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Date : 20070405

Dossier : A-151-06

Référence : 2007 CAF 140

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 février 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                               LE JUGE EVANS

 


Date : 20070405

Dossier : A-151-06

Référence : 2007 CAF 140

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 341, dans laquelle le juge O’Keefe a appliqué la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (la préclusion) pour empêcher Pharmascience Inc. (Pharmascience) de plaider les allégations figurant dans son second avis d’allégation relativement au brevet canadien n° 2,261,732 (le brevet 732) dont Abbott Laboratories est titulaire. De l’avis du juge O’Keefe, Pharmascience ne pouvait tenter de plaider des questions additionnelles qu’elle avait omis de faire valoir dans le cadre du litige intervenu entre les mêmes parties et portant sur le même brevet tranché antérieurement par le juge Gibson.

           

[2]               On demande à la Cour d’appel d’établir si les fabricants de médicaments génériques devraient être autorisés à présenter de multiples avis d’allégation relativement à un même brevet, lorsqu’ils allèguent dans chacun que le brevet est invalide. J’en suis venu à la conclusion que la doctrine de la préclusion devrait, dans la plupart des cas, empêcher ces fabricants d’alléguer une seconde fois l’invalidité d’un brevet, sauf si le fondement invoqué pour l’allégation subséquente ne pouvait être déterminé lors de la première instance en faisant preuve de diligence raisonnable, ou s’il existe une autre raison spéciale exceptionnelle qui justifie l’exercice par un juge de son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine de la préclusion dans l’affaire dont il est saisi.

 

[3]               Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, il ne s’agit par en l’espèce d’une situation exceptionnelle, de sorte qu’il convenait que le juge O’Keefe applique la doctrine de la préclusion. Par conséquent, je rejetterais le présent appel.

 

LE CONTEXTE

[4]               Dans le cadre du présent appel, Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (collectivement, Abbott) sont intimées. Abbott Laboratories Limited (Abbott Canada) fabrique et vend au Canada un antibiotique, la clarithromycine, sous la marque BIAXIN, en comprimés de 250 mg et 500 mg, conformément aux avis de conformité qui lui ont été délivrés le 8 mai 1992 et le 25 août 1994. Bien qu’Abbott n’ait pas inventé la molécule de clarithromycine, Abbott Laboratories, la société mère d’Abbott Canada, est titulaire de plusieurs brevets ayant trait à des formes cristallines de la clarithromycine, ou à des méthodes ou procédés de fabrication de ces formes, et à leurs usages comme antibiotique.

 

[5]               Pharmascience souhaite vendre une version générique du BIAXIN au Canada. Elle a donc tenté d’obtenir l’autorisation prescrite par règlement pour son produit en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle faisant référence au BIAXIN, produit d’Abbott précédemment autorisé. Pharmascience a également transmis trois avis d’allégation à Abbott relativement aux brevets concernant le BIAXIN inscrits au registre des brevets.

 

[6]               Le premier avis d’allégation visait le brevet 732. Pharmascience y alléguait que le procédé utilisé pour fabriquer son produit ne contrefaisait pas le brevet 732 et, subsidiairement, que ce brevet était invalide du fait que les revendications en étaient plus générales que l’invention divulguée. Abbott a répliqué à cet avis d’allégation en présentant une demande en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Pharmascience, au motif qu’aucune des allégations de Pharmascience n’était fondée. La demande a été instruite par le juge Gibson, qui a statué que l’avis d’allégation de Pharmascience n’étayait pas les allégations d’absence de contrefaçon et qu’en tout état de cause, les allégations d’invalidité n’en étaient tout simplement pas fondées (Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1349 (Pharmascience I). La Cour a par la suite confirmé la décision du juge Gibson (Pharmascience Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 250).

 

[7]               Le second avis d’allégation, objet de litige dans le présent appel, visait, tout comme le premier, le brevet 732, ainsi que cinq autres brevets, soit les brevets 2,258,606 (le brevet 606),  2,277,274 (le brevet 274), 2,386,527, 2,386,534 et 2,387,361. Dans le second avis on fait valoir l’invalidité de ces brevets pour divers motifs, dont l’évidence et l’antériorité. Abbott a répliqué au second avis d’allégation en présentant une deuxième demande pour que soit délivrée une ordonnance d’interdiction. Comme je le préciserai par la suite, le juge O’Keefe a alors statué que la doctrine de la préclusion empêchait Pharmascience d’alléguer l’invalidité du brevet 732. Il a jugé inutile, par conséquent, d’examiner les allégations ayant trait aux autres brevets et a accordé une ordonnance d’interdiction devant s’appliquer jusqu’à l’expiration du brevet 732 (Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 341 (Pharmascience II)).

 

[8]               Le troisième avis d’allégation n’est pas objet de litige dans le présent appel. Pharmascience y alléguait qu’elle ne contreferait pas cinq des brevets inscrits. Le juge Harrington, de la Cour fédérale, a conclu à qu’étaient fondées les allégations de Pharmascience relatives au brevet 274 (Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 120). Le 15 février 2007, toutefois, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté à l’encontre de cette décision (2007 CAF 73).

 

[9]               Pour pouic de commodité, je discute ici le tableau chronologique des faits ayant conduit au présent appel :

 

LES DATES

LES FAITS

Le 22 octobre 2003

Second avis d’allégation signifié à Abbott

Le 5 décembre 2003

Avis de demande présenté par Abbott relativement au second avis d’allégation

Le 8 juillet 2004

Instruction par le juge Gibson de la demande relative au premier avis d’allégation

Le 1er octobre 2004

Jugement rendu par le juge Gibson quant à la demande relative au premier avis d’allégation

Le 29 juin 2005

Jugement du juge Gibson confirmé par la Cour d’appel fédérale

Le 25 juillet 2005

Mémoire des faits et du droit déposé par Abbott dans le cadre de la demande relative au second avis d’allégation instruite par le juge O’Keefe

Les 19 et 22 septembre 2005

Instruction par le juge O’Keefe de la demande relative au second avis d’allégation

Le 16 mars 2006

Jugement rendu par le juge O’Keefe quant à la demande relative au second avis d’allégation

 

LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

[10]           En première instance, le juge O’Keefe a d’abord examiné l’état du droit de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Tout particulièrement, il s’est fondé sur la décision de la Cour Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 467, pour conclure que « [l]a jurisprudence indique qu’une partie doit faire preuve de diligence raisonnable pour soumettre au tribunal de première instance tous les éléments qui ont trait à la question en litige. En l’espèce, la question en litige est l’invalidité du brevet 732 » (Pharmascience II, paragraphe 36).

 

[11]           De l’avis du juge O’Keefe, la question de l’invalidité du brevet 732 était en litige dans la précédente instance devant le juge Gibson du fait que Pharmascience avait allégué que les revendications du brevet 732 avaient une portée plus large que l’invention divulguée. Par conséquent, en faisant valoir devant lui des arguments additionnels pour démontrer l’invalidité du brevet dans l’instance, Pharmascience tentait de soulever la question de l’invalidité une seconde fois. En outre, la Cour d’appel fédérale avait confirmé la décision du juge Gibson, qui était ainsi définitive. Les parties étaient également les mêmes dans le cadre de la demande soumise au juge O’Keefe et de la demande précédente. Comme rien ne justifiait qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine de la préclusion, le juge O’Keefe a conclu que Pharmascience ne pouvait plaider ses allégations relatives au brevet 732 et il a décerné, en application du paragraphe 6(2) du Règlement, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Pharmascience un avis de conformité.

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU RÈGLEMENT

[12]           La présente affaire met en cause les dispositions suivantes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 :

5. (1)  Lorsqu’une personne dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

 

5. (1)  Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

 

[…]

 

 

b)  soit une allégation portant que, selon le cas :

 

(b)  allege that

 

(i)  la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)c) est fausse,

 

(i)  the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

 

(ii)  le brevet est expiré,

 

(ii)  the patent has expired,

 

(iii)  le brevet n’est pas valide,

 

(iii)  the patent is not valid, or

 

(iv)  aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

 

(iv)  no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

 

[…]

 

 

6. (1)  La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d’un avis d’allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet visé par l’allégation.

 

6(1)  A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

 

(2)  Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

 

(2)  The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Trois questions générales sont en litige dans le cadre du présent appel :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      Le juge O’Keefe a-t-il commis une erreur en n’examinant pas quant au fond les allégations concernant les brevets 606 et 274?

3.      La doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique-t-elle, de sorte que Pharmascience ne puisse plaider les allégations d’invalidité énoncées dans son avis d’allégation?

 

ANALYSE

1)      La norme de contrôle judiciaire

[14]           Dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), la Cour suprême du Canada a expliqué que la norme de contrôle applicable par les cours d’appel varie en fonction de la nature de la question en litige. Pour les questions de droit, la norme de contrôle appropriée est la décision correcte (Housen, paragraphe 8). Quant aux questions de fait, la norme qui s’applique à elles est l’erreur manifeste et dominante (Housen, paragraphe 10). Dans le cas des questions mixtes de fait et de droit, l’erreur manifeste et dominante est aussi la norme généralement appliquée, à moins qu’une erreur de droit ne soit isolable, auquel cas la norme applicable est la décision correcte (Housen, paragraphes 27 et 28). 

 

[15]           Lorsque le juge de première instance rend une décision de nature discrétionnaire, la cour d’appel fera habituellement preuve de retenue à son égard. La cour d’appel pourra toutefois substituer sa propre décision à celle du juge de première instance si elle conclut que ce dernier n’a pas accordé suffisamment d’importance à des considérations pertinentes (Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Navire), [2005] 3 R.C.F. 367, paragraphe 13).

 

2)      Les brevets 606 et 274

[16]           La première prétention avancée par l’avocate de Pharmascience lors de sa plaidoirie, c’était que le juge O’Keefe avait commis une erreur en n’examinant pas quant au fond les allégations concernant les brevets 606 et 274. À son avis, le paragraphe 6(2) du Règlement requiert du juge saisi de la demande qu’il examine sur le fond les allégations portées à l’encontre de chacun des brevets visés par l’avis d’allégation. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi l’examen de ces brevets était nécessaire après qu’il eut été décidé qu’Abbott avait droit à la délivrance d’une ordonnance d’interdiction sur le fondement du brevet 732, l’avocate a répondu qu’il se pouvait que sa cliente Pharmascience, à l’avenir, utilise un procédé différent mettant en cause non pas le brevet 732, mais cette fois les brevets 606 et 274. Il serait utile dans ces circonstances, selon elle, d’obtenir une décision anticipée à l’égard de ces derniers brevets et d’éviter ainsi la multiplication des litiges.

 

[17]           Rien dans l’article 6 du Règlement – dont les paragraphes 6(1) et (2) sont reproduits ci-après – ne permet toutefois de fonder l’assertion de Pharmascience selon laquelle le juge saisi de la demande était tenu d’examiner sur le fond les allégations à l’encontre des brevets 606 et 274 :

6. (1)  La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d’un avis d’allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet visé par l’allégation.

 

6(1)  A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

 

(2)  Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

 

(2)  The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

 

[18]           L’avocate de Pharmascience a soutenu devant nous que l’emploi de l’indicatif présent (« rend », « shall » dans la version anglaise) au paragraphe 6(2) exprime l’obligation pour le juge saisi de la demande d’examiner les allégations portées à l’encontre de chacun des brevets visés dans l’avis d’allégation, même si les allégations à l’encontre d’un des brevets ont déjà été jugées être sans fondement, ce qui justifiait la délivrance d’une ordonnance d’interdiction. Si on interprète à la lumière du paragraphe 6(1) le paragraphe 6(2), toutefois, l’on constate que l’emploi qui y ait fait de l’indicatif présent ne visait pas l’objectif ainsi allégué. C’est la « première personne », habituellement une société pharmaceutique innovatrice, qui présente à la cour une demande en vertu du paragraphe 6(1) afin qu’elle rende une ordonnance d’interdiction au motif que les allégations énoncées dans l’avis d’allégation ne sont pas fondées. Nulle disposition ne prévoit que la « seconde personne », habituellement un fabricant de médicaments génériques, puisse demander à la cour d’apprécier le bien-fondé de chacune de ses allégation si, par suite du rejet d’une des allégations, la première personne a droit à la délivrance d’une ordonnance d’interdiction.

 

[19]           En première instance, le juge O’Keefe a conclu que Pharmascience était empêchée par préclusion de plaider ses allégations d’invalidité à l’encontre du brevet 732. Ces allégations étaient donc non fondées, et le juge O’Keefe a par conséquent rendu une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Pharmascience un avis de conformité pour sa version générique du BIAXIN jusqu’à l’expiration du brevet 732. Abbott est la seule personne que lèse le défaut du juge O’Keefe de se pencher sur les brevets 606 et 274. Et c’est Abbott qui avait demandé une ordonnance interdisant à Pharmascience d’obtenir un avis de conformité au motif que n’étaient pas fondées les allégations figurant dans l’avis d’allégation relatif aux brevets 606 et 274. Ces deux derniers brevets viennent à expiration environ deux ans après le brevet 732. Abbott, par conséquent, aurait pu interjeter appel, en faisant valoir qu’elle aurait pu obtenir une ordonnance d’interdiction produisant ses effets pendant deux ans après l’expiration de l’ordonnance d’interdiction relative au brevet 732. Or Abbott n’a pas interjeté appel, et le délai pour ce faire est désormais expiré.

 

3)      La préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[20]           La principale question en litige dans le présent appel est de savoir si le juge O’Keefe a appliqué correctement la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée pour empêcher Pharmascience de plaider l’allégation d’invalidité du brevet 732 figurant dans son second avis d’allégation. Pharmascience soutient que le juge de première instance n’aurait pas dû recourir ainsi à la doctrine de la préclusion, Abbott ne l’ayant pas plaidée, et le juge ayant mal établi et appliqué le critère pour le recours à cette doctrine. Tel que je le préciserai dans l’analyse qui suit, toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il y ait le moindre motif de s’écarter des conclusions du juge O’Keefe sur cette question.

 

a)      Le défaut de plaider la doctrine de la préclusion

[21]           Le premier point soulevé par Pharmascience relativement à la question de la préclusion, c’est que le juge O’Keefe n’aurait pas dû prendre en considération cette doctrine puisqu’Abbott avait omis de la plaider dans son avis de demande. Cette omission lui a porté préjudice, étant donné elle n’a pu présenter de preuve sur la question de la préclusion, ni contre‑interroger les témoins d’Abbott sur cette question.

 

[22]           Ce que Pharmascience oublie de reconnaître, toutefois, c’est que les motifs du jugement dans l’affaire invoquée par Abbott au soutien de ses prétentions de préclusion ont été prononcés plus de dix mois après le dépôt par Abbott de son avis de demande dans le cadre de la présente affaire. C’est en effet le 5 décembre 2003 qu’Abbott a déposé son avis de demande; les motifs du juge Gibson dans Pharmascience I n’ont pour leur part été prononcés que le 1er octobre 2004, et n’ont acquis un caractère définitif qu’au moment du rejet par la Cour d’appel, le 29 juin 2005, de l’appel interjeté par Pharmascience. On ne pouvait donc s’attendre, avant que n’entrent en jeu les décisions de ces cours, à ce que Abbott soulève comme argument la doctrine de la préclusion au moment de la présentation de l’avis de demande, ni en tout état de cause avant le 29 juin 2005. La seule étape qu’il restait alors pour Abbott à franchir consistait à déposer son mémoire des faits et du droit, et, dans ce mémoire, elle a bel et bien soulevé la question de la préclusion.

 

[23]           Pharmascience ajoute que, même si Abbott n’avait pas à plaider la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans son avis de demande initialement déposé, elle aurait dû modifier cet avis une fois prononcés les motifs du juge Gibson. Abbott, toutefois, a plutôt soulevé la question – ce qui constituait la démarche la plus raisonnable – dans son mémoire des faits et du droit. Pharmascience, ainsi, a appris lors de la communication de ce mémoire que serait soulevée la question de le préclusion. On pourrait alors soutenir que, si elle estimait cela irrégulier, Pharmascience pourrait présenter une requête en ce sens en vertu de l’article 58 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106. Ce qui est plus important encore, toutefois, c’est que si Pharmascience avait réellement estimé subir un préjudice, elle aurait dû faire valoir son objection devant le juge O’Keefe et demander un ajournement si elle jugeait cela nécessaire pour qu’elle puisse étudier la question. Or Pharmascience ne l’a pas fait. Ne s’étant pas opposée à la première occasion à ce qu’Abbott plaide la doctrine de la préclusion, Pharmascience n’a maintenant aucun motif pour soulever une telle objection.

 

b)      Devait-on appliquer la doctrine de la préclusion?

[24]           Le juge O’Keefe était convaincu qu’on avait démontré l’existence de tous les éléments du critère d’applicabilité de la doctrine de la préclusion et que, de la sorte, il convenait de lui donner application. Le juge O’Keefe estimait tout particulièrement qu’une partie devait tout mettre en œuvre pour faire valoir dès la première occasion l’ensemble de ses arguments relativement à une question, puis que la doctrine de la préclusion s’appliquait en vue d’empêcher cette partie de soulever des arguments additionnels quant à la même question lors d’une instance subséquente. Ayant conclu qu’avait été soulevée devant le juge Gibson la question de l’invalidité du brevet 732, le juge O’Keefe a statué que Pharmascience était empêchée par préclusion de soulever devant lui des arguments additionnels, comme l’évidence et l’antériorité, pour étayer sa prétention d’invalidité du brevet 732. Il a conclu, en outre, que les circonstances ne justifiaient pas qu’il exerce par exception son pouvoir discrétionnaire pour refuser l’application de la préclusion.

 

[25]           Dans le présent appel, Pharmascience soutient que le juge O’Keefe a établi et appliqué erronément le critère d’applicabilité de la doctrine de la préclusion. Je ne souscris toutefois pas aux arguments avancés par Pharmascience à cet égard, pour les motifs que je vais maintenant préciser.

 

i)        Le critère d’applicabilité de la doctrine de la préclusion

[26]           À diverses reprises, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’expliquer la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, paragraphe 23, la juge Arbour a décrit la préclusion découlant d’une question déjà tranchée comme étant « un volet du principe de l’autorité de la chose jugée (l’autre étant la préclusion fondée sur la cause d’action), qui interdit de soumettre à nouveau aux tribunaux des questions déjà tranchées dans une décision antérieure ».

 

[27]           Dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, paragraphe 33,  (Danyluk), le juge Binnie a expliqué que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devait faire l’objet d’une analyse à deux volets :

Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant (en l’occurrence l’intimée) a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité. Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée.

 

[28]           Les conditions d’application de la préclusion d’une question déjà tranchée évoquées dans Danyluk sont celles énoncées dans les motifs de lord Guest dans l’arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (N° 2), [1967] 1 A.C. 853, cités de manière favorable par les juges majoritaires dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Angle c. Canada (Ministre du Revenu national), [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254 (Angle) :

[traduction]

[…] (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leur ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit […]

 

[29]           Dans Danyluk, au paragraphe 33, le juge Binnie a insisté pour dire qu’il ne fallait pas appliquer machinalement ce critère :

Les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. (Il existe des intérêts privés correspondants).

 

 

 

[30]           Pharmascience ne conteste pas que la décision du juge Gibson était finale ou que les parties dans la présente affaire étaient les mêmes que les parties dans l’affaire précédente. Elle conteste toutefois les conclusions du juge O’Keefe relatives à la première condition d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, en soutenant que les questions à trancher dans la présente affaire et l’affaire précédente sont différentes, que la question de l’invalidité du brevet 732 n’était pas un élément fondamental de la décision du juge Gibson et qu’elle n’avait pas été tenue dans l’affaire précédente de faire valoir la totalité de ses arguments concernant l’invalidité du brevet 732. Pharmascience soutient également que, même si l’on supposait qu’il avait apprécié correctement les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le juge O’Keefe aurait dû exercer par exception le pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour ne pas appliquer la doctrine de la préclusion compte tenu des circonstances de l’affaire.

 

ii)       La similitude des questions dans les deux instances

[31]           Pharmascience soutient que pour que s’applique la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la même question doit être soulevée dans les deux affaires en cause. Or, selon elle, le juge Gibson n’a examiné dans sa décision que la valeur des allégations de contrefaçon dans l’avis d’allégation; il n’a pas tranché la question de l’invalidité du brevet 732. Les commentaires du juge Gibson sur la validité du brevet étaient une opinion incidente, Pharmascience soutient-elle, et ils étaient donc annexes à la question principale qui a été tranchée.

 

[32]           Dans Angle, la Cour suprême du Canada a statué qu’en vue d’établir si la question a ou non été tranchée dans une affaire précédente, le tribunal doit déterminer si cette question était fondamentale à la décision antérieure :

Il ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l'affaire antérieure ou qu'elle doive être inférée du jugement par raisonnement. Cela ressort clairement des termes employés par le Juge en chef De Grey dans l'arrêt Duchess of Kingstons, (1776), 20 St. Tr. 355, 538n., cités par Lord Selborne dans Reg. v. Hutchings, (1881), 6 Q.B.D. 300, à la p. 304, et par Lord Radcliffe dans Society of Medical Officers of Health v. Hope, [1960] A.C. 551. La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été "fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé" dans l'affaire antérieure : d'après Lord Shaw dans l'arrêt Hoystead v. Commissioner of Taxation, [1926] A.C. 155. Les auteurs de l'ouvrage Spencer Bower and Turner, Doctrine of Res Judicata, 2e éd. pp. 181, 182, cité par M. le Juge Megarry dans l'arrêt Spens v. I.R.C., [1970] 3 All. E.R. 295, à la p. 301, décrivent dans les termes suivants la nature de l'examen auquel on doit procéder:

 

[traduction]

[...] si la décision sur laquelle on cherche à fonder la fin de non-recevoir a été "si fondamentale" à la décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira. [Non souligné dans l’original.]

 

[33]           Il est indéniable que Pharmascience a soulevé la question de l’invalidité du brevet 732 dans l’affaire précédente. Au paragraphe 4 de ses motifs, le juge Gibson a repris comme suit les allégations formulées dans le premier avis d’allégation et en faisant ressortir la prétention de Pharmascience selon laquelle le brevet 732 étaient invalide parce que les revendications s’y rapportant avaient une portée plus large que l’invention divulguée :

[…] Pharmascience explique, dans son avis d’allégation, que le procédé utilisé pour fabriquer la forme II de sa clarithromycine ne contrefait pas le brevet canadien

no 2261732 et, à titre subsidiaire, que si sa clarithromycine est visée par les revendications 16 à 21 du brevet, les revendications en question ont une portée plus large que l’invention réalisée et divulguée et que le brevet est par conséquent invalide [Non souligné dans l’original.]

 

[34]           Il ressort de la décision du juge Gibson que lorsqu’il a décidé que le premier avis d’allégation était insuffisant, il a conclu qu’il aurait pu trancher l’affaire pour ce seul motif. Le juge Gibson a toutefois ensuite examiné le bien-fondé des allégations d’invalidité formulées dans l’avis d’allégation, pour conclure en bout de ligne que celles-ci n’étaient pas fondées. Relativement à l’argument d’invalidité, le juge Gibson a conclu comme suit, au paragraphe 122 :

Vu ce qui précède, je suis convaincu qu’une interprétation de la divulgation du brevet 732 qui serait assez large pour englober le procédé que le fournisseur de Pharmascience utilise ou se propose d’utiliser est tout à fait acceptable et que les revendications du brevet ne débordent pas de ce fait le cadre de l’exposé de l’invention ou des revendications sur lesquelles il repose. Autrement dit, je suis convaincu, d’après la preuve soumise à la Cour, que Pharmascience ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer le bien-fondé de l’allégation d’invalidité des revendications 16 à 21 du brevet 732 pour cause de portée excessive. [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           La question qui se pose est de savoir si la question de l’invalidité était « fondamentale » à la décision du juge Gibson. Or, même si ce dernier utilise des termes pouvant donner à penser que ses conclusions quant au fond sur les allégations d’invalidité de Pharmascience étaient une opinion incidente, ces conclusions étaient en fait fondamentales à la décision qu’il a rendue. La demande visée à l’article 6 du Règlement est présentée par une première personne souhaitant que le tribunal rende une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à une seconde personne. Aux termes du paragraphe 6(2) du Règlement, le tribunal ne rendra une ordonnance à l’égard d’un brevet que si aucune des allégations liées à ce brevet dans l’avis d’allégation n’est fondée. Le juge Gibson a conclu seulement que les allégations du premier avis concernant l’absence de contrefaçon ne suffisaient pas. Il n’a pas tiré une conclusion équivalente relativement à l’allégation d’invalidité. Pour satisfaire au critère prévu au paragraphe 6(2) pour la délivrance d’une ordonnance d’interdiction, par conséquent, le juge Gibson se devait d’examiner le bien-fondé de l’allégation d’invalidité. C’est seulement après avoir conclu que n’était pas fondée l’allégation de Pharmascience portant sur l’invalidité du brevet 732 que le juge Gibson pourrait délivrer l’ordonnance d’interdiction demandée par Abbott pour empêcher Pharmascience de commercialiser la clarithromycine, jusqu’à l’expiration du brevet 732. L’appréciation par le juge Gibson du bien-fondé de l’allégation d’invalidité était, par conséquent, un élément fondamental de sa décision.

 

[36]           Pharmascience soutient en outre que, selon le régime prévu par le Règlement, il est loisible à une seconde personne de signifier de multiples avis d’allégation où est alléguée l’invalidité d’un seul et même brevet. Selon Pharmascience, chaque motif d’invalidité, qu’il s’agisse de la portée excessive, de l’antériorité, de l’évidence ou de l’inutilité, constitue une question distincte aux fins de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée. Ainsi, puisque seule a été soulevée devant le juge Gibson la question de la portée excessive, les autres motifs d’invalidité, comme l’antériorité et l’évidence, que Pharmascience fait valoir dans le second avis d’allégation, ne pourraient être écartés par préclusion fondée sur une question déjà tranchée.

 

[37]           Le juge O’Keefe a rejeté cet argument au motif qu’il est requis en droit que les parties mettent tout en œuvre dès la première occasion pour établir la véracité de leurs allégations. Dans Danyluk, la Cour suprême du Canada a formulé les principes généraux suivants (le juge Binnie, paragraphe 18) au sujet de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée :

Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances.  Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire.  Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative.  L’appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE.  Elle a perdu.  Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause.  Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action.  Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités. [Non souligné dans l’original.]

 

[38]           Le juge Binnie a également expliqué plus tard (paragraphe 54) que la préclusion « vise les questions de fait, les questions de droit ainsi que les questions mixtes de fait et de droit qui sont nécessairement liées à la résolution de cette "question" dans l’instance antérieure ».

 

[39]           Dans Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2004] 2 R.C.F. 85, paragraphe 25 (C.A.F.) (P&G), le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême), s’exprimant au nom de la Cour, a cité en l’approuvant le passage suivant (page 9) des motifs de lord Denning dans l’arrêt Fidelitas Shipping Co. Ltd. c. V/O Exportchleb, [1965] 2 All E.R. 4 (C.A.) :

[TRADUCTION]

Mais dans le cadre d'un seul litige, il est possible de soulever plusieurs questions déterminantes du sort de toute la cause. Il convient alors d'appliquer la règle selon laquelle, d'ordinaire, les parties ne sont pas autorisées à débattre à nouveau une question litigieuse qu'elles ont déjà soulevée et débattue. Aucune d'entre elles ne peut soulever la même question litigieuse au cours de la même action ou d'une action subséquente, sauf en des circonstances spéciales [...] Et dans le cadre d'un seul litige, il peut exister plusieurs points sur lesquels l'une ou l'autre des parties peut s'appuyer pour prouver ses allégations et obtenir gain de cause. La règle veut alors que chaque partie doit faire preuve de diligence pour invoquer tous les points susceptibles de la favoriser. Si une partie, soit par négligence, inadvertance ou même accident, omet de soulever un point particulier (qui lui aurait permis, ou peut-être permis d'obtenir gain de cause), elle peut se voir refuser l'occasion de soulever à nouveau ce point-là, du moins dans la même action et dans toute action subséquente portant sur le même point. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[40]           Quelle est donc alors la « question » qu’a tranchée le juge Gibson? S’agit-il de la question générale de l’invalidité, ou de la question plus particulière de la portée excessive? Les dispositions suivantes de l’alinéa 5(1)b) du Règlement doivent guider la réponse à cette question :

5. (1)  Lorsqu’une personne dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

 

5. (1)  Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

 

[…]

 

 

b)  soit une allégation portant que, selon le cas :

 

(b)  allege that

 

(i)  la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)c) est fausse,

 

(i)  the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

 

(ii)  le brevet est expiré,

 

(ii)  the patent has expired,

 

(iii)  le brevet n’est pas valide,

 

(iii)  the patent is not valid, or

 

(iv)  aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

(iv)  no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

 

[41]           Ce que le Règlement oblige notamment la seconde personne à établir, c’est que le brevet est invalide ou qu’il ne serait pas contrefait. En d’autres mots, la « question » à trancher est celle de l’invalidité ou de l’absence de contrefaçon. Les motifs particuliers au moyen desquels la seconde personne souhaite démontrer l’invalidité, que ce soit l’évidence, l’antériorité, la portée excessive ou encore l’absence de prédiction valable ne constituent pas des questions distinctes aux fins de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée, ne constituant plutôt simplement que des façons différentes pour la seconde personne d’aborder la question de l’invalidité. On n’autorisera donc habituellement pas qu’un même fabricant de génétique présente de multiples avis d’allégation relativement à un médicament particulier en alléguant l’invalidité d’un brevet particulier, même si chaque avis porte sur des motifs différents d’invalidité. Il peut toutefois y avoir exception à cette règle, comme les juges majoritaires l’ont mentionné dans P&G (paragraphe 22), dans les cas où la partie intéressée n’a pu découvrir des faits pertinents liés à la question, même en faisant preuve de diligence raisonnable, lors du premier litige. Il ne s’agit pas d’une pareille exception en l’espèce. Pharmascience ne conteste pas qu’elle aurait pu soulever des motifs d’invalidité additionnels dans le premier avis d’allégation, mais soutient uniquement qu’il lui est permis de scinder ses prétentions en vertu du régime établi par règlement.

 

[42]      Aucune des décisions invoquées par Pharmascience ne nécessite qu’on s’écarte des principes susmentionnés. En citant cette jurisprudence, Pharmascience s’efforce de démontrer que la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont approuvé dans des décisions antérieures le recours successif à différents avis d’allégation où l’on faisait valoir l’invalidité d’un brevet. J’estime toutefois erronée l’interprétation par Pharmascience des conclusions tirées dans ces affaires. Ces conclusions, si on les examine avec soin, sont en fait entièrement conformes à celle selon laquelle on n’autorisera habituellement pas la présentation de multiples avis d’allégation où alléguée l’invalidité. Dans AB Hassle et al. c. Apotex Inc. et al. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216 (C.F.), confirmée par 2006 CAF 51, aux paragraphes 73 et 76 (AB  Hassle), la juge Layden-Stevenson a résumé avec justesse l’état de la jurisprudence quant aux affaires comme celles citées par Pharmascience en l’espèce :

La règle générale, telle qu'énoncée dans le jugement P & G , est qu'une partie à une instance ne peut soulever une question qu'elle pouvait ou aurait pu soulever dans une instance précédente entre les parties. Quoique cette forme de préclusion soit de moindre force, lorsque les conditions sont réunies, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de refuser d'appliquer la préclusion.

 

[…]

 

Si je comprends bien, la jurisprudence permettrait de présenter un avis d'allégation subséquent lorsqu'un précédent avis d'allégation a dû être retiré parce qu'il n'était pas conforme aux exigences du Règlement ou lorsque le deuxième avis d'allégation est distinct du premier (parce qu'il concerne une formulation différente, par exemple) ou bien lorsqu'un vice de forme constaté à l'égard du premier avis a ouvert la porte à la présentation d'un nouvel avis.

 

[43]      Dans une affaire citée par Pharmascience au soutien de son argumentation, Bayer AG c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. n° 1593, le juge Gibson avait à décider si constituait un abus de procédure le dépôt d’un cinquième avis d’allégation par un fabricant de génériques. Dans ses motifs, le juge Gibson avait examiné une jurisprudence établissant comme principe que ne constitue pas un abus de procédure la présentation au tribunal par le même fabricant des génériques de plus d’un avis d’allégation, à la condition que ceux-ci soient distincts les uns des autres. L’élément essentiel que Pharmascience omet toutefois de prendre en compte lorsqu’elle examine cette décision, c’est l’analyse faite par le juge Gibson de ce qu’il convient de considérer comme « distinct ». Le juge Gibson avait ainsi conclu que le cinquième avis d’allégation en cause dans cette affaire n’était pas distinct, comme il ne visait qu’à renforcer par de nouveaux éléments de preuve les allégations déjà formulées dans le quatrième avis. Le juge Gibson semble en outre avoir donné son adhésion au principe susmentionné selon lequel les fabricants de génériques sont tenus de faire valoir dans leurs avis d’allégation tous les faits importants qu’ils auraient pu découvrir en faisant preuve de diligence raisonnable. Le juge a ainsi conclu que le cinquième avis d’allégation constituait un abus de procédure, puisqu’on n’avait pas expliqué suffisamment pourquoi on n’avait pas présenté les nouveaux éléments de preuve dans l’avis précédent.

 

[44]      Pharmascience s’appuie également sur Bayer AG c. Apotex Inc., 2003 CF 1199, une décision rendue ultérieurement par le juge Gibson et mettant en cause les mêmes parties. Les avocats de Pharmascience ont fait allusion à cette décision dans leur plaidoirie, sans préciser toutefois quels en étaient les passages pertinents. Après examen des motifs de cette décision, je ne vois pas en quoi elle pourrait venir en aide à l’appelante. Le juge Gibson explique en effet (au paragraphe 28) que, bien que la demanderesse ait fait état de la question de la préclusion dans la demande de redressements figurant dans l’avis introductif d’instance, elle ne l’a pas mentionnée dans son mémoire des faits et du droit ni ne l’a plaidée devant la cour. La question de la préclusion n’a par conséquent pas été examinée dans les motifs du jugement.

 

[45]      Pharmascience a également cité l’arrêt de la Cour, AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183 (AstraZeneca). On alléguait dans cette affaire que le dépôt par un fabricant de génériques d’un second avis d’allégation constituait un abus de procédure. Avant de trancher la question, le juge Evans a commencé par réitérer comme principe « qu’une seconde personne qui répète une allégation dans un second avis d’allégation commet un abus de procédure, à moins que les fondements juridiques et factuels soient distincts de ceux qui étayaient l’allégation antérieure » (AstraZeneca, paragraphe 21). Le juge Evans a ensuite évalué les deux avis d’allégation en cause et conclu que les allégations dans l’un et l’autre avis étaient distinctes, de sorte qu’il n’y avait pas abus de procédure. Il existe toutefois deux différences essentielles entre l’affaire qui nous occupe et l’affaire citée, qui empêchent son application à la présente affaire. Premièrement, dans AstraZeneca, premièrement, Apotex Inc. avait retiré son premier avis d’allégation parce qu’elle avait de la difficulté, en établissant la formulation de son médicament, à satisfaire aux normes réglementaires en matière d’innocuité et d’efficacité. AstraZeneca avait donc mis fin à la procédure d’interdiction qu’elle avait précédemment engagée, de sorte que, fait important, les allégations figurant dans le premier avis d’allégation n’avaient pas été examinées sur le fond par un tribunal. Ces faits diffèrent radicalement des faits en l’espèce, le juge Gibson ayant examiné le premier avis d’allégation à l’audience, pour ensuite statuer quant au fond sur les allégations formulées.

 

[46]      La seconde différence existant entre AstraZeneca et la présente affaire est d’importance capitale. Dans AstraZeneca, on faisait valoir l’absence de contrefaçon, et non l’invalidité, dans les deux avis d’allégation concernés. Or, comme l’a expliqué la juge Layden-Stevenson dans AB Hassle, il peut être permis de présenter plus d’un avis d’allégation où l’on fait valoir l’absence de contrefaçon lorsque sont en cause des formulations différentes du même médicament générique. L’on peut concevoir que si un fabricant de génériques apporte d’importantes modifications à sa formulation d’un médicament pour éviter de contrefaire le brevet inscrit, il pourrait présenter une nouvelle allégation faisant valoir l’absence de contrefaçon par le nouveau produit. De même manière, si c’était le procédé de fabrication du médicament générique qui contrefaisait le brevet, un nouveau procédé adopté par le fabricant de génériques pourrait occasionner le dépôt d’un avis d’allégation subséquent faisant valoir l’absence de contrefaçon. Cela ne veut pas dire que des modifications mineures apportées à une formulation ou à un procédé suffiront pour que soit autorisé un nouvel avis d’allégation. Un nouvel avis ne sera autorisé que pour une modification d’importance. Il ne sera pas permis de présenter plus d’un avis d’allégation faisant valoir l’invalidité, par contre, vu que le fondement factuel ne varie pas en fonction de la situation entourant le produit générique. Ainsi des avis d’allégation subséquents faisant valoir l’invalidité ne seront habituellement pas autorisés, sauf si un fait important n’a pu être découvert malgré que l’on ait fait preuve de diligence raisonnable au moment du dépôt du premier avis. Le juge Evans a bien fait ressortir cette distinction dans AstraZeneca; il semble d’après ses motifs qu’Apotex avait sensiblement modifié la formulation de son médicament entre le premier et le second avis d’allégation. Le second, par conséquent, était autorisé, étant donné que le fondement factuel des allégations y figurant était distinct du fondement pour le premier avis.

 

[47]      Pharmascience a également cité AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (1997), 71 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge MacKay avait instruit ensemble un certain nombre de demandes présentées par des entreprises pharmaceutiques innovatrices souhaitant obtenir la même mesure de redressement contre Apotex, un fabricant de génériques. Dans chaque affaire, Apotex avait signifié des avis d’allégation successifs aux entreprises innovatrices à l’égard des mêmes brevets. Ces entreprises avaient par conséquent présenté une requête interlocutoire afin que les avis soient déclarés nuls et, subsidiairement, que l’instance soit suspendue pour motif de res judicata. Le juge MacKay avait rejeté ces deux demandes. Quant à la première, il avait suivi la décision rendue par la Cour dans Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209, pages 214 à 216, portant que les requêtes interlocutoires ne sont pas souhaitables dans le cas d’une instance sous le régime du Règlement; il convient plutôt que la cour qui instruise la demande prévue à l’article 6 et apprécie le poids ou l’importance à accorder à un avis d’allégation subséquent. On peut, bien sûr, distinguer la présente affaire de l’affaire Pharmacia puisque la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été soulevée devant le juge saisi de la demande. En ce qui concerne la deuxième demande, le juge MacKay a décidé que les avis d’allégation ultérieurs étaient suffisamment distincts des avis précédents pour empêcher que s’applique la doctrine de la res judicata. Dans l’avis d’allégation en litige devant le juge MacKay, on alléguait l’absence de contrefaçon pour divers motifs. Or comme je l’ai déjà dit, on peut distinguer les cas où les avis d’allégation ont trait à l’absence de contrefaçon de ceux où les avis ont trait à l’invalidité du brevet. Puisque la contrefaçon constitue une situation de fait qui varie en fonction de la formulation du médicament produit par le fabricant de génériques et du procédé utilisé par ce fabricant, entre autres choses, la présentation de multiples avis d’allégation alléguant l’absence de contrefaçon pourrait être autorisée. De multiples avis alléguant l’invalidité du brevet, par contre, seront rarement acceptables.

 

[48]      Pharmascience cite également la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1504, dans laquelle la juge Tremblay-Lamer avait refusé de conclure qu’un second avis d’allégation portant sur l’invalidité d’un brevet constituait un abus de procédure au motif qu’un avis précédent portant sur l’absence de contrefaçon avait fait l’objet d’une décision. La décision de la juge Tremblay-Lamer ne saurait nous être utile, toutefois, puisqu’en l’espèce c’est l’invalidité qu’on faisait valoir dans les deux avis concernés.

 

[49]      En résumé, c’est à juste titre que le juge O’Keefe a conclu qu’en l’espèce on avait réussi à établir l’existence des conditions d’application de la préclusion. À moins donc que Pharmascience puisse convaincre la Cour que c’est à tort que le juge O’Keefe a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine de la préclusion, le présent appel devra être rejeté.

 

iii)     Le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion

[50]      La prétention suivante de Pharmascience a trait au pouvoir discrétionnaire conféré au juge, lorsqu’est plaidée la question de la préclusion, de refuser par exception d’appliquer cette doctrine. Pharmascience soutient que les circonstances en l’espèce permettaient amplement au juge O’Keefe d’exercer ce pouvoir discrétionnaire. Je ne suis pas du même avis.

 

[51]      Je citerai comme point de départ la déclaration de la Cour suprême du Canada dans Danyluk (au paragraphe 62) selon laquelle, dans le contexte de décisions judiciaires, les circonstances justifieront rarement l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire :

L’appelante fait valoir que la Cour doit néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser l’application de la préclusion. Il ne fait aucun doute que ce pouvoir discrétionnaire existe. Dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. Naken, [1983] 1 R.C.S. 72, le juge Estey a souligné, à la p. 101, que dans le contexte d’une instance juriciaire « ce pouvoir discrétionnaire est très limité dans son application ». À mon avis, le pouvoir discrétionnaire est nécessairement plus étendu, à l’égard des décisions des tribunaux administratifs, étant donné la diversité considérable des structures, missions et procédures des décideurs administratifs. [Non souligné dans l’original.]

 

[52]      Dans P&G, le juge Rothstein a ajouté (au paragraphe 28) que « [l]’application limitée du pouvoir discrétionnaire est d’origine très ancienne. Dans la jurisprudence antérieure, le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer les principes de la chose jugée était limité à des "circonstances exceptionnelles" ».

 

[53]      Dans Danyluk, le juge Binnie a expliqué (au paragraphe 67) que ce pouvoir discrétionnaire vise à assurer que l’application de la préclusion n’entraîne pas une injustice dans un cas donné : « l’objectif est de faire en sorte que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrète dans une affaire donnée ». Selon le juge Binnie, les éléments pertinents quant à l’application ou non du pouvoir discrétionnaire varieront d’une affaire à l’autre.

 

[54]      Les motifs du juge O’Keefe nous en apprennent peu sur les éléments qu’il a pris en compte pour refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion. Ses seuls commentaires sur la question se trouvent au paragraphe 43 :

La défenderesse a soutenu que, même si le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et entendre la demande. Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. Il n’y a pas suffisamment d’éléments justifiant que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire.

 

[55]      Dans la plupart des cas, une décision discrétionnaire commande la retenue et une cour d’appel n’a pas la liberté de simplement substituer l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge de première instance (Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367, paragraphe 13 (C.A.F.)). Dans une affaire comme celle qui nous occupe, toutefois, où les motifs expliquant la décision discrétionnaire du juge de première instance sont inadéquats, la cour d’appel procédera à une analyse plus approfondie :

Lorsque, comme en l'espèce, le juge n'a donné aucune raison justifiant sa décision, le devoir de la Cour est d'« examiner le dossier pour déterminer si on a porté à la connaissance des juges des requêtes des documents qui auraient pu servir de fondement à l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire conformément aux règles de droit et aux exigences de la justice ». (Sark c. Abegweit Band Council, [1996] A.C.F. n° 532 (C.A.F.))

 

[56]      Dans Reynolds c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1995] A.C.F. n° 1612 (C.A.F.), la Cour a décrit comme suit ce principe (au paragraphe 4) :

Comme il s’agissait de décisions discrétionnaires, la Cour ne peut qu’examiner le dossier pour déterminer si on a porté à la connaissance des juges des requêtes des documents qui auraient pu servir de fondement à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire conformément aux règles de droit et aux exigences de la justice.

 

[57]      Dans sa plaidoirie, Pharmascience a mis de l’avant deux facteurs militant, selon elle, en faveur de l’exercice à son profit du pouvoir discrétionnaire. Premièrement, Pharmascience aurait été prise au dépourvu parce qu’Abbott n’a pas allégué la question de la préclusion dans ses actes de procédure. Elle subirait une injustice dans ces circonstances, selon elle, si Abbott devait avoir gain de cause avec son argumentation sur la question de la préclusion.

 

[58]      L’argument de Pharmascience fondé sur le défaut d’Abbott d’alléguer la préclusion dans son avis de demande a déjà été examiné et rejeté. Abbott ne pourrait pas alléguer la préclusion lorsqu’elle a déposé à l’origine son avis de demande puisque le fait donnant lieu à la préclusion, savoir le prononcé des motifs du juge Gibson, n’était pas encore survenu, et la décision en cause, il va sans dire, n’avait pas acquis un caractère définitif. En outre, Pharmascience devait s’opposer à la tentative d’Abbott de soulever l’argument relatif à la préclusion dès que possible après avoir appris qu’il n’avait pas été allégué dans ses actes de procédure. Ayant omis de faire valoir devant le juge O’Keefe qu’elle en subirait un préjudice, Pharmascience ne peut maintenant prétendre mériter que soit prise la décision discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion.

 

[59]      Le second facteur important pertinent quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, selon Pharmascience, c’est qu’au moment où elle a signifié le second avis d’allégation, il était permis en droit que de multiples avis d’allégation portent sur la même question. Pharmascience ajoute alors que, même s’il y a eu depuis modification du droit de sorte qu’on ne puisse plus présenter des avis d’allégation successifs en raison de la doctrine de la préclusion, elle ne doit pas être pénalisée en ne pouvant invoquer le droit tel qu’il existait au moment en cause.

 

[60]      Contrairement à ce que prétend Pharmascience, toutefois, il n’y a pas eu passage en droit d’une situation où il était permis de présenter de multiples avis alléguant l’invalidité à une autre où agir ainsi donne lieu à l’application de la préclusion. Comme je l’ai expliqué dans la section précédente, Pharmascience n’a pu citer aucune décision où l’on ait accepté la présentation de multiples avis alléguant l’invalidité. La Cour et la Cour fédérale n’ont autorisé la présentation d’avis successifs que dans les cas où les allégations y figurant pouvaient être considérées distinctes, comme lorsque le fabricant de génériques invoque une nouvelle formulation ou un nouveau procédé pour la fabrication d’un médicament, ou lorsqu’il y a eu retrait de l’avis d’allégation précédent avant la tenue d’une audience.

 

[61]      La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est un concept qui existe de longue date en common law. Le fait qu’on n’ait jamais expressément examiné dans une décision antérieure la question en litige dans le présent appel ne veut pas dire que le présent arrêt modifie le droit applicable. Comme l’analyse précédente l’a démontré, à vrai dire, le présent arrêt ne fait que confirmer l’état actuel du droit.

 

[62]      Pharmascience, par conséquent, n’a pas réussi à étayer sa prétention selon laquelle il n’était pas loisible au juge O’Keefe de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser l’application de la préclusion.

 

CONCLUSION

[63]      Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu que les motifs du juge O’Keefe soient entachés d’erreur. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« J. Edgar Sexton »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

     Gilles Létourneau, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

     John M. Evans, juge »

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-151-06

 

APPEL INTERJETÉ À L’ENCONTRE D’UNE ORDONNANCE DU JUGE O’KEEFE,  DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 16 MARS 2006, T-2295-03

 

INTITULÉ :                                                                           PHARMASCIENCE INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ 

                                                                                                 et ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 15 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE EVANS

 

DATE DU JUGEMENT :                                                     LE 5 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carol Hitchman

Paula Bremner

 

POUR L’APPELANTE

 

Andrew J. Reddon

Steven G. Mason

 

 

 

Frederick G. Woyiwada

POUR LES INTIMÉeS Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited

 

 

POUR L’INTIMÉ LE Ministre de la Santé 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HITCHMAN & SPRIGINGS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

McCARTHY TÉTRAULT LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES INTIMÉES Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited

 

POUR L’INTIMÉ LE Ministre de la Santé

 

 

 

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