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Date : 20070601

Dossier : A-107-06

Référence : 2007 CAF 212

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE EVANS

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE

appelant

et

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                 LE JUGE EN CHEF RICHARD

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                       LE JUGE DÉCARY

 

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                                   LE JUGE EVANS

 


Date : 20070601

Dossier : A-107-06

Référence : 2007 CAF 212

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE EVANS

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE

appelant

et

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de l’appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale ([2006] 4 R.C.F. 241, 2006 CF 132) enjoignant au statisticien en chef de communiquer certains renseignements personnels recueillis lors des recensements de 1921, 1931 et 1941, relativement à huit districts précis, laquelle communication a été demandée en novembre 2001, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, au nom de trois bandes autochtones, en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs, conformément à l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[2]               Il n’est pas nécessaire que je répète le contexte factuel et législatif de la présente procédure, lequel est exposé dans les motifs du juge Evans. Je suis également d’accord avec ce dernier pour ce qui est de la norme de contrôle.

 

[3]               Je rejetterais l’appel pour les motifs suivants.

 

[4]               L’objet général de la Loi sur l’accès à l’information est de consacrer le principe du droit public à la communication des documents de l’administration fédérale, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, à la page 78, 2003 CSC 8, les motifs du juge Gonthier. 

 

[5]               L’article 4 de la Loi sur l’accès à l’information prévoit que les citoyens ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale, sous réserve des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, mais nonobstant toute autre loi fédérale. Ce droit général à l’accès à l’information est limité par le paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information, selon lequel le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II de la Loi sur l’accès à l’information. L’article 17 de la Loi sur la statistique figure à l’annexe II.

 

[6]               L’appelant soutient que la simple mention de l’article 17 de la Loi sur la statistique dans l’annexe II interdit la communication des renseignements recueillis lors d’un recensement. À mon sens, il faut interpréter l’article 17 dans son ensemble afin d’établir si la communication est « restreinte » ou non.

 

[7]               Ce raisonnement est conforme à la décision Siemens Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), 2001 CFPI 1202, aux paragraphes 12, 13 et 20, conf. par 2002 CAF 414, où la Cour fédérale s’est penchée sur l’effet réciproque de l’article 24 de la Loi sur l’accès à l’information et de l’article 30 de la Loi sur la production de défense, une disposition figurant à l’annexe II de la Loi sur la statistique. La Cour fédérale a affirmé que l’article 24 avait pour effet d’incorporer l’article 30 de la Loi sur la production de défense à la Loi sur l’accès à l’information. Elle a ensuite examiné s’il était satisfait aux exigences et exceptions prévues à l’article 30 de la Loi sur la production de défense. Par conséquent, lorsqu’une disposition figure à l’annexe II, le responsable de l’institution fédérale est tenu d’établir si cette disposition permet la communication.

 

[8]               En l’espèce, l’article 17 de la Loi sur la statistique figure à l’annexe II. Bien que le paragraphe 17(1) constitue une interdiction générale de communiquer des renseignements, le paragraphe 17(2) présente une liste d’exceptions à cette interdiction générale. Précisément, l’alinéa 17(2)d) accorde au statisticien en chef le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la révélation de renseignements « mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit ». Par conséquent, il faut prendre en considération l’exception prévue à l’alinéa 17(2)d) afin d’établir si la communication était « restreinte » ou non. 

 

[9]               L’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique prévoit ceci : « Le statisticien en chef peut, par arrêté, autoriser la révélation des renseignements suivants : […] d) les renseignements mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit […] » En l’espèce, l’exception énoncée à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique fait entrer en jeu l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels

 

[10]           L’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit les circonstances dans lesquelles les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués. L’alinéa 8(2)k) est rédigé ainsi : « Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants : […] k) communication à tout gouvernement autochtone, association d’autochtones […] en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs ».

 

[11]           L’appelant souligne les mots par lesquels commence le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lequel permet la communication de renseignements sous réserve « d’autres lois fédérales », et soutient que les renseignements demandés sont assujettis à l’article 17 de la Loi sur la statistique. Cependant, comme l’a noté le juge qui a entendu la demande, cet argument crée un cercle vicieux de dispositions. Bien que la communication en vertu du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels soit assujettie à d’autres lois fédérales, la Loi sur la statistique permet la communication de renseignements mis à la disposition du public en vertu « d’une loi ou de toute autre règle de droit ». 

 

[12]           Le juge qui a entendu la demande a conclu, au paragraphe 49, que :

[…] l’exception prévue à l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels relève manifestement de la « loi », et l’intention du législateur en adoptant cette disposition légale est évidente, à savoir permettre que des renseignements personnels relevant d’une institution fédérale puissent être communiqués à une bande indienne en vue de l’établissement des droits de ses membres. Par conséquent, l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une « loi » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique.

 

Je suis d’accord. Si le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels était assujetti à l’article 17 de la Loi sur la statistique, plutôt que l’inverse,  alors l’exception prévue à l’alinéa 8(2)k) ne pourrait jamais être invoquée pour permettre la communication de renseignements personnels aux autochtones en vue de l’établissement de leurs droits ou du règlement de leurs griefs, car l’article 17 en interdirait la communication. De toute évidence, l’intention du législateur n’était pas de créer une telle absurdité. 

 

[13]           Il s’agit d’une situation où les documents demandés appartiennent clairement à une catégorie particulière de documents contenant des renseignements personnels dont la communication est permise. Le législateur s’est penché très précisément sur ce cas de figure et a estimé que, dans le cas de renseignements relatifs aux revendications territoriales autochtones, l’accès à l’information a priorité sur la protection des renseignements personnels. C’est là la raison même de l’inclusion de l’alinéa 8(2)k) dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[14]           L’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique énonce que le statisticien en chef peut autoriser la communication de renseignements « mis à la disposition du public » en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit. L’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet la divulgation de renseignements personnels à « […] tout gouvernement autochtone, association d’autochtones, bande d’Indiens, institution fédérale ou subdivision de celle‑ci, ou à leur représentant […] » Ce segment précis de la population constitue-t-il le « public » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique? Le juge qui a entendu la demande a conclu par l’affirmative et je souscris à cette conclusion.  

 

[15]           Le juge qui a entendu la demande a conclu que le mot « public » dans l’expression « mis à la disposition du public » était un nom qui, selon The Canadian Oxford Dictionary, a trois sens, lesquels peuvent désigner la collectivité dans son ensemble, les membres de la collectivité ou une partie de la collectivité ayant une situation ou des intérêts communs. Le juge qui a entendu la demande a conclu que « [c]hacun de ces sens est suffisant pour définir le mot “public” à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique » (paragraphe 53). Pour ce qui est des mots « renseignements mis à la disposition du public » (« information available to the public »), le juge qui a entendu la demande a estimé que ces mots s’appliquaient  à « des dossiers pouvant être obtenus par le public en général, ou par des membres ou des parties du public » (paragraphe 54). En se fondant sur cette interprétation, le juge qui a entendu la demande a conclu que les renseignements contenus dans les recensements demandés par les bandes algonquines « sont exactement du même type que ceux dont le législateur voulait permettre la divulgation à une population autochtone ou à une bande indienne en vertu [de l’alinéa 8(2)k)] de la Loi sur la protection des renseignements personnels » (paragraphe 56). 

 

[16]           L’appelant prétend ensuite que l’expression « mis à la disposition du public » vise [traduction] « la collectivité dans son ensemble ». À l’appui de cette observation, il soutient que [traduction] « […] la communication de renseignements dont il est question à l’alinéa 8(2)k) – lequel ne permet la divulgation qu’après l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et à certaines personnes dans un but précis – ne peut être équivalente à l’expression “le public y a accès” de l’alinéa 19(2)b) [de la Loi sur l’accès à l’information] » et ajoute que [traduction] « [i]l n’y a aucune raison pour que le concept de “mis à la disposition du public” soit interprété différemment à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique et au paragraphe 19(2) de la [Loi sur l’accès à l’information] ».

 

[17]           L’intimé soutient qu’il existe de bonnes raisons pour lesquelles le concept de public peut avoir une portée différente dans ces deux dispositions législatives. L’intimé fait observer que le libellé des deux dispositions n’est pas identique : alors que l’alinéa 19(2)b) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit la divulgation « dans les cas où : le public y a accès / if the information is publicly available », l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique, par contre, autorise la communication des « renseignements mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit / information available to the public under any statutory or other law ». L’intimé prétend en outre que, pour en dégager la signification, le mot « public » à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique peut être comparé au paragraphe 2(2) de la Loi sur l’accès à l’information, qui est libellé ainsi : « à la disposition du grand public » (« available to the general public »). Cette différence prouve que, lorsque le législateur a l’intention de limiter la portée du nom « public » pour qu’il ne vise que le public dans son entier plutôt que certains segments du public, il emploie dans la loi des termes qui démontrent clairement cette intention.  

 

[18]           À mon avis, même si l’alinéa 19(2)b) de la Loi sur l’accès à l’information et l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique étaient interprétés de manière à ce qu’ils signifient la même chose, comme le propose l’appelant, cet argument a peu de conséquences. Il reste encore à déterminer quelle portée le législateur voulait accorder au mot « public ». À cet égard, je conviens avec le juge qui a entendu la demande que, pour que l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels puisse s’appliquer, les mots « mis à la disposition du public » de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique doivent être interprétés pour qu’ils désignent une partie de la population, comme les groupes autochtones, et non la population en entier.

 

[19]           L’appelant soutient de plus que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique ne peut être exercé que pour communiquer des renseignements dont le public dispose en raison d’un droit conféré par une autre loi. À l’appui de cette observation, l’appelant compare les versions anglaise et française de l’alinéa 17(2)d) : dans la version anglaise, il est question de « information available to the public under any statutory or other law » alors que la version française fait référence aux « renseignements mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit ». Selon l’appelant, pour que l’exception s’applique, particulièrement si l’on prend en considération les mots  « mis à la disposition du public en vertu d’une loi » utilisés dans la version française, le public doit déjà avoir les renseignements à sa disposition ou pouvoir les obtenir.  

 

[20]           Après lecture des versions anglaise et française de l’alinéa 17(2)d), je peux voir la distinction subtile que l’appelant tente d’établir, mais, en pratique, l’argument ne peut être retenu. L’appelant interprète la disposition législative de manière à ce qu’il soit nécessaire que les renseignements soient « déjà » à la disposition du public, par opposition à ce qu’ils soient simplement à la disposition du public. À mon avis, si une disposition législative permet la communication de renseignements au public, comme le fait l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, alors les renseignements sont « mis à la disposition du public » ou « available ». Il n’est pas nécessaire que ces renseignements soient « déjà » du domaine public.

 

[21]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’il a été satisfait aux exigences législatives imposées par l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels : les groupes autochtones demandent des renseignements contenus dans les recensements en vue d’établir leurs droits. Il s’ensuit donc qu’il a également été satisfait aux exigences législatives imposées par l’alinéa 17(2)d) : les renseignements demandés, c’est‑à‑dire les renseignements contenus dans les recensements, sont mis à la disposition du public en vertu d’une autre loi par l’application de l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur les renseignements personnels

 

[22]           L’appelant soutient que, même s’il a été satisfait aux exigences de l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il revient néanmoins au statisticien en chef de décider de communiquer ou non les renseignements demandés. 

 

[23]           En réponse, l’intimé prétend que, une fois qu’il a été satisfait aux exigences de l’exception prévue par l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’appelant n’a plus le pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements demandés. Je conviendrais avec l’intimé que, bien que le mot « peut » exprime essentiellement l’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés, selon l’article 11 de la Loi d’interprétation, dans certaines situations, la permission prévue doit être accordée. Comme l’explique le professeur Sullivan, [traduction] « […] l’utilisation du mot “peut” sous-entend l’existence d’un pouvoir discrétionnaire, mais elle n’empêche pas l’existence d’une obligation » puisqu’il en découle l’obligation d’exercer ce pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a été satisfait aux conditions. Il en est ainsi parce que [traduction] « faire autrement irait à l’encontre de l’objet de la loi » (Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Butterworths, 2002, pages 58 et 59).

 

[24]           Dans la décision Commissaire à l’information c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1986] 3 C.F. 63 (1re inst.), au paragraphe 4, le juge en chef adjoint Jerome a examiné le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information, lequel prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut communiquer des documents contenant des renseignements personnels s’il est satisfait à un certain nombre de conditions, l’une d’entre elles étant que l’individu qu’ils concernent y consente. Le juge en chef adjoint Jerome a rejeté l’argument selon lequel le paragraphe 19(2) établissait le pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements même s’il avait été satisfait aux conditions prévues par cette disposition. Il a conclu ainsi parce que cet argument était contraire tant aux principes d’interprétation des lois qu’au « but même pour lequel la législation a été édictée » (paragraphe 3). Il a de plus expliqué que, lorsqu’il a été satisfait aux conditions nécessaires à la divulgation de renseignements personnels, « […] le responsable de l’institution fédérale est tenu de communiquer ces renseignements surtout lorsque le but pour lequel la Loi a été édictée est, comme en l’espèce, de conférer au public le droit d’y avoir accès » (paragraphe 4).

 

[25]           Le juge qui a entendu la demande a conclu que l’obligation de la Couronne d’agir honorablement, de bonne foi et en tant que fiduciaire est une obligation de common law qui a été constitutionnalisée par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour ce qui est des revendications territoriales autochtones et constitue « une loi ou [une] règle de droit » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. Pour en arriver à cette conclusion, le juge qui a entendu la demande a expliqué ceci :

 

·        la Couronne a le devoir d’agir honorablement relativement à la revendication territoriale des bandes algonquines, ce qui signifie qu’elle doit divulguer les dossiers de recensement en sa possession, car ils sont susceptibles de prouver la continuité de l’occupation depuis la période antérieure à l’affirmation de la souveraineté jusqu’à aujourd’hui – un élément de preuve requis pour établir l’existence du titre foncier autochtone (paragraphe 43).

 

·        l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire par rapport à ces dossiers de recensement conservés par la Couronne. Cette obligation signifie, selon lui, « que la Couronne doit agir dans l’intérêt supérieur des bandes autochtones et divulguer les dossiers de recensement qui se rapportent à leurs droits sur les territoires en question » (paragraphe 44).

 

·        « l’honneur de la Couronne commande qu’elle tienne des négociations de bonne foi menant à un règlement équitable des revendications autochtones » et cette obligation, « implicite dans l’article 35, signifie que la Couronne doit divulguer les dossiers de recensement qui sont en sa possession et qui sont pertinents pour établir l’existence du titre aborigène » (paragraphe 45).     

 

Les deux parties ont soumis des observations au sujet de ces paragraphes de la décision rendue par le juge qui a entendu la demande. Je conviendrais que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est instructif quand vient le temps d’évaluer l’importance des revendications territoriales autochtones au Canada, mais je ne crois pas qu’une telle analyse soit nécessaire à la lumière de l’applicabilité du paragraphe 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[26]           Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

« J. Richard »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


LE JUGE DÉCARY (Motifs concourants)

[27]           J’ai eu l’avantage de lire l’ébauche des motifs de mes deux collègues. J’estime qu’ils sont tous deux convaincants, chacun à leur manière. En fin de compte, j’adopte la solution proposée par le juge en chef.

 

[28]           Je suis d’accord avec le juge Evans relativement à ce qu’il a nommé les questions 1 à 4.

 

[29]           Cependant, je suis d’accord avec le juge en chef lorsqu’il affirme que les mots « mis à la disposition du public » à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique peuvent être interprétés de manière à signifier que les renseignements sont à la disposition d’une partie de la population. Je souhaite seulement ajouter quelques observations.

 

[30]           Le juge Kelen a tiré une conclusion de fait importante, laquelle est irréfutable à notre niveau : il est nécessaire pour les bandes indiennes d’avoir accès aux renseignements demandés afin d’établir la continuité pour ce qui est du nombre de membres ainsi que de l’utilisation et de l’occupation du territoire revendiqué.

 

[31]           L’ordonnance contestée n’autorise pas que les recensements soient examinés par n’importe qui ou pour n’importe quoi, pas plus qu’elle n’en autorise la divulgation au grand public. Le statisticien en chef permettrait seulement que les renseignements soient examinés dans le but précis prévu à l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et uniquement par un chercheur engagé par les bandes indiennes. En outre, le chercheur s’engagerait à protéger la confidentialité des renseignements personnels concernant les personnes qui ne sont pas autochtones. En pratique, le statisticien en chef conserve dans une large mesure son pouvoir discrétionnaire sur la communication des renseignements personnels en cause.

 

[32]           Comme il ressort si clairement des motifs de mes deux collègues, nous avons à nous pencher en l’espèce sur des dispositions contradictoires de différentes lois dont l’interprétation pourrait facilement créer, pour reprendre les mots du juge en chef au paragraphe [11], « un cercle vicieux ».

 

[33]           Les dispositions de trois lois sont en cause : la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la statistique. Elles ont toutes trois un objet légitime et important. En outre, l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels introduit un quatrième objectif, reconnu par la Constitution du Canada, c’est‑à‑dire la protection des droits des autochtones.

 

[34]           De toutes les dispositions en cause, l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est la seule qui porte sur les intérêts précis d’un groupe de personnes en particulier. Il faut noter que cet alinéa permet aux bandes indiennes d’avoir accès à des renseignements personnels qui ont été fournis par des membres actuels et des anciens membres des bandes. L’intention du législateur était d’autoriser que la confidentialité des renseignements concernant certains membres des bandes indiennes puisse être mise de côté afin de faire valoir les droits des membres actuels et futurs. Il s’agit d’une forme d’équilibre entre la protection des renseignements personnels des membres individuels et l’amélioration de leurs droits collectifs. Dans la mesure où la confidentialité des renseignements personnels nuit à l’établissement de droits collectifs, il a été expressément autorisé d’y passer outre. Il ne s’agit vraiment pas d’un cas d’atteinte à la vie privée, pas plus qu’il ne s’agit d’une grave menace à l’inviolabilité de la confidentialité des recensements.

 

[35]           J’ose ajouter que, dans le monde moderne où nous vivons, où des centaines et des centaines de lois sont adoptées, attribuer au législateur la « sagesse » de connaître toutes les conséquences de ses actes est un anachronisme naïf. Par exemple, l’utilisation de l’expression « nonobstant toute autre loi fédérale » n’est peut‑être plus nécessairement aussi importante que par le passé, alors que des dispositions dans des lois distinctes se contredisent si clairement que l’intention expresse du législateur dans une loi serait sans aucun doute neutralisée par l’application stricte d’une disposition d’exception énoncée dans une autre loi. Il devrait être permis aux dispositions législatives de demeurer applicables malgré la langue utilisée par les rédacteurs d’autres lois qui, si elles étaient interprétées sans égard à l’ensemble des lois en général, dépouilleraient ces dispositions de tout leur sens.

 

[36]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

«  Robert Décary »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


LE JUGE EVANS (Motifs dissidents)

A.        INTRODUCTION

[37]           Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de l’Industrie contestant une décision rendue par le juge Kelen de la Cour fédérale, laquelle accueille la demande de contrôle judiciaire présentée par le Commissaire à l’information visant le refus exprimé par le statisticien en chef de communiquer les relevés de recensements de certaines années. La référence de cette décision est Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2006 CF 132, [2006] 4 R.C.F. 241.

 

[38]           Peter Di Gangi, le directeur du Secrétariat de la nation algonquine (SNA), un conseil tribal représentant trois bandes algonquines, a demandé l’accès à des recensements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1. Le SNA l’a mandaté pour effectuer des recherches sur la continuité quant au nombre de membres de la bande et quant à l’utilisation et à l’occupation du territoire qu’ils revendiquent.

 

[39]           Un objectif important de cette recherche, financée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), est de soutenir les revendications territoriales autochtones présentées en vertu de deux politiques du MAINC : la politique des revendications globales, qui pourrait mener ultimement à la conclusion d’un traité de revendications territoriales, et la politique  des revendications particulières, qui s’applique aux enquêtes sur les allégations de violations particulières de droits autochtones.

 

[40]           Les présents motifs portent sur les trois questions suivantes. En premier lieu, la Loi sur l’accès à l’information s’applique‑t‑elle à la communication des relevés de recensement ou les dispositions de la Loi sur la statistique, L.R.C. 1985, ch. S‑19, portant précisément sur la communication, constituent‑elles un code complet? En deuxième lieu, la disposition, à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique, permettant au statisticien en chef de communiquer des renseignements personnels contenus dans les recensements qui sont « mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit » s’applique‑t‑elle au paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21? En troisième lieu, s’il est répondu par l’affirmative à cette question, des renseignements personnels dont la communication à une partie du public est autorisée par une autre loi constituent‑ils des « renseignements mis à la disposition du public en vertu d’une loi » au sens du paragraphe 17(2)d) de la Loi sur la statistique? Quant à la question de savoir si les demandeurs ont le droit de consulter les recensements en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, je choisirais de ne pas y répondre, car elle est prématurée.

 

B.        LE CONTEXTE FACTUEL

[41]            Le 2 novembre 2001, M. Di Gangi a déposé une demande au statisticien en chef en vertu de la Loi sur l’accès à l’information afin que lui soient communiqués les relevés des recensements des années 1911, 1921, 1931 et 1941 concernant les districts et sous‑districts de l’est de l’Ontario et du nord-ouest du Québec en cause dans les revendications territoriales des bandes. M. Di Gangi a expliqué dans sa demande l’importance qu’ont ces relevés en tant que source d’information nécessaire pour soutenir les revendications.

 

[42]           Dans une lettre datée du 23 novembre 2001, Mary Ledoux, chef de l’Accès à l’information et protection des renseignements personnels, Division des services d’accès et de contrôle des données, Statistique Canada, a avisé M. Di Gangi que sa demande était refusée. Elle a fourni trois raisons.

 

[43]           D’abord, aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II de la Loi. Ensuite, l’article 17 de la Loi sur la statistique figure à l’annexe II et restreint la communication des résultats des recensements. Finalement, les exceptions prévues au paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l’obligation générale de ne pas communiquer de renseignements personnels s’appliquent « sous réserve d’autres lois fédérales »; puisque la Loi sur la statistique et les lois qui l’ont précédée interdisent la communication des relevés de recensements, le paragraphe 8(2) n’est pas pertinent. 

 

[44]           Le 11 décembre 2001, M. Di Gangi a écrit au Commissaire à l’information pour l’inviter à enquêter sur le refus du statisticien en chef de divulguer les résultats des recensements demandés. Il a ajouté que le refus de divulguer les renseignements pertinents dans le cadre des revendications territoriales était particulièrement préoccupant compte tenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones.

 

[45]           Le Commissaire à l’information a commencé à instruire la plainte et a demandé au statisticien en chef de soumettre des observations. Dans une lettre datée du 18 septembre 2002, Pamela White, coordonnatrice, Programme d’accès à l’information et protection des renseignements personnels, Statistique Canada, a répondu. Elle a déclaré que, puisque l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique uniquement « sous réserve d’autres lois fédérales », y compris l’interdiction de communication imposée par le paragraphe 17(1) de la Loi sur la statistique, le statisticien en chef ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire de communiquer les résultats de recensements demandés par M. Di Gangi. D’autres lettres ont suivi et des rencontres entre les représentants du Commissaire à l’information et de Statistique Canada ont eu lieu. Cependant, il n’ont pas pu parvenir à un consensus sur les questions.

 

[46]           Le 12 novembre 2002, le Commissaire à l’information a écrit à Ivan Fellegi, le statisticien en chef, pour exprimer, sous toute réserve, son opinion selon laquelle l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur l’accès à l’information, en vertu de l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, permettait la communication des résultats de recensements demandés. Il a ajouté que l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones faisait en sorte que le statisticien en chef devait éviter d’interpréter de manière restrictive son pouvoir discrétionnaire de communiquer les relevés de recensements, au détriment de la capacité des bandes algonquines d’établir leur revendication territoriale.

 

[47]           Dans une lettre datée du 5 décembre 2002, M. Fellegi a reconnu l’importance des motifs pour lesquels M. Di Gangi souhaitait obtenir les relevés de recensements en question. Cependant, il a affirmé que l’usage que le demandeur souhaite faire des renseignements obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information n’est pas pertinent. Pour les raisons déjà exprimées, il n’a pas convenu que l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels lui conférait un pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements ni que Statistique Canada avait l’obligation fiduciaire envers les peuples autochtones de leur fournir les renseignements demandés.   

 

[48]           Le 3 décembre 2003, le Commissaire à l’information a écrit à M. Fellegi pour que celui‑ci transmette à son ministre, le ministre de l’Industrie, les résultats de son enquête. Pour les motifs présentés dans sa lettre du 12 novembre 2002, le Commissaire à l’information a recommandé que les renseignements soient communiqués. En particulier, les renseignements demandés sont « mis à la disposition du public », car il peuvent être communiqués aux bandes autochtones en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs.

 

[49]           Le 11 décembre 2003, M. Fellegi a répondu qu’il n’avait pas suivi les recommandations. Pour les motifs exposés dans sa lettre du 5 décembre 2002, il était d’avis que la communication contreviendrait tant à la Loi sur la statistique qu’à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a souligné que, comme solution de rechange, les Registres nationaux de 1940 pouvaient être communiqués parce que, bien qu’en la possession de Statistique Canada, ils ne sont pas assujettis à la Loi sur la statistique

 

[50]           M. Di Gangi a accepté que le Commissaire à l’information demande à la Cour fédérale, en vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information, d’effectuer le contrôle judiciaire du refus par le statisticien en chef de communiquer les résultats des recensements.

 

[51]           La communication des relevés du recensement de 1911 n’est plus en cause, puisque le SNA peut les consulter depuis le 30 juin 2005, à la suite de la Loi modifiant la Loi sur la statistique, L.C. 2005, ch. 31, article 1. Cette loi modifie la Loi sur la statistique en y ajoutant l’article 18.1, lequel prévoit la communication au public des relevés des recensements 92 ans après que les renseignements ont été recueillis et le placement de ceux‑ci sous la garde et la responsabilité de Bibliothèque et Archives du Canada. 

 

C.        LE CADRE LÉGISLATIF

[52]           La demande de contrôle judiciaire qui a donné lieu au présent appel a été déposée en vertu de l’article 42 de la Loi sur l’accès à l’information.

42(1) Le Commissaire à l’information a qualité pour :

a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête et dans les délais prévus à l’article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d’un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;

 

[…]

 

 

42(1) The Information Commissioner may

(a) apply to the Court, within the time limits prescribed by section 41, for a review of any refusal to disclose a record requested under this Act or a part thereof in respect of which an investigation has been carried out by the Information Commissioner, if the Commissioner has the consent of the person who requested access to the record;

 

[53]           L’objet de la Loi sur l’accès à l’information est énoncé au paragraphe 2(1) et le droit d’accès créé pour le réaliser se trouve au paragraphe 4(1).

2(1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

 

[…]

 

4(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

2(1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government

4(1) Subject to this Act, but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is

(a) a Canadian citizen, or

(b) a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act,

has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution.

 

 

24(1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II.

Subsection 24(1) limits the broad scope of the right created by section 4. It appears under the heading “Statutory Prohibitions”. 24(1) The head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains information the disclosure of which is restricted by or pursuant to any provision set out in Schedule II.

 

[54]           L’annexe II énumère les dispositions de près de 60 lois, dont l’article 17 de la Loi sur la statistique. L’interdiction de communiquer les relevés des recensements prévue au paragraphe 17(1) de la Loi sur la statistique est modifiée par le paragraphe 17(2). Dans le cadre du présent appel, l’alinéa 17(2)d) est pertinent.

17(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et sauf pour communiquer des renseignements conformément aux modalités des accords conclus en application des articles 11 ou 12 ou en cas de poursuites engagées en vertu de la présente loi :

 

a) nul, si ce n’est une personne employée ou réputée être employée en vertu de la présente loi et qui a été assermentée en vertu de l’article 6, ne peut être autorisé à prendre connaissance d’un relevé fait pour l’application de la présente loi;

b) aucune personne qui a été assermentée en vertu de l’article 6 ne peut révéler ni sciemment faire révéler, par quelque moyen que ce soit, des renseignements obtenus en vertu de la présente loi de telle manière qu’il soit possible, grâce à ces révélations, de rattacher à un particulier, à une entreprise ou à une organisation identifiables les détails obtenus dans un relevé qui les concerne exclusivement.

(2) Le statisticien en chef peut, par arrêté, autoriser la révélation des renseignements suivants :

[…]

d) les renseignements mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit;

[…]

 

17(1) Except for the purpose of communicating information in accordance with any conditions of an agreement made under section 11 or 12 and except for the purposes of a prosecution under this Act but subject to this section,

 

 

(a) no person, other than a person employed or deemed to be employed under this Act, and sworn under section 6, shall be permitted to examine any identifiable individual return made for the purposes of this Act; and

(b) no person who has been sworn under section 6 shall disclose or knowingly cause to be disclosed, by any means, any information obtained under this Act in such a manner that it is possible from the disclosure to relate the particulars obtained from any individual return to any identifiable individual person, business or organization.

 

 

(2) The Chief Statistician may, by order, authorize the following information to be disclosed:

(d) information available to the public under any statutory or other law;

 

[55]           L’alinéa 8(2)k) de la Loi sur l’accès à l’information, selon le Commissaire à l’information, est la disposition faisant en sorte que les renseignements sont « mis à la disposition du public » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique et permettant au statisticien en chef de communiquer les relevés de recensements demandés par M. Di Gangi. Il est rédigé ainsi :

8(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

k) communication à tout gouvernement autochtone, association d’autochtones, bande d’Indiens, institution fédérale ou subdivision de celle-ci, ou à leur représentant, en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs;

[…]

8(2) Subject to any other Act of Parliament, personal information under the control of a government institution may be disclosed

 

(k) to any aboriginal government, association of aboriginal people, Indian band, government institution or part thereof, or to any person acting on behalf of such government, association, band, institution or part thereof, for the purpose of researching or validating the claims, disputes or grievances of any of the aboriginal peoples of Canada;

 

D.        LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[56]           Le juge Kelen a accueilli la demande du Commissaire à l’information, a annulé la décision du statisticien en chef de refuser la communication des recensements pour les années 1921, 1931 et 1941 et a renvoyé l’affaire en ordonnant que ces recensements soient communiqués à M. Morrison, un chercheur engagé par le SNA, à la condition qu’il s’engage à protéger la confidentialité des renseignements personnels qui s’y trouvent concernant des personnes qui ne sont pas autochtones. Le juge Kelen a fondé sa décision sur l’analyse suivante.

 

[57]           Premièrement, après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, il a conclu que le refus par le statisticien en chef de communiquer les relevés de recensements demandés était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[58]           Deuxièmement, il a tiré la conclusion de fait que les relevés de recensements étaient nécessaires pour permettre aux bandes du SNA de « bien documenter leur revendication territoriale » et qu’ils « sont sans doute les meilleurs éléments de la preuve requise pour établir la continuité de leur occupation du territoire en question » : paragraphe 28. Il a décrit (au paragraphe 8) la manière méticuleuse « sur le terrain » qu’ont utilisée les recenseurs pour recueillir les renseignements pour ces années en question, se rendant de ménage en ménage, accompagnés d’un interprète.

[Les recenseurs] ont recueilli des renseignements, notamment le nom, l’adresse ou le lieu géographique, l’origine raciale ou tribale, la langue et d’autres renseignements personnels concernant chaque personne et famille résidant sur ce territoire.

 

[59]           En revanche, les Registres nationaux, préparés en 1940 pour la conscription et nommant toutes les personnes âgées d’au moins 16 ans, ne conviennent pas aux objectifs du SNA. Par exemple, les Registres nationaux ne couvrent pas toute la période visée par le SNA; de nombreux jeunes hommes se sont probablement soustraits à l’inscription afin d’éviter la conscription; les personnes de moins de 16 ans ne sont pas inscrites; la méthode utilisée pour recueillir les renseignements n’était pas aussi complète ou minutieuse que lors des recensements.

 

[60]           En troisième lieu, le juge Kelen a rejeté l’argument selon lequel le paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information impose au statisticien en chef l’obligation absolue de ne pas communiquer les renseignements contenus dans les relevés de recensement qui permettent d’identifier des individus. Il a conclu que, en fait, cette disposition incorporait l’article 17 de la Loi sur la statistique à la Loi sur l’accès à l’information, y compris la disposition du paragraphe 17(2) qui permet au statisticien en chef, dans les circonstances décrites, de communiquer des renseignements recueillis dans des recensements. 

 

[61]           Quatrièmement, l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitutionnalise les traités signés et les droits autochtones des peuples autochtones du Canada, constitue « une loi » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. L’honneur de la Couronne, et ses obligations fiduciaires connexes, exigent que le gouvernement communique au SNA les renseignements en sa possession nécessaires à l’établissement des revendications territoriales des bandes indiennes.

 

[62]           Cinquièmement, la Loi sur la protection des renseignements personnels est « une loi » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. Le pouvoir conféré par l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de communiquer au représentant d’associations autochtones les renseignements pertinents dans le cadre de revendication territoriales autochtones fait en sorte que les renseignements sont « mis à la disposition du public » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique.

 

[63]           Pour en venir à cette conclusion, le juge a tiré trois autres conclusions. 1) Bien que les exceptions prévues au paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels s’appliquent « sous réserve d’autres lois fédérales », le paragraphe 8(2) n’appartient pas moins à la catégorie des « lois » faisant en sorte que les renseignements personnels sont « mis à la disposition du public » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. En effet, il a éliminé le risque de renvoi perpétuel entre les alinéa 17(2)d) et 8(2)k) en interprétant les mots « sous réserve d’autres lois fédérales » de manière à en exclure l’alinéa 17(2)d). 2) Les renseignements sont « mis à la disposition » du public quand celui‑ci a la possibilité de les obtenir. 3) Dans le présent contexte, il faut donner une interprétation large au mot « public », de manière à ce qu’il inclue une partie du public ou même un seul membre du public, et non uniquement le public dans son ensemble.

 

[64]           Sixièmement, le juge Kelen a conclu (au paragraphe 62) que si, contrairement à ce qu’il pense, l’article 17 de la Loi sur la statistique interdit au statisticien en chef de communiquer les relevés de recensements demandés en l’espèce, cette disposition serait invalide, car elle violerait les droits garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il serait injustifié que la loi limite ainsi le droit des peuples autochtones d’obtenir « leurs propres dossiers de recensement nécessaires à l’établissement du bien‑fondé de leurs revendications territoriales ». 

 

E.        LES QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Première question :    La norme de contrôle

[65]           Les questions relatives à la façon dont le responsable d’une institution interprète la Loi sur l’accès à l’information pour refuser de communiquer des dossiers en réponse à une demande d’accès sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que l’exercice de tout pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi sur l’accès à l’information est susceptible de contrôle selon la décision déraisonnable simpliciter : voir, par exemple, Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66, aux paragraphes 14 à 19; 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 C.F. 421, aux paragraphes 28 à 47. 

 

Deuxième question : La Loi sur l’accès à l’information s’applique‑t‑elle à l’article 17 de la Loi sur la statistique?

[66]           La réponse à cette question dépend de l’interprétation du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Le Commissaire à l’information soutient que le paragraphe 24(1) n’empêche le statisticien en chef que de communiquer les relevés de recensements lorsque l’article 17 l’interdit, mais que, pour le reste, la Loi sur l’accès à l’information s’applique aux renseignements personnels contenus dans les recensements.

 

[67]           Par conséquent, le refus par le statisticien en chef de communiquer les relevés de recensements dont le paragraphe 17(2) autorise la communication serait susceptible de contrôle selon le cadre prévu par la Loi sur l’accès à l’information et, en particulier, selon l’objet de la Loi et l’obligation générale qu’elle crée de communiquer les dossiers en la possession d’une institution fédérale. Un refus peut faire l’objet d’une enquête par le Commissaire à l’information et, si les recommandations qui en découlent ne sont pas suivies, celui‑ci peut déposer une demande auprès de la Cour fédérale en vertu de l’article 42.

 

[68]           En d’autres termes, la communication des renseignements visés par les dispositions énumérées à l’annexe II de la Loi sur l’accès à l’information, dont l’article 17 de la Loi sur la statistique, est assujettie à deux régimes : les dispositions particulières des lois figurant à l’annexe II et l’esprit général de la Loi sur l’accès à l’information.

 

[69]           À mon avis, il ne s’agit pas d’une bonne interprétation du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Cette disposition impose une obligation non qualifiée au responsable d’une institution fédérale de « refuser la communication de documents » contenant des renseignements dont la communication est « restreinte » en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II. Quand les paragraphes (1) et (2) de l’article 17 de la Loi sur la statistique sont examinés ensemble, ils restreignent, sans l’interdire absolument, la communication des renseignements contenus dans les recensements.

 

[70]           Par conséquent, le libellé clair du paragraphe 24(1) interdit au statisticien en chef de communiquer des renseignements visés par l’article 17 quand ils sont demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Les comptes rendus législatifs viennent étayer la conclusion selon laquelle l’intention du législateur était d’interdire la communication de renseignements demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information si leur communication était restreinte par une des dispositions figurant à l’annexe II.

 

[71]           En premier lieu, au cours de l’examen parlementaire de l’article 25 du projet de loi C‑43, qui est devenu l’article 24 de la Loi sur l’accès à l’information, le ministre ayant introduit la loi, M. Francis Fox, secrétaire d’État et ministre des Communications, a fait adopter une modification pour adjoindre l’annexe II.

 

[72]           Certains députés, dont M. Svend Robinson en particulier, ont affirmé craindre que la disposition aille peut‑être trop loin, car elle pouvait être interprétée comme interdisant la communication de renseignements demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information alors que les dispositions figurant à la liste n’énonçaient pas une interdiction, mais seulement une restriction : Canada, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, 32e législature, 1re session, no 52 (4 novembre 1981), page 17. Cette observation s’appliquerait à l’article 17 de la Loi sur la statistique.

 

[73]           Un représentant du Bureau du Conseil privé, M. Robert Auger, qui était présent avec le ministre, a souscrit à l’interprétation qu’a faite M. Robinson de l’article 25. Après lecture par M. Robinson du libellé de l’article 25 : « Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication des documents… », M. Auger a ajouté : « Lorsque la requête est faite en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Ceci fait partie des objectifs de la loi. » : ibid., page 18. C’est donc dire que les renseignements visés par l’article 17 de la Loi sur la statistique ne peuvent être divulgués s’ils sont demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

 

[74]           En second lieu, lors d’un examen subséquent de la Loi sur l’accès à l’information, M. John Crosbie, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a expliqué la fonction de l’article 24 et des exceptions à la Loi sur l’accès à l’information qu’il créait :

L’importance de ces exceptions est évidemment double. Premièrement, de par leur nature, elles sont quelque peu générales, puisqu’elles renvoient à l’ensemble de l’appareil gouvernemental d’information, et que les dispositions particulières contenues dans chacune des lois sont modelées de manière à répondre aux problèmes particuliers visés par lesdites lois et sont donc plus détaillées. Deuxièmement, de telles dispositions législatives nécessitent de toute façon un système particulier de protection pour les renseignements qu’elles visent parallèlement à la Loi sur l’accès à l’information. Il me semble important aussi bien en termes pratiques qu’en termes de cohérence d’appliquer un seul ensemble de règles plutôt que deux. Nous serions heureux de connaître votre opinion à ce sujet.

 

(Canada, Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général, 33e législature, 1re session, no 10 (8 mai 1986), page 7.

 

 

 

[75]           Bref, ces passages étayent la conclusion selon laquelle l’article 24 interdit la communication, demandée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, de documents régis par une des dispositions législatives énumérées à l’annexe II, et ce, même si leur divulgation n’est que restreinte, et non interdite, par la disposition figurant à l’annexe II. Si le législateur avait eu l’intention uniquement d’interdire la communication de l’information dont la divulgation est interdite par une disposition figurant à l’annexe II, il aurait facilement pu l’indiquer. En outre, puisque le législateur a ordonné qu’un comité parlementaire examine tous les cinq ans les exceptions prévues à l’annexe II (Loi sur l’accès à l’information, paragraphe 24(2)), il pourrait facilement faire une exception pour les bandes indiennes s’il le voulait.

 

[76]           Néanmoins, un individu peut tout de même demander au statisticien en chef, sans utiliser la Loi sur l’accès à l’information, de communiquer des renseignements contenus dans les recensements, en vertu du paragraphe 17(2) de la Loi sur la statistique.

 

 

Troisième question : Même si la demande présentée par le Commissaire à l’information en vertu de l’article 42 était erronée, la Cour devrait‑elle néanmoins trancher les autres questions d’interprétation des lois en litige?

 

[77]           Puisque les relevés de recensements demandés par M. Di Gangi sont visés par l’article 17, le statisticien était tenu par le paragraphe 24(1) d’en refuser la communication, car ils ont été demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Comme l’avocat du ministre l’a dit à l’audience devant la Cour, la demande de divulgation a été introduite par [traduction] « la mauvaise porte ». Il a soutenu que la Cour devrait accueillir l’appel et permettre à M. Di Gangi de présenter sa demande au statisticien en chef par [traduction] « la bonne porte », c’est‑à‑dire en demandant directement au statisticien en chef de communiquer les recensements des années en question en vertu de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. Si cette demande était refusée, M. Di Gangi pourrait alors en demander le contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.  

 

[78]           Dans les circonstances en l’espèce, je ne crois pas que ce soit la bonne façon de trancher la question de savoir si les documents demandés sont des « renseignements mis à la disposition du public » au sens de l’alinéa 17(2)d) en vertu de l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lequel autorise la communication de renseignements personnels demandés par des bandes autochtones relativement à leurs revendications. Accueillir l’appel sur le mince fondement juridique avancé par le ministre serait formaliste sans raison, causerait une injustice envers ceux qui ont représenté le SNA et constituerait un gaspillage de temps et de ressources.

 

[79]           La réponse aux deux questions suivantes permettra de savoir si la loi permet au statisticien en chef de communiquer les dossiers demandés au nom du SNA. D’abord, l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est‑il une « loi » aux fins de l’application de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique? Ensuite, si c’est le cas, les mots « mis à la disposition du public » de l’alinéa 17(2)d) incluent‑ils les renseignements mis à la disposition d’une partie du public?

 

 

Quatrième question :  Le mot « loi » de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique inclut‑il le paragraphe 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

 

[80]           Le ministre soutient qu’il est futile de prendre en compte l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour déterminer si la communication de renseignements personnels qu’il autorise fait en sorte que les recensements sont « mis à la disposition du public » et donc susceptibles d’être communiqués en vertu de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. Il en serait ainsi parce que le paragraphe 17(1) de la Loi sur la statistique interdit expressément la communication des relevés de recensements.

 

[81]           Le problème posé par cet argument est qu’il fait fi du paragraphe 17(2) de la Loi sur la statistique, lequel permet au statisticien en chef de communiquer les recensements dans certaines circonstances, y compris, de toute évidence, quand ils sont mis à la disposition du public en vertu d’une loi. Cependant, selon le ministre, un renvoi à l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vertu de l’alinéa 17(2)d) ne fait pas progresser la cause du demandeur, il ne fait qu’amorcer un autre tour du cercle. 

 

[82]            Je ne suis pas d’accord. Bien sûr, les alinéas en question de ces deux lois sont difficilement conciliables. Cependant, il ne serait pas réaliste de présumer que le rédacteur, lorsqu’il en a rédigé un, avait l’autre en tête. À mon avis, le juge qui a entendu la demande avait raison de mettre fin au cercle vicieux en concluant en fait que les premiers mots du paragraphe 8(2), « [s]ous réserve d’autres lois fédérales », ne s’appliquent pas à l’article 17 puisque cette disposition autorise expressément la communication de renseignements qu’une autre loi a « mis à la disposition du public ». L’alinéa 17(2)d) réfute l’idée que la communication en vertu de la Loi sur la statistique est régie par un code complet en soi et ne permet aucun renvoi à d’autres lois. 

 

[83]           Je ne vois aucun fondement à l’interprétation du ministre. Qu’est-ce qui justifierait d’interdire au statisticien en chef de communiquer des renseignements personnels que la Loi sur la protection des renseignements personnels met à la disposition du public?

 

Cinquième question : Des renseignements sont‑ils « mis à la disposition du public » aux fins de l’application de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique quand ils ne sont pas à la disposition de tous? 

 

[84]           L’alinéa 17(2)d) permet la communication de renseignements qui sont « mis à la disposition du public » en vertu d’une loi. À titre d’exception à l’interdiction générale de communiquer des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale, laquelle est énoncée au paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’alinéa 8(2)k) en autorise la divulgation entre autres aux bandes indiennes qui en ont besoin en vue de l’établissement de leurs droits. Les parties conviennent que les relevés de recensements en cause dans le présent appel constituent des renseignements personnels.

 

[85]           L’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique prévoit que le statisticien en chef peut communiquer les renseignements « mis à la disposition du public en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit ». Puisque l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une « loi » pour l’application de l’alinéa 17(2)d), la question est de savoir si les renseignements qui peuvent être communiqués en vertu de l’alinéa 8(2)k) sont de ce fait « mis à la disposition du public » au sens de l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique. Selon moi, ils ne le sont pas.

 

[86]           En tant que preuve du sens ordinaire de cette expression, les dictionnaires définissent les mots « le public » de façon à ce qu’ils désignent la société (« the body politic »), la population dans son ensemble (« people collectively ») et les membres du public (« the members of the public ») (The New Shorter Oxford English Dictionary, s.v. « public ») ainsi que la collectivité en général ou les membres de la collectivité (« the community in general, or members of the community ») (The Canadian Oxford Dictionary, s.v. « public »). De manière semblable, Le Nouveau Petit Robert (s.v. « public ») attribue en premier au nom « public » les sens suivants :  « L’État, la collectivité » et « Les gens, la masse de la population ».

 

[87]           Par conséquent, des renseignements sont « mis à la disposition du public » quand quiconque peut y accéder ou les obtenir du simple fait d’appartenir à la population canadienne. Le fait que les membres de bandes autochtones, ou leurs représentants, puissent obtenir des renseignements en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ne semble pas en faire des renseignements « mis à la disposition du public », puisqu’ils ne sont pas mis à la disposition de la population dans son ensemble; en fait, ils sont mis uniquement à la disposition d’un pourcentage relativement faible de la population. Afin d’obtenir des renseignements par l’alinéa 8(2)k), une personne doit prouver qu’elle appartient à un groupe particulier au sein de la population canadienne : être membre de la collectivité en général ne suffit pas.

 

[88]           Cependant, le nom « public » peut également désigner une partie de la population partageant un intérêt commun ou un lien particulier avec la personne ou la chose indiquée (« a section of the community having a particular interest in or special connection with the person or thing specified (freq. w. possess. adj.) ») : The New Shorter Oxford English Dictionary. The Canadian Oxford Dictionary (s.v. « public ») donne deux exemples du mot utilisé en ce sens : « the reading public » et « my public demands my loyalty ». De façon semblable, selon Le Nouveau Petit Robert, le nom « public » peut aussi désigner un groupe au sein de la population générale, comme « L’ensemble des gens qui lisent, voient, entendent les œuvres (littéraires, artistiques, musicales), les spectacles », et la partie de la population qu’une personne souhaite toucher : « il a son public ».

 

[89]           À mon avis, ces dernières définitions n’aident pas beaucoup le SNA, puisque l’appartenance aux sections du public dont il est question dans ces définitions n’est circonscrite que par un intérêt commun pour une activité (écouter de la musique ou regarder des œuvres d’art, par exemple). Il ne s’agit pas de membres d’un groupe ethnique particulier, par exemple, ou de personnes qui possèdent une quelconque qualité personnelle ou qualification commune.

 

[90]           Pour ce qui est de l’usage du mot « public » en droit, le Black’s Law Dictionary définit le nom « public » de manière à ce qu’il désigne la population d’une nation ou d’une collectivité dans son ensemble (« The people of a nation or community as a whole »). Cependant, Daphne Dukelow et Betsy Nuse, dans The Dictionary of Canadian Law (2e éd., Carswell, Toronto, 1994), citent les paroles salutaires suivantes de Lord Wright, M.R., dans Jennings c. Stephens, [1936] 1 Ch. 469 (C.A. d’Angleterre), à la page 476, lesquelles décrivent le mot « public » comme un terme dont la signification est incertaine et dont la portée doit être limitée chaque fois par le contexte dans lequel il est utilisé (« a term of uncertain import it must be limited in every case by the context in which it is used… »).

 

[91]           L’expression « available to the public » (« mis à la disposition du public » dans la Loi sur la statistique) figure dans un certain nombre de lois fédérales, dont le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2, article 59 (duty to make a copy of an arbitration decision award “available to the public” / obligation de rendre une copie de la décision d’un arbitre « accessible au public »); la Loi sur l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, L.C. 1997, ch. 40, paragraphe 50(2) (duty to make financial statements “available to the public” / obligation de mettre les états financiers « à la disposition du public »); la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, alinéa 2.2(1)b) (“publication” of sound recordings means making copies “available to the public” / le terme « publication » est défini comme étant la « mise à la disposition du public » d’exemplaires d’un enregistrement sonore); la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33, paragraphe 69(3) (guidelines issued under the Act shall be made “available to the public” / le ministre qui établit les directives « les rend publiques »).

 

[92]           L’expression « mis à la disposition du public » à l’alinéa 17(2)d) de la Loi sur la statistique sert à préciser quelles personnes doivent avoir à leur disposition les renseignements personnels contenus dans les relevés de recensements avant qu’ils ne puissent être communiqués en tant qu’exception à l’interdiction générale de communication énoncée au paragraphe 17(1). Le paragraphe 2(2) de la Loi sur l’accès à l’information utilise l’expression « […] normalement à la disposition du grand public ». Ce libellé pourrait être interprété comme indiquant que, dans une loi portant sur l’accès aux renseignements et à leur protection, être à la disposition du « public » ne signifie pas la même chose qu’être à la disposition du « grand public ». Cependant, puisque la Loi sur l’accès à l’information ne s’applique pas aux demandes de renseignements visés par la Loi sur la statistique, je n’accorderais pas beaucoup d’importance à un argument fondé sur une présomption de constance dans la langue législative.

 

[93]           Les comptes rendus législatifs donnent un aperçu des objectifs sous‑tendant l’alinéa 17(2)d), qui figurait à l’origine à l’alinéa 16(3)d) de la Loi sur la statistique, L.C. 1970-71-72, ch. 15. Cet alinéa visait à faire en sorte que les renseignements, à leur passage sous la responsabilité de Statistique Canada, ne fassent pas l’objet d’un degré plus élevé de confidentialité qu’à leur lieu d’origine : Canada, Débats du Sénat, 3e session, 28e législature (21 octobre 1971), à la page 38 (M. Hédard Robichaud).

 

[94]           Cependant, ce raisonnement s’applique difficilement lorsque, comme en l’espèce, les renseignements en question ont été donnés à Statistique Canada par les individus concernés et quand les renseignements deviennent disponibles (pour certains mais pas tous les membres du public) après qu’ils ont été recueillis. Il ne s’agit probablement pas de situations envisagées par les rédacteurs de la Loi sur la statistique. Afin de respecter l’objet de la loi décrit ci‑dessus, l’alinéa 17(2)d) aurait dû préciser que le statisticien en chef peut communiquer des renseignements aux personnes les ayant à leur disposition en vertu d’une loi ou de toute autre règle de droit. Mais ce n’est pas ce qui est écrit.  

 

[95]           En outre, si les renseignements sont « mis à la disposition du public » au sens de l’alinéa 17(2)d) dès qu’ils sont mis à la disposition d’une partie du public, la question serait alors de savoir si le statisticien en chef pourrait communiquer les renseignements contenus dans les recensements à tout membre du public qui les demande ou seulement aux individus appartenant à la partie du public ayant les renseignements à sa disposition en vertu d’une autre loi. L’alinéa 17(2)d) ne remplirait son objectif que si la communication était limitée aux membres de la partie pertinente du public. Cependant, pour parvenir à ce résultat, il faudrait sous‑entendre des mots additionnels à l’alinéa 17(2)d).

 

[96]           L’expression « mis à la disposition du public » de l’alinéa 17(2)d) doit aussi être interprétée dans le contexte global de la Loi sur la statistique, en particulier les dispositions ayant trait au recensement. Les données recueillies au moyen du recensement sont de la plus haute importance dans la planification des politiques sociales et économiques pour la population du Canada et dans la planification des activités. La fiabilité de ces renseignements dépend de deux éléments de la Loi : l’obligation légale, sous risque de peine, qu’ont les individus interrogés de fournir les renseignements demandés et l’obligation du gouvernement de ne pas communiquer les renseignements personnels des individus sans leur consentement.  

 

[97]           L’importance d’obtenir des renseignements complets et exacts par le recensement vient appuyer l’opinion selon laquelle l’interprétation de l’alinéa 17(2)d) ne doit pas nécessiter que des mots y soient sous‑entendus. À mon avis, le sens ordinaire des mots est conforme à l’objectif principal du législateur, c’est‑à‑dire protéger l’intégrité du recensement, et il n’y a aucune raison de donner une large portée aux exceptions à l’interdiction générale de communiquer. Si le législateur avait voulu que le statisticien en chef puisse communiquer des renseignements à une personne appartenant à une section du public ayant les renseignements à sa disposition en vertu d’une loi, il aurait pu le dire. 

 

[98]           Finalement, je noterais que mon interprétation de l’alinéa 17(2)d) ne vient pas diminuer l’utilité de l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, car une bande indienne ou une association d’autochtones peut quand même l’invoquer pour obtenir des renseignements personnels, autres que des recensements, en la possession d’une institution fédérale dans le but de l’établissement de ses droits. En effet, comme l’a souligné le statisticien en chef, les Registres nationaux pourraient être communiqués en vertu de cette disposition.

 

Sixième question : La Cour devrait-elle déterminer si l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 confère aux autochtones le droit de se voir communiquer les relevés des recensements?

 

 

[99]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, le statisticien en chef avait raison de refuser la demande de M. Di Gangi en application des lois pertinentes. À mon sens, il serait prématuré de décider si l’honneur de la Couronne dans ses rapports avec les peuples autochtones, ou toute autre obligation fiduciaire de la Couronne, oblige le statisticien en chef, à titre de responsable d’une institution du gouvernement du Canada, de communiquer les dossiers demandés du fait de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982

 

[100]       Essentiellement, l’argument constitutionnel veut que, dans le contexte en l’espèce, l’honneur de la Couronne oblige cette dernière à ne pas user de procédés indélicats dans le règlement de revendications autochtones et la Couronne manquerait à cette obligation en refusant de communiquer les renseignements en sa possession.

 

[101]       Toutefois, les parties sont encore loin de la table des négociations. À l’heure actuelle, nous ne savons pas non plus, à la lumière des autres éléments de preuve, si la Couronne insisterait pour que les demandeurs produisent une preuve de la continuité généalogique et géographique de 1912 à 1951 relativement aux territoires en litige.

 

[102]       Une demande au statisticien en chef ne constitue peut‑être pas le moyen le plus approprié pour le SNA de soulever les questions constitutionnelles posées en l’espèce, si, comme je le crois, la loi ne permet pas la communication des renseignements demandés.

 

F.        CONCLUSION

[103]       Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’infirmerais le jugement de la Cour fédérale et je rejetterais la demande du Commissaire à l’information.

 

« John M. Evans »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-107-06

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 13 FÉVRIER 2006 PAR LE JUGE MICHAEL A. KELEN, DOSSIER NUMÉRO T-421-04.)

 

INTITULÉ :                                                               LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE

                                                                                    c.

                                                                                    LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 27 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                   LE JUGE DÉCARY

 

MOTIFS DISSIDENTS :                                          LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 1er JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Bendin

POUR L’APPELANT

 

Daniel Brunet et Diane Therrien

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANT

 

 

Le Commissaire à l’information du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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