la Règle 407 et de procéder comme l’intimé l’a fait, aussi bien en Cour fédérale qu’en appel, à une computation des frais selon la colonne V du tableau du tarif B. La nature et teneur des questions en litige ne justifient pas une dérogation au principe.

 

[23]           En outre, l’intimé n’est pas avocat et, en conséquence, ne peut toucher d’honoraires d’avocat, y compris ceux prévus au tarif.

 

[24]           Toutefois, la jurisprudence, compte tenu de la triple finalité recherchée par l’adjudication de dépens, i.e. l’indemnisation, l’incitation à régler et la dissuasion de comportements abusifs, a reconnu l’opportunité d’octroyer une certaine forme de dédommagement à la partie qui se représente seule, particulièrement lorsque sa présence à une audience est nécessaire et qu’elle encourt, de ce fait, des pertes de revenus : voir Sherman c. Le ministre du Revenu national, [2003]  4 CAF 865. Mais l’indemnisation accordée peut, au mieux, être égale à ce que la partie aurait eu selon le tarif si elle avait été représentée par un avocat : voir Sherman, supra, 2004 CAF 29, au paragraphe 11. Généralement, ce sera une fraction de ce montant. C’est ce qu’a fait le juge en Cour fédérale.

 

[25]           Je ne vois dans l’octroi du montant de 5 375,95 $ aucune erreur dans l’exercice de sa discrétion qui justifie ou requiert notre intervention. Les déboursés de 1 876,95 $ sont ceux engagés pour la poursuite en Cour fédérale. Le montant accordé par le juge est inférieur au montant des déboursés actuellement encourus par l’intimé. Mais le juge était lié par les termes des ordonnances de ratification du Plan consolidé de réorganisation, de transaction et d’arrangement rendues par la Cour supérieure de l’Ontario le 1 avril 2003 et le 30 septembre 2004 : voir In the Matter of the Companies’ Creditors Arrangement, C.S. Ont., dossier No. 03-CL-4932. L’intimé ne pouvait être compensé pour le temps dépensé et les déboursés encourus avant le 30 septembre 2004.

 

[26]           Quant aux déboursés en appel, l’intimé a produit une réclamation au montant de 284,62 $ auquel il a droit. Il réclame des dépens de 10 800 $ calculés, tel que déjà mentionné, selon la colonne V du tableau du tarif. Ce montant inclut quelques 63 unités au titre d’honoraires d’avocat qu’il ne peut réclamer et 10 unités pour la taxation des frais. Compte tenu du fait que j’entends octroyer un montant forfaitaire, il n’y a pas lieu d’accorder de montant pour la taxation des frais.

 

[27]           Ceci dit, l’intimé a été contraint de se défendre en appel. Il a dû analyser le mémoire de l’appelante et y répondre par écrit. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’appelante n’a pas été avare en ce qui a trait à la production de matériel : deux cahiers volumineux de législation, quatre cahiers d’autorités encore plus volumineux et sept imposants volumes de dossier d’appel pour un appel reposant sur une défense de diligence raisonnable non étayée par la preuve. Même avec une indemnisation substantielle, l’intimé, qui a légitimement revendiqué avec succès le respect de droits quasi-constitutionnels, continuera de faire les frais d’un appel à l’allure beaucoup plus oppressive que méritoire.

 

[28]           Il ne fait aucun doute que l’intimé a dû consacrer temps et énergie pour se défendre, sans compter la nécessité de sa présence à la Cour pour répondre aux arguments oraux de la partie adverse. Je crois qu’en l’espèce, au niveau de l’appel, il y a lieu de déroger à la Règle 407 et d’accorder des dépens selon la colonne V. Compte tenu des Règles 400(3)a) (résultat de l’instance) et 400(3)i) (la conduite d’une partie dont l’effet fut de prolonger inutilement l’instance) ainsi que des fonctions régulatoire et dissuasive des frais, j’accorderais à l’intimé les déboursés réclamés, soit 284,62 $ et des dépens fixés à 7 000 $, pour un total de 7 284,62 $.

 

Conclusion

 

[29]           Je rejetterais l’appel avec dépens fixés à 7 284,62 $ incluant les déboursés et je rejetterais l’appel incident.

 

 

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs 

            Alice Desjardins j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  A-442-05 et A-630-05

 

INTITULÉ :                                                  AIR CANADA c. MICHEL THIBODEAU et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE DESJARDINS

                                                                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 mars 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me René Cadieux

Me Louise-Hélène Sénécal

Me David Rhéault

 

POUR L’APPELANTE

 

M. Michel Thibodeau

 

Me Pascale Giguère

Me Amélie Lavictoire

 

POUR L’INTIMÉ

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Commissariat aux langues officielles

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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