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Date : 20080401

Dossier : A-481-07

 

Référence : 2008 CAF 118

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS     

                        LE JUGE RYER       

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

RONALD D. BRACE

défendeur

 

 

 

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 1er avril 2008

Jugement prononcé à l’audience à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 1er avril 2008

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 


 

Date : 20080401

Dossier : A-481-07

 

Référence : 2008 CAF 118

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS     

                        LE JUGE RYER       

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

RONALD D. BRACE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 1er avril 2008)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le juge-arbitre Stevenson (CUB 68932) a conclu que le défendeur avait un « motif valable » justifiant son retard à présenter sa demande de prestations d’assurance-chômage. Le juge-arbitre a par conséquent ordonné à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) d’antidater la demande de prestations du défendeur pour qu'elle prenne effet le 2 juillet 2004.

[2]               Le nom du défendeur est demeuré sur la feuille de paie de son employeur avec la mention « employé inactif » jusqu'au 2 juillet 2004. Il était rémunéré aux deux semaines. Après le 2 juillet 2004, le défendeur a reçu un paiement forfaitaire de 59 500 $ à titre d'allocation de retraite. Il affirme que son employeur lui avait expliqué qu’il ne pouvait demander de prestations d’assurance-chômage tant qu’il n’aurait pas reçu son relevé d'emploi.

 

[3]               En décembre 2004, le défendeur a chargé un avocat de s’enquérir auprès de son ancien employeur au sujet de la production de son relevé d’emploi. Suivant le défendeur, on aurait dit à son avocat que le relevé en question lui serait remis en février 2005 lorsqu’il recevrait le dernier versement de son indemnité de départ. Aucun relevé d’emploi n’a été produit en février 2005 et pourtant l’avocat aurait attendu à la fin de 2005 pour communiquer de nouveau avec l’employeur à ce sujet. L’employeur soutient que c’est le seul moment où il a été contacté à ce propos. Le document réclamé a été produit le 19 janvier 2006. Le défendeur l’a reçu de son avocat le 23 janvier. Il a présenté sa demande de prestations le 2 mars 2006.

 

[4]               Le litige porte en l’espèce sur le paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi), qui permet d’antidater une demande de prestations lorsque le prestataire a un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande. Cette disposition est ainsi libellée :

 

Demande initiale tardive

 

10. (4) Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

Late initial claims

 

10. (4) An initial claim for benefits made after the day when the claimant was first qualified to make the claim shall be regarded as having been made on an earlier day if the claimant shows that the claimant qualified to receive benefits on the earlier day and that there was good cause for the delay throughout the period beginning on the earlier day and ending on the day when the initial claim was made.

 

 

[5]               Le juge-arbitre s’est dit d’avis que le défendeur avait un motif valable justifiant son retard durant toute la période écoulée entre le 1er juillet 2004 et le mois de mars 2006. À son avis, ce motif valable était le fait qu’il s’était fié à l’avis inexact de son employeur et qu’il avait agi de façon raisonnable en consultant un avocat pour obtenir le relevé d’emploi.

 

[6]               Il est utile à ce moment-ci de rappeler la raison d’être de l’obligation qui est imposée au prestataire de présenter une demande de prestations dès qu’il remplit les conditions requises par l’article 7 de la Loi pour ce faire. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Beaudin, 2005 CAF 123, aux paragraphes 5 et 6, notre Cour a expliqué dans les termes suivants la raison d’être de l’obligation de présenter la demande de prestations sans tarder :

 

[5]      Il n'est pas inutile de rappeler que le paragraphe 10(4) de la Loi n'est pas le produit d'un simple caprice législatif. Il renferme une politique, sous forme d'exigence, qui participe d'une saine et efficiente administration de la Loi. Car d'une part, cette politique permet de « veiller à la bonne gestion et au traitement efficace des demandes de prestations » ainsi qu'à la Commission « de vérifier constamment l'admissibilité continue des prestataires à qui des prestations sont versées » : voir les CUB 18145, le 29 juin 1999 par le juge-arbitre Joyal et CUB 23803, le 27 juin 1994 par le juge-arbitre Rouleau. Le fait d'antidater la demande de bénéfices peut porter atteinte à l'intégrité du système en ce qu'il accorde à un prestataire un octroi rétroactif et inconditionnel du bénéfice des prestations, sans possibilité de vérification des critères d'admissibilité durant la période de rétroactivité : voir les CUB 13007, le 12 décembre 1986 et CUB 14019, le 7 août 1987 par le juge-arbitre Joyal.


[6]        En outre, une saine et équitable administration du système requiert que la Commission se livre à une vérification rapide et la plus contemporaine possible des événements et des circonstances qui génèrent la demande de bénéfices : voir CUB 15236A, le 30 avril 1987 par le juge-arbitre Strayer. Sans quoi, la Commission se retrouve dans la difficile position de devoir se livrer à un travail ou à un processus de reconstruction des événements, avec les coûts et les aléas afférents à un tel processus. C'est ce qui explique le principe, depuis longtemps établi par la jurisprudence de notre Cour, que l'ignorance de la Loi n'excuse pas le retard à produire une demande initiale de bénéfices.

 

[7]               Nous tenons par ailleurs à ajouter à ce qui précède qu’au cours de la période de prestations, le prestataire est tenu de présenter des demandes régulières et répétées de prestations et de déclarer les revenus reçus durant cette période. Toute fausse déclaration à cet égard l’expose à des pénalités et à la perte ou à une réduction des prestations. Le prestataire risque aussi de devoir rembourser les prestations qui lui ont été irrégulièrement versées ou qu’il a obtenues illégalement, en plus de se voir notifier un avis de violation, ce qui, selon l’article 7.1 de la Loi, entraîne un resserrement des critères d’admissibilité aux prestations pour l’avenir. Il est donc difficile de contrôler l’application de ces obligations et de sanctionner le défaut de les respecter lorsque la présentation de la demande de prestations accuse un retard et que les prestations sont accordées rétroactivement. L’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et très stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée parcimonieusement.

 

[8]               Nous constatons que le juge-arbitre n’a pas énoncé le critère juridique permettant de déterminer si la personne qui demande des prestations d’assurance-emploi a un « motif valable » pour expliquer son retard et qui justifierait d’antidater sa demande. Dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.F.), le juge Marceau a expliqué que, pour démontrer qu’il avait un motif valable, le prestataire doit être en mesure de « démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi ».

 

[9]               Ainsi que le juge Marceau l’a également dit dans cet arrêt, le critère applicable est en partie subjectif et chaque cas est un cas d’espèce. Il n’en demeure pas moins, à notre avis, que l’omission du juge-arbitre d’analyser explicitement les faits en fonction de la définition précitée du « motif valable » l’a fort probablement amené à faire fausse route lorsqu’il s’est prononcé sur le caractère raisonnable de la décision du conseil arbitral.

 

[10]           En l’espèce, le défendeur affirme qu’à partir de juillet 2004, il croyait que son ancien employeur refusait délibérément de lui remettre son relevé d’emploi (paragraphe 52 du mémoire du défendeur). Dans ces conditions, une personne raisonnable n’aurait pas continué à se fier à l’opinion antérieure de son employeur selon laquelle elle ne pouvait demander des prestations tant qu’elle n’aurait pas reçu son relevé d’emploi.

 

[11]           On ne trouve par ailleurs dans le dossier aucun élément de preuve qui permette de penser que le défendeur a cherché à obtenir un complément d’information ou l’opinion de quelqu’un d’autre à ce sujet.

 

[12]           Vu l’ensemble des faits de l’espèce, nous sommes d’avis qu’il n’était pas raisonnablement loisible au juge-arbitre de conclure comme il l’a fait. En appliquant comme il se doit le critère prévu par la loi aux faits de l’espèce, force est de conclure qu’une personne se trouvant dans la situation du défendeur se serait renseignée au sujet de ses droits et obligations et qu’elle aurait entrepris des démarches pour protéger sa demande de prestations. Et il aurait été normal de s’adresser pour ce faire à la Commission.

 

[13]           Nous sommes d’accord avec l’avocat de l’appelant pour dire que le juge-arbitre a effectivement accepté comme un motif valable justifiant le retard le manque d’expérience du défendeur avec le système et le fait qu’il s’était fié à l’avis que son employeur lui avait donné alors qu’il n’était plus justifié de s’y fier.

 

[14]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans frais, la décision du juge-arbitre sera annulée et l’affaire sera renvoyée au juge-arbitre en chef, ou à la personne qu’il désignera, pour être jugée de nouveau en tenant pour acquis que l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre de la décision du conseil arbitral doit être rejeté.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                          A-481-07

 

 

INTITULÉ :                                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                              c. RONALD D. BRACE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 1ER AVRIL 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

DE LA COUR :                                                    LE JUGE EVANS

                                                                              LE JUGE RYER

 

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :                      LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Shapiro

POUR LE DEMANDEUR

 

Jean Beeler, c.r.

Matthew J. D. Moir

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Weldon, McInnis

Dartmouth (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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