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Date : 20080128

Dossier : A-32-06

Référence : 2008 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

RENÉ KLABOUCH

demandeur

et

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                    LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LA JUGE DESJARDINS

 

 


Date : 20080128

Dossier : A-32-06

Référence : 2008 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE DESJARDINS                

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

RENÉ KLABOUCH

demandeur

et

MINISTRE DU DEVELOPMENT SOCIAL

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Le demandeur est conducteur d’autobus chez OC Transpo depuis novembre 1986. En raison d’une douleur dans la région ischiatique droite, c’est-à-dire dans sa fesse droite, il ne travaille pas depuis juillet 2000. Le 23 novembre 2001, il a déposé une demande de pension d’invalidité en faisant valoir que la douleur l’empêchait d’exécuter toute forme de travail que ce soit. Sa demande a été rejetée par le ministre du Développement social (ministre), décision que le tribunal de révision a confirmée le 24 septembre 2003. Le demandeur a interjeté appel de cette décision à la Commission d’appel des pensions (Commission), qui a rejeté son appel le 3 novembre 2005.

 

[2]               Bien qu’il ait reconnu que l’état du demandeur lui infligeait des souffrances, le tribunal de révision a conclu que celui-ci n’avait pas établi qu’il était invalide au sens du Régime de pensions du Canada, L.R.C 1985, ch. C-8 (RPC). D’après le tribunal de révision, le demandeur [traduction] « pouvait détenir une occupation rémunératrice adaptée à sa situation (c’est-à-dire un travail à temps partiel, sédentaire) » (page 3 de sa décision).

 

[3]               La Commission a rejeté l’appel du demandeur parce que, selon elle, il n’avait pas démontré qu’en date du 31 décembre 2002, c’est-à-dire la période minimale d’admissibilité en vertu du RPC, il souffrait d’une invalidité à la fois « grave » et « prolongée ». En concluant ainsi, la Commission a souligné le fait qu’aucun des médecins qui avaient examiné le demandeur, sauf peut- être le Dr Bourque, neurochirurgien, n’avait opiné que le demandeur ne pouvait pas occuper des postes qui ne nécessitaient pas qu’il reste assis pendant de longues périodes. La Commission a en outre souligné que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il avait cherché un emploi approprié à son état, c’est-à-dire qui ne requiert pas qu’il passe trop de temps assis.

 

[4]               La Commission s’est également fondée sur un rapport d’évaluation des capacités fonctionnelles, daté du 28 mars 2005, rédigé par le CBI Physiotherapy and Rehabilitation Centre (rapport CBI), qui s’achève à la page 8 (p. 349 du dossier du défendeur) sur les recommandations suivantes :

[traduction] Compte tenu des résultats de l’évaluation des capacités fonctionnelles, M. Klabouch serait en mesure d’exercer un travail sédentaire lui permettant de s’asseoir, de rester debout ou de marcher, en alternance. Une exploration continue de choix de sièges peut aider à développer une tolérance à la position assise. Vous pouvez envisager un fauteuil roulant Roho; toutefois, compte tenu du temps auquel remonte la douleur de ce client et du niveau d’invalidité perçue, le pronostic reste sombre.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

[6]               Le demandeur présente un certain nombre d’arguments à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Premièrement, il soutient que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer s’il y avait invalidité au sens du RPC, en ce qu’elle s’est concentrée sur la question de savoir s’il manquait de motivation pour se soigner, et par conséquent pour reprendre le travail, plutôt que sur les critères prévus à l’alinéa 42(2)a) du RPC, c’est-à-dire sur la question de savoir si son invalidité était « grave » et « prolongée ».

 

[7]               Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit et n’a pas tenu compte des principes de justice naturelle en ne tirant pas une conclusion défavorable claire au sujet de sa crédibilité avant de rejeter son témoignage et en omettant de fournir des motifs suffisants.

 

[8]               Troisièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. En particulier, le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte du témoignage des docteurs Chow, Kissick, Bourque, Robinson, Langlois et Bertrand, du diagnostic de syndrome de la fatigue chronique et du fait qu’il avait essayé d’effectuer un autre travail.

 

[9]               À mon avis, tous ces arguments sont sans fondement. Tout d’abord, je suis convaincu que la Commission n’a commis aucune erreur en ce qui concerne le critère juridique applicable pour déterminer si le demandeur était invalide au sens de l’alinéa 42(2)a) du RPC. Pour avoir droit à une pension d’invalidité, le demandeur doit démontrer qu’il a versé des cotisations valides au RPC pour une période minimale d’admissibilité et que son invalidité est « grave » et « prolongée ». Le terme « grave » exige que l’invalidité rende la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, tandis que le terme « prolongée » exige que l’invalidité soit vraisemblablement indéfinie ou puisse entraîner vraisemblablement le décès. Ce critère, à mon avis, a été correctement établi par la Commission.

 

[10]           Le fait que la Commission se soit essentiellement concentrée sur le volet « grave » du critère, et qu’elle ne soit pas prononcée quant au volet « prolongée » ne constitue pas une erreur. Les deux exigences de l’alinéa 42(2)a) du RPC sont cumulatives, de sorte que si un demandeur ne satisfait pas à l’une ou l’autre condition, sa demande de pension d’invalidité en vertu du RPC sera rejetée.

 

[11]           La deuxième contestation de la décision de la Commission soumise par le demandeur, est qu’elle a commis une erreur en omettant de tirer une conclusion défavorable claire au sujet de sa crédibilité avant de rejeter son témoignage et en omettant de fournir des motifs suffisants.

 

[12]           En ce qui concerne le caractère suffisant des motifs de la Commission, je ne vois guère de fondement aux prétentions du demandeur. Les motifs de la Commission sont clairement suffisants. Je ne vois pas non plus de fondement à la prétention du demandeur selon laquelle la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a omis de tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité. Comme l’affirme le ministre, la Commission n’a ni rejeté son témoignage ni ne l’a remis en cause. La preuve dont elle disposait ne l’avait tout simplement pas convaincue que le critère de l’alinéa 42(2)a) du RPC avait été respecté. Par conséquent, la décision de la Commission n’était pas fondée sur la crédibilité du demandeur, mais plutôt sur son appréciation de la preuve.

 

[13]           J’aborde maintenant le troisième motif de contestation du demandeur, à savoir que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait lorsqu’elle a rendu sa décision. Toutefois, avant de me pencher sur le bien-fondé de cette contestation, il importe de garder à l’esprit un certain nombre de principes énoncés par la Cour suprême du Canada et notre Cour, relativement au traitement des demandes de pension d’invalidité en vertu du RPC.

 

[14]           Premièrement, le critère permettant d’évaluer si une invalidité est « grave » ne consiste pas à déterminer si le demandeur souffre de graves affections, mais plutôt à déterminer si son invalidité « l’empêche de gagner sa vie » (voir : Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703, paragraphes 28 et 29). En d’autres termes, c’est la capacité du demandeur à travailler et non le diagnostic de sa maladie qui détermine la gravité de l’invalidité en vertu du RPC.

 

[15]           Deuxièmement, le principe susmentionné a pour corollaire que la détermination de la gravité de l’invalidité n’est pas fondée sur l’incapacité du demandeur d’occuper son emploi régulier, mais plutôt sur son incapacité d’effectuer un travail, c’est-à-dire « une occupation véritablement rémunératrice » (voir : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34, aux paragraphes 7 et 8).

 

[16]           Troisièmement, la Cour a toujours statué qu’un demandeur doit non seulement soumettre à la Commission une preuve médicale à l’appui de son allégation selon laquelle son invalidité est « grave » et « prolongée », mais aussi une preuve étayant ses efforts pour se trouver un emploi et améliorer son état de santé. Dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, le juge en chef Isaac a exprimé l’avis suivant au paragraphe 50 :

[50]       Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Inclima c. Canada (P.G.), 2003 CAF 117, le juge Pelletier, après avoir cité le passage ci-dessus de la déclaration du juge en chef Isaac dans l’arrêt Villani, précité, a formulé les remarques suivantes au paragraphe 3 :

[3]     […] un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[18]           J’aborde maintenant la question de l’appréciation de la preuve par la Commission. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur à ce chapitre parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve médicale pertinente.

 

[19]           Dans ses motifs, la Commission mentionne ou reproduit certaines parties des avis des médecins traitants du demandeur, ainsi que ceux de spécialistes dont il a retenu les services. En particulier, la Commission a examiné le témoignage des docteurs Kissick, Robinson, Chow, Langlois, Bourque, Hardy et Bertrand (voir les paragraphes 6 à 19 des motifs de la Commission). Les rapports et les avis des médecins portent sur l’état du demandeur, son traitement et dans certains cas sur son aptitude à travailler. En outre, la Commission disposait du témoignage du Dr Jewer, l’expert du ministre. Comme c’est souvent le cas, la preuve médicale n’était pas totalement similaire et n’était pas tout à fait claire dans un sens ou dans l’autre.

 

[20]           Dans ses motifs, la Commission a abordé l’état du demandeur, ses antécédents professionnels, sa preuve médicale et sa situation personnelle. Bien que la preuve démontre que le demandeur souffrait de douleurs chroniques, rien, selon la Commission n’établissait que la douleur l’empêchait de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Bien que son employeur lui eût confié des tâches plus légères en 1997, pendant une courte période, aucun élément de preuve ne démontrait que le demandeur avait travaillé ou cherché d’autres possibilités d’emploi accommodant son état, après juillet 2000.

 

[21]           À mon avis, il ne fait aucun doute que la Commission a clairement pris en considération l’ensemble de la preuve médicale lorsqu’elle a rendu sa décision. À cela, j’ajouterais que la question de savoir si le demandeur a tenté de trouver un autre travail ou manquait de motivation de le faire constituait clairement un facteur pertinent pour déterminer si son invalidité était « grave ».

 

[22]           En faisant valoir que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, le demandeur affirme également que la Commission n’a pas pris en compte le témoignage du Dr Bertrand qui, dans une lettre datée du 29 août 2005, critiquait le rapport CBI pour n’avoir pas compris que l’invalidité du demandeur découlait [traduction] « d’un problème lié à la douleur […] dans la fesse droite, et non d’un problème de la colonne lombaire, ce qui semble être la base de l’évaluation effectuée au CBI Physiotherapy and Rehabilitation Centre ».

 

[23]           Bien que la Commission n’ait pas expressément fait mention de la lettre du Dr Bertrand, elle a souligné, au paragraphe 6 de ses motifs, que le demandeur critiquait le rapport CBI parce qu’[traduction] « ils étaient préoccupés par sa lombalgie, ce dont il ne souffre pas, plutôt que par sa douleur à la fesse ». C’est précisément la nature de la critique formulée par le Dr Bertrand dans sa lettre du 29 août 2005.

 

[24]           À mon avis, on ne saurait donc dire que la Commission n’était pas au courant des éventuelles faiblesses du rapport CBI. Par conséquent, je ne suis pas disposé à conclure que l’omission de la Commission de faire mention de la lettre du Dr Bertrand constitue une erreur susceptible de révision.

 

[25]           En fin de compte, le demandeur nous demande d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait la Commission et de tirer une conclusion différente en ce qui concerne le volet « grave » du critère de l’invalidité, ce qu’il ne nous est pas loisible de faire dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[26]           Pour terminer, le demandeur ne m’a pas convaincu que la Commission a commis une erreur de droit, qu’elle a mal interprété la preuve ou qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents lorsqu’elle a tiré sa conclusion. Par conséquent, je ne vois aucun fondement nous permettant d’intervenir.

 

[27]           Pour ces motifs, je rejetterais le présent contrôle judiciaire. Le demandeur n’ayant pas sollicité les dépens, il n’en sera pas adjugé.

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

            J. Richard j.c. »

 

« je suis d’accord

            Alice Desjardins j.c.a »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aude Megouo

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-32-06

 

INTITULÉ :                                                                           RENÉ KLABOUCH c. MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 15 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LA JUGE DESJARDINS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 28 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

René Klabouch

LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marcus Davies

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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