Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20080303

Dossier : A-574-06

Référence : 2008 CAF 81

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

CALGON CARBON CORPORATION

appelante

 

et

 

CORPORATION DE LA VILLE DE NORTH BAY

et TROJAN TECHNOLOGIES INC.

intimées

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 mars 2008

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 3 mars2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                  LE JUGE RYER

 

 


Date : 20080303

Dossier : A-574-06

Référence : 2008 CAF 81

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE RYER

ENTRE :

CALGON CARBON CORPORATION

appelante

 

et

 

CORPORATION DE LA VILLE DE NORTH BAY

et TROJAN TECHNOLOGIES INC.

intimées

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Rendus à l’audience à Toronto (Ontario), le 3 mars 2008)

 

LE JUGE RYER

 

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision du juge Mosley de la Cour fédérale (2006 CF 1373) dans laquelle il a accueilli la demande reconventionnelle de Trojan Technologies Inc. et de la Corporation de la Ville de North Bay (les intimées) concernant une déclaration d’invalidité du brevet canadien no 2,331,525 (le « brevet ‘525 ») pour cause d’antériorité, c’est‑à‑dire au motif que l’objet de l’invention revendiquée dans le brevet ‘525 avait fait l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs, au sens des alinéas 28.2(1) a) et b) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. En raison de cette conclusion, la Cour fédérale a rejeté la demande de Calgon Carbon Corporation (Calgon ou l’appelante) selon laquelle les intimées avaient contrefait le brevet ‘525. La seule réparation demandée par Calgon dans l’appel est un jugement déclaratoire quant à la validité et à la contrefaçon du brevet ‘525. Les intimées ont choisi de ne pas participer à l’appel au motif qu’un arrangement avait été conclu entre l’appelante et elles.

 

[2]               Le présent appel soulève deux questions relativement au brevet ‘525, qui décrit un procédé pour prévenir la réplication du Cryptosporidium parvum (Crypto) dans l’eau à l’aide de faibles doses de rayonnements ultraviolets. La première question consiste à savoir si la Cour fédérale, en concluant que le brevet ‘525 se heurtait à une antériorité, a appliqué de façon erronée la doctrine de la préclusion à l’arrêt de la Cour Calgon Carbon Corp. c. North Bay (Ville), 2005 CAF 410, 262 D.L.R. (4th) 476 (Calgon 2005). La deuxième question concerne la formulation et l’application appropriées du critère d’antériorité.

 

Préclusion

[3]               Dans l’arrêt Calgon 2005, la Cour a jugé que le brevet ‘525 traite d’un objet brevetable, déclarant que l’utilisation de faibles doses de rayonnements ultraviolets pour irradier l’eau relativement au Crypto constituait une nouvelle utilisation d’une méthode existante. La Cour a expressément refusé d’examiner la question de savoir si le brevet ‘525 était invalide pour cause d’antériorité. Dans l’espèce, la Cour fédérale a décidé qu’elle ne réexaminerait pas la question de savoir si le brevet ‘525 traite d’un objet brevetable, déclarant qu’elle était liée par la conclusion de Calgon 2005. La Cour fédérale a conclu que la question à trancher se résumait à une question d’antériorité.

 

[4]               Avant d’étudier la question de l’antériorité, la Cour fédérale a procédé à l’interprétation du brevet ‘525, comme elle devait le faire. Ce faisant, la Cour fédérale n’a pas, à notre avis, contredit les conclusions relatives à l’interprétation des revendications qui ont été tirées par la présente Cour dans l’arrêt Calgon 2005. Par conséquent, nous ne sommes pas convaincus que l’argument de préclusion de l’appelante a été établi.

 

Antériorité

[5]               À l’égard de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le brevet ‘525 est invalide pour cause d’antériorité, Calgon fait valoir que la Cour fédérale a appliqué le mauvais critère d’antériorité et a mal interprété la preuve.

 

Norme de contrôle

[6]               Bien que les conclusions de fait tirées par le juge de première instance soient susceptibles de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante et que les interprétations juridiques soient susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte, l’antériorité, quant à elle, est une question mixte de fait et de droit. Ainsi, elle doit être examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’il n’y ait clairement une erreur de droit isolable, auquel cas la norme de la décision correcte s’appliquera (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

Critère applicable en matière d’antériorité par publication

[7]               La Cour fédérale a jugé que le critère applicable en matière d’antériorité par publication a été établi dans Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), page 297, comme suit :

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

 

À notre avis, cette décision de la Cour fédérale était correcte.

 

Critère applicable en matière d’antériorité par utilisation

[8]               La Cour fédérale a estimé que le critère applicable en matière d’antériorité par utilisation consiste à savoir si la divulgation est habilitante, c’est‑à‑dire une divulgation qui permettrait au public de faire ou d’obtenir l’invention. La Cour fédérale a jugé que ce critère a été discuté en détail dans l’arrêt Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, 17 C.P.R. (4th) 478, et qu’il n’avait pas été modifié par la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 187 (voir les paragraphes 117, 125 et 133 des motifs de la Cour fédérale).

 

[9]               L’appelante fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en adoptant ce critère. Selon l’appelante, la Cour fédérale aurait dû reformuler le critère exposé dans l’arrêt Baker Petrolite conformément à l’opinion incidente de lord Hoffman dans Merrell Dow Pharmaceuticals c. H.N. Norton & Co., [1996 ] R.P.C. 76 (H.L.), rédigée comme suit :

[traduction] Le point de savoir si une personne exploite ou non une invention est un fait objectif, indépendant de ce qu’elle-même sait ou pense de son action. (La position peut être différente lorsque l’invention est un emploi pour un produit; en pareil cas, une personne peut seulement faire fonctionner l’invention lorsqu’elle l’utilise pour l’objet breveté …). [Non souligné dans l’original.]

 

[10]           L’argument de l’appelante est que la Cour fédérale aurait dû adopter la partie de la citation qui est entre parenthèses comme étant le critère d’antériorité dans les cas où l’objet du brevet est la revendication d’une méthode ou d’une utilisation. Ainsi, l’appelante soutient que l’antériorité par utilisation d’une méthode ou par revendication de l’utilisation nécessite que la personne qui utilise la méthode soit au courant que cette méthode est utilisée pour  l’objet breveté.

 

[11]           La Cour fédérale a adopté une interprétation de divulgation habilitante qui est conforme au point de vue de l’appelante en ce qui concerne le critère approprié. C’est ce qui ressort des conclusions de la Cour fédérale relativement à l’utilisation antérieure de l’invention à Fort Benton, au Montana, et à Weerseloseweg, aux Pays‑Bas. Au paragraphe 150 de la décision, la Cour fédérale a conclu que l’utilisation à Fort Benton de rayonnements ultraviolets continus en large bande au moyen de lampes à pression moyenne fournissant des longueurs d’onde comprises entre 200 et 300 nm dans des doses comprises entre 10 mJ/cmet environ 175 mJ/cm2  visait à inactiver le Crypto. En d’autres termes, la Cour fédérale a jugé que l’administration de Fort Benton utilisait sciemment la méthode brevetée pour l’objet indiqué dans le brevet. La même conclusion ressort d’un examen du paragraphe 171 des motifs relativement à l’utilisation de la méthode aux Pays‑Bas. La Cour fédérale a jugé que l’installation en question utilisait sciemment de faibles doses de rayonnements ultraviolets pour prévenir l’infection causée par le Crypto.

 

[12]           Ces exemples montrent que la Cour fédérale a interprété le critère de divulgation habilitante de Baker Petrolite d’une manière qui était conforme aux critères que fait valoir l’appelante. Par conséquent, la prétention de l’appelante selon laquelle la Cour fédérale a formulé le mauvais critère en ce qui concerne la divulgation habilitante doit être rejetée.

 

Application du critère d’antériorité

[13]           La Cour fédérale a appliqué les critères d’antériorité de l’invention par publication et utilisation relativement à un certain nombre de situations :

a)      utilisation antérieure à l’installation de traitement des eaux à Fort Benton (Montana)  dans les années 90;

b)      publication antérieure à une réunion du National Sanitation Foundation, Environmental Technology Steering Committee, en 1998;

c)      utilisation antérieure à l’installation de traitement des eaux de Weerseloseweg (Pays‑Bas) dans les années 90 et publication antérieure d’un rapport sur l’utilisation de l’invention dans l’installation en 1996;

d)      publication antérieure, dans une revue en 1993, d’un article rédigé par M. E. Ransome et autres;

e)      utilisation antérieure à Trout Lake.

 

[14]           La Cour fédérale a examiné la preuve longue et détaillée relativement à chacune des situations susmentionnées d’antériorité par publication et par utilisation. La Cour fédérale a conclu relativement à l’ensemble de ces situations, sauf celle de Trout Lake, que l’allégation d’antériorité avait été établie. La Cour fédérale a tiré ses conclusions par l’application de la loi (qui, selon nous, a été bien comprise par la Cour fédérale) aux conclusions de fait auxquelles elle était parvenue d’après la preuve qui lui a été présentée.

 

[15]           En dépit des efforts soutenus de l’avocat de l’appelante, nous ne sommes pas convaincus que nous devrions modifier la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le brevet ‘525 est invalide pour cause d’antériorité, c’est‑à‑dire que l’objet du brevet ‘525 a fait l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs, au sens du paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets, avant les dates pertinentes aux fins de cette disposition.

 

[16]           Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, nous sommes d’avis de rejeter l’appel.

 

                                                                                                            « C. Michael Ryer »

j.c.a.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-574-06

 

(APPEL DU JUGEMENT ET DES MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE MOSLEY, DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 14 NOVEMBRE 2006, DOSSIER NO T-1408-02)

 

INTITULÉ :                                                                           CALGON CARBON CORPORATION c. CORPORATION DE LA VILLE DE NORTH BAY et TROJAN TECHNOLOGIES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 3 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR                                                                        (LES JUGES LINDEN, SEXTON, RYER)

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               LE JUGE RYER.

 

COMPARUTIONS :

 

Michael D. Crinson 

Geoffrey D. Mowatt

POUR L’APPELANTE

 

Aucune comparution

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dimock Stratton, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.