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Date : 20071128

Dossiers : A-103-06

A-104-06

A-110-06

A-111-06

Référence : 2007 CAF 377

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

A-103-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

MARTHA BLANCHET

Défenderesse

 

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A-104-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

MARTHA BLANCHET

Défenderesse

 

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A-110-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

JULIE BERNIER

Défenderesse

 

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A-111-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

ISABELLE PELLETIER

Défenderesse

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 31 octobre 2007.

Jugement rendu à Québec (Québec), le 28 novembre 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20071128

Dossiers : A-103-06

A-104-06

A-110-06

A-111-06

Référence : 2007 CAF 377

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

A-103-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

MARTHA BLANCHET

Défenderesse

 

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A-104-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

MARTHA BLANCHET

Défenderesse

 

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A-110-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

JULIE BERNIER

Défenderesse

 

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A-111-06

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

ISABELLE PELLETIER

Défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige

 

[1]               Le juge-arbitre a-t-il eu raison de confirmer la décision du conseil arbitral dans les dossiers CUB 65235, 65192, 65193 et 65255? Ce faisant, le juge-arbitre a conclu que les défenderesses étaient admissibles aux bénéfices des prestations d’assurance-emploi pendant les périodes de congés scolaires, et ce en vertu de l’exception prévue à l’alinéa 33(2)b) du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 (Règlement). Cet alinéa se lit :

 

33. (2) Le prestataire qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence n’est pas admissible au bénéfice des prestations — sauf celles prévues aux articles 22, 23 ou 23.1 de la Loi — pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui-ci, sauf si, selon le cas :

 

a) son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin;

 

b) son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance;

 

c) il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l’égard d’un emploi dans une profession autre que l’enseignement.

33. (2) A claimant who was employed in teaching for any part of the claimant's qualifying period is not entitled to receive benefits, other than those payable under section 22, 23 or 23.1 of the Act, for any week of unemployment that falls in any non-teaching period of the claimant unless

 

 

(a) the claimant's contract of employment for teaching has terminated;

 

(b) the claimant's employment in teaching was on a casual or substitute basis; or

 

 

(c) the claimant qualifies to receive benefits in respect of employment in an occupation other than teaching.

 

 

[2]               Afférente à cette question se soulèvent, comme c’est le cas dans chacun des dossiers du genre, la norme de contrôle applicable à la révision de la décision du conseil arbitral par le juge-arbitre ainsi que celle qui régit la décision du juge-arbitre qui nous est soumise pour révision judiciaire.

 

[3]               Les défenderesses ont revendiqué leur droit au bénéfice des prestations en alléguant que leur emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance. Leur revendication se fonde sur l’alinéa 32(2)b) du Règlement.

 

[4]               La question de l’admissibilité aux bénéfices dans les présentes causes est commune à toutes les défenderesses, quoique les périodes ainsi que les sommes en litige varient d’un dossier à l’autre. Il n’y a pas de contestation quant aux faits énoncés par le demandeur, sauf que le procureur des défenderesses a tenu à y apporter certaines précisions dans chacun des dossiers.

 

Les prétentions des parties quant à la norme de contrôle applicable

 

[5]               La procureure du demandeur soutient que l’erreur à la source de la décision du juge-arbitre est une erreur de droit car elle émane d’une mauvaise interprétation que lui et le conseil arbitral ont faite des termes suivants que l’on retrouve aux alinéas 33(2)a) et b) du Règlement : « son contrat de travail a pris fin » et « son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance ». Pour elle, la norme applicable est celle de la décision correcte. Elle nous réfère aux décisions suivantes : Stone c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 27 (C.A.F.); Bazinet et al. c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 174 (C.A.F.); et Canada (Procureur général) c. Robin, 2006 CAF 175 (C.A.F.).

 

[6]               Le procureur des défenderesses prend appui sur l’arrêt de notre Cour dans Stephens c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2003 CAF 477 pour conclure que la question de l’applicabilité de l’alinéa 33(2)b) est principalement une question de fait soumise à la norme de l’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 25.

 

[7]               Par contre, il reconnaît que la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si l’alinéa 33(2)b) peut s’appliquer même si un contrat n’a pas pris fin puisqu’il s’agit d’une question de droit.

 

Les prétentions des parties quant à l’admissibilité aux bénéfices

 

[8]               Selon la procureure du demandeur, les défenderesses ne sont pas admissibles puisqu’aucune des trois conditions du paragraphe 33(2) du Règlement n’est satisfaite.

 

[9]               Premièrement, il n’y a pas eu de rupture dans la continuité de l’emploi tel que ce concept a été réitéré récemment dans l’affaire Bazinet, précitée. Conséquemment, elles ne pouvaient réclamer des bénéfices puisque les termes « toute période de congé » que l’on retrouve au paragraphe 33(2) du Règlement couvrent non seulement la période des vacances d’été, mais aussi celles des vacances de Noël, de Pâques et des périodes trimestrielles de relâche scolaire : voir Dupuis-Johnson c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1996] A.C.F. no. 816 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. St-Cœur, A-80-95, 17 avril 1996.

 

[10]           Deuxièmement, les défenderesses n’exerçaient pas leur emploi sur une base occasionnelle ou de suppléance, mais plutôt sur une base régulière, à temps partiel.

 

[11]           Enfin, s’adressant à la troisième exception du paragraphe 33(2), la procureure du demandeur signale que rien au dossier n’indique que les défenderesses se trouvaient dans des conditions pour recevoir des prestations par suite du fait qu’elles exerçaient un emploi dans une profession autre que l’enseignement.

 

[12]           Le procureur des défenderesses soumet que les trois conditions du paragraphe 33(2) sont indépendantes les unes des autres. Il suffit d’en satisfaire une pour pouvoir profiter de l’exception à l’inadmissibilité et avoir droit aux bénéfices : voir Oliver c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 98, au paragraphe 16 (C.A.F.). Il revendique pour ses clientes l’exception de l’alinéa 33(2)b) en se fondant sur le sens ordinaire et grammatical des mots « occasionnelle » et « suppléance ».

 

[13]           En outre, il invoque l’interprétation que le Ministère des Ressources humaines et du Développement fait de ces termes dans son Guide de la détermination de l’admissibilité (Guide), édition 2005. Il cite l’extrait suivant qui se trouve au chapitre 14 intitulé L’enseignement :

 

14.3.2    Deuxième exception : enseignement occasionnel ou de suppléance

 

Lorsque le prestataire n’a pas été exempté de l’inadmissibilité aux prestations en vertu de la première exception, il faut examiner les exigences de la deuxième exception afin de déterminer si une exemption est possible. Le Règlement prévoit que des prestations ne sont pas payables au prestataire sauf si « son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance ». L’exception est fondée sur la nature de l’emploi dans l’enseignement que le prestataire exerce pendant la période de référence, c’est-à-dire l’enseignement occasionnel ou de suppléance. Le Règlement ne s’applique pas si l’enseignant ou l’enseignante n’enseignait pas sur une base ni occasionnelle, ni de suppléance.

 

On doit donner aux termes « occasionnelle » et « suppléance » le sens qui leur est donné dans le dictionnaire, qui peut être différent de celui que leur confère la législation provinciale ou les conventions collectives.

 

L’enseignement dispensé « sur une base occasionnelle » désigne l’enseignement sur une courte période et à des fins limitées, intermittentes et temporaires. Au sens du Règlement, on peut affirmer que l’enseignement occasionnel est un enseignement à intervalles irréguliers, dispensé de façon occasionnelle ou accessoire. Si l’emploi consiste à remplacer une personne pendant une courte période d’absence imprévue ou temporaire, et si le travail peut prendre fin en tout temps, on peut affirmer qu’il est de nature occasionnelle.

 

La suppléance désigne le fait de remplacer un enseignant absent ou une enseignante absente. Il n’y a pas de limite à la durée de la période pendant laquelle une personne remplace un autre enseignant ou une autre enseignante, qui lui ferait perdre son statut de suppléant. La commission scolaire a tout le loisir de pourvoir à un poste vacant sur une longue période à l’aide d’un même suppléant année après année ou de plusieurs suppléants.

 

Les prestataires qui ont exercé un emploi dans l’enseignement sur une base occasionnelle ou de suppléance pendant une fraction quelconque de la période de référence et qui, depuis le début de la période de congé ou avant, ont signé un contrat d’enseignement régulier pour l’année scolaire suivante, sont admissibles aux prestations pendant toutes les périodes de congé qui tombent dans leur période de prestations actuelle.

 

Il peut arriver qu’un enseignant ou une enseignante en congé sans solde compte de l’enseignement régulier et de l’enseignement sur une base occasionnelle ou de suppléance dans sa période de référence.

 

Une personne dont la majeure partie du travail d’enseignement pendant la période de référence a été dispensée sur une base occasionnelle ou de suppléance peut remplir les conditions requises, malgré le fait qu’elle a enseigné à temps plein au cours de la période de référence.

 

 

La norme de contrôle applicable en l’espèce par le juge-arbitre

 

[14]           La définition des trois exceptions prévues au paragraphe 33(2) du Règlement ainsi que la définition du champ d’application de ces exceptions soulèvent, à mon avis, des questions de droit.

 

[15]           Par exemple, déterminer « qu’un contrat a pris fin » le 29 juin 2006 peut constituer une simple question de fait. Mais déterminer « qu’un contrat a pris fin » le 29 juin 2006 au sens de l’alinéa 33(2)a) du Règlement implique une détermination du sens légal que la disposition attribue ou confère à ces termes. L’exercice, en pareil cas, consiste à déterminer les tenants et aboutissants du critère juridique pour ensuite l’appliquer aux faits de l’espèce. Une erreur dans la formulation de ce critère juridique est une erreur de droit : voir Stone c. Canada, supra, au paragraphe 14.

 

[16]           L’application du bon critère juridique aux faits et aux circonstances de l’espèce soulève une question mixte de fait et de droit : ibidem, au paragraphe 13. La norme de révision applicable à cette question par le juge-arbitre est celle de la décision déraisonnable : Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298 (C.A.F.).

 

[17]           Le même raisonnement s’applique à l’interprétation de l’alinéa 33(2)b) du Règlement. Le sens à donner aux mots « occasionnelle » et « suppléance » aux fins de cet alinéa soulève une question de droit : son application subséquente aux faits de la présente cause, une question mixte de fait et de droit.

 

[18]           Dans le cas présent, le juge-arbitre s’est fondé sur l’arrêt Stephens, précité pour conclure que l’applicabilité de l’alinéa 33(2)b) était principalement une question de fait. Avec respect, je crois qu’il s’est mépris quant à la nature de la question en litige et, conséquemment, quant à la norme de contrôle applicable.

 

[19]           Il est vrai que, dans un court jugement oral rendu à l’audience, notre collègue la juge Sharlow avait accepté la position prise par la Couronne selon laquelle la question de l’applicabilité de l’alinéa 33(2)b) était principalement une question de fait. Mais cette affirmation se situait dans un contexte bien précis où il n’y avait pas de conclusions de fait suffisamment claires pour permettre « de déterminer la façon dont il convient d’appliquer l’alinéa 33(2)b) ». En d’autres termes, dans ce cas précis, il était impossible d’appliquer l’alinéa 33(2)b) dans les faits, vu l’absence de conclusions de fait. C’est dans ce sens et ce contexte particuliers et limités qu’il fut énoncé que l’applicabilité de la disposition soulevait principalement une question de fait, ce qui n’est pas le cas dans l’affaire qui nous occupe.

 

[20]           Notre rôle consiste donc à appliquer à l’analyse de la décision du conseil arbitral la norme appropriée de contrôle administratif que le juge-arbitre aurait dû appliquer : Q. c. College of Physicians and Surgeons, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43.

 

Analyse de la décision du conseil arbitral et du juge-arbitre

 

[21]           Avant d’analyser la décision du conseil arbitral, il me faut référer brièvement aux faits spécifiques de chaque dossier.

 

Dossiers A-103-06 et A-104-06 Martha Blanchet

 

[22]           Selon le conseil-arbitral, Mme Blanchet a signé, dans le dossier A-103-06, un contrat d’enseignante à temps partiel à 8.7% du temps régulier d’une enseignante à temps plein. Elle avait aussi en même temps, pour la période du 23 août 2002 au 27 juin 2003, un contrat d’enseignement à temps partiel, également à 8.7% du temps régulier d’un enseignant à temps plein. Son revenu total, selon son témoignage se situait entre 15 000 $ et 17 000 $ par année, dont 4 500 $ découleraient de ses deux contrats. Le reste proviendrait de son travail de suppléance.

 

[23]           Mme Blanchet réclame des prestations pour la période du congé de Noël (22 décembre 2003 au 2 janvier 2004) et celle de la relâche scolaire (1 mars 2004 au 5 mars 2005) : voir dossier du demandeur, aux pages 19, 20 et 66 à 70.

 

[24]           Dans le dossier A-104-06, la période d’emploi s’étendait du 29 août 2001 au 21 juin 2002. Il s’agissait d’un contrat d’engagement à la leçon, au terme duquel Mme Blanchet s’engageait à enseigner un maximum de 432 minutes par cycle du temps d’une enseignante à temps plein au primaire.

 

[25]           Elle réclame des prestations pour une partie de la période du congé de Noël (22 décembre 2002 au 28 décembre 2002).

 

Dossier A-110-06 Julie Bernier

 

[26]           Mme Bernier a travaillé comme enseignante pour la Commission scolaire des Navigateurs du 15 août 2002 au 27 juin 2003, pour celle des Découvreurs du 25 octobre 2002 au 12 juin 2003 et pour celle de la Capitale du 29 octobre 2002 au 19 juin 2003.

 

[27]           En outre, elle s’était engagée avec la Commission scolaire des Navigateurs pour la période du 23 août 2002 au 27 juin 2003. Son engagement consistait à enseigner 22.22% du temps régulier d’une enseignante à temps plein.

 

[28]           Pour l’année 2003-2004, Mme Bernier a conclu un contrat avec la Commission scolaire des Navigateurs par lequel, pour la période du 26 août 2003 au 29 juin 2004, elle enseignerait 44.44% du temps régulier d’une enseignante à temps plein.

 

Dossier A-111-06 Isabelle Pelletier

 

[29]           Mme Pelletier a fait établir une période de prestations à son profit. Celle-ci a pris effet le 29 juin 2003. Au soutien de sa demande de prestation, Mme Pelletier a fourni deux relevés d’emploi.

 

[30]           Le premier de ces relevés a trait à un emploi dans un domaine autre que l’enseignement. Entre le 4 août et le 23 octobre 2002, la défenderesse a accumulé 315 heures d’emploi assurable.

 

[31]           Le second relevé établit que la défenderesse a occupé un poste d’enseignante à la Commission scolaire des Découvreurs. La période d’emploi s’est échelonnée du 12 septembre 2002 au 23 juin 2003.

 

[32]           Au cours de sa période de référence, la défenderesse a également signé un contrat d’enseignante à temps partiel avec la même Commission scolaire. Du 10 février au 26 juin 2003, elle enseignait en vertu de ce contrat à 100% du temps d’un enseignant ou d’une enseignante à temps plein.

 

[33]           Pour l’année scolaire 2003-2004, la défenderesse s’est vu offrir de nouveaux contrats d’enseignante à temps partiel. Pour la période du 2 septembre 2003 au 23 janvier 2004, elle a enseigné à 20.43% du temps d’enseignement de la personne qu’elle a remplacée. Du 26 janvier au 28 juin 2004, elle a occupé 100% d’une charge d’enseignement en remplacement d’un autre professeur.

 

[34]           La défenderesse réclamait des prestations pour la période du 22 décembre 2003 au 2 janvier 2004.

 

Interprétation et portée du paragraphe 33(2) et de l’alinéa 33(2)b) du Règlement

 

[35]           Le paragraphe 33(2) crée, pour l’enseignant qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence, une inadmissibilité au bénéfice des prestations pour les semaines de chômage qui sont comprises dans toute période de congé. Comme notre Cour l’a déjà décidé, l’expression « toute période de congé » ne se limite pas aux vacances d’été. Elle s’étend aux périodes qui surviennent en cours d’année scolaire, notamment celles de Noël, de Pâques et des relâches trimestrielles : voir Dupuis-Johnson c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) et Procureur général du Canada c. St-Cœur, supra.

 

[36]           Mais le paragraphe 33(2) renferme également trois exceptions à cette clause d’inadmissibilité. Il s’agit de trois exceptions distinctes et non d’une seule exception assortie de trois conditions à respecter pour qu’elle s’applique. Dans l’arrêt Oliver c. Canada (Procureur général), supra, au paragraphe 16 de cette décision, notre Cour a entériné la position prise en ce sens par le juge-arbitre.

 

[37]           De fait, l’usage en anglais du mot « or » à la fin de l’alinéa 33(2)b) ainsi que la technique de rédaction utilisée dans la version française de ce paragraphe indiquent que ces alinéas ne sont pas d’application cumulative, mais bien chacun d’une application autonome et indépendante les uns des autres.

 

[38]           L’exception consentie à l’alinéa 33(2)b) met l’emphase sur l’exercice de l’emploi et non sur le statut de l’enseignant qui l’exerce. En d’autres termes, un enseignant peut, par exemple, avoir un statut de suppléant, mais durant sa période de référence être appelé, et s’engager par contrat, à exercer un emploi non pas sur une base occasionnelle ou de suppléance, mais sur une base régulière ou à intervalle régulier à temps partiel. Même s’il garde son statut de suppléant selon l’entente collective qui régit la commission scolaire et le syndicat des enseignants, il n’exerce pas sur une base de suppléance l’emploi à temps partiel qu’il a contracté. Il ne rencontre pas alors les conditions de l’exception de l’alinéa 33(2)b). Comme le disait notre collègue la juge Sharlow au paragraphe 2 de l’affaire Stephens c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), supra, il est possible « qu’un enseignant soit employé comme suppléant pendant des périodes qui surviennent à des intervalles suffisamment réguliers pour qu’on ne puisse pas affirmer qu’il s’agit d’un emploi « exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance » ».

 

[39]           Dans un effort louable de clarification de la question de l’admissibilité aux bénéfices des prestations durant les périodes de congé, l’édition 2005 du Guide auquel réfèrent les défenderesses, contenait toutefois certaines ambigüités. Celles-ci résultaient d’une emphase mise tantôt sur l’exercice de l’emploi, tantôt sur le statut de suppléant de l’enseignant, de sorte que le Guide pouvait donner à penser que le statut de l’enseignant l’emportait sur l’exercice de l’emploi aux fins de l’exception.

 

[40]           Certains correctifs ont été apportés dans la version 2007 du Guide, mais je ne suis pas convaincu que la nouvelle édition atteint l’objectif recherché de clarté. Par exemple, au paragraphe 14.3.2 dont le titre est Enseignement sur une base occasionnelle ou de suppléance, le Guide définit le concept de suppléance. Cependant, il reprend à la page 3 du Chapitre 14 ce passage que l’on retrouvait dans l’édition de 2005 et qui semble encore insister sur le statut de l’enseignant :

 

Il n’y a pas de limite à la période pendant laquelle une personne peut remplacer un autre enseignant, sans pour autant perdre son statut de suppléant. Le conseil scolaire ou la commission scolaire a tout le loisir de combler un poste vacant sur une longue période en faisant appel soit à un même suppléant, année après année, soit à plusieurs.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

Je le répète, le bénéfice de l’exception ne s’obtient pas par le statut de l’enseignant au sein de la commission ou du conseil scolaire, mais par l’exercice de l’emploi durant la période de référence. Si l’emploi est exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance, l’exception peut être invoquée, que l’enseignant perde ou garde son statut de suppléant.

 

[41]           Le Règlement ne définit pas les termes « base occasionnelle ou de suppléance ». Les défenderesses soumettent qu’il y a lieu de donner à ces termes le sens ordinaire et grammatical du dictionnaire.

 

[42]           Le Petit Larousse, édition 2007, à la page 746, définit le mot « occasionnel » comme suit :

 

Qui arrive, se produit occasionnellement, par hasard; accidentel, irrégulier.

 

La définition de suppléance que l’on retrouve à la page 1020 de ce dictionnaire réfère au « fait d’être suppléant ». « Suppléant » est défini par référence à la personne qui supplée quelqu’un dans ses fonctions sans en être titulaire. Et le verbe « suppléer » signifie remplacer quelqu’un dans ses fonctions.

 

[43]           La version 2007 du Guide, à la page 3 du Chapitre 14, précise qu’aux fins du Règlement, « l’enseignement occasionnel est un enseignement à intervalles irréguliers, dispensé de façon occasionnelle ou sur demande ». Et à ces fins, il « y a suppléance lorsqu’une personne est sur appel ou qu’elle peut remplir les fonctions d’un autre enseignant temporairement, durant par exemple, les congés sans solde, les vacances ou les congés de maladie » : ibidem.

 

[44]           Je suis d’accord qu’il faut donner à ces termes le sens usuel et usité du dictionnaire et non un sens littéraire, philosophique ou figuré. Mais la démarche ne s’arrête pas là. Il faut examiner le contrat qu’a signé l’enseignant ou l’enseignante pour déterminer si l’emploi est exercé sur une telle base ou non au sens de l’alinéa 33(2)b). Ceci m’amène à l’application de cette démarche aux faits de l’instance.

 

Application de l’alinéa 33(2)b) aux faits de l’instance

 

[45]           Les défenderesses ne revendiquent pas les exceptions des alinéas 33(2)a) ou 33(2)c) du Règlement. Il n’y a aucun élément de preuve pouvant établir que l’alinéa 33(2)c) puisse s’appliquer. Quant à l’alinéa 33(2)a), je suis d’accord avec la procureure du demandeur qu’il n’y a pas eu rupture dans l’emploi au sens établi par la jurisprudence : voir l’arrêt Bazinet, supra.

 

[46]           Les défenderesses ont exercé leur emploi en vertu de contrats d’enseignement à temps partiel ou à la leçon ou les deux : voir dans le dossier du demandeur A-103-06 aux pages 19 et 20 les contrats, dans le dossier du demandeur A-104-06 à la page 19, dans le dossier du demandeur A-110-06 aux pages 23 à 31, 40 et 43 et dans le dossier du demandeur A-111-06 aux pages 16 et 25 à 28.

 

[47]           Suivant l’entente intervenue entre le Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones et la Centrale de l’enseignement du Québec pour le compte des syndicats d’enseignantes et d’enseignants qu’elle représente, la commission scolaire est tenue d’offrir « un contrat à temps partiel au suppléant qu’elle engage pour remplacer une enseignante ou un enseignant à temps plein ou à temps partiel, lorsqu’il est préalablement déterminé que la période d’absence de cette enseignante ou enseignant est supérieure à deux (2) mois consécutifs » : voir la clause 5-1.11 de l’entente.

 

[48]           C’est précisément cette situation qui a cours en l’instance. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu’on puisse dire que l’emploi a été exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance. Pour reprendre les termes du juge Marceau dans l’affaire Dupuis-Johnson, supra, au paragraphe 8, les défenderesses étaient sous contrat durant les périodes de vacances en cause et « leur emploi dans l’enseignement, aussi temporaire et précaire qu’aient été leur contrats [pour les périodes en cause], a certes été exercé de façon continue et prédéterminée et non sur une base occasionnelle ou de suppléance au sens de l’alinéa 33(2)b) [sic] ».

 

[49]           Le conseil arbitral, à mon avis, s’est mépris sur l’interprétation et la portée de l’alinéa 33(2)b) du Règlement. Le juge-arbitre se devait d’intervenir pour corriger cette erreur de droit et appliquer aux faits de l’espèce l’interprétation correcte de l’alinéa 33(2)b). S’il s’était livré à cet exercice, il n’aurait pu faire autrement que conclure que l’appel de la Commission devait être accueilli.

 

Conclusion

 

[50]           Pour ces motifs, j’accueillerais les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers A-103-06, A-104-06, A-110-06 et A-111-06 avec dépens, mais je limiterais à un seul jeu de dépens ceux de l’audition car celle-ci fut commune aux quatre recours. J’annulerais la décision du juge-arbitre dans chacun des dossiers et je retournerais chacune des affaires au juge-arbitre en chef, ou au juge-arbitre qu’il désignera, pour qu’il la décide à nouveau en tenant pour acquis dans chacun des dossiers que l’appel de la Commission doit être accueilli et que chacune des défenderesses n’a pas établi qu’elle pouvait bénéficier de l’exception prévue à l’alinéa 32(2)b) du Règlement puisque son emploi n’était pas exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance.

 

 

[51]           Une copie des présents motifs sera déposée dans chacun des dossiers au soutien du jugement qui y est rendu.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                  A-103-06, A-104-06, A-110-06 et A-111-06

 

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        c.  MARTHA BLANCHET et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 novembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Carole Bureau

Me Chantale Labonté

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Gaétan Guérard

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

SEDR-CSQ

Charny (Québec)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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