Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080307

Dossier : A‑249‑07

Référence : 2008 CAF 90

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

ACTELION PHARMACEUTICALS LTD.

appelante

(demanderesse)

 

et

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

ET LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

intimés

(défendeurs)

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 février 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                                  LE JUGE RYER

 


 

Date : 20080307

Dossier : A‑249‑07

Référence : 2008 CAF 90

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

ACTELION PHARMACEUTICALS LTD.

appelante

(demanderesse)

 

et

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

ET LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

intimés

(défendeurs)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE SEXTON

INTRODUCTION

[1]               Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le juge suppléant Lagacé de la Cour fédérale (le juge des demandes) a rejeté une demande de contrôle judiciaire formée par Actelion Pharmaceuticals Ltd. (l'appelante). Cette demande de contrôle judiciaire avait pour objet la décision, en date du 1er août 2006, par laquelle le commissaire aux brevets (le commissaire) avait refusé le paiement proposé par l'appelante au titre de la taxe de maintien en état et de la taxe de rétablissement de sa demande de brevet. Pour les motifs dont l'exposé suit, je rejetterais l'appel.

 

LES FAITS

[2]               La présente affaire concerne la demande de brevet canadien no 2454417, dont la date effective de dépôt est le 31 juillet 2002. La première taxe de maintien en état de cette demande était exigible au deuxième anniversaire de son dépôt, soit le 31 juillet 2004. Cependant, du fait d'une erreur d'écriture, les mandataires canadiens de l'appelante pensaient que la date de dépôt était le 1er juillet 2003, et donc que la première taxe de maintien en état ne serait exigible que le 1er juillet 2005.

 

[3]               La taxe de maintien en état n'a pas été payée au 31 juillet 2004, de sorte que la demande de brevet a été considérée comme abandonnée le 2 août 2004 en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi sur les brevets). L'Office de la propriété intellectuelle du Canada (l'OPIC) aurait envoyé un avis d'abandon à l'appelante le 27 septembre 2004, mais l'appelante déclare n'avoir jamais reçu un tel avis.

 

[4]               Supposant qu'elle payait sa première taxe de maintien en état, l'appelante a écrit le 15 juillet 2005 la lettre suivante au commissaire (la lettre de l'appelante) :

[traduction] Le présent paiement comprend la taxe de maintien en état de 100 $ qui est exigible au deuxième anniversaire de la demande de brevet considérée. Le demandeur a choisi de payer cette taxe en tant qu'entité ordinaire.

 

Nous autorisons le commissaire à débiter toute taxe additionnelle ou à créditer tout trop‑perçu liés à la présente communication directement sur notre compte de dépôt [...]

 

 

[5]               L'OPIC a répondu à cette lettre dans les termes suivants le 7 septembre 2005 :

[traduction]  La taxe de maintien en état était exigible le 2 août 2004.

 

Lorsque la taxe de maintien en état d'une demande de brevet n'est pas payée en entier avant le début d'une période réglementaire, la pratique canadienne prévoit un délai de grâce de 12 mois, pendant lequel le demandeur en défaut doit payer, en plus de ladite taxe, une taxe de rétablissement de 200 $. Or, selon nos dossiers, ce délai a expiré pour la présente demande le 1er août 2005. Par conséquent, nous avons le regret de vous informer que cette demande est maintenant considérée comme abandonnée.

 

Conformément au paragraphe 4(1) des Règles sur les brevets, la somme de 100 $ vous sera remboursée sur demande [...]

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]               La décision du commissaire est assujettie au contrôle judiciaire de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7; voir les paragraphes 32 et 33 de la décision Eiba c. Canada, 2004 CF 250. Le juge des demandes a statué sur la présente affaire d'après le principe que la décision du commissaire devait être contrôlée suivant la norme de la décision correcte. L'application de la méthode pragmatique et fonctionnelle à la détermination de la norme de contrôle confirme la validité de ce choix. La législation ne prévoit pas de droit de contrôle des décisions prises par le commissaire sous le régime de l'article 73 de la Loi sur les brevets, ce qui dénote l'applicabilité d'un degré peu élevé de retenue judiciaire. Mais le point crucial est la nature de la décision du commissaire. Les dispositions du paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets ne laissent manifestement à ce dernier aucun pouvoir discrétionnaire. Or, la présente espèce tourne exclusivement autour de l'interprétation de ce paragraphe. Il s'ensuit que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Cette conclusion concorde avec celle d'un arrêt antérieur de notre Cour, où l'on a appliqué la norme de la décision correcte au contrôle d'une décision par laquelle le commissaire avait accepté des versements complémentaires au titre de la taxe de maintien en état d'une demande de brevet (Dutch Industries, cité plus loin, paragraphe 23).

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[7]               L'appelante soutient que sa lettre constituait une requête en rétablissement de sa demande de brevet. Les conditions du rétablissement d'une demande de brevet sont énoncées au paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets, ainsi libellé :

73. (3) Elle peut être rétablie si le demandeur :

 

 

a)  présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet;

 

 

b)  prend les mesures qui s'imposaient pour éviter l'abandon;

 

 

c)  paie les taxes réglementaires avant l'expiration de la période réglementaire.

 

73.(3) An application deemed to be abandoned under this section shall be reinstated if the applicant:

 

(a)  makes a request for reinstatement to the Commissioner within the prescribed period;

 

(b)  takes the action that should have been taken in order to avoid the abandonment; and

 

(c)  pays the prescribed fee before the expiration of the prescribed period.

 

 

Ces trois conditions doivent être remplies dans les douze mois suivant l'abandon de la demande de brevet; voir l'article 152 des Règles sur les brevets, D.O.R.S./96‑423 (les Règles sur les brevets).

 

ANALYSE

[8]               L'intimée attire l'attention de la Cour sur les décisions Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (2000), 9 C.P.R. (4th) 13 (C.A.), P.E. Fusion, LLC. c. Canada, 2004 CF 645, et Eiba c. Canada, 2004 CF 250 (Eiba). Ces décisions établissent que lorsque le breveté ne remplit pas rigoureusement les conditions que prévoient la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets, sa demande de brevet ne peut être rétablie en droit. Les faits de l'affaire Eiba, où la Cour fédérale n'a pas mis en question la décision du commissaire comme quoi il n'y avait pas eu rétablissement, sont même tout à fait semblables à ceux de la présente espèce.

 

[9]               Le juge des demandes a conclu que la lettre de l'appelante ne constituait pas une requête en rétablissement de la nature prévue à l'alinéa 73(3)a) de la Loi sur les brevets. À mon sens, il a eu raison de le faire. Le paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets est libellé de façon à exiger que le demandeur de brevet présente une requête explicite en rétablissement. Or, on ne peut interpréter la lettre de l'appelante comme une requête explicite en rétablissement pour l'application de l'alinéa 73(3)a). Cette lettre ne faisait qu'accompagner le paiement d'une taxe de maintien en état, rien de plus. En fait, au moment de l'envoi de sa lettre, l'appelante ne savait même pas que sa demande de brevet était considérée comme abandonnée. La formule passe-partout employée par l'appelante – [TRADUCTION] « Nous autorisons le commissaire à débiter toute taxe additionnelle ou à créditer tout trop-perçu liés à la présente communication directement sur notre compte de dépôt [...] » – ne peut être interprétée comme constituant une requête en rétablissement. L'appelante paraît utiliser régulièrement ce genre de formule dans sa correspondance avec l'OPIC. On trouve en fait exactement la même expression dans d'autres lettres de l'appelante à l'OPIC, par exemple celle du 20 janvier 2004, qui accompagne un formulaire d'inscription et un rapport d'examen préliminaire présentés par elle aux fins de l'inscription nationale au Canada de sa demande de brevet. Or, il est évident que cette lettre du 20 janvier 2004 ne pouvait constituer une requête en rétablissement, puisqu'il n'y avait alors rien à rétablir. Si une telle formule peut être employée dans le contexte de l'inscription nationale d'une demande de brevet, comment peut‑on aussi la définir comme une requête en rétablissement?

[10]           L'appelante n'est pas seule à employer des formules de cette nature; témoin le passage suivant d'une lettre citée dans la décision Wicks c. Canada (Commissaire aux brevets), 2007 CF 222, 59 C.P.R. (4th) 67, à la page 77 :

Le demandeur transmet 550 $ à l'OPIC et autorise le Commissaire à [traduction] « prendre toutes les mesures utiles » pour débiter son compte Visa pour [traduction] « toute somme d'argent complémentaire nécessaire pour acquitter les taxes complémentaires exigibles ».

 

Bien qu'elle ait été écrite après celle qui fait l'objet du présent litige, la lettre citée dans Wicks montre que les demandeurs de brevet ont tendance à employer des formules vagues pour courir le moins possible de risques sans avoir à appliquer leur attention à un problème particulier.

 

[11]           Je partage également les craintes du juge des demandes touchant les conséquences possibles du raisonnement de l'appelante. Il faudrait en effet en déduire la proposition absurde selon laquelle, chaque fois que le paiement d'une taxe de maintien en état serait accompagné d'une formule passe‑partout de la nature décrite plus haut, le commissaire devrait voir dans ce paiement une requête implicite en rétablissement ou quelque autre requête implicite visant à maintenir en vigueur la demande de brevet dont il s'agit. L'OPIC reçoit chaque année de nombreuses demandes de brevet et de nombreuses lettres y afférentes. Les membres du personnel de l'OPIC devraient‑ils maintenant lire chaque lettre que reçoit leur service de manière à y deviner la présence d'une intention que son auteur n'aurait pas explicitement formulée? Une telle façon de faire risquerait d'entraîner des décisions contradictoires. Les conséquences qu'aurait l'acceptation de la prétention de l'appelante paraissent encore plus graves si l'on prend en considération les tiers qui peuvent être amenés à examiner minutieusement le dossier d'une demande de brevet et à prendre des décisions en se fondant sur son contenu. Devront‑ils eux aussi se demander si certains termes peuvent ou non être interprétés comme une requête en rétablissement? Il peut arriver que de tels tiers souhaitent agir en fonction de l'absence apparente d'une requête en rétablissement et prennent des mesures qui leur seraient imputées à contrefaçon dans le cas où le brevet serait en fin de compte délivré. L'interprétation proposée par l'appelante de la Loi sur les brevets et de sa formule passe-partout obligerait des tiers innocents à choisir entre la voie consistant à attendre une quelconque résolution du problème et la prise de mesures susceptibles de les mettre en danger. Enfin, il est difficile d'imaginer les autres conséquences qu'aurait l'acceptation de l'interprétation de l'appelante. Quelles autres incertitudes entraînerait-elle?

 

[12]           Il incombe au demandeur de brevet de se conformer à la Loi sur les brevets plutôt qu'au commissaire d'essayer d'interpréter des communications imprécises. C'est là le principe que pose le juge Létourneau au paragraphe 6 de l'arrêt F. Hoffman-LaRoche AG c. Canada (Commissaire aux brevets), 2005 CAF 399 :

Néanmoins, quelque erreur que le commissaire ait pu faire dans sa propre classification interne du brevet à des fins administratives, les erreurs du commissaire n'ont pas pour effet de libérer l'appelante des obligations que la Loi impose à cette dernière. Elles ne sauraient non plus engendrer, au regard de l'article 46, une responsabilité conjointe ou partagée qui permettrait d'échapper aux conséquences juridiques découlant de l'omission de l'appelante de respecter les exigences de l'article 46.                                          

[Non souligné dans l'original.]

 

J'admets que cette affaire concernait la redélivrance d'un brevet et non le rétablissement d'une demande de brevet, mais le principe demeure le même.

 

[13]           Notre Cour a établi que l'objet du régime des taxes de maintien en état, en plus de donner à l'Office des brevets le moyen de recouvrer les coûts de l'administration du système des brevets, est de décourager la prolifération des brevets et des demandes de brevet inutiles en obligeant les titulaires et les demandeurs de brevet à prendre des mesures de maintien en vigueur; voir le paragraphe 30 de l'arrêt Dutch Industries Ltd. c. Barton No‑Till Disk Inc., 2003 CAF 121, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 29738 (5 mai 2003) [Dutch Industries]. Les conditions auxquelles le paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets subordonne expressément le rétablissement d'une demande de brevet abandonnée excluent tout pouvoir discrétionnaire en cette matière pour le commissaire. Cette exclusion témoigne de l'intention du législateur d'établir un régime concret, strict dans son application et donc prévisible pour le rétablissement des demandes de brevet. C'est une approche de cette nature qui a empêché le commissaire d'accepter des versements complémentaires de titulaires ou de demandeurs de brevet n'ayant pas payé le montant exact de la taxe de maintien en état, au motif qu'aucune disposition législative ne l'y autorisait; voir Dutch Industries, précité. L'interprétation large proposée par l'appelante du sens du terme « requête » pour l'application de l'alinéa 73(3)a) de la Loi sur les brevets ne serait pas conforme à ce régime, pas plus qu'au principe contemporain de l'interprétation des lois; voir Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, page 87.

 

CONCLUSION

[14]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel. Comme l'intimée n'a pas demandé de dépens, il n'en sera pas adjugé.

 

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

 

 

« Je souscris aux présents motifs

          M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs

          C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑249‑07

 

APPEL D'UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ EN DATE DU 23 AVRIL 2007, DOSSIER NO T‑1561‑06

 

INTITULÉ :                                                   ACTELION PHARMACEUTICALS LTD.

                                                                        c.

                                                                        SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL ET LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 14 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy M. Lowman

POUR L'APPELANTE

(DEMANDERESSE)

 

F.B. (Rick) Woyiwada

POUR LES INTIMÉS

(DÉFENDEURS)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sim, Lowman, Ashton & McKay LLP

Toronto (Ontario)

POUR L'APPELANTE (DEMANDERESSE)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

(DÉFENDEURS)

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.