Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20071017

Dossier : A-369-06

Référence : 2007 CAF 328

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

RONNIE RENAUD

Défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 11 octobre 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2007.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20071017

Dossier : A-369-06

Référence : 2007 CAF 328

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

RONNIE RENAUD

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire une décision du juge-arbitre (CUB 64629A) rendue le 19 juin 2006. Je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les raisons qui suivent.

 

 

 

FAITS PERTINENTS AU LITIGE

 

[2]               Le défendeur a comparu à l’audience, mais il n’avait pas déposé de mémoire écrit. Malgré cela, nous lui avons permis de faire des représentations. Il s’est d’ailleurs bien acquitté de cette tâche.

 

[3]               Il n’est pas nécessaire de reprendre en détails les faits et les incidents procéduraux en l’espèce. Il suffit de dire que le défendeur a formulé deux demandes distinctes de prestations d’assurance-emploi. Le première couvre une période débutant le 15 septembre 2002 et se terminant le 10 mai 2003, la seconde, une période s’amorçant le 28 septembre 2003. Quoique distinctes aux fins d’appréciation du droit aux bénéfices et de détermination du montant de ces bénéfices, les deux demandes de prestations ont été réunies, à la demande du défendeur, pour l’audition de l’appel devant le conseil arbitral. Les faits suivants sont à l’origine de l’appel du défendeur.

 

[4]               Le défendeur occupait un emploi saisonnier, ce qui explique les deux demandes de prestations faites à peu près à la même période des années 2002 et 2003. Or, en avril 2004, la Commission de l’assurance-emploi (Commission) a appris que le défendeur était administrateur de deux compagnies, soit la Poissonnerie des Iles et les Homards du Cap des Iles. Il en était l’âme dirigeante jusqu’à son retrait à l’automne 2003.

 

[5]               Suite à la découverte de ce fait passé sous silence par le défendeur, se soulevaient la question de l’état de chômage de ce dernier ainsi que celle de sa disponibilité à travailler. Les questions se posaient pour les deux périodes de prestations.

 

[6]               La Commission a informé le défendeur qu’il n’avait pas droit aux prestations reçues à compter du 15 septembre 2002 puisqu’à son avis, il n’était ni en chômage ni disponible pour travailler. Cette conclusion se fondait sur le fait que le défendeur s’occupait à temps plein de l’administration de ses entreprises et en retirait des bénéfices.

 

[7]               En outre, la Commission imposait une pénalité de 7 434 $ pour la première période de prestations. Elle reprochait au défendeur d’avoir fait sciemment dix-sept (17) fausses déclarations quant à son implication dans la gestion des entreprises. Comme la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi) le permet, elle doublait cette pénalité d’un avis de violation qualifiée de très grave.

 

L’AUDITION DEVANT LE CONSEIL ARBITRAL

 

[8]               Lors de l’audition du 18 janvier 2005 devant le conseil arbitral, le défendeur a soumis une preuve établissant, tel que déjà mentionné, qu’il s’était retiré à l’automne 2003 de la direction des entreprises. Les deux affidavits du 17 janvier 2005, que l’on retrouve aux pages 330 et 331 du volume 2 du dossier du demandeur, sont à cet effet. L’un des déclarants est le remplaçant du défendeur à la tête de la gestion de l’entreprise Poissonnerie des Iles Renaud, l’autre, le frère du défendeur. Ce dernier attestait que son frère avait été remplacé à la direction de l’entreprise Homards du Cap des Iles et qu’il n’était plus à l’emploi de cette dernière.

 

[9]               Le conseil arbitral a alors conclu, dans sa décision du 18 janvier 2005, que le défendeur était en chômage pour les deux périodes en litige. Il a donc accueilli l’appel du défendeur à l’encontre de la décision de la Commission.

 

L’APPEL AU JUGE-ARBITRE

 

[10]           La Commission en a appelé de cette décision du conseil arbitral. Toutefois, devant le juge-arbitre, elle a renoncé à l’appel qui avait trait à la seconde période de prestations établie le 28 septembre 2003. Ne restait donc en litige que la première période de prestations. Le juge-arbitre devait donc décider si le conseil arbitral s’était mépris lorsqu’il a conclu que, pour la période prenant effet le 15 septembre 2002, le défendeur rencontrait les critères d’admissibilité aux bénéfices prévus par la Loi.

 

LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

 

[11]           La procureure du demandeur soumet que le juge-arbitre aurait dû intervenir. Selon elle, le conseil arbitral a retenu des éléments de fait favorables au défendeur qui sont postérieurs à la période en litige et qui ne s’appliquaient qu’à la deuxième période de prestations, notamment le fait que le défendeur s’était retiré de l’administration des entreprises. Elle reproche également au conseil arbitral, et au juge-arbitre qui a entériné la décision du conseil, d’avoir omis de considérer des preuves pertinentes à la seule période maintenant en litige.

 

DÉCISION

 

[12]           Il ne fait pas de doute que les prétentions de la Commission sont bien fondées.

 

[13]           Quoique les deux périodes de demandes de prestations aient été réunies pour les fins de l’audition devant le conseil arbitral, ce dernier avait l’obligation de déterminer l’état de chômage et la disponibilité du défendeur pour chacune des périodes en cause. Il devait considérer les faits et les circonstances spécifiques à chaque période. Il ne pouvait se livrer à une évaluation globale des deux périodes car, comme la preuve le révèle en l’instance, les conditions et les circonstances peuvent changer.

 

[14]           Or, à la lecture des motifs du conseil arbitral au soutien de sa décision, il est évident que celui-ci s’est attardé aux faits et circonstances entourant la deuxième période de prestations pour tirer une conclusion qu’il a, sans discrimination, appliquée à la première période. Il s’est livré à cet exercice sans faire l’analyse des données factuelles et de la preuve concernant la première période de prestations ainsi que l’implication du défendeur, au cours de cette période, dans la gestion quotidienne et le développement des entreprises qu’il a fondées. Cette preuve, émanant de déclarations du défendeur, établissait qu’il était l’administrateur des entreprises, « le leader président avec le pouvoir de signature sur les divers documents », qu’il négociait les prêts et les locaux : voir la déclaration statutaire du défendeur, dossier du demandeur, volume 1, page 18. Le conseil arbitral a mentionné cette preuve, mais il ne l’a pas considéré et analysé dans sa prise de décision.

 

[15]           Les extraits suivants de la décision du conseil arbitral illustre bien l’approche prise et l’emphase mise par celui-ci sur la deuxième période de prestations :

 

M. Renaud maintient que la compagnie de gestion (Aéroculture Renaud) n’a jamais occupé son temps. À l’été 2003, M. Pierre Sénécal fut embauché pour remplacer M. Renaud dans ses fonctions (voir pièce affidavit de M. Sénécal). À partir de l’automne 2003 et par la suite, le prestataire a donc uniquement fait des tâches isolées, sur demande, qui n’affectaient pas sa disponibilité (voir également affidavit de M. Danis Renaud).

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

a)         le temps consacré à l’entreprise, dans notre dossier M. Renaud soutient consacrer environ 75 heures par semaine (voir pièce 2-1) lors de la saison mais seulement du temps résiduel en dehors. De plus, il explique son désengagement pour les compagnies familiales depuis 2003.

 

b)         la nature et le montant du capital et des autres ressources investis. Autant les entreprises familiales que la mise sur pied de sa nouvelle entreprise sont des projets sérieux dont le prestataire désire le succès. Toutefois à partir de 2003, M. Renaud n’a plus vraiment d’engagement envers Homard des Iles et la Poissonnerie des Iles Renaud. Quant à Aéroculture Renaud, elle ne fut incorporée que pour obtenir un prêt d’investissement.

 

c)         la réussite ou l’échec financiers de l’entreprise. M. Renaud a indiqué que les activités de Poissonnerie des Iles Renaud sont terminées et qu’Aéroculture Renaud est totalement inactive.

 

d)         Le maintien de l’entreprise. M. Renaud ne fait que rembourser le prêt de la compagnie Aéroculture Renaud et n’a plus aucun pouvoir de gestion dans les autres entreprises familiales.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

Qu’en était-il de la période du 15 septembre 2002 au 10 mai 2003? La décision est, à toutes fins pratiques, muette sur ce point.

 

[16]           Toujours en rapport avec la disponibilité du défendeur, le conseil arbitral écrit à la page 5 de sa décision, dossier du demandeur, volume 2, page 343 :

 

Afin de se qualifier pour des prestations d’assurance-emploi, M. Renaud doit également être en mesure de prouver qu’il était capable de travailler et incapable d’obtenir un emploi (art. 18a) de la Loi).

 

Le fardeau de preuve repose donc sur le prestataire. La disponibilité est une question de faits qui repose sur le désir du prestataire de retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable lui est offert. Ce désir s’exprime par des efforts raisonnables et constants pour se trouver un emploi convenable le plus rapidement possible (voir Bois, A-31-00; Cornelissen-O’Neil, A-652-93; et Bertrand, A-631-81).

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

Le conseil arbitral se dit satisfait que le défendeur a réussi à faire la preuve de sa disponibilité.

 

[17]           Or, le conseil arbitral relate dans ses motifs une déclaration du défendeur, faite dans sa demande de prestations, mais à nouveau l’ignore dans sa prise de décision. Dans cette déclaration, le défendeur a indiqué qu’il n’avait pas « ben ben » fait de recherches d’emploi en 2002, 2003 et 2004 : voir dossier du demandeur, volume 1, page 22. Cette déclaration du défendeur, jumelée à celle de son implication dans la gestion des deux entreprises lors de la première période de prestation, méritait que le conseil l’examine sérieusement pour voir si le défendeur était disponible pour travailler ainsi qu’en état de chômage.

 

[18]           Lors de son témoignage devant le conseil arbitral, le défendeur s’est démarqué de ses déclarations antérieures et s’est efforcé d’en atténuer la portée. Le conseil arbitral l’a jugé crédible. Mais il n’a pas cherché à expliquer, un tant soit peu, les raisons pour lesquelles il écartait les déclarations antérieures du défendeur pour préférer une version différente des faits, voire en apparence contradictoire sur certains aspects.

 

[19]           En somme, le conseil arbitral a ignoré la preuve documentaire au dossier qui tendait à démontrer que le défendeur exploitait une entreprise et ne s’était pas cherché de travail. Cette preuve portait ombrage au témoignage du défendeur à l’audition. Le conseil arbitral pouvait, pour des motifs valables, écarter ces éléments de preuve après les avoir soupesés et appréciés, mais il ne pouvait les ignorer comme il l’a fait, surtout que ces éléments, et d’autres au dossier, se situaient au cœur de la question de l’état de chômage ainsi que celle de la disponibilité : voir Canada (Procureur général) c. Bellavance, 2005 CAF 87, au paragraphe 7; et Maki c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), [1998] A.C.F. no. 1129, au paragraphe 3.

 

[20]           Le juge-arbitre a justifié son refus d’intervenir dans la décision prise par le conseil arbitral au motif que l’état de chômage et la disponibilité sont des questions de fait et « que les faits, leur évaluation et leur interprétation doivent d’abord être laissés aux membres du conseil arbitral » : voir la page 2 des motifs de la décision du juge-arbitre. Mais encore faut-il que le conseil arbitral les évalue et qu’il évalue les bons, i.e. ceux qui sont pertinents à la période concernée. Je ne crois pas que ce fut le cas dans la présente affaire et le juge-arbitre aurait dû intervenir pour ordonner une nouvelle audition. Il est malheureux qu’il faille ainsi reprendre l’audition avec les coûts et les inconvénients que cela comporte, mais, en dehors d’une entente, il s’agit là de la seule solution équitable pour les deux parties.

 

CONCLUSION

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans frais comme le requiert le demandeur. La décision du juge-arbitre sera annulée. L’affaire sera retournée au juge-arbitre en chef, ou à la personne qu’il désigne, pour qu’il la retourne à un conseil arbitral différemment constitué afin qu’il décide :

 

a)         la question de l’état de chômage et de la disponibilité du défendeur pour la période du 15 septembre 2002 au 10 mai 2003; et

 

b)         celle de savoir si les déclarations fausses ou trompeuses faites par le défendeur pour cette période, et pour lesquelles une pénalité et un avis de violation qualifiée de très grave ont été imposés, ont été faites sciemment,

 

 

 

le tout en faisant abstraction des faits survenus après le 10 mai 2003.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-369-06

 

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        v. RONNIE RENAUD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :                               LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 octobre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pauline Leroux

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Ronnie Renaud

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.