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Date : 20080304

Dossier : A-328-07

Référence : 2008 CAF 88

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

AKTIEBOLAGET HÄSSLE

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 mars 2008

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 4 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                         LE JUGE SEXTON

 


Date : 20080304

Dossier : A-328-07

Référence : 2008 CAF 88

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE RYER

ENTRE :

AKTIEBOLAGET HÄSSLE

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(rendus à l’audience à Toronto (Ontario), le 4 mars 2008)

LE JUGE SEXTON

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Aktiebolaget Hässle (l’appelante) à l’égard de l’ordonnance de la Cour fédérale par laquelle le juge des requêtes a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que l’action en invalidité intentée par Apotex Inc. (l’intimée) était théorique en raison de l’expiration du brevet en cause.

 

[2]               La requête dans le présent appel se situe dans le contexte d’une action en invalidité concernant le brevet canadien n1 264 751 (le brevet ‘751) appartenant à l’appelante. Le brevet revendique des nouveaux sels d’oméprazole, composé servant à inhiber la sécrétion gastrique. L’intimée désirait commercialiser sa version générique d’oméprazole.

 

[3]               En septembre 2001, l’intimée a soumis un avis d’allégation selon lequel le brevet ‘751 était invalide. Le 24 octobre 2001, l’appelante et AstraZeneca Canada Inc. ont introduit une procédure conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93‑133) (le Règlement AC) en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à l’intimée pour des comprimés d’oméprazole magnésien avant l’expiration du brevet ‘751. Le 20 juin 2003, le juge Campbell a rendu l’ordonnance d’interdiction demandée (2003 CFPI 771).

 

[4]               L’intimée a introduit une action en invalidation contre l’appelante le 17 novembre 2003. Dans sa déclaration, modifiée le 29 octobre 2004 et le 22 novembre 2005, l’intimée a demandé [traduction] « une déclaration indiquant que chacune des revendications du brevet canadien no 1 264 751 est invalide, nulle et sans effet ».

 

[5]               Le 1er novembre 2004, notre Cour a confirmé l’ordonnance d’interdiction rendue par le juge Campbell (2004 CAF 369) et, le 21 avril 2005, la Cour suprême du Canada a refusé d’accorder l’autorisation de pourvoi (dossier no 30716).

 

[6]               L’action en invalidité a été inscrite pour un procès de dix jours commençant en février 2009. Le brevet ‘751 a expiré le 23 janvier 2007. Le 8 mars 2007, l’appelante a déposé un avis de requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant l’action dans son intégralité.

 

[7]               La protonotaire Tabib a refusé d’accueillir la requête de l’appelante visant l’obtention d’une ordonnance rejetant l’action dans son intégralité en raison de son caractère théorique, jugeant qu’elle ne pouvait conclure qu’il était évident et manifeste que la décision dans le litige pourrait ne pas avoir d’effet ou de conséquence juridique sur les droits des parties. Pour des raisons analogues, elle a estimé qu’il n’était pas évident et manifeste que l’intimée n’avait plus qualité pour intenter l’action.

 

[8]               Le juge des requêtes a exercé son pouvoir discrétionnaire de novo, conformément au principe selon lequel lorsqu’une ordonnance est discrétionnaire, elle doit être examinée de novo si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ou si la décision est fondée sur un principe de droit erroné ou une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459). Après avoir examiné la jurisprudence relative à l’appel, il a convenu avec la protonotaire Tabib qu’il n’était pas évident et manifeste que l’action était théorique et a donc rejeté l’appel.

 

[9]               Deux questions se posent dans le présent appel :

  • L’action doit-elle être rejetée parce qu’elle est théorique?
  • L’action doit-elle être rejetée parce que l’intimée n’a pas qualité pour agir?

 

[10]           Les décisions discrétionnaires rendues par un juge d’une juridiction inférieure commandent la retenue de la part de la cour d’appel. Dans une affaire interlocutoire de ce genre, la cour d’appel ne remettra pas en question la décision discrétionnaire du juge de première instance, à moins qu’on ne démontre que le juge des requêtes a appliqué un principe de droit erroné ou a fait une mauvaise appréciation des faits ou que la décision a entraîné une certaine injustice pour l’appelant : voir l’arrêt Citipage Ltd. c. Barrigar & Oyen (1993), 49 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.) à la page 3.

 

[11]           Le choix du critère à appliquer pour décider si une affaire est théorique ou non est une question de droit. La décision d’instruire une action théorique est discrétionnaire : voir l’arrêt Borowski, infra, aux paragraphes 15 et 16.

 

[12]           La présente affaire semble avoir été embrouillée par le fait que, dans son avis de requête, l’appelante s’est entre autres appuyée sur l’article 221 des Règles, qui porte sur la radiation d’actes de procédure. Toutefois, dans son avis de requête, l’appelante a expressément demandé l’octroi d’une [traduction] « ordonnance rejetant l’action dans son intégralité ». Nous faisons remarquer qu’il n’est pas logique d’invoquer la règle relative à la radiation d’actes de procédure lorsqu’on veut faire rejeter une action dans son intégralité au motif qu’elle est théorique. La compétence pour radier une procédure en raison de son caractère théorique découle de la compétence inhérente du tribunal de contrôler sa propre procédure. Par conséquent, le recours à l’article 221 des Règles (dans les décisions de juridictions inférieures et par l’appelante) n’était pas une bonne idée puisque la demande visait l’obtention d’une ordonnance rejetant la procédure in toto au motif qu’elle est théorique.

 

[13]           Le juge des requêtes a cependant reconnu au paragraphe 5 des motifs de son ordonnance que les tribunaux ont le pouvoir de rejeter une action en raison de son caractère théorique sur le fondement de leur pouvoir inhérent de contrôler leur propre procédure (et ce, indépendamment de l’article 221 des Règles). Malheureusement, le juge des requêtes a commis une erreur de droit en tentant d’inclure le critère du caractère « évident et manifeste » de l’article 221 des Règles dans la question du caractère théorique, au paragraphe 15 de ses motifs : [traduction] « Bien que le droit de la Cour de rejeter une action en raison de son caractère théorique ne se limite pas aux circonstances énoncées à l’article 221 des Règles, cette règle demeure un guide utile. » Il s’est ensuite fondé sur une affirmation du protonotaire Hargrave dans British Columbia Native Women’s Society c. Canada, [2000] A.C.F. n588 (QL), au paragraphe 6 : « Une instance peut être radiée en raison de son caractère théorique. [...] Une action théorique de cette nature ne pourra manifestement pas être accueillie, car elle ne donnera lieu à aucun résultat pratique […]. » Rien dans cette affirmation ne laisse entendre que la question juridique à trancher est celle de savoir si une action est théorique « de façon évidente et manifeste ». La Cour doit simplement décider si l’action est théorique ou non. Il est utile de souligner que les arrêts de la Cour suprême qui font autorité en matière de caractère théorique d’une action ne font aucune référence au critère du caractère « évident et manifeste » lorsqu’ils examinent la question du caractère théorique : voir les arrêts Borowski, infra, et Doucet, infra. Le critère du caractère  « évident et manifeste » vient de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Hunt c. Carey, [1990] 2 R.C.S. 959, qui demeure l’arrêt qui fait autorité en ce qui concerne le critère à employer pour une requête en radiation d’un acte de procédure qui ne révèle aucune cause d’action.

 

[14]           La Cour suprême du Canada a établi les critères servant à déterminer si une affaire est théorique dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général) (Borowski), [1989] 1 R.C.S. 42, 57 D.L.R. (4th) 231, [1989] A.C.S. no 14 (QL), au paragraphe 15. Il ne fait aucun doute que l’action en invalidité concernant un brevet expiré est théorique : ce que l’intimée cherche à faire déclarer invalide n’existe plus : voir l’arrêt Bayer c. Apotex (2004), 32 C.P.R (4th) 449 (C.A.F.). La véritable question qui nous est soumise est de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire le litige théorique. Étant donné qu’il a conclu que l’action n’était pas théorique, le juge des requêtes n’avait pas besoin d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire pour décider si l’action devrait être instruite. Il est donc nécessaire que la Cour examine la question du pouvoir discrétionnaire.

 

[15]           Dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, 232 D.L.R. (4th) 577 (Doucet), la Cour suprême du Canada a confirmé les trois facteurs de Borowski à prendre en compte lorsqu’un tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire un appel théorique (au paragraphe 18) :

(1)   l’existence d’un débat contradictoire;

(2)   le souci d’économie des ressources judiciaires;

(3)   la nécessité pour les tribunaux d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

Ces facteurs ne doivent pas être utilisés de façon mécanique : Borowski, précité, au paragraphe 42.

 

[16]           Dans le présent appel, la nécessité pour la Cour d’être consciente de sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique n’est pas en cause étant donné que la présente action ne porte que sur la validité d’un brevet.

 

[17]           L’existence d’un débat contradictoire en l’espèce dépend de l’intimée qui pourrait intenter dans le futur une poursuite en dommages-intérêts en application de l’article 8 du Règlement AC. L’intimée prétend que la poursuite fondée sur l’article 8 ne sera engagée que si elle obtient gain de cause dans la présente action ainsi que dans une autre action relative au brevet canadien no 1 292 693 (portant aussi sur l’oméprazole) et arrive à faire infirmer ab initio les ordonnances d’interdiction correspondantes.  Faisons remarquer qu’il n’y a à l’heure actuelle aucune autre procédure judiciaire en cours qui pourrait être touchée par une décision de la Cour autorisant l’instruction de la présente action. Dans Sanofi Aventis c. Apotex (2006), 53 C.P.R. (4th) 447, la Cour a jugé qu’une revendication éventuelle en vertu de l’article 8 du Règlement AC était trop spéculative pour justifier qu’une cour entende un appel relatif à un brevet expiré. Nous avons donc des doutes quant à l’existence d’un débat contradictoire en l’espèce, mais nous n’avons pas besoin de fonder notre décision sur cette question compte tenu des motifs de rejeter la procédure en raison de l’économie des ressources judiciaires.

 

[18]           Le souci d’économie des ressources judiciaires s’oppose fortement à l’autorisation d’instruction de la présente action. À cet égard, on peut notamment prendre en considération les facteurs suivants. Le règlement de cette affaire serait‑il dans l’intérêt public (Borowski, paragraphe 37)? Y a‑t‑il un élément de cette affaire qui soulève des questions importantes qui risquent d’échapper à l’examen judiciaire (Doucet, paragraphe 20; Borowski, paragraphe 36)? L’affaire sera‑t‑elle de « courte durée » (Borowski, paragraphe 36)? En l’espèce, toutes ces considérations justifient le rejet de l’action. Pour savoir si le règlement de la présente affaire est dans l’intérêt public, il faudrait souligner que, dans sa déclaration, l’intimée ne réclame qu’une [traduction] « déclaration indiquant que chacune des revendications du brevet ‘751 est invalide, nulle et sans effet ». Étant donné que la présente affaire ne porte que sur une demande d’invalidité d’un brevet expiré et rien d’autre, les intérêts en l’espèce se limitent aux parties. En outre, rien dans la présente affaire ne laisse croire qu’il y a des questions importantes qui risquent d’échapper à l’examen judiciaire. Tous les motifs d’invalidité invoqués – antériorité, évidence, double brevet et inutilité – sont des questions juridiques qui sont souvent examinées dans d’autres procédures. La présente affaire ne serait pas non plus de courte durée : même si l’on écarte la possibilité d’appel, l’action devrait durer dix jours. L’intimée n’a fourni aucun motif impérieux justifiant le gaspillage inacceptable des ressources judiciaires qu’occasionnerait l’autorisation d’instruire cette action. En fait, on pourrait faire valoir que si la présente affaire était aussi urgente que le laisse croire l’intimée, il est sûr qu’il y aurait déjà eu un procès puisque l’affaire a commencé en 2003.

 

[19]           Pour ces motifs, la Cour refusera d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser la poursuite de l’action théorique. Étant donné que nous avons conclu que l’affaire est théorique que l’appel portant sur ce point devrait être rejeté, il n’y a pas lieu d’examiner la question de la qualité pour agir.

 

[20]           Vu ce qui précède, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel. L’action devrait être rejetée dans son intégralité en raison de son caractère théorique. Nous sommes d’avis de refuser les dépens puisqu’il appert que l’appelante a créé de la confusion dans les décisions de première instance en renvoyant à l’article 221 des Règles dans son avis de requête et en plaidant, outre le droit en matière de caractère théorique, le droit relatif à la radiation des actes de procédure, alors qu’il ne devait pas s’appliquer en l’espèce.

 

[21]           La Cour ordonne également qu’aucuns dépens ne soient adjugés dans la présente action, qui sera rejetée.

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-328-07

 

(APPEL DE L’ORDONNANCE, EN DATE DU 27 JUIN 2007, PAR LAQUELLE LE JUGE HARRINGTON A REJETÉ L’APPEL DE L’ORDONNANCE DE LA PRONOTAIRE TABIB, EN DATE DU 30 MARS 2007, DOSSIER No T-2146-03)

 

INTITULÉ :                                                                           AKTIEBOLAGET HÄSSLE c.                                                                                                                         APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 4 mars 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR                         (LES JUGES Linden, Sexton, Ryer)

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               LE JUGE SEXTON

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars Gaikis 

Mark Biernacki 

Joe Fraresso

POUR L’APPELANTE

 

Andrew Brodkin

John Simpson

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS  INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

Goodmans, LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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