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Date : 20070531

Dossier : A-245-06

Référence : 2007 CAF 210

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LES INDUSTRIES JAM LTÉE

appelante

et

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

  intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 avril 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mai 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 


Date : 20070531

Dossier : A-245-06

Référence : 2007 CAF 210

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LES INDUSTRIES JAM LTÉE

appelante

et

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) qui confirme la décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de refuser la requête de l’appelante Les industries Jam Ltée (l’appelante) de classer certaines marchandises dans le numéro tarifaire 9948.00.00, taux tarifaire qui élimine ou réduit les droits par ailleurs payables sur les marchandises qui y sont assujetties.

 

[2]               Les marchandises qui font l’objet du présent litige consistent en 29 modèles de synthétiseurs à clavier, de pianos numériques et d’orgues numériques (les claviers), 13 modèles de synthétiseurs sans clavier (collectivement avec les claviers, les instruments de musique) et de quatre cartes d’expansion pour synthétiseurs. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les instruments de musique peuvent être classés dans le numéro tarifaire 9948.00.00 à titre de          « marchandises devant servir dans » des machines automatiques de traitement de l’information    (c.-à-d. des ordinateurs). Le TCCE a statué qu’ils n’en sont pas. En ce qui concerne la norme de contrôle, la présente Cour n'est pas en mesure d’intervenir dans cette décision.

 

LES FAITS

[3]               L’appelante a importé les marchandises en cause et l’ASFC les a classées dans trois numéros tarifaires différents. Les claviers ont été classés dans le numéro tarifaire 9207.10.00 de l’annexe du Tarif des douanes, les synthétiseurs sans clavier ont été classés dans le numéro tarifaire 9209.94.90, alors que les cartes d’expansion ont été classées dans le numéro tarifaire 8543.89.99 du Tarif des douanes.

 

[4]               L’appelante demande à ce que les marchandises soient classées dans le numéro tarifaire  9948.00.00 de façon à bénéficier des avantages du tarif préférentiel. L’ASFC a refusé de classer les marchandises tel que demandé, tout comme le président de cette agence l’a fait lorsque la question lui a été soumise. L’appelante a interjeté appel au TCCE aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1 (la Loi).

 

[5]               Le TCCE a dû interpréter le numéro tarifaire 9948.00.00 dont voici des extraits pertinents :

[...]

9948.00.00 Articles devant servir dans ce qui suit :

 

                                …

 

Machines automatiques de traitement de l’information et leurs unités, lecteurs magnétiques ou optiques, machines de mise d’informations sur support sous forme codée et machines de traitement de ces informations.

 

                                …

 

Parties et accessoires de ce qui précède.

 

[6]               Voici la définition du terme « devant servir dans » tel que formulée au paragraphe 2(1) du Tarif des douanes :

« devant servir dans » ou "devant servir à" Mention dans un numéro tarifaire, applicable aux marchandises qui y sont classées et qui doivent entrer dans la composition d'autres marchandises mentionnées dans ce numéro tarifaire par voie d'ouvraison, de fixation ou d'incorporation. »

"for use in" whenever it appears in a tariff item, in respect of goods classified in the tariff item, means that the goods must be wrought or incorporated into, or attached to, other goods referred to in that tariff item".

 

[7]               Selon la preuve soumise au TCCE, tous les instruments de musique étaient dotés d’une interface MIDI. Le MIDI (interface numérique des instruments de musique) est un protocole grâce auquel des données musicales peuvent être numériquement transmises entre instruments qui en sont munis. Il peut s’agir d’autres instruments de musique ou d’ordinateurs. Pour permettre la réalisation d’un transfert, les instruments doivent être connectés d’une certaine façon, ordinairement au moyen d’un câble dont le type varie en fonction de la nature des instruments à connecter. D’après les éléments de preuve produits devant le TCCE, il appert que lorsque les instruments de musique sont connectés à un ordinateur, l’un et l’autre peuvent alors accomplir des tâches qu’ils ne pourraient autrement réaliser. La question en litige devant le TCCE était donc de déterminer si les instruments de musique étaient des articles « devant servir dans » un ordinateur ou « devant servir avec » un ordinateur. 

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[8]               La décision du TCCE est fondée sur le sens à donner aux termes « devant servir dans ». Le tribunal a commencé son analyse en se penchant sur la définition, précitée, qui se trouve dans la loi et il a conclu que sa version française indique clairement que les marchandises

« devant servir dans » un autre produit doivent entrer dans la composition des marchandises hôtes.  Il y a donc lieu de croire que l’expression « devant servir dans » renvoie à une relation du type de partie à tout.

 

[9]               Le TCCE a ensuite cité sa propre jurisprudence pour affirmer que les marchandises classées dans le numéro tarifaire  9948.00.00  « présentaient une relation particulière avec les marchandises hôtes » c’est-à-dire qu’elles « apportaient un complément à la fonction des marchandises hôtes » : motifs du tribunal, au par. 42. Il s’agit d’une conception différente de l’expression « devant servir

dans » en ce qu’elle renvoie plutôt à la conséquence de la connexion des marchandises (fonctions améliorées) qu’à leur forme (incorporation).

 

[10]           À la lumière de cette analyse, le TCCE a ensuite décidé de se pencher sur la relation entre les instruments de musique et un ordinateur auquel ils pourraient être connectés, pour conclure que les instruments de musique « ne contribuent pas à la fonction d’une machine automatique de traitement de l’information et que l’ordinateur n’en a pas besoin pour fonctionner ou pour exécuter ses fonctions. » : motifs du tribunal, au par. 44. En fait, le TCCE a conclu que l’ordinateur apportait un complément à la fonction des instrument de musique et non l’inverse. En conséquence, le TCCE a tranché que les instruments de musique ne constituaient pas des marchandises « devant servir dans » des machines de traitement de l’information au sens du numéro tarifaire  9844.00.00.

 

[11]           Voici comment le TCCE résume ses conclusions :

Par conséquent, en l’espèce, le Tribunal n’est pas convaincu que les marchandises en cause apportent un complément aux fonctions d’un ordinateur lorsqu’elles y sont connectées. Plutôt, l’inverse semble vrai, c’est-à-dire que leur connexion à un ordinateur permet aux marchandises en cause d’avoir une plus grande capacité. Grâce à la connexion de l’instrument MIDI à un ordinateur, ce sont les fonctions de l’instrument qui se trouvent étendues ou améliorées et non pas celles de l’ordinateur.

 

[Motifs du tribunal, au par. 45.]

 

[12]           En ce qui a trait aux cartes d’extension, le TCCE a conclu que le renvoi aux « parties et accessoires de ce qui précède » dans le numéro tarifaire 9844.00.00 constituait un renvoi aux articles énumérés dans le numéro tarifaire en question et non aux marchandises qui devaient servir dans les articles qui y sont énumérés. Par conséquent, le TCCE a décidé de ne pas inclure les cartes d’expansion dans le tarif préférentiel parce qu’elles ne « devaient pas servir dans » des pièces ou des accessoires d’ordinateurs, mais qu’elles constituaient plutôt des pièces ou accessoires pour les instruments de musique.

 

[13]           Finalement, le TCCE a rejeté l’appel portant sur la décision du président de l’ASFC.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[14]           L’appel de l’appelante se fonde sur le paragraphe 68(1) de la Loi qui est ainsi libellé :

68. (1) La décision sur l'appel prévu à l'article 67 est, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où elle est rendue, susceptible de recours devant la Cour d'appel fédérale sur tout point de droit, de la part de toute partie à l'appel, à savoir :

 

a) l'appelant;

 

b) le président;

 

c) quiconque a remis l'acte de comparution visé au paragraphe 67(2).

68. (1) Any of the parties to an appeal under section 67, namely,

 

 

 

 

 

(a) the person who appealed,

 

(b) the President, or

 

(c) any person who entered an appearance in accordance with subsection 67(2),

 

may, within ninety days after the date a decision is made under section 67, appeal therefrom to the Federal Court of Appeal on any question of law.

 

 

[15]           L’appel de l’appelante se limite à une question de droit qui, soutient-elle, consiste à interpréter l’expression « devant servir dans » tel qu’énoncée au paragraphe 2(1) du Tarif des douanes.

 

[16]           Les questions relatives à l'interprétation du Tarif des douanes sont des questions de droit qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable simpliciter, compte tenu de la très grande expertise que possède le TCCE en matière de classement tarifaire : Agri Pack c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 414, 345 N.R. 1 (C.A.F.), au par. 24 (Agri Pack).

 

[17]           Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 56, la Cour suprême a déclaré qu’une décision est déraisonnable quand :

56 … dans l’ensemble, [elle] n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.  En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.  Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.  […] Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

 

ANALYSE

[18]           À l’audience qui s’est déroulée devant nous, l’appelante et l’intimé ont semblé s’entendre sur le fait que la propre jurisprudence du TCCE a établi que le critère pour déterminer si une marchandise « devait servir dans » une autre marchandise consistait en ce qu’elle était

« physiquement reliée et fonctionnellement unie » à cette autre marchandise. Cette formulation est tirée de la décision antérieure du tribunal dans  Agri-Pack c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), [2004] T.C.C.E. n129, confirmé en appel par l’arrêt Agri Pack.

 

[19]           L’appelante a fait valoir que le TCCE a modifié le critère original en y ajoutant de nouveaux éléments, le rendant ainsi trop sévère, particulièrement en insistant pour que la connexion fonctionnelle doive rehausser la fonctionnalité de la marchandise « hôte », c’est-à-dire l’ordinateur, plutôt que l’article lié à celui-ci, en l’occurrence, les instruments de musique. Enfin, l’appelante fait valoir que le TCCE a erré en droit en s’éloignant de sa propre jurisprudence dans l’application de l’expression  « devant servir dans » contenue dans le numéro tarifaire 9948.00.00.

 

 

[20]           Cet argument pose toutefois un problème. Même si le TCCE s’est éloigné de sa jurisprudence établie, ce seul élément n’établit pas en soi que la décision en l’espèce soit déraisonnable et ne peut constituer un motif distinct de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, la Cour suprême a statué qu’un conflit dans l’interprétation d’une seule et même disposition par des tribunaux différents ou que des interprétations divergentes d’une seule et même disposition par des formations différentes d’un même tribunal ne constituait pas un motif autonome de contrôle judiciaire : voir par. 83 et 93. Si le libellé de la loi étaye chaque interprétation, alors les deux peuvent être retenues.

 

[21]            En dépit du droit fondamental des plaideurs à la cohérence du processus décisionnel administratif et à la prévisibilité des enjeux qui en découle, la Cour suprême a déclaré que le risque d’incohérence dans les décisions constituait le prix à payer pour le choix du législateur d’accorder un pouvoir décisionnel sur certaines questions à des organismes administratifs plutôt qu’aux tribunaux :  

94.  Si le droit administratif canadien a pu évoluer au point de reconnaître que les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, je crois que l'absence d'unanimité est, de même, le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux. Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait, à mes yeux, une grave entorse à ces principes.

 

[Domtar, au par. 94.]

 

[22]           En conséquence, les divergences dans la jurisprudence du TCCE  ne justifient pas l’intervention de notre Cour. La conclusion du TCCE portant que le classement d’une marchandise dans le numéro tarifaire 9948.00.00 n’est possible que si celle-ci complémente la fonction d’un instrument de traitement automatisé (un ordinateur), plutôt que l’inverse, ne nous apparaît pas illogique et constitue une interprétation raisonnable de l’expression « devant servir dans ». Aussi, la conclusion du TCCE n’est-elle pas déraisonnable et se trouve donc à l'abri de tout examen de la part notre Cour.

 

[23]           Je rejetterais donc le pourvoi avec dépens en faveur de l’intimé.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

     J. Richard j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Gilles Létourneau j.c.a. » 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-245-06

 

INTITULÉ :                                                                           Les industries Jam ltée c. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 24 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 31 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard A. Wagner

POUR L’APPELANTE

 

Andrew Gibbs

Philippe Lacasse

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 


 

Date : 20070531

Dossier : A-245-06

 

Ottawa (Ontario), le 31 mai  2007

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LES INDUSTRIES JAM LTÉE

appelante

et

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

   intimé

 

 

 

JUGEMENT

            L’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé.

 

 

« J. Richard »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 

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