Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20070430

Dossiers : A-182-06

A-185-06

 

Référence : 2007 CAF 171

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE EVANS

Dossier : A-182-06

 

ENTRE :

JEREMY HINZMAN (ALIAS JEREMY DEAN HINZMAN)

LIAM LIEAM NGUYEN HINZMAN (ALIAS LIAM LIEM NGUYE HINZMAN)

ET NGA THI NGUYEN

 

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

 

 

Dossier : A-185-06

 

 

ENTRE :

 

BRANDON DAVID HUGHEY

 

appelant

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 mars 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                              LE JUGE EVANS


Date : 20070430

Dossiers : A-182-06

A-185-06

Référence : 2007 CAF 171

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE EVANS

 

Dossier : A-182-06

ENTRE :

JEREMY HINZMAN (ALIAS JEREMY DEAN HINZMAN)

LIAM LIEAM NGUYEN HINZMAN (ALIAS LIAM LIEM NGUYE HINZMAN)

 ET NGA THI NGUYEN

 

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

 

 

Dossier : A-185-06

 

ENTRE :

 

BRANDON DAVID HUGHEY

 

appelant

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

INTRODUCTION

[1]               Jeremy Hinzman et Brandon Hughey se sont enrôlés volontairement dans l’armée des États‑Unis. Pendant leur séjour dans l’armée, ils ont commencé à concevoir une objection à la guerre en Iraq, laquelle les a amenés à croire que la guerre était illégale et immorale. Après avoir appris que leur unité serait déployée en Iraq, ils ont déserté et sont venus au Canada, où ils ont demandé l’asile.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a examiné les demandes d’asile de M. Hinzman et de M. Hughey (qui seront collectivement nommés dans les présents motifs les « appelants ») et a conclu que les appelants ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Par conséquent, la Commission a statué que les appelants n’avaient pas le droit de rester au Canada en tant que réfugiés.

 

[3]               En Cour fédérale, la juge Mactavish a rejeté les demandes de contrôle judiciaire des appelants et a certifié une question qui est reproduite plus loin dans les présents motifs (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 420, Hughey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 421).

 

[4]               Les demandeurs se pourvoient maintenant en appel devant la Cour. Cependant, pour les motifs qui suivent, je ne vois aucune raison de m’écarter des conclusions tirées par la Commission et par la juge Mactavish, selon lesquelles les appelants n’ont pas droit au statut de réfugié. En conséquence, je rejetterais les appels.

 

[5]               Les présents motifs sont exposés pour les deux appels (A-182-06 et A-185-06). Une copie sera placée dans le dossier de chacun des appels.

 

LES FAITS DE L’APPEL HINZMAN

[6]               À la fin de l’année 2000, Jeremy Hinzman s’est enrôlé pour quatre ans dans l’armée des États‑Unis. Il a décidé de se joindre à l’armée parce que celle‑ci lui fournirait une aide financière qui lui permettrait d’aller à l’université au terme de son engagement et parce qu’il croyait que l’armée avait la mission noble et élevée d’accomplir de bonnes choses. Il a choisi précisément de devenir fantassin parce qu’il voulait [traduction] « faire l’expérience de l’essence même de l’armée ».

 

[7]               Avant de s’enrôler, M. Hinzman se serait tourné vers le bouddhisme. Néanmoins, quand il a commencé son service militaire, il ne semblait pas nourrir de réserve à l’idée de porter les armes ou d’accomplir d’une autre façon son devoir de soldat.

 

[8]               Cependant, M. Hinzman a témoigné que, pendant sa formation de base, il a été soumis à un processus de désensibilisation visant à déshumaniser l’ennemi, lequel l’a amené à mettre en question son engagement dans l’armée.

[9]               Après avoir terminé sa formation, M. Hinzman a été affecté à Fort Bragg. Bien qu’il fût un excellent soldat, M. Hinzman a continué de remettre en question sa participation imminente au combat. Il a affirmé devant la Commission qu’il vivait [traduction] « une sorte de double vie », faisant paraître qu’il était le [traduction] « soldat des soldats » alors qu’au fond de lui‑même, il nourrissait de plus en plus de réserve à l’idée de tuer. En fin de compte, il a conclu qu’il ne pourrait pas tuer et que la violence ne faisait qu’engendrer la violence.

 

[10]           Par conséquent, M. Hinzman a demandé le 2 août 2002 d’être affecté à des tâches non reliées au combat à titre d’objecteur de conscience, conformément au règlement militaire 600-43. Bien qu’il ait inscrit dans sa demande qu’il n’appartenait à aucune secte ou organisation religieuse, il a noté que, au cours des dernières années, il avait découvert une conception du monde modelée par les enseignements du bouddhisme, laquelle l’a amené à constater qu’il était incapable de tuer. Il a également déclaré dans sa demande que, en janvier 2002, son épouse et lui avaient commencé à assister à des réunions de la Société religieuse des Amis, ou Quakers, une Église prêchant le pacifisme. Conformément à la procédure militaire applicable aux objecteurs de conscience, trois jours après avoir déposé sa demande pour obtenir le statut d’objecteur de conscience, M. Hinzman a été affecté au poste de garde à l’entrée de la base de Fort Bragg.

 

[11]           Pour des raisons qui ne sont pas claires, la première demande de M. Hinzman pour obtenir le statut d’objecteur de conscience n’a pas été examinée sur le fond. Il a donc déposé une nouvelle demande en octobre 2002, après avoir appris que son unité serait déployée en Afghanistan. M. Hinzman croyait que les États‑Unis avaient un motif légitime d’aller en Afghanistan, car il était convaincu de l’existence de liens entre le régime taliban à l’époque au pouvoir en Afghanistan et al‑Qaida, l’organisation terroriste responsable des attentats survenus le 11 septembre 2001 aux États‑Unis. M. Hinzman est donc allé en Afghanistan, où il a été affecté aux cuisines, en raison de sa demande pendante pour obtenir le statut d’objecteur de conscience.

 

[12]           Une audience concernant la demande de M. Hinzman pour obtenir le statut d’objecteur de conscience a été tenue le 2 avril 2003, pendant qu’il était en Afghanistan. Bien que le premier lieutenant Dennis Fitzgerald, qui avait été nommé officier enquêteur, fût convaincu que M. Hinzman s’opposait sincèrement à la guerre sur les plans philosophique, social et intellectuel, il a conclu que M. Hinzman ne satisfaisait pas à la définition d’objecteur de conscience, telle qu’énoncée dans le règlement militaire 600‑43, parce que M. Hinzman avait fait savoir que, malgré son incapacité à participer à des attaques, il serait en mesure de participer à des opérations de défense et de maintien de la paix. Le premier lieutenant a donc rejeté la demande de M. Hinzman visant l’obtention du statut d’objecteur de conscience. Le premier lieutenant Fitzgerald a également conclu que M. Hinzman se servait de sa demande de statut d’objecteur de conscience pour quitter l’infanterie, une conclusion fondée en partie sur une inférence défavorable et apparemment erronée du premier lieutenant, qui a cru M. Hinzman n’avait demandé le statut d’objecteur de conscience qu’après avoir appris qu’il serait déployé en Afghanistan.

 

[13]           Bien que M. Hinzman se soit plaint de s’être trouvé dans l’impossibilité de citer des témoins à comparaître à l’audience parce que celle‑ci avait lieu en Afghanistan alors que les témoins qu’il aurait appelés à comparaître se trouvaient aux États‑Unis, il n’a pas demandé d’ajournement de l’audience, comme le lui permettait le règlement militaire 600‑43. En outre, M. Hinzman a choisi de ne pas exercer son droit d’interjeter appel de la décision du premier lieutenant, parce que, à son retour aux Étas‑Unis, il se sentait épuisé et croyait qu’il ne servirait à rien de pousser l’affaire plus loin.

 

[14]           M. Hinzman est par la suite retourné aux États‑Unis et a recommencé à accomplir son devoir normal de fantassin. En décembre 2003, il a appris que son unité serait déployée en Iraq le 16 janvier 2004. Cependant, il était déterminé à ne pas combattre en Iraq, car il croyait que la campagne militaire des États‑Unis là‑bas était illégale et immorale. En conséquence, M. Hinzman a décidé de déserter.

 

[15]           M. Hinzman, ainsi que son épouse et son fils, est entré au Canada le 3 janvier 2004 et a déposé sa demande d’asile environ trois semaines plus tard. Celle‑ci était fondée sur les croyances de M. Hinzman décrites ci‑dessus.

 

[16]           M. Hinzman soutient que, s’il est renvoyé aux États‑Unis, il sera poursuivi pour désertion et recevra sans doute une peine d’un à cinq ans à purger dans une prison militaire.

 

LES FAITS DE L’APPEL HUGHEY

[17]           Brandon Hughey s’est volontairement joint à l’armée américaine le 30 juin 2002 à l’âge de 17 ans, alors qu’il était encore élève à l’école secondaire. Il s’est présenté à son poste le 9 juillet 2003. Comme M. Hinzman, il s’est enrôlé pour quatre ans. M. Hughey a affirmé dans son témoignage s’être joint à l’armée pour obtenir l’aide financière qui lui permettrait d’aller au collège et parce qu’il croyait qu’il valait la peine de combattre pour certaines choses.

 

[18]           M. Hughey a appris qu’il y avait une guerre en Iraq pendant sa formation de base. Bien qu’il ait présumé à l’origine que la guerre en Iraq pouvait être justifiée, il a plus tard changé d’avis, de sorte que lui aussi croit que la guerre en Iraq est illégale.

 

[19]           M. Hughey a témoigné que, pendant qu’il se trouvait en permission de son unité, du 20 novembre 2003 au 18 décembre 2003, il a fait des recherches sur les opérations militaires menées par les États‑Unis en Iraq, lesquelles l’ont conforté dans son opposition à la guerre. Quand il est retourné à son lieu d’affectation, Fort Hood, M. Hughey a dit à son sous-officier sergent-major qu’il ne croyait pas que les opérations militaires en Iraq était morales et lui a demandé de l’aider à obtenir une libération de l’armée. On a répondu à M. Hughey qu’il ne devait pas trop réfléchir à la question, qu’il avait signé un contrat et que l’officier supérieur ne ferait rien pour l’aider à obtenir une réponse favorable à sa demande. M. Hughey a plus tard lancé un appel semblable à un autre officier supérieur, qui lui a donné une réponse semblable. 

 

[20]           Par des recherches sur Internet, M. Hughey a découvert qu’un activiste antiguerre, Carl Rising‑Moore, était prêt à aider des soldats à déserter. Après avoir été contacté par M. Hughey en février 2004, M. Rising‑Moore a accepté de l’aider à entrer au Canada et lui a expliqué que la seule possibilité était de demander l’asile à son arrivée.

 

[21]           Pendant que M. Hughey et M. Rising‑Moore s’échangeaient des courriers électroniques, M. Hughey a appris qu’il serait envoyé en Iraq. Il a donc quitté sa base et est entré au Canada avec M. Rising‑Moore le 5 mars 2004. M. Hughey a demandé l’asile environ un mois plus tard, pour le motif qu’il craignait avec raison d’être persécuté aux États‑Unis en raison des ses opinions politiques.

 

[22]           Dans son témoignage, M. Hughey a déclaré qu’il croyait que, s’il retournait aux États‑Unis, il risquait de recevoir une peine d’un à cinq ans de prison et peut‑être même plus, car l’armée sait, à cause d’entrevues qu’il a données au Canada, qu’il a demandé l’asile à l’étranger. Il a également affirmé que, au cours de sa formation de base, les sergents instructeurs avaient dit aux soldats qu’ils pouvaient être exécutés s’ils désertaient.

 

LES DÉCISIONS DE LA COMMISSION

1)      La décision interlocutoire sur l’admissibilité d’une preuve

[23]           M. Hinzman a introduit une requête préliminaire devant la Commission afin de pouvoir produire une preuve établissant que la guerre en Iraq est illégale selon le droit international. Il a soutenu que cette preuve sur l’illégalité de la guerre était pertinente dans le cadre de sa demande, car il serait alors une personne visée par le paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Guide) des Nations Unies, un document auquel on reconnaît un « caractère fort persuasif » pour déterminer si une personne peut prétendre au statut de réfugié : Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, à la page 659.

 

[24]           Le paragraphe 171 du Guide est rédigé ainsi : 

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

[25]           M. Hinzman a soutenu devant la Commission qu’une guerre illégale constitue une action militaire « condamné[e] par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires » au sens du paragraphe 171 du guide, de sorte que toute peine infligée pour la désertion d’une guerre illégale constituerait de la persécution.

 

[26]           La Commission n’était pas d’accord. À son avis, l’action militaire condamnée comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires dont il est question au paragraphe 171 du Guide vise précisément les actes qu’un soldat serait tenu d’accomplir « sur le terrain » et non la légalité du conflit dans son ensemble. Par conséquent, la Commission a conclu que l’illégalité de la guerre en Iraq n’était pas une question pertinente dans le cadre de la demande d’asile de M. Hinzman et a donc refusé d’admettre la preuve relative à cette question.

 

[27]           Les appelants sont représentés par le même avocat. En outre, la demande de M. Hughey a été entendue par le même commissaire qui avait précédemment jugé l’affaire Hinzman. Compte tenu de la décision de la Commission relativement à la requête préliminaire dans l’affaire Hinzman, l’avocat des appelants n’a pas essayé de produire une preuve quant à l’illégalité de la guerre en Iraq dans l’affaire Hughey

 

2)      Les décisions quant au fond des demandes d’asile

[28]           Bien que la Commission ait rendu des motifs distincts dans les décisions Hinzman et Hughey, les deux demandes ont été rejetées essentiellement pour les mêmes motifs. Je résumerai donc ensemble les principales conclusions de la Commission.

[29]           La Commission a d’abord souligné qu’il existe en droit des réfugiés une présomption selon laquelle les États sont capables de protéger leurs citoyens. De même, la Commission a noté qu’il existe une présomption selon laquelle les lois ordinaires d’application générale, comme les lois américaines sur la désertion, ne sont pas source de persécution. Après avoir procédé à une analyse détaillée, la Commission a conclu que les appelants n’avaient pas réfuté les présomptions de protection de l’État et de neutralité des lois et, pour ce motif, que leur demande d’asile ne pouvait être accueillie.

 

[30]           La Commission s’est également penchée sur la prétention des demandeurs selon laquelle l’action militaire des États‑Unis en Iraq s’accompagne de graves violations du droit humanitaire international qui sont condamnées par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires. Les appelants soutiennent que, en raison de ces violations du droit humanitaire international, le paragraphe 171 du Guide énonce que toute peine qui leur serait infligée pour avoir refusé de participer à de tels actes constituerait en soi de la persécution. La Commission a rejeté cet argument après un examen minutieux de la preuve soumise visant à établir quelle était la conduite « sur le terrain » de l’armée américaine en Iraq. Selon la Commission, les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuves pour démontrer que, s’ils étaient envoyés en Iraq, ils devraient personnellement commettre des actes condamnés par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires.

 

[31]           Finalement, la Commission a examiné si la peine à laquelle les demandeurs devraient faire face à leur retour aux États‑Unis constituait en soi de la persécution. Selon la Commission, les appelants auraient à montrer, pour prouver cette prétention, que les dispositions pertinentes de l’Uniform Code of Military Justice (UCMJ) (le code uniforme de justice militaire) des États‑Unis seraient appliquées dans leur cas d’une manière discriminatoire ou constituant une peine ou un traitement cruel ou inusité. Les appelants, d’après la Commission, n’ont prouvé ni l’un ni l’autre de ces cas de figure. Par conséquent, les demandes d’asile des appelants ont été rejetées.

 

LES DÉCISIONS DE LA COUR FÉDÉRALE

[32]           Les appelants ont demandé le contrôle judiciaire des décisions de la Commission devant la Cour fédérale. L’interprétation et l’application du paragraphe 171 du Guide ont été une des questions les plus importantes soumises à la juge Mactavish. Selon les appelants, la Commission a eu tort d’exclure la preuve relative à l’illégalité de la guerre en Iraq pour le motif qu’elle n’était pas pertinente dans le cadre de leur demande d’asile, la Commission a commis une erreur en concluant que les appelants n’avaient pas prouvé que les violations du droit humanitaire international commises par l’armée américaine en Iraq n’étaient pas généralisées et la Commission leur a imposé un fardeau trop lourd en exigeant qu’ils démontrent qu’ils auraient eu à participer à des actes illégaux s’ils étaient allés en Iraq.

 

[33]           Après avoir exposé ses motifs en détail, la juge Mactavish a rejeté toutes les prétentions des appelants concernant le paragraphe 171. Elle a conclu que, dans le cas d’un simple fantassin, le paragraphe 171 ne vise que la conduite « sur le terrain » du fantassin en question, et non la légalité de la guerre même. En outre, elle a estimé que la conclusion de la Commission selon laquelle les violations du droit humanitaire international commises par l’armée américaine en Iraq n’étaient pas généralisées ou approuvées par l’État était une conclusion de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. À son avis, les appelants n’ont pas réussi à réfuter la conclusion de la Commission selon cette norme. De même, la juge Mactavish était convaincue que la Commission avait appliqué la bonne norme de preuve quand il s’agissait de juger si les appelants avaient démontré qu’ils auraient eu à participer à des actes illégaux en Iraq.

 

[34]           Finalement la juge Mactavish a examiné s’il était raisonnable pour la Commission de conclure que les appelants n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Elle a conclu que la Commission en était venue à une décision convenable. À son avis, parce qu’il n’existe pas de droit reconnu internationalement de s’opposer à une guerre en particulier en tant qu’objecteur de conscience, outre les circonstances décrites expressément au paragraphe 171 du Guide, circonstances dont l’existence dans les affaires à l’étude n’a pas été prouvée, le fait que les appelants puissent être traduits en justice à leur retour aux États-Unis ne montre pas l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens et ne constituait pas de la persécution fondée sur les opinions politiques.

 

[35]           Par conséquent, la juge Mactavish a conclu qu’il n’y avait aucun motif de modifier les décisions de la Commission. Elle a également certifié la question suivante :

Dans le cas d’une demande d’asile présentée par un simple fantassin, la question de savoir si un conflit donné est illégal selon le droit international est‑elle pertinente à la décision que doit prendre la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

 

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[36]           L’article 95 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), confère le statut de réfugié aux personnes qui sont des réfugiés au sens de la Convention, alors que l’article 96 de la LIPR définit qui est un réfugié au sens de la Convention. Ces articles sont rédigés ainsi :

 

95. (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

 

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

 

 

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

 

 

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

 

 

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l’asile est conféré et dont la demande n’est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

 

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

 

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

 

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

 

(2) A protected person is a person on whom refugee protection is conferred under subsection (1), and whose claim or application has not subsequently been deemed to be rejected under subsection 108(3), 109(3) or 114(4).

 

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

ANALYSE

1)      Introduction

[37]           La question certifiée demande à la Cour de décider si une preuve concernant l’illégalité d’une action militaire est pertinente dans le cadre d’une analyse relative au paragraphe 171 du Guide. Cependant, pour prétendre au statut de réfugié, les appelants doivent d’abord convaincre la Cour qu’ils ont demandé la protection de leur État sans pouvoir l’obtenir ou, à titre subsidiaire, qu’on ne peut s’attendre objectivement à ce que leur État les protège. À mon sens, pour les motifs qui suivent, les appelants ont été incapables de satisfaire au premier critère et il n’est donc pas nécessaire de procéder à la seconde étape de l’analyse, où la question certifiée pourrait être pertinente. Par conséquent, je choisirais de ne pas répondre à la question certifiée et je rejetterais les appels.

 

2)      La norme de contrôle

[38]           La juge Mactavish a bien établi que les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 420, au paragraphe 199, Hughey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 421, au paragraphe 186). Comme l’analyse qui suit le démontrera, je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle les appelants n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État était raisonnable.

 

3)      La protection de l’État et la persécution

[39]           Dans leur mémoire de faits et du droit, les appelants conviennent que, pour obtenir l’asile, ils doivent satisfaire à la définition de « réfugié au sens de la Convention » énoncée à l’article 96 de la LIPR :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[40]           Les appelants soutiennent que, s’ils sont renvoyés aux États‑Unis, ils risquent de recevoir une peine d’un à cinq ans de prison pour désertion. Selon eux, cette peine constitue de la persécution fondée sur leur opinion politique selon laquelle la guerre en Iraq est illégale et immorale. En outre, ils soutiennent que, parce que leur présumé persécuteur est l’État même, il s’ensuit nécessairement que l’État ne peut les protéger de la persécution. Par conséquent, les demandeurs soutiennent qu’ils sont des réfugiés au sens de la Convention.

 

[41]           L’examen des demandes d’asile des appelants doit avoir comme point de départ la directive énoncée par la Cour suprême du Canada selon laquelle l’asile est censé constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 709  (Ward), le juge La Forest, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a expliqué ce concept comme suit :

Il est utile d'examiner, au départ, la raison d'être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l'interprétation des divers termes à l'étude.  Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants.  Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement.  La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée. [Non souligné dans l’original.]

 

[42]           Les appelants affirment craindre d’être persécutés s’ils sont renvoyés aux États‑Unis. Cependant, pour obtenir l’asile, ils doivent également démontrer que leur crainte est fondée objectivement : voir Ward, à la page 723. Pour établir si la crainte d’être persécuté qu’éprouve un demandeur d’asile est fondée objectivement, la première étape de l’analyse consiste à évaluer si le demandeur peut être protégé de la persécution alléguée par son État d’origine. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans Ward, à la page 722,  « [i]l est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection :  c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée […] » Quand l’État offre une protection suffisante, le demandeur ne peut pas prouver que sa crainte d’être persécuté est fondée objectivement et, par conséquent, il ne peut pas se voir accorder l’asile. Ce n’est qu’en l’absence de protection étatique que la cour doit passer à la seconde étape, où elle examine si la conduite que le demandeur assimile à de la persécution peut fournir un fondement objectif à une crainte de persécution. Si l’illégalité de la guerre est bel et bien pertinente, ce ne serait qu’à cette seconde étape que la cour aurait à se pencher sur cette question. Cependant, parce que j’ai conclu que les appelants n’ont pas été en mesure de satisfaire à la première étape de l’analyse, c’est‑à‑dire montrer que les États‑Unis sont incapables de les protéger, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions relevant de la seconde étape, y compris la pertinence de la légalité de la guerre en Iraq.

 

[43]           Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême a expliqué à la page 725 que, en droit des réfugiés, il existe une présomption de protection de l’État :

[…] il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.  En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

 

[44]           La Cour suprême a déclaré que, pour réfuter cette présomption, « il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » : Ward, à la page 724.

 

[45]           Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, à la page 534 (C.A.F.), le juge Décary a donné des précisions sur ce principe et a souligné que, plus un pays est démocratique, plus le demandeur d’asile devra faire d’efforts pour obtenir la protection de son État d’origine :

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[46]           Les États‑Unis sont un pays démocratique où les pouvoirs des trois branches du gouvernement sont limités par un système de freins et contrepoids, ce qui comprend un appareil judiciaire indépendant et des protections constitutionnelles assurant l’équité du processus. Les appelants ont donc le lourd fardeau de devoir réfuter la présomption selon laquelle les États‑Unis sont en mesure de les protéger et, pour ce, ils doivent prouver qu’ils ont épuisé tous les recours disponibles aux États‑Unis sans avoir obtenu gain de cause avant de demander l’asile au Canada. Dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.) (Satiacum), à la page176, il a été demandé à la Cour de se pencher sur une prétention selon laquelle la protection étatique aux États‑Unis était insuffisante et la Cour a formulé des commentaires sur la difficulté de la tâche incombant au demandeur tentant d’établir l’absence de protection étatique aux États‑Unis :

Dans le cas d'un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États-Unis, il se peut qu'il faille aller jusqu'à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l'indépendance ou le sens de l'équité des juges est en cause.

 

[47]           Bien que les États‑Unis, comme d’autres pays, aient adopté des dispositions punissant les déserteurs, ils ont également mis sur pied un système complet comprenant de nombreuses protections d’ordre procédural pour l’application juste de ces dispositions. En particulier, le règlement militaire 600‑43 reconnaît officiellement la validité de l’objection de conscience au service militaire en prévoyant l’exemption du service militaire ou l’affectation à des tâches non reliées au combat pour les objecteurs de conscience. Les soldats qui souhaitent se prévaloir de ces exemptions de combat sont couverts par de nombreuses protections d’ordre procédural, y compris le droit à une audience et le droit d’interjeter appel. Ils sont également affectés dès qu’ils en font la demande à un poste où ils n’ont pas à combattre, une disposition dont a profité M. Hinzman quand il a été affecté au poste de garde à l’entrée de la base de Fort Bragg et aux cuisines pour la durée de son affectation en Afghanistan.

 

[48]           En outre, bien que la peine pour désertion peut aller jusqu’à l’emprisonnement, la preuve révèle que la vaste majorité des déserteurs de l’armée américaine n’a pas été poursuivie ni traduite devant un tribunal militaire. Au contraire, environ 94 % des déserteurs ont vu leur cas être réglé administrativement et ont simplement reçu une libération moins qu’honorable de l’armée (pièce M‑5, dossier d’appel à la page 2420).

 

[49]           La Commission a conclu qu’aucune preuve ne montrait que les appelants n’auraient pas été entièrement protégés par la loi s’ils avaient été traduits devant un tribunal militaire aux États‑Unis. Elle a conclu que, si les demandeurs devaient être traduits devant un tribunal militaire, ils auraient été assujettis à un système de justice militaire sophistiqué qui respecte les droits de la personne en service, qui garantit un contrôle en appel et qui permet dans une certaine mesure d’avoir recours à la Cour suprême des États‑Unis, comme le précisent l’UCMJ et le Manual for Courts-Martial of the United States (guide à l’intention des cours martiales des États‑Unis).

 

[50]           Ni M. Hinzman ni M. Hughey n’ont tenté adéquatement de se prévaloir de la protection offerte par les États‑Unis. Bien que M. Hinzman ait demandé le statut d’objecteur de conscience, il ne s’est pas prévalu de tous les recours dont il disposait. En particulier, il n’a pas profité de son droit de demander que l’audience concernant sa demande de statut d’objecteur de conscience soit reportée jusqu’à son retour aux États‑Unis, où il aurait pu citer à comparaître les témoins voulus, et il ne s’est pas prévalu de son droit d’interjeter appel de la décision défavorable rendue en première instance. Comme la Commission, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable de penser que M. Hinzman aurait pu pousser plus loin sa demande de statut d’objecteur de conscience après avoir appris que le premier lieutenant Fitzgerald n’avait pas tranché en sa faveur.

[51]           Contrairement à M. Hinzman, M. Hughey n’a pas demandé le statut d’objecteur de conscience, pas plus qu’il n’a entrepris d’autre démarche officielle pour éviter d’avoir à combattre, ce à quoi il s’oppose en raison de ses opinions politiques. Les tentatives de M. Hughey pour obtenir la protection des États‑Unis semblent se limiter aux discussions qu’il a eues avec ses officiers supérieurs au sujet de la possibilité d’être libéré de l’armée et lors desquelles il s’est fait répondre qu’il ne pouvait obtenir de telle libération. Il ne s’est apparemment pas informé auprès d’autres personnes, comme un aumônier ou un avocat, sur les possibilités qui s’offraient à lui. 

 

[52]           Plutôt que de tenter de se prévaloir de la protection qui leur était possiblement offerte aux États‑Unis, les appelants sont venus au Canada pour demander l’asile. Cependant, comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ward, le demandeur ne peut obtenir l’asile s’il n’a pas tenté adéquatement d’obtenir la protection que lui offrait son pays d’origine.

 

[53]           Les appelants contestent ce raisonnement en soutenant qu’il n’est pas nécessaire de prouver que l’État ne protège pas ses citoyens quand l’État est l’agent de persécution. Ils invoquent la décision Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 3, au paragraphe 19 (C.F. 1re inst.), pour avancer que, lorsque l’État persécute le demandeur d’asile, la protection est par définition inexistante. Ils notent que, dans Ward, il était question des actions d’une entité non étatique qui aurait persécuté le demandeur. Selon les appelants, ce n’est que dans ce cas qu’il convient pour la Cour d’examiner si l’État était capable de protéger le demandeur d’asile de son persécuteur.

 

[54]           Toutefois, les concepts de persécution et de protection de l’État sont interreliés de telle manière que la question de savoir si un demandeur d’asile a tenté de se prévaloir des mécanismes de protection fournis par l’État est pertinente autant lorsque le présumé persécuteur est un organe de l’État que lorsque le présumé persécuteur est une entité non étatique. L’élément fondamental du système de protection des réfugiés veut que la crainte de persécution du réfugié soit fondée objectivement (Ward, à la page 723). Quand le demandeur d’asile prétend être persécuté par l’État même, l’examen de l’existence de protection étatique doit porter sur la question de savoir si le demandeur a une raison objective de craindre d’être persécuté. Si l’État peut protéger efficacement un demandeur ayant des convictions religieuses et politiques, il peut difficilement être affirmé qu’il existe une possibilité sérieuse que l’État soit un persécuteur, de façon à fonder objectivement la crainte de persécution. Par conséquent, la présomption de protection étatique décrite dans Ward s’applique autant dans les cas où une personne prétend craindre d’être persécutée par des entités non étatiques que dans les cas où l’État serait le persécuteur. Cette présomption est d’autant plus applicable quand l’État d’origine est un pays démocratique comme les États‑Unis. Nous devons respecter la capacité des États‑Unis de protéger les convictions profondes de ses citoyens. Le Canada ne peut accorder l’asile à un demandeur que s’il est prouvé de façon claire et convaincante qu’aucune protection n’était offerte ou qu’elle était inefficace au point où la conduite de l’État constituait de la persécution.

 

[55]           Selon un deuxième argument avancé par les appelants, il est affirmé dans Ward que le demandeur d’asile ne doit tenter d’obtenir la protection offerte par son pays d’origine que si la protection « aurait pu être raisonnablement assurée ». D’après leur évaluation de la situation, la protection que les États‑Unis offrait aux demandeurs ne satisfaisait pas à ce critère. Ils affirment que, aux États‑Unis, le principe de l’objection de conscience ne protège pas les personnes qui ne s’opposent qu’à certaines guerres plutôt qu’à toutes les guerres. Les appelants soutiennent que, parce qu’ils appartiennent à la première catégorie, il ne peut être affirmé que leur protection « aurait pu être raisonnablement assurée » par les États‑Unis de façon telle qu’ils auraient dû tenter d’obtenir cette protection. En outre, les appelants avancent qu’ils ne pourraient pas contester la légalité de la guerre en Iraq devant un tribunal américain en raison de la doctrine américaine concernant les questions politiques qui, selon eux, en fait des questions non justiciables. D’après les appelants, à la lumière de cette doctrine, leur seule possibilité serait de faire appel à la branche exécutive, un recours illusoire, à leur avis, puisque c’est la branche exécutive qui a décidé d’aller en guerre en Iraq. 

 

[56]           Je ne peux être d’accord. Une lecture attentive de l’arrêt Ward montre que, lorsque la Cour suprême du Canada a adopté le critère formulé par le professeur Hathaway (selon lequel l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État « aurait pu raisonnablement être assurée »), elle n’avait pas pour but de permettre au demandeur d’asile de se soustraire facilement à l’exigence de demander la protection de son pays d’origine avant de demander l’asile à l’étranger. Le juge La Forest précise dans la phrase suivante de ses motifs, à la page 724, que le critère doit être objectif :

[…] le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine [...]

 

[57]           Les arrêts Kadenko et Satiacum ensemble montrent que, dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui‑ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles : Kadenko, à la page 534, Satiacum, à la page 176. Selon l’ensemble de ces précédents, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Compte tenu du fait que les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste, je conclus que les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant. En conséquence, je conclus qu’il était objectivement déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir pris de mesure tangible pour tenter d’obtenir la protection des États‑Unis avant de demander l’asile au Canada.

 

[58]           Dans les circonstances, il est difficile de conclure que les appelants ne seraient pas protégés adéquatement aux États‑Unis en raison de leurs convictions, sans preuve claire qu’ils se soient trouvés dans cette situation. Les objections de M. Hinzman au combat transcendent la guerre en Iraq et sont issues, eu moins en partie, de ses croyances religieuses et spirituelles. Il aurait donc très bien pu être considéré comme un objecteur de conscience s’il avait utilisé tous les recours pour faire avancer sa demande. M. Hughey pourrait avoir plus de difficulté à obtenir le statut d’objecteur de conscience parce qu’il ne s’oppose qu’à l’action militaire en Iraq pour des raisons politiques. Toutefois, sans preuve montrant qu’il a tenté d’obtenir cette protection, il est impossible de savoir s’il aurait obtenu du succès. De toute façon, les libérations pour objection de conscience ne sont pas le seul moyen par lequel un soldat peut quitter l’armée avant le terme de son engagement. Des statistiques produites par la Couronne révèlent qu’environ 94 % des déserteurs de l’armée américaine n’ont pas été poursuivis ni emprisonnés, mais ont simplement vu leur cas être réglé administrativement en recevant une libération moins qu’honorable de l’armée. Bien sûr, un soldat qui tente de négocier sa libération avant de déserter aura encore plus de chance d’être réformé par une mesure administrative. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirment les appelants, cette statistique donne à penser que faire appel à la branche exécutive n’est pas un recours illusoire. 

 

[59]           Dans sa plaidoirie, l’avocat des appelants a mis en question les statistiques sur les peines infligées aux déserteurs en soutenant qu’elles avaient été compilées avant le début de l’action militaire américaine en Iraq. Cependant, il n’a pu nous montrer de preuve contraire. En outre, il y a des motifs de croire que les statistiques n’auraient pas été considérablement différentes. Comme l’a noté Lord Hoffman dans Sepet c. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKHL 15 (H.L.), au paragraphe 44, la présence de soldats qui invoquent leurs convictions religieuses pour s’objecter au combat peut causer plus de mal que de bien parce que leur réticence à engager volontairement le combat peut les rendre inefficaces et parce qu’ils sont probablement des personnes éloquentes qui tenteront de communiquer leurs croyances à leurs collègues. Par conséquent, il peut être dans l’intérêt supérieur de l’armée de donner satisfaction à ceux qui s’objectent au combat en les libérant tous simplement de leur service militaire.

 

[60]           De plus, bien que la Commission ait estimé que les appelants risquaient de recevoir une peine d’un à cinq ans de prison s’ils étaient renvoyés aux États‑Unis, il ne peut s’agir que d’une opinion sur ce que feraient les tribunaux américains. Il est important de noter que les motifs de la Commission ne faisaient pas mention de tous les éléments de preuve importants. En particulier, il n’est mentionné nulle par dans les motifs que, selon les statistiques, la vaste majorité des déserteurs ne sont pas poursuivis, encore moins emprisonnés pour leur conduite. Comme l’a énoncé le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n1425 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17, une cour hésitera à faire preuve de retenue envers la décision d’un tribunal quand les motifs de ce dernier présentent en détail la preuve étayant sa conclusion, mais ne font pas mention des éléments de preuve importants appuyant une autre conclusion :

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] »  : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'[il] passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [Non souligné dans l’original.]

 

[61]           Bien que la Commission ait examiné la preuve donnant à penser que les appelants seraient emprisonnés pour désertion s’ils étaient renvoyés aux États‑Unis, elle a omis de faire référence à la statistique importante révélant que la plupart des déserteurs ne sont pas emprisonnés. Cette omission de la Commission laisse croire que son opinion concernant la peine à laquelle les appelants risquent de faire face à leur retour aux États‑Unis a été formée sans égard à la preuve dont elle disposait, donc qu’on ne peut se reposer sur l’opinion de la Commission.

 

4)      Conclusion

[62]           En conclusion, les appelants n’ont pas satisfait à l’exigence fondamentale en droit des réfugiés voulant que le demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine avant de demander à l’étranger la protection offerte par le système des réfugiés. Les appelants auraient disposé de plusieurs mécanismes de protection aux États‑Unis. Cependant, parce que les appelants n’ont pas tenté adéquatement d’obtenir cette protection, il est impossible pour une cour ou un tribunal canadien d’évaluer l’existence de la protection aux États‑Unis. Par conséquent, les demandes d’asile au Canada des appelants ne peuvent être accueillies.

 

LES DEMANDES D’ASILE DE L’ÉPOUSE ET DU FILS DE M. HINZMAN

[63]           L’épouse de M. Hinzman, Nga Thi Nguyen, et son fils, Liam Liem Nguyen Hinzman, ont également demandé l’asile, en invoquant leur appartenance à un groupe social, c’est‑à‑dire la famille immédiate de M. Hinzman. Bien qu’ils soient nommés en tant qu’appelants dans l’appel Hinzman, aucun argument ne les concernait dans le mémoire des faits et du droit déposé pour cet appel ni dans la plaidoirie. En outre, l’ordonnance demandée dans l’appel Hinzman ne mentionnait que l’« appelant », au singulier, et ne semblait donc viser que M. Hinzman. Dans ces circonstances, j’adopte les conclusions de la Commission :

Les demandeurs adultes n'ont produit aucune preuve démontrant que Nga Thi Nguyen ou Liam Liem Nguyen Hinzman feraient face à une possibilité sérieuse de persécution ou à un autre préjudice grave, du fait qu'ils appartiennent à la famille de M. Hinzman, même si ce dernier devait recevoir une peine d'emprisonnement pour désertion. Leurs demandes d'asile reposent sur la preuve de M. Hinzman et ont été présentées conjointement. Étant donné que M. Hinzman n'a pas réussi à établir le bien-fondé de sa demande d'asile, il en va de même de leurs demandes d'asile.

 

 

DISPOSITIF

[64]           Pour les motifs qui précèdent, je ne répondrais pas à la question certifiée et je rejetterais les appels.

 

  « J. Edgar Sexton »

Juge

 

 

 

« Je souscris aux présents motifs

     Robert Décary, juge »

 

«  Je souscris aux présents motifs

     John M. Evans, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-182-06

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 31 MARS 2006 PAR MADAME LA JUGE ANNE MACTAVISH, No IMM-2168-05

 

INTITULÉ :                                                               JEREMY HINZMAN (ALIAS JEREMY DEAN HINZMAN), LIAM LIEAM NGUYEN HINZMAN (ALIAS LIAM LIEM NGUYE HINZMAN) ET NGA THI NGUYEN

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 19 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE DÉCARY

                                                                                    LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 30 AVRIL 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffry A. House

POUR LES APPELANTS

 

Marianne Zoric, Robert Bafaro

et Janet Chisholm

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffry A. House

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-185-06

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 31 MARS 2006 PAR MADAME LA JUGE ANNE MACTAVISH, No IMM-5571-05

 

INTITULÉ :                                                               BRANDON DAVID HUGHEY

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE OF HEARING:                                              LE 19 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE DÉCARY

                                                                                    LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 30 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffry A. House

POUR L’APPELANT

 

Marianne Zoric, Robert Bafaro

et Janet Chisholm

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffry A. House

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 


Date : 20070430

Dossier : A-182-06

 

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2007

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE EVANS     

 

ENTRE :

JEREMY HINZMAN (ALIAS JEREMY DEAN HINZMAN)

LIAM LIEAM NGUYEN HINZMAN (ALIAS LIAM LIEM NGUYE HINZMAN)

 ET NGA THI NGUYEN

 

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

 

 

 

JUGEMENT

 

            L’appel est rejeté et il ne sera pas répondu à la question certifiée.

 

 

« Robert Décary »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


Date : 20070430

Dossier : A-185-06

 

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2007

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE EVANS     

 

ENTRE :

BRANDON DAVID HUGHEY

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

 

 

 

JUGEMENT

 

            L’appel est rejeté et il ne sera pas répondu à la question certifiée.

 

 

« Robert Décary »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 

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