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Date : 20070517

Dossier : A-169-06

Référence : 2007 CAF 192

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

LILLIAN SHNEIDMAN

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 17 avril 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                            LE JUGE MALONE

 


Date : 20070517

Dossier : A-169-06

Référence : 2007 CAF 192

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

LILLIAN SHNEIDMAN

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision rendue par la juge Simpson de la Cour fédérale dans l’affaire Procureur général du Canada c. Lillian Shneidman, 2006 CF 381. La juge Simpson a alors accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada (l’employeur) relativement à la décision rendue par une arbitre nommée en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35 (l’arbitre), selon laquelle le licenciement de Lillian Shneidman par l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) était nul ab initio.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[3]               Mme Shneidman était employée comme agente régionale d’enquête sur les non–déclarants et les non–inscrits, Division de l’exécution et de la vérification, au Bureau des services fiscaux du nord de Toronto de l’ADRC. En 2001, une enquête a été ouverte par la Division des affaires internes de l’employeur à propos d’allégations selon lesquelles Mme Shneidman aurait consulté sans autorisation des renseignements confidentiels de contribuables et les aurait communiqués à un tiers.

 

[4]               Les 7 et 8 mars 2001, Mme Shneidman a rencontré Normand Rodrigue, un enquêteur principal de la Division des affaires internes de l’employeur, Direction générale de la sécurité, qui était chargé d’enquêter sur les allégations. Avant la première rencontre, Mme Shneidman a demandé à M. Rodrigue si elle devrait se faire accompagner par un représentant syndical. M. Rodrigue lui a répondu que cela serait inutile parce qu’un représentant syndical n’aurait pas le droit de s’exprimer pendant la rencontre. Mme Shneidman s’est donc présentée aux rencontres sans être accompagnée d’un représentant syndical.

 

[5]               À la suite de son enquête, M. Rodrigue a rédigé un rapport dans lequel il a conclu au bien‑fondé des allégations faites à l’encontre de Mme Shneidman. Mme Shneidman a alors été priée de répondre à ce rapport. Pour l’aider à préparer sa réponse, l’employeur était disposé à lui permettre d’examiner une version expurgée du rapport avec son représentant syndical. Mme Shneidman voulait cependant examiner une version non expurgée du rapport avec son représentant syndical, ce qui lui a été refusé. L’employeur lui a dit qu’elle pourrait prendre connaissance de la version non expurgée du rapport en présence de son représentant syndical, mais que ce dernier ne pourrait pas examiner le rapport et qu’elle‑même ne pourrait pas prendre de notes. L’employeur estimait que les parties qui avaient été supprimées du rapport ne pouvaient être divulguées qu’à Mme Shneidman parce qu’elles renfermaient des renseignements confidentiels de contribuables. Insatisfaite de ces conditions, Mme Shneidman n’a pas préparé de réponse au rapport. Il a été mis fin à son emploi auprès de l’ADRC le 18 mai 2001.

 

[6]               Le 24 mai 2001, Mme Shneidman a déposé un grief à l’encontre de son licenciement. Le grief était libellé ainsi :

[traduction] Je conteste la lettre de licenciement signée par M. Gerry Troy que m’a remise M. Don Collins le 18 mai 2001. Je soutiens que la décision de me licencier est non justifiée, déraisonnable, excessive et qu’elle est fondée sur des motifs injustes, déraisonnables et insuffisants.

 

 

[7]               Dans la procédure de règlement des griefs de l’ADRC, les griefs concernant un licenciement sont d’abord examinés au dernier palier de la procédure interne de grief. Le grief de Mme Shneidman a été rejeté à ce palier le 26 juin 2003. Mme Shneidman a alors renvoyé son grief à l’arbitrage, et l’audition de ce grief a été fixée aux 25 au 28 mai 2004.

 

[8]               Le 18 mai 2004, soit une semaine avant l’audition, Mme Shneidman a soulevé une objection préliminaire. Elle affirmait que les droits qui lui étaient garantis à l’article 17.02 de la convention collective conclue entre l’Alliance de la fonction publique du Canada et l’ADRC avaient été violés lorsqu’on avait refusé qu’un représentant syndical soit présent pendant ses rencontres avec M. Rodrigue et pendant qu’elle prenait connaissance de la version non expurgée du rapport d’enquête. L’article 17.02 prévoit ce qui suit :

Lorsque l’employé‑e est tenu‑e d’assister à une audition disciplinaire ou à une réunion à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, l’employé‑e a le droit, sur demande, d’être accompagné d’un représentant de l’Alliance à cette réunion. Dans la mesure du possible, l’employé‑e reçoit au minimum une journée de préavis de cette réunion.

 

 

[9]               Selon Mme Shneidman, son licenciement était nul ab initio en raison de la violation de l’article 17.02.

 

[10]           C’est la décision de l’arbitre concernant cette objection préliminaire qui a fait l’objet du contrôle judiciaire instruit par la juge Simpson et du présent appel.

 

LES DÉCISIONS DES INSTANCES INFÉRIEURES

1)      La décision de l’arbitre

[11]           L’arbitre a d’abord tranché la question de savoir si elle avait compétence pour examiner l’objection préliminaire, une question qui dépendait du libellé du grief; celui‑ci devait être suffisamment large pour englober une contestation de la validité de la mesure disciplinaire fondée sur le non‑respect des garanties contractuelles d’une procédure régulière. L’arbitre a conclu que le grief était suffisamment large pour qu’elle ait compétence pour examiner l’objection préliminaire. Selon elle, le grief était libellé de telle façon qu’il englobait tout argument contestant la validité du licenciement, y compris la prétention selon laquelle le licenciement était nul ab initio en raison du non‑respect des garanties contractuelles d’une procédure régulière.

 

[12]           Ensuite, l’arbitre a examiné l’article 17.02 pour déterminer si l’expression « audition disciplinaire » employée dans cette disposition englobait à la fois les réunions d’enquête avec M. Rodrigue et l’examen de la version non expurgée du rapport d’enquête. Selon elle, toutes ces situations étaient des auditions disciplinaires. Refuser à Mme Shneidman l’intervention de son représentant syndical équivalait donc à une violation de l’article 17.02. Selon l’arbitre, la réparation appropriée consistait à rendre nul ab initio le licenciement de Mme Shneidman.

 

2)      La décision de la juge Simpson

[13]           En Cour fédérale, la juge Simpson a statué que l’arbitre avait eu tort d’exercer sa compétence à l’égard de l’objection préliminaire, et elle a accueilli la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[14]           Selon la juge Simpson, l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35 (la LRTFP), qui décrit les types de griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage, fait une distinction entre les griefs se rapportant à des conventions collectives et les griefs se rapportant à des licenciements. À son avis, le grief de Mme Shneidman avait trait seulement à la décision de l’employeur de la licencier et ne se rapportait en rien à des violations de dispositions de la convention collective. La juge Simpson a conclu que, comme Mme Shneidman n’invoquait pas la convention collective dans son grief, l’arbitre n’avait pas compétence pour examiner l’effet de l’article 17.02. Elle a donc annulé la décision de l’arbitre. Compte tenu de cette conclusion, elle a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres aspects de cette décision.

LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           La question de la norme de contrôle applicable à la conclusion de l’arbitre selon laquelle elle avait compétence pour examiner le grief de Mme Shneidman divise considérablement les parties. En Cour fédérale, la juge Simpson a appliqué la norme de la décision correcte à la décision de l’arbitre. Mme Shneidman fait valoir que l’analyse pragmatique et fonctionnelle aurait dû amener la juge Simpson à appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable. De son côté, l’employeur souscrit à la conclusion de la juge Simpson selon laquelle c’est la norme de la décision correcte qui s’applique dans les circonstances.

 

[16]           Il est maintenant bien établi que les tribunaux effectuant le contrôle des décisions rendues par des décideurs administratifs doivent appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 25 (Dr Q), Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 21, Pusphanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 27 (Pushpanathan). La Cour suprême du Canada a expliqué que les questions de compétence sont néanmoins assujetties à l’analyse pragmatique et fonctionnelle : Pusphanathan, au paragraphe 28. Cette analyse exige l’examen de quatre facteurs contextuels : la nature de la question en litige, l’expertise relative du tribunal, la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel ansi que l’objet de la loi et de la disposition particulière : Dr Q, au paragraphe 26. La Cour suprême a cependant insisté sur le fait que les facteurs ne doivent pas être appliqués de façon machinale; la Cour doit, en effectuant l’analyse, établir les questions fondamentales qui ont une incidence sur la norme de contrôle appropriée : Dr Q, au paragraphe 26.

 

[17]           En l’espèce, la Cour est chargée du contrôle d’une décision de la Cour fédérale. À ce deuxième palier d’appel, le rôle de la Cour est de déterminer si le juge chargé du contrôle a choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée. Aussi, les normes usuelles applicables au contrôle en appel d’une décision judiciaire qui sont énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen) s’appliquent : Dr Q, au paragraphe 43, Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41, au paragraphe 7 (Davies). C’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions de droit : Housen, au paragraphe 8. La norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique aux questions de fait : Housen, au paragraphe 10. La même norme s’applique aux questions mixtes de fait et de droit, sauf si le juge du tribunal inférieur a commis une erreur de droit isolable : Housen, au paragraphe 37. La détermination, par le tribunal inférieur, de la norme de contrôle appropriée est une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte : Davies, au paragraphe 8. Par conséquent, il convient que la Cour effectue sa propre analyse pragmatique et fonctionnelle afin de décider si la juge Simpson a appliqué à la décision de l’arbitre la norme de contrôle qu’il fallait.

 

[18]           Le premier facteur dont il faut tenir compte dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle est la nature de la question en litige. La question en litige en l’espèce est de savoir si l’arbitre a interprété correctement les critères établissant les limites de la compétence qui lui est conférée au paragraphe 92(1) de la LRTFP. Il s’agit d’une pure question de droit. En conséquence, la Cour doit faire montre de peu de retenue à l’égard de la décision de l’arbitre.

 

[19]           Un deuxième facteur ayant une incidence sur la norme de contrôle appropriée est l’expertise des arbitres nommés en vertu de la LRTFP relativement à celle des tribunaux concernant la question en litige. Il a déjà été décidé que les décideurs nommés en vertu de la LRTFP possèdent une expertise considérable en matière de relations de travail, notamment en ce qui a trait à l’interprétation des conventions collectives : Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la page 952 (AFPC). La Cour a toutefois aussi statué que les arbitres désignés en vertu de la LRTFP ne peuvent prétendre posséder une expertise quant à l’interprétation de cette loi, ce qui semble indiquer qu’un degré de retenue moindre devrait être démontré à l’égard de leurs décisions : Canada c. Marinos, [2000] 4 C.F. 98, au paragraphe 16 (C.A.F.).

 

[20]           Les autres facteurs dont il faut tenir compte sont la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel et l’objet de la loi. La LRTFP ne renferme ni clause privative ni droit d’appel. Ce facteur est donc neutre quant au degré de retenue qui doit être démontré à l’égard de la décision de l’arbitre. Finalement, l’objet de la loi est d’offrir aux employés de la fonction publique fédérale un régime efficace de règlement des griefs, ce qui pourrait indiquer qu’une certaine retenue s’impose : AFPC, à la page 952, Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734, au paragraphe 9.

 

[21]           Considérés ensemble, ces facteurs m’amènent à conclure que la juge Simpson a eu raison de statuer que la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre concernant sa compétence d’instruite la plainte de Mme Shneidman est celle de la décision correcte.

 

ANALYSE

[22]           La seule question qui a été examinée par l’arbitre dans son analyse portant sur la compétence consistait à déterminer si le libellé du grief de Mme Shneidman était suffisamment large pour qu’elle puisse prétendre que son licenciement était nul ab initio parce que les droits que lui conférait la convention collective en matière de procédure avaient été violés. Selon l’arbitre, le grief était suffisamment large. Elle a donc conclu qu’elle avait compétence pour statuer sur l’objection préliminaire.

 

[23]           Dans le cadre du contrôle judiciaire, la juge Simpson a convenu qu’elle devait déterminer si le grief pouvait être interprété de manière à englober des violations de la convention collective antérieures au licenciement. Elle a toutefois conclu que le grief n’englobait pas une plainte relative aux violations de l’article 17.02 de la convention collective, et elle a accueilli l’appel.

 

[24]           J’estime toutefois qu’il fallait, avant d’examiner la portée du grief, se demander si Mme Shneidman avait « porté » jusqu’au dernier palier, au sens du texte introductif du paragraphe 92(1) de la LRTFP, un grief concernant la violation des droits prévus à l’article 17.02 de la convention collective. Peu importe que le libellé du grief soit suffisamment large pour inclure une plainte de violation de la convention collective ou non, la plainte ne pourra être renvoyée à l’arbitrage – et à la compétence de l’arbitre – que si elle a été portée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Or, ni l’arbitre ni la juge Simpson ne se sont posé la question préliminaire suivante : les prétentions soumises à l’arbitre par Mme Shneidman avaient‑elles été portées jusqu’au dernier palier? Après avoir examiné cette question, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la juge Simpson selon laquelle l’arbitre a commis une erreur en exerçant sa compétence à l’égard de la plainte de Mme Shneidman, laquelle alléguait que les droits qui lui étaient conférés par la convention collective avaient été violés.

 

[25]           Le paragraphe 92(1) de la LRTFP prévoit les conditions qui doivent être remplies pour qu’un grief soit renvoyé à l’arbitrage. Aux termes de cette disposition, seuls les griefs qui sont portés « jusqu’au dernier palier de la procédure applicable » peuvent être renvoyés à l’arbitrage :

 

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

 

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

 

 

 

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

 

 

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

 

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

 

(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

 

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

 

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

 

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

 

 

[26]           Pour renvoyer une plainte à l’arbitrage, l’employée s’estimant lésée doit avoir informé son employeur de la nature exacte de ses doléances tout au long de la procédure interne de grief : Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225, au paragraphe 28 (C.F. 1re inst.) (Rinaldi). Comme le juge Thurlow (alors juge en chef de la Cour fédérale) l’a écrit dans Burchill c. Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.F.), seuls les griefs qui ont été présentés et examinés à tous les paliers internes de la procédure de règlement des griefs peuvent être soumis à l’arbitrage :

À notre avis, après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement au sens du paragraphe 91(1). En vertu de cette disposition, seul un grief présenté et réglé conformément à l’article 90 ou visé à l’alinéa 91(1)a) ou b) peut être envoyé à l’arbitrage. À notre avis, puisque le requérant n’a pas énoncé dans son grief la plainte dont il aurait voulu saisir l’arbitre, à savoir que sa mise en disponibilité n’était, en vérité, qu’une mesure disciplinaire camouflée, rien ne vient donner à l’arbitre compétence pour connaître du grief en vertu du paragraphe 91(1). Par conséquent, l’arbitre n’a pas compétence.

 

(Voir aussi Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 CF 622.)

 

[27]           Lorsque le grief est suffisamment détaillé à première vue, l’employeur sera au courant de la nature de celui‑ci à tous les paliers. Par contre, lorsque, comme en l’espèce, le grief n’indique pas clairement à première vue les motifs d’illégalité sur lesquels elle s’appuiera, l’employée doit préciser, à chaque étape de la procédure interne de grief, la nature exacte de sa plainte si elle entend renvoyer l’affaire à l’arbitrage.

 

[28]           Les deux parties tirent profit de cette obligation d’information. L’employeur doit comprendre la nature des allégations afin d’être en mesure d’y répondre de façon appropriée. Quant à l’employée, l’obligation d’information lui permet de comprendre ainsi les motifs pour lesquels l’employeur a rejeté son grief. En fait, cette obligation a été considérée comme un élément fondamental du processus de conciliation prévu par la LRTFP : Rinaldi, au paragraphe 22.

 

[29]           En l’espèce, même si l’on pourrait soutenir que le libellé du grief de Mme Shneidman était suffisamment large pour englober des violations des garanties contractuelles d’une procédure régulière, une personne qui lirait le grief ne saurait pas qu’elle a l’intention d’alléguer que son droit d’être accompagnée d’un représentant syndical en vertu de l’article 17.02 de la convention collective avait été violé. Mme Shneidman a reconnu implicitement ce fait lorsque, une semaine avant l’audition du grief par l’arbitre, elle a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour l’informer de son intention de soulever la question de la violation de la convention collective au début de l’audition.

 

[30]           Par conséquent, si elle avait l’intention de soulever la question de la présence du représentant syndical dans le cadre de son grief, Mme Shneidman devait présenter des observations à ce sujet au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Ne l’ayant pas fait, elle ne pouvait pas soulever la question devant l’arbitre. En réponse à la question de savoir quel avis avait été donné par Mme Shneidman au sujet de la question de l’absence du représentant syndical, les avocats des deux parties n’ont pu que mentionner deux lettres qu’elle avait écrites. Dans la première, datée du 15 mai 2001 et adressée à Don Collins, le directeur adjoint du Recouvrement des recettes, Mme Shneidman mentionne qu’on a refusé qu’elle soit accompagnée par un représentant syndical. Cette mention n’est toutefois pas suffisante pour porter le grief jusqu’au dernier palier parce que la lettre était antérieure à la date du dépôt du grief, lequel est survenu le 24 mai 2001. En fait, la lettre était également antérieure au licenciement. Dans la deuxième lettre, datée du 29 mai 2001, que Mme Shneidman a fait parvenir à Rob Wright, le commissaire de l’ADRC, il n’est aucunement question du fait qu’on lui a refusé de se faire accompagner par un représentant syndical. Par conséquent, l’arbitre n’avait pas compétence pour examiner l’objection préliminaire de Mme Shneidman.

 

[31]           Ayant conclu que l’arbitre a commis une erreur en considérant qu’elle avait compétence pour statuer sur l’objection préliminaire de Mme Shneidman, il est inutile d’examiner les autres questions soulevées dans le présent appel, à savoir si l’article 17.02 de la convention collective a été violé et quelle réparation serait appropriée dans les circonstances.

 

JUGEMENT

[32]           Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

   « J. Edgar Sexton »

Juge

 

 

 

« Je souscris aux présents motifs

     J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

« Je souscris aux présents motifs

     B. Malone, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             A-169-06

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LA JUGE SIMPSON EN DATE DU 24 MARS 2006, DOSSIER : T-1817-04

 

INTITULÉ :                                                           LILLIAN SHNEIDMAN

                                                                                c.

                                                                                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 17 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LE JUGE PELLETIER

                                                                                LE JUGE MALONE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 17 MAI 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven et Alison Dewar                                POUR L’APPELANTE

 

Neil McGraw                                                           POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne                                     POUR L’APPELANTE

& Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR L’INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

 

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