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Date : 20080417

Dossier : A-403-07

Référence : 2008 CAF 145

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

RITA SCOTT

défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 avril 2008

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 17 avril 2008

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                               LE JUGE LÉTOURNEAU

 


Date : 20080417

Dossier : A-403-07

Référence : 2008 CAF 145

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

RITA SCOTT

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 17 avril 2008)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre (CUB 68669) qui a infirmé la décision d’un conseil arbitral (le conseil), acceptant ainsi une demande antidatée de prestations d’assurance-emploi.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, nous sommes d’avis que la demande devrait être accueillie.

 

[3]               La défenderesse a attendu environ dix (10) mois avant de demander des prestations. Elle a quitté son emploi le 28 janvier 2005. Du 18 avril au 18 novembre 2005, elle était une étudiante parrainée. Elle a affirmé ne pas savoir qu’elle aurait pu avoir droit à de telles prestations pendant qu’elle recevait de l’aide financière de l’Autorité scolaire des premières nations.

 

La décision du conseil

 

[4]               Le conseil a conclu qu’elle n’avait pas fourni de motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations. De l’avis du conseil, la défenderesse a fait preuve de négligence en ne s’informant pas de ses droits et obligations en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). Il a aussi conclu que, pendant une certaine période, elle n’était pas étudiante.

 

[5]               Le conseil a pris en compte trois explications fournies par la défenderesse, soit qu’elle était étudiante, qu’elle craignait qu’on ne l’accuse d’essayer d’abuser du système en demandant des prestations d’assurance-emploi alors qu’elle recevait déjà une autre forme d’aide financière, et qu’elle ne savait pas qu’à titre d’étudiante parrainée elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi : voir la décision du conseil aux pages 56 et 57 du dossier du demandeur.

 

[6]               Étant donné l’aveu de la défenderesse quant à son ignorance de la loi, le conseil a bien appliqué les principes juridiques énoncés par la Cour dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710. Il a déterminé ce qu’une personne raisonnable aurait fait pour s’assurer des droits et obligations en vertu de la Loi : voir Albrecht, précité. Il a conclu que la défenderesse n’avait pas fait preuve de diligence.

 

La décision du juge-arbitre

 

[7]               Devant le juge-arbitre, le représentant de la défenderesse a soutenu que le conseil avait omis de prendre en compte l’argument de la défenderesse selon lequel elle craignait qu’on l’accuse d’essayer d’abuser du système. Nous estimons qu’il ne s’agit pas d’une interprétation juste de la décision du conseil puisque le conseil s’est penché sur cette question.

 

[8]               Compte tenu de cette prétention, le juge-arbitre a demandé une transcription de l’audience tenue devant le conseil afin de confirmer exactement ce que la défenderesse avait déclaré à cette occasion. Malheureusement, il a été impossible de retrouver l’enregistrement. Après avoir appris que l’enregistrement était introuvable, le juge-arbitre a accueilli l’appel de la défenderesse et a annulé la décision du conseil. Les paragraphes qui suivent sont les deux seuls paragraphes dans lesquels le juge-arbitre motive sa conclusion :

 

            Le représentant de la prestataire soutient que le témoignage de sa cliente devant le conseil arbitral était essentiel pour arriver à déterminer si elle avait une justification pour présenter une demande tardive de prestations. Je partage son avis. La Commission, rappelons-le, n’a pas été en mesure de fournir de copie de l’enregistrement de l’audience devant le conseil arbitral. La prestataire ne devrait pas avoir à subir les conséquences de la négligence dont a fait preuve la Commission.

 

            Je considère donc que la prestataire a bel et bien formulé les observations dont son représentant a fait état, et que ces observations pourraient expliquer pourquoi elle n’a pas présenté sa demande de prestations plus tôt et constituer un motif de retard valable.

 

                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[9]               Nous croyons important de souligner encore une fois la nature exceptionnelle de l’avantage accordé par le paragraphe 10(4) de la Loi, disposition qui permet d’antidater une demande. Dans Procureur général du Canada c. Brace, 2008 CAF 118, aux paragraphes 6 et 7, la Cour, qui cite des extraits de Canada (Procureur général) c. Beaudin, 2005 CAF 123, et donne une autre raison pour exiger le dépôt d’une demande de prestations en temps opportun, écrit ce qui suit :

 

[6]        Il est utile à ce moment-ci de rappeler la raison d’être de l’obligation qui est imposée au prestataire de présenter une demande de prestations dès qu’il remplit les conditions requises par l’article 7 de la Loi pour ce faire. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Beaudin, 2005 CAF 123, aux paragraphes 5 et 6, notre Cour a expliqué dans les termes suivants la raison d’être de l’obligation de présenter la demande de prestations sans tarder :

 

[5]        Il n’est pas inutile de rappeler que le paragraphe 10(4) de la Loi n’est pas le produit d’un simple caprice législatif. Il renferme une politique, sous forme d’exigence, qui participe d’une saine et efficiente administration de la Loi. Car d’une part, cette politique permet de « veiller à la bonne gestion et au traitement efficace des demandes de prestations » ainsi qu’à la Commission « de vérifier constamment l’admissibilité continue des prestataires à qui des prestations sont versées » : voir les CUB 18145, le 29 juin 1999 par le juge-arbitre Joyal et CUB 23803, le 27 juin 1994 par le juge-arbitre Rouleau. Le fait d’antidater la demande de bénéfices peut porter atteinte à l’intégrité du système en ce qu’il accorde à un prestataire un octroi rétroactif et inconditionnel du bénéfice des prestations, sans possibilité de vérification des critères d’admissibilité durant la période de rétroactivité : voir les CUB 13007, le 12 décembre 1986 et CUB 14019, le 7 août 1987 par le juge-arbitre Joyal.

 

[6]        En outre, une saine et équitable administration du système requiert que la Commission se livre à une vérification rapide et la plus contemporaine possible des événements et des circonstances qui génèrent la demande de bénéfices : voir CUB 15236A, le 30 avril 1987 par le juge‑arbitre Strayer. Sans quoi, la Commission se retrouve dans la difficile position de devoir se livrer à un travail ou à un processus de reconstruction des événements, avec les coûts et les aléas afférents à un tel processus. C’est ce qui explique le principe, depuis longtemps établi par la jurisprudence de notre Cour, que l’ignorance de la Loi n’excuse pas le retard à produire une demande initiale de bénéfices.

 

[7]        Nous tenons par ailleurs à ajouter à ce qui précède qu’au cours de la période de prestations, le prestataire est tenu de présenter des demandes régulières et répétées de prestations et de déclarer les revenus reçus durant cette période. Toute fausse déclaration à cet égard l’expose à des pénalités et à la perte ou à une réduction des prestations. Le prestataire risque aussi de devoir rembourser les prestations qui lui ont été irrégulièrement versées ou qu’il a obtenues illégalement, en plus de se voir notifier un avis de violation, ce qui, selon l’article 7.1 de la Loi, entraîne un resserrement des critères d’admissibilité aux prestations pour l’avenir. Il est donc difficile de contrôler l’application de ces obligations et de sanctionner le défaut de les respecter lorsque la présentation de la demande de prestations accuse un retard et que les prestations sont accordées rétroactivement. L’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et très stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée parcimonieusement.

 

[10]           Le juge-arbitre ne pouvait pas utiliser l’absence de transcription comme motif pour annuler la décision du conseil, à moins qu’il ne soit démontré que l’absence de l’enregistrement ou de la transcription avait de fait privé la défenderesse de son droit d’appel devant le juge-arbitre : voir Canada (Procureur général) c. Valladolid, 2004 CAF 142.

 

[11]           En l’espèce, la défenderesse n’a pas subi un tel préjudice parce qu’elle a présenté devant le juge-arbitre le même argument qu’elle avait fait valoir devant le conseil. Il incombait donc au juge‑arbitre d’examiner et d’apprécier l’argument, ce qu’il n’a pas fait. Il ne lui suffisait pas de déclarer « que ces observations pourraient expliquer pourquoi elle n’a pas présenté sa demande de prestations plus tôt et constituer un motif de retard valable » (non souligné dans l’original). Ou bien la crainte de la défenderesse était une bonne explication ou bien elle ne l’était pas. Le fait de décrire l’un des effets possibles de l’argument sans rien ajouter n’équivaut pas à statuer sur le bien-fondé de l’argument. La réponse demeure dans le domaine des conjectures.

 

[12]           Dans la présente affaire, le conseil a conclu que le défaut de la défenderesse de demander des prestations dès qu’elle y est devenue admissible résultait de son ignorance de la loi. Si, comme elle l’a déclaré, elle n’a pas présenté de demande de prestations pendant qu’elle était étudiante parce qu’elle craignait que cela soit considéré comme de l’abus, elle avait donc à l’époque d’autant plus de motifs de se renseigner sur son statut, ses droits et ses obligations en vertu de la Loi.

 

[13]           À notre avis, il n’était pas raisonnablement loisible au juge-arbitre de conclure comme il l’a fait eu égard aux faits de l’espèce. Une personne raisonnable dans la situation de la défenderesse aurait pris les mesures nécessaires pour s’enquérir de ses droits et obligations en vertu de la Loi.

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du juge-arbitre sera annulée et l’affaire sera renvoyée au juge-arbitre en chef, ou à la personne qu’il désignera, pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l’appel interjeté par la défenderesse à l’encontre de la décision du conseil arbitral doit être rejeté.

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          A-403-07

 

 

INTITULÉ :                                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                                              RITA SCOTT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 le 17 avril 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

DE LA COUR :                                                    LA JUGE SHARLOW

                                                                              LA JUGE TRUDEL

 

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :             LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Susan Keenan

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

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