Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20080703

Dossier : A-486-07

Référence : 2008 CAF 227

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

NU-PHARM INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE DIRECTEUR GÉNÉRAL

DE LA DIRECTION DES PRODUITS THÉRAPEUTIQUES DE SANTÉ CANADA

 

intimés

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mai 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE LINDEN

                                                                                                                            LE JUGE SEXTON

 


Date : 20080703

Dossier : A-486-07

Référence : 2008 CAF 227

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

NU-PHARM INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE DIRECTEUR GÉNÉRAL

DE LA DIRECTION DES PRODUITS THÉRAPEUTIQUES DE SANTÉ CANADA

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

 

[1]               Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une décision du juge Hugessen de la Cour fédérale, qui, dans l’affaire Nu-Pharm Inc. c. Canada, 2007 CF 977, faisant droit à une requête en jugement sommaire, a rejeté l’action en dommages-intérêts de l’appelante (l’appelante ou Nu-Pharm) au motif que l’action ne soulevait pas une véritable question litigieuse.

 

[2]               Plus particulièrement, se fondant sur l’arrêt rendu par notre Cour dans Grenier c. Canada, 2005 CAF 348, [2006] 2 C.F. 287 (CA), le juge Hugessen a conclu que puisque la réparation demandée par l’appelante dans son action dépendait de ce que la Cour fédérale conclurait à l’illégalité de certaines décisions prises par le directeur général de la Direction des produits pharmaceutiques de Santé Canada (le directeur général) et qu’une telle conclusion ne pouvait être tirée que si les décisions en cause étaient contestées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, il s’ensuivait nécessairement que l’appelante ne pouvait avoir gain de cause dans son action à moins qu’une telle décision ait d’abord été rendue dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Compte tenu de cette analyse, le juge Hugessen a rendu l’ordonnance suivante :

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.         La requête est accueillie et l’action est rejetée.

 

2.         Il est sursis à l’exécution du paragraphe 1 de la présente ordonnance pour une période de 30 jours pour permettre à la demanderesse de solliciter une prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire et, dans le cas où cette prorogation serait accordée, il y aura sursis jusqu’à ce que cette demande soit tranchée de façon définitive en faveur de la demanderesse, auquel cas une des parties pourra à ce moment-là demander, par requête, l’annulation du présent jugement. Si la demanderesse ne demande pas la prorogation en temps utile, si cette prorogation est refusée ou si la demande est rejetée de façon définitive, le présent sursis prend fin et le rejet de l’action sera confirmé.

 

3.         La défenderesse a droit à ses dépens, qui sont par les présentes fixés au montant global de 5 000 $, payables sans délai, quelle que soit l’issue de la cause.

 

[3]               L’appelante n’ayant pas demandé une prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire, son action a été rejetée.

 

 

LES FAITS

[4]               Pour bien comprendre l’appel, il est utile de récapituler les faits saillants de l’espèce.

 

[5]               Le 11 septembre 1997, Nu-Pharm a soumis une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) à Santé Canada, sollicitant l’autorisation de vendre un médicament appelé NU‑ENALAPRIL. Dans sa présentation, Nu-Pharm s’est fondée sur une comparaison avec l’APO‑ENALAPRIL, lui-même un médicament générique correspondant à VASOTEC, un médicament fabriqué par Merck and Co. (Merck). Santé Canada a refusé d’examiner la PADN de Nu‑Pharm au motif qu’elle ne se reportait pas à un produit de référence canadien valide. Cette décision a été annulée par le juge Cullen de la Cour fédérale le 19 novembre 1998 (Nu-Pharm c. Canada, [1999] 1 C.F. 620).

 

[6]               À la suite de la décision de la Cour fédérale, Santé Canada a traité la PADN de Nu‑Pharm et, le 25 février 1999, a délivré un avis de conformité à l’égard du NU-ENALAPRIL. Merck a réagi en demandant à la Cour fédérale d’annuler l’avis de conformité. Le 23 novembre 1999, la juge McGillis a conclu que le ministre de la Santé (le ministre) avait commis une erreur en délivrant un avis de conformité à Nu‑Pharm pour le NU-ENALAPRIL. En conséquence, le juge a accueilli la demande de Merck et interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm (Merck c. Canada (1999), 176 F.T.R. 21).

 

[7]               Nu-Pharm a interjeté appel de la décision de la juge McGillis et, le 13 mars 2000, notre Cour a rejeté l’appel (Merck & Co. c. Nu-Pharm, 2000 A.C.F. no 380 (CA) (QL)).

[8]               Le 22 mars 2000, Nu-Pharm a écrit au directeur général pour l’informer qu’elle demanderait un sursis de la décision de notre Cour et présenterait une demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada. Le 22 juin 2000, la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation de pourvoi demandée par Nu-Pharm ([2000] C.S.C.R. no 185 (QL)).

 

[9]               Le 31 mars 2000, le directeur général a répondu à la lettre de Nu-Pharm et l’a informée qu’à son avis, l’avis de conformité concernant le NU-ENALAPRIL n’était plus valide depuis la date du jugement de la Cour d’appel fédérale et que :

[traduction] Désormais, la vente du NU-ENALAPRIL ou la publicité relative à ce médicament constitue une violation de l’article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues. Cela vise la distribution et l’exécution des ordonnances en utilisant les stocks de médicaments achetés de Nu-Pharm avant le jugement.

 

[10]           Le 31 mars 2000, le directeur général a aussi écrit aux gestionnaires provinciaux des programmes de prestations pharmaceutiques et aux registraires provinciaux des pharmaciens, une lettre qui faisait suite à celle qu’il avait adressée le 22 mars 2000 aux gestionnaires provinciaux des programmes de prestations pharmaceutiques. Ces lettres sont rédigées comme suit : 

1.  Lettre du 22 mars 2000

 

[traduction]

Un jugement récent de la Cour d’appel fédérale a modifié le statut de l’avis de conformité délivré le 25 février 1999 relativement aux comprimés Nu-Enalapril de 2,5, 5, 10 et 20 mg.

 

Le 13 mars 2000, dans le dossier portant le numéro de greffe A-804-99, la Cour a rejeté l’appel interjeté par Nu-Pharm à l’encontre de la décision rendue par la Section de première instance dans le dossier portant le numéro de greffe T-398-99.

 

En application de cette décision, l’avis de conformité concernant le Nu-Enalapril n’est plus valide. Par conséquent, les produits Nu-Enalapril ne peuvent plus être vendus ou annoncés conformément à l’avis de conformité délivré le 25 février 1999, sous réserve d’un examen judiciaire ultérieur de la décision.

 

 

2.  Lettre du 31 mars 2000

 

[…]

 

[traduction] À moins d’une ordonnance judiciaire ultérieure à l’effet contraire, l’avis de conformité concernant le Nu-Enalapril est invalide depuis le jugement prononcé par la Cour d’appel fédérale le 13 mars 2000. Désormais, la vente du NU-ENALAPRIL ou la publicité relative à ce médicament constitue une violation de l’article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues. Cela vise la distribution et l’exécution des ordonnances en utilisant les stocks de médicaments achetés de Nu-Pharm avant le jugement.  

 

La DPT a fait le point sur cette interprétation avec Nu-Pharm.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[11]           Nu-Pharm a de nouveau écrit au directeur général le 3 avril 2000 pour l’informer qu’elle était totalement en désaccord avec la position qu’il avait prise dans ses lettres du 22 mars et du 31 mars 2000. Plus précisément, de l’avis de Nu-Pharm, étant donné que le NU-ENALAPRIL n’était pas une drogue nouvelle au sens de l’article C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues, R.R.C. ch. 870 (le Règlement), la vente licite de ce produit n’était pas assujettie à l’existence d’un avis de conformité. Pour cette raison, Nu-Pharm demandait au directeur général, dans sa lettre, de faire connaître son adhésion à la position de Nu-Pharm. 

 

[12]           Le 10 avril 2000, Nu-Pharm a envoyé une nouvelle lettre au directeur général, dans laquelle elle a fait remarquer que selon la politique officielle de la Direction des produits thérapeutiques, adoptée le 21 août 1991, au terme de sept ans après la date initiale de mise en marché d’une substance médicinale au Canada, un médicament contenant cette substance ne serait plus considéré comme une drogue nouvelle et [traduction] « les fabricants doivent déterminer eux-mêmes quels médicaments particuliers ne sont plus des drogues nouvelles aux termes de la politique ». Se fondant sur cet argument, Nu-Pharm indiquait avoir conclu que le NU-ENALAPRIL ne constituait plus une drogue nouvelle et demandait en conséquence au directeur général de confirmer qu’il adhérait à la position de Nu-Pharm sur la question et ne tenterait plus d’interdire la vente du NU‑ENALAPRIL.

 

[13]           Le directeur général a répondu aux lettres transmises par Nu-Pharm les 3 avril et 10 avril 2000 en lui laissant clairement savoir, dans une lettre en date du 14 avril 2000, qu’il ne souscrivait pas à son point de vue quant à la nécessité d’obtenir un avis de conformité pour vendre du NU-ENALAPRIL.

 

[14]           Par lettre du 1er mai 2000, Nu-Pharm a répondu à la lettre envoyée par le directeur général le 14 avril 2000, exposant de façon relativement détaillée les raisons pour lesquelles, à son avis, la position du directeur était erronée.

 

[15]           Le 28 juin 2000, Nu-Pharm a écrit directement au ministre. Dans sa lettre, la société faisait valoir que le NU-ENALAPRIL n’était pas une drogue nouvelle et que, si le ministre la considérait comme telle, ce traitement serait discriminatoire et injuste au regard de la pratique antérieure du ministère aux termes de la politique et du Règlement.

 

[16]           Le 17 juillet 2000, le ministre a écrit à Nu-Pharm et lui a signifié qu’il rejetait son point de vue selon lequel le NU-ENALAPRIL n’était pas une drogue nouvelle. Les lettres subséquentes que Nu-Pharm a écrites au ministre n’ont pas convaincu ce dernier de modifier son opinion quant au traitement à accorder au NU-ENALAPRIL.

 

[17]           En conséquence, le 22 février 2001, Nu-Pharm a introduit une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle demandait à la Cour de rendre une ordonnance portant que :

1)         le ministre de la Santé n’avait pas compétence pour déclarer que la vente du NU‑ENALAPRIL contrevient au Règlement;

2)         le ministre de la Santé avait agi illégalement en traitant le NU-ENALAPRIL comme une « drogue nouvelle »;

3)         le ministre de la Santé devait rétracter toutes les déclarations selon lesquelles la vente du NU-ENALAPRIL est illégale.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire a été suivie par l’introduction, le 12 février 2002, d’une déclaration (ensuite modifiée le 17 juillet 2002) contre plusieurs défendeurs, à savoir Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et le directeur général, dans laquelle les réparations suivantes étaient sollicitées :

[traduction]

1)       une ordonnance interdisant au directeur général […] de publier des déclarations qui mentionnent, de façon expresse ou implicite, que la vente des comprimés Nu‑Enalapril est illégale;

 

2)         une ordonnance enjoignant au directeur général […] de rétracter toutes les déclarations faites aux autorités de réglementation provinciales […] mentionnant que la vente des comprimés NU-ENALAPRIL est illégale;

 

3)         des dommages-intérêts de la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada agissant pour le compte du gouvernement du Canada, pour :

 

                           i.                  l’action fautive, l’abus de pouvoir, l’atteinte illégale aux intérêts économiques de Nu-Pharm en informant illégalement les autorités de réglementation provinciales, les tiers pharmaciens, les distributeurs de produits pharmaceutiques, les assureurs publics et privés et d’autres personnes que la vente des comprimés Nu-Enalapril est illégale;

                         ii.                  la négligence grave ou, à titre subsidiaire, la négligence, et le non-respect manifeste du Règlement sur les aliments et drogues (le Règlement) et des limites du pouvoir légal délégué que le directeur général est autorisé à exercer, (i) en tirant une conclusion de droit concernant la commercialisation des comprimés de Nu-Pharm, alors que le directeur général ne possède pas ce pouvoir; (ii) en agissant illégalement sur le fondement de cette « décision » invalide en informant les autorités de réglementation provinciales, les tiers pharmaciens, les distributeurs de produits pharmaceutiques, les assureurs publics et privés et d’autres personnes que la vente des comprimés Nu-Enalapril est illégale; (iii) en refusant d’examiner ou de tenir compte des éléments de preuve objectifs qui démontraient que la vente des comprimés Nu-Enalapril n’était pas, et n’est pas, illégale; et (iv) en tenant pour acquis que le directeur général avait le pouvoir légal de se prononcer sur la commercialité des comprimés Nu-Enalapril, en le faisant arbitrairement sans examiner de bonne foi les éléments de preuve, et en refusant de façon discriminatoire de respecter la justice naturelle et l’équité procédurale envers Nu-Pharm en prenant cette décision et en informant les autorités de réglementation provinciales, les tiers pharmaciens, les distributeurs de produits pharmaceutiques, les assureurs publics et privés et d’autres personnes du fait que la vente des comprimés Nu‑Enalapril est illégale, sans avoir accordé auparavant à Nu-Pharm la possibilité de se faire entendre et de présenter des preuves établissant que la vente des comprimés Nu‑Enalapril n’était pas, et n’est pas, illégale.

 

(Voir le paragraphe 1 de la déclaration modifiée.)

 

[19]           Le 24 juin 2002, Nu-Pharm a déposé un avis de désistement de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[20]           Comme on le constate à la lecture des réparations sollicitées dans le paragraphe 1 de la déclaration modifiée, Nu‑Pharm soutient essentiellement, dans son action, que le ministre, par l’intermédiaire de son représentant, le directeur général, a agi illégalement et sans compétence en déclarant que la vente du NU-ENALAPRIL est illégale, puis en refusant de retirer cette déclaration. De plus, Nu-Pharm relève que le ministre a refusé de reconnaître que le NU-ENALAPRIL n’est pas une drogue nouvelle et qu’il a publié des déclarations selon lesquelles la vente des comprimés NU‑ENALAPRIL enfreindrait le Règlement. Aux paragraphes 24 à 26 de sa déclaration modifiée, Nu-Pharm présente les arguments suivants :

[traduction]

24.     Les déclarations [contenues dans les lettres du directeur général en date des 22 et 31 mars 2000] ont été publiées délibérément et imprudemment, en sachant que le ministre n’avait pas le pouvoir de les émettre, et elles ont été faites avec l’intention de causer un dommage consécutif à Nu-Pharm. Le directeur général n’a pas même fait référence à la question de savoir si le Nu-Enalapril était une drogue nouvelle avant de publier ces déclarations, et il n’a fourni aucune occasion à Nu-Pharm de l’informer qu’il s’agissait en fait d’un ancien médicament. Même si le directeur général avait compétence pour prendre une décision quant au statut du Nu-Enalapril, ce que nie la demanderesse, et pour faire une déclaration publique fondée sur cette décision, ce qui est aussi nié, il a fait preuve d’une négligence grave en faisant une déclaration de cette nature dans les circonstances de l’espèce, parce qu’il n’aurait pas songé à prendre une telle décision ni n’aurait fait ces déclarations s’il avait d’abord examiné objectivement et de bonne foi le statut du Nu‑Enalapril.

 

25.     Le directeur général entendait nuire à Nu-Pharm en faisant ces déclarations, parce qu’il savait qu’à la suite de leur publication, les autorités réglementaires provinciales responsables de la gestion de leurs programmes d’interchangeabilité respectifs radieraient les comprimés Nu-Enalapril des listes, de sorte que les pharmaciens ne délivreraient plus les comprimés Nu-Enalapril en remplacement d’autres médicaments contenant la substance médicinale active enalapril. De même, en raison de ces déclarations, les assureurs publics et privés ne rembourseraient plus les patients pour leurs achats de Nu‑Enalapril.

 

26.     Le directeur général savait et comptait que, par suite de tout ce qui précède, non seulement Nu-Pharm ne recevrait plus de nouvelles commandes pour ses comprimés Nu‑Enalapril, mais les distributeurs de produits pharmaceutiques, les grossistes et les pharmaciens retourneraient toutes les réserves de ce médicament qu’ils détenaient respectivement en inventaire. Le directeur général savait que Nu-Pharm subirait de graves dommages consécutifs en raison des ventes perdues, du retour des stocks distribués sur le marché et du fait qu’une bonne partie de son propre stock de comprimés Nu-Enalapril serait bientôt périmée et ne pourrait plus être vendue.

 

 

[21]           Nu-Pharm affirme donc que le directeur général n’avait pas compétence pour décider que la commercialisation du NU-ENALAPRIL était illégale à défaut d’un avis de conformité, ni pour faire connaître son point de vue sur cette question à des tiers, soit aux gestionnaires provinciaux des programmes de prestations pharmaceutiques et aux registraires provinciaux des pharmaciens. Se fondant sur ce postulat, Nu-Pharm soutient avoir droit à des dommages-intérêts pour compenser les profits qu’elle aurait faits en commercialisant le NU-ENALAPRIL n’eût été de cette situation.

 

[22]           Le 13 avril 2007, les intimés ont déposé un avis de requête en jugement sommaire sollicitant le rejet de l’action de Nu-Pharm. À leur avis, étant donné que les décisions du directeur général, énoncées dans ses lettres du 22 mars et du 31 mars 2000, sont des décisions d’un « office fédéral », les ordonnances demandées par Nu-Pharm pour qu’il soit interdit au directeur général de publier d’autres déclarations concernant la vente du NU‑ENALAPRIL et qu’il lui soit enjoint de rétracter les déclarations antérieures concernant la vente du NU-ENALAPRIL, constituent des réparations qui ne peuvent être obtenues qu’au moyen d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[23]           Partant, plaident les intimés, Nu-Pharm ne pouvait réclamer des dommages-intérêts dans le cadre de son action avant d’avoir obtenu une ordonnance invalidant les décisions du directeur général. Puisque Nu-Pharm n’avait pas obtenu une telle ordonnance, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour lui accorder la réparation en dommages-intérêts demandée.

 

[24]           Comme je l’ai mentionné, le juge Hugessen a fait droit à la requête en jugement sommaire et a rejeté l’action de Nu-Pharm le 28 septembre 2007. Le paragraphe 16 des motifs du juge Hugessen présente une importance particulière au regard de l’appel en l’espèce. Le juge, après s’être penché à la fois sur la réparation sollicitée par Nu-Pharm dans sa déclaration modifiée et sur celle recherchée dans sa demande de contrôle judiciaire, s’est dit d’avis que l’obtention des dommages-intérêts réclamés dans l’action de Nu‑Pharm « repose entièrement sur la démonstration par la demanderesse de l’illégalité des décisions du directeur général ». Par souci d’exhaustivité, je reproduis intégralement le texte du paragraphe 16 : 

16.     À mon avis, l’obtention des dommages-intérêts réclamés à l’alinéa 1c) de la déclaration modifiée repose entièrement sur la démonstration par la demanderesse de l’illégalité des décisions du directeur général qui sont l’objet des réparations demandées dans les deux paragraphes précédents. Il n’y a aucune différence, si ce n’est de forme, entre la demande de jugement déclaratoire présentée dans la demande de contrôle judiciaire et la demande d’injonction présentée dans le cadre de l’action. L’allégation de négligence, grave ou non, qui est ajoutée dans l’action ne peut être dissociée de l’allégation selon laquelle le directeur général a agi de façon illégale. Tant que les actes du directeur général n’auront pas été déclarés illégaux, la demanderesse n’a aucun droit d’action ni dans l’une ni dans l’autre procédure. L’arrêt Grenier indique clairement que la demanderesse doit procéder par voie de contrôle judiciaire. La Cour n’a pas la latitude, comme la demanderesse semble le laisser entendre, de restreindre de la sorte la portée de l’arrêt Grenier, exposée clairement par la Cour d’appel.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]           L’appelante soutient que l’appel soulève les questions suivantes (voir le paragraphe 34 du mémoire de l’appelante) :

a)      Première question : L’arrêt Grenier permet-il d’affirmer que toutes les causes d’action civile contre la Couronne, quelle que soit la réparation recherchée, doivent être précédées d’une demande de contrôle judiciaire sous-jacente visant à déterminer la nature « illégale » des actions contestées du gouvernement?

 

b)      Deuxième question : Si la réponse à la première question est « non », le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Grenier justifie-t-il le rejet de la présente instance?

 

c)      Troisième question : Si la réponse à la première question est « oui », l’arrêt Grenier est-il mal fondé?

 

 

[26]           Les intimés estiment pour leur part que l’appelante a mal formulé les questions en litige. Relativement à la première question, ils déclarent : [traduction] « Telle qu’elle est formulée, cette question a une portée beaucoup plus large que toute question soulevée en l’espèce. Manifestement, la présente affaire ne nécessite pas la prise en considération de “toutes les causes d’action civile contre la Couronne, quelle que soit la réparation recherchée […]” » Quant à la deuxième question, ils font les observations suivantes : [traduction] « Comme nous l’avons mentionné, il n’est pas nécessaire de répondre à la “première question” telle qu’elle a été formulée. De toute manière, le raisonnement exposé dans l’arrêt Grenier justifie bien le rejet de la présente action. » Enfin, pour ce qui est de la troisième question, ils assurent : [traduction] « Comme nous l’avons mentionné, il n’est pas nécessaire de répondre à la “première question” telle qu’elle a été formulée. En outre, ainsi que nous le ferons valoir plus loin, la Cour d’appel fédérale n’infirmera pas une de ses décisions antérieures du seul fait qu’elle la considère “mal fondée”; d’autres éléments sont nécessaires. » (Voir au paragraphe 20 du mémoire des intimés.)

 

[27]           Je conviens avec les intimés que l’appelante a donné une portée trop large à la formulation de la première question. Je suis d’avis que la véritable question soulevée dans le présent appel est de savoir si le juge qui a statué sur la requête a eu raison de décider que l’attribution des dommages‑intérêts demandés par l’appelante dans son action repose sur l’existence d’une décision portant que les « décisions » du directeur général sont illégales, décision qui ne peut être rendue que dans le cadre d’un contrôle judiciaire. D’autres questions sont sous-jacentes, soit celle de savoir si les lettres du directeur général en date des 22 et 31 mars 2000 constituent des décisions d’un office fédéral et celle de savoir si le juge a correctement interprété et appliqué la décision de notre Cour dans l’arrêt Grenier, précité.

 

ANALYSE

[28]           Avant d’aborder les questions en litige, je dois signaler qu’à l’audience, l’appelante n’a pas tenté de convaincre notre Cour que l’arrêt Grenier, précité, est mal fondé. Elle a plutôt avancé que le juge qui a statué sur la requête a mal interprété l’arrêt Grenier, [traduction] « lui attribuant une portée et une influence juridiques qu’il n’a pas » (voir le mémoire de l’appelante, au paragraphe 50).

 

[29]           Je commencerai mon analyse en traitant de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Grenier, précité. Le 13 juin 2008, dans l’arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Alan Hinton et Irina Hinton, 2008 CAF 215, notre Cour a eu l’occasion d’examiner minutieusement l’arrêt Grenier. Aux paragraphes 40 à 42 des motifs de la Cour, le juge Sexton a écrit, sous le titre « L’arrêt Grenier : quelle interprétation lui donner? » :

[40]    Dans l’arrêt Grenier, un détenu avait intenté une action en dommages-intérêts après avoir été condamné à l’isolement préventif, puis à l’isolement disciplinaire, pendant qu’il était incarcéré dans un établissement à sécurité maximale. Le détenu n’avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du directeur, même s’il connaissait, ou aurait dû connaître, les conséquences qu’une telle décision aurait sur lui, et même s’il savait, ou aurait dû savoir, qu’il pouvait demander le contrôle judiciaire de la décision s’il souhaitait la contester. À la suite du jugement rendu par la Cour dans Tremblay c. Canada (2004) 244 D.L.R. (4th) 422 (C.A.F.), autorisation d’appel devant la C.S.C. refusée (dossier : 30424), le juge Létourneau a conclu que le justiciable qui veut s’attaquer à la décision d’un organisme fédéral n’a pas le libre choix d’opter entre une procédure de contrôle judiciaire et une action en dommages-intérêts : il doit procéder par contrôle judiciaire pour faire invalider la décision. Selon l’arrêt Grenier, faire valoir une telle demande par voie d’action plutôt que par contrôle judiciaire constituerait une contestation indirecte de la décision initiale, à la lumière de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[41]    Le juge Létourneau a expliqué le fondement et l’importance de la compétence exclusive énoncée à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, aux paragraphes 24 à 26 :

En créant la Cour fédérale et en édictant l'article 18, le législateur fédéral a voulu mettre un terme au morcellement existant du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. À l'époque, ce contrôle était effectué par les tribunaux des provinces : voir Patrice Garant, Droit administratif, 4e éd., vol. 2, Yvon Blais, 1996, aux pages 11 à 15. L'harmonisation des disparités dans les décisions judiciaires devait se faire au niveau de la Cour suprême du Canada. Par souci de justice, d'équité et d'efficacité, sous réserve des exceptions de l'article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35], le Parlement a confié à une seule Cour, la Cour fédérale, l'exercice du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. Ce contrôle doit s'exercer et s'exerce, aux termes de l'article 18, seulement par la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. La Cour d'appel fédérale est le tribunal investi du mandat d'assurer l'harmonisation en cas de décisions conflictuelles, dégageant ainsi la Cour suprême du Canada d'un volume considérable de travail, tout en lui réservant la possibilité d'intervenir dans les cas qu'elle juge d'intérêt national.

 

Or, accepter que le contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux puisse se faire par le biais d'une action en dommages-intérêts, c'est permettre un recours en vertu de l'article 17. Permettre à cette fin un recours sous l'article 17, c'est tout d'abord soit ignorer, soit dénier l'intention clairement exprimée par le législateur au paragraphe 18(3) que le recours doit s'exercer seulement par voie de demande de contrôle judiciaire. La version anglaise du paragraphe 18(3) met l'emphase sur ce dernier point en utilisant le mot « only » dans l'expression « may be obtained only on an application for judicial review » .

 

C'est aussi réintroduire judiciairement le partage des compétences entre la Cour fédérale et les tribunaux des provinces. C'est faire renaître dans les faits une ancienne problématique à laquelle le législateur fédéral a remédié par l'adoption de l'article 18 et l'attribution d'une compétence exclusive à la Cour fédérale et, dans les cas de l'article 28, à la Cour d'appel fédérale. C'est précisément cette intention législative que la Cour d'appel du Québec a reconnue dans l'affaire Capobianco, afin d'éviter que l'action en dommages, introduite en Cour supérieure du Québec et s'attaquant à la légalité des décisions d'offices fédéraux, ne conduise, en fait et en droit, à un démembrement dysfonctionnel du droit administratif fédéral.

 

Les intimés insistent sur le fait – et je suis d’accord – qu’une des principales préoccupations de la Cour dans Grenier était également qu’une action ne devait pas être utilisée de façon à contourner les exigences procédurales et les délais de prescription prévus à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Ces préoccupations ne sont pas pertinentes en l’espèce puisque les intimés – après la décision de la Cour fédérale dans Momi – ont correctement intenté la présente procédure en présentant une demande de contrôle judiciaire.

 

[42]    L’arrêt Grenier permet uniquement d’affirmer que certaines actions civiles contre la Couronne doivent être précédées d’une demande de contrôle judiciaire lorsqu’elles visent essentiellement à contester la légitimité, la validité ou légalité de la décision d’un office fédéral.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Par conséquent, l’arrêt Grenier, précité, porte que, étant donné que les décisions d’un office fédéral ne peuvent être contestées que par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire introduite en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, toute action dans laquelle des dommages-intérêts sont réclamés sur la prémisse de l’illégalité de décisions d’un office fédéral ne sera jugée recevable que si les décisions en cause ont été contestées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Par contre, si l’action ne met pas en cause la validité ou la légalité d’une décision d’un office fédéral, l’action sera jugée recevable et pourra poursuivre son cours.

 

[31]           Tel est, à mon avis, le principe énoncé dans l’arrêt Grenier, précité, et la question qu’il faut se poser et à laquelle il faut répondre pour trancher l’appel est si l’appelante, par l’action qu’elle a intentée, cherche à attaquer la légalité d’une décision d’un office fédéral. Pour répondre à cette question, nous devons d’abord examiner deux autres questions, à savoir si les décisions du directeur général constituent des décisions d’un office fédéral, et si l’action de Nu-Pharm consiste en une contestation incidente ou une attaque indirecte des décisions d’un office fédéral. 

 

[32]           J’examinerai donc la question de savoir si les lettres du directeur général en date du 22 mars et du 31 mars 2000 sont des décisions d’un office fédéral. L’alinéa 2(1)h) de la Loi sur les Cours fédérales définit comme suit le terme « office fédéral » : 

« office fédéral » - Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion de la Cour canadienne de l'impôt et ses juges, d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867.

 

[Emphasis added]

 

 

 

[33]           Comme l’indiquent clairement le sommaire des faits et les actes de procédure de Nu-Pharm, celle-ci soutient que puisque le représentant du ministre, le directeur général, n’était pas légalement compétent pour décider que la commercialisation du NU-ENALAPRIL était illégale à défaut d’un avis de conformité, ni n’était légalement autorisé à faire connaître sa décision à des tiers, Nu-Pharm a droit de recevoir des dommages-intérêts à titre de dédommagement pour les profits dont elle a été privée en raison de son incapacité à commercialiser le NU-ENALAPRIL.

 

[34]           Le paragraphe C.08.002(1) du Règlement interdit la vente ou l’annonce d’une drogue nouvelle à moins que le ministre ait, aux termes de l’article C.08.004, délivré un avis de conformité au fabricant de la drogue nouvelle. Le paragraphe C.08.002(1) est libellé comme suit :

C.08.002. (1) Il est interdit de vendre ou d'annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que celui-ci juge acceptable;

b) le ministre a, aux termes de l'article C.08.004, délivré au fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité relativement à la présentation de drogue nouvelle ou à la présentation abrégée de drogue nouvelle;

c) l'avis de conformité relatif à la présentation n'a pas été suspendu aux termes de l'article C.08.006;

d) le fabricant de la drogue nouvelle a présenté au ministre, sous leur forme définitive, des échantillons des étiquettes—y compris toute notice jointe à l'emballage, tout dépliant et toute fiche sur le produit—destinées à être utilisées pour la drogue nouvelle, ainsi qu'une déclaration indiquant la date à laquelle il est prévu de commencer à utiliser ces étiquettes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

C.08.002. (1) No person shall sell or advertise a new drug unless

(a) the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission or an abbreviated new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

(b) the Minister has issued, pursuant to section C.08.004, a notice of compliance to the manufacturer of the new drug in respect of the new drug submission or abbreviated new drug submission;

(c) the notice of compliance in respect of the submission has not been suspended pursuant to section C.08.006; and

(d) the manufacturer of the new drug has submitted to the Minister specimens of the final version of any labels, including package inserts, product brochures and file cards, intended for use in connection with that new drug, and a statement setting out the proposed date on which those labels will first be used.

 

[Emphasis added]

 

 

 

[35]           Nu-Pharm a bien déposé une PADN auprès du ministre, mais, par suite de la décision rendue par notre Cour le 13 mars 2000, elle ne dispose pas d’un avis de conformité valide. De ce fait, le directeur général a adopté la position, dont il a informé Nu-Pharm et des tiers, que la vente ou l’annonce du NU-ENALAPRIL contrevient à l’article C.08.002 du Règlement.

 

[36]           À mon avis, les décisions du directeur général que Nu-Pharm a initialement contestées dans sa demande de contrôle judiciaire et, par la suite, dans l’action en dommages-intérêts intentée en Cour fédérale, constituent clairement des décisions rendues par un office fédéral au sens de l’alinéa 2(1)(h) de la Loi sur les Cours fédérales. J’estime que lorsqu’il a déclaré qu’à moins de détenir un avis de conformité valide, nul ne pouvait vendre ni annoncer le NU-ENALAPRIL et lorsqu’il a informé aussi bien Nu-Pharm que des tiers de sa décision, le directeur général était une personne « exerçant ou censé[e] exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale […] ».

 

[37]           J’aborderai maintenant la question de savoir si l’action intentée par Nu-Pharm constitue ou non une contestation incidente ou une attaque indirecte des décisions du directeur général. Selon moi, il ne fait absolument aucun doute qu’il faut répondre à cette question par l’affirmative. En d’autres termes, je suis d’avis que la possibilité pour Nu-Pharm d’avoir gain de cause dans son action en dommages-intérêts, pour reprendre les termes employés par le juge Hugessen au paragraphe 16 de ses motifs, « repose entièrement sur la démonstration par la demanderesse [Nu‑Pharm] de l’illégalité des décisions du directeur général […] ».

 

[38]           Il s’ensuit que les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales s’appliquent. Les parties pertinentes de ces dispositions sont les suivantes :

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

[…]

 

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

 

 

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

 

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

 

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

 

 

[39]           L’article 18 prévoit clairement que la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral et que les recours de cette nature ne peuvent être exercés que par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire introduite en vertu de l’article 18.1, lequel prévoit pour sa part qu’une telle demande doit être présentée dans les 30 jours suivant la décision qu’une partie entend contester.

 

[40]           En conséquence, je suis convaincu que l’arrêt prononcé par notre Cour dans Grenier, précité, s’applique pleinement en l’espèce, de sorte que Nu-Pharm ne peut pas éviter les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Autrement dit, Nu-Pharm ne peut pas, si elle entend contester les décisions du directeur général, contourner l’obligation d’introduire à cette fin une demande de contrôle judiciaire. Je rappelle les remarques du juge Létourneau, aux paragraphes 25 et 26 des motifs qu’il a rédigés dans l’arrêt Grenier, précité :

[25]    Or, accepter que le contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux puisse se faire par le biais d’une action en dommages-intérêts, c’est permettre un recours en vertu de l’article 17. Permettre à cette fin un recours sous l’article 17, c’est tout d’abord soit ignorer, soit dénier l’intention clairement exprimée par le législateur au paragraphe 18(3) que le recours doit s’exercer par voie de demande de contrôle judiciaire. La version anglaise du paragraphe 18(3) met l’emphase sur ce dernier point en utilisant le mot « only » dans l’expression « may be obtained only on an application for judicial review ».

 

[26]    C’est aussi réintroduire judiciairement le partage des compétences entre la Cour fédérale et les tribunaux des provinces. C’est faire renaître dans les faits une ancienne problématique à laquelle le législateur fédéral a remédié par l’adoption de l’article 18 et l’attribution d’une compétence exclusive à la Cour fédérale et, dans les cas de l’article 28, à la Cour d’appel fédérale. C’est précisément cette intention législative que la Cour d’appel du Québec a reconnue dans l’affaire Capobianco, afin d’éviter que l’action en dommages, introduite en Cour supérieure du Québec et s’attaquant à la légalité des décisions d’offices fédéraux, ne conduise, en fait et en droit, à un démembrement dysfonctionnel du droit administratif fédéral.

 

[41]           Je conclus en conséquence qu’en faisant droit à la requête en jugement sommaire des intimés, le juge Hugessen n’a commis aucune erreur de droit ni n’a incorrectement interprété ou qualifié la preuve dont il était saisi. Plus précisément, le juge Hugessen a interprété et appliqué comme il se doit la décision de notre Cour dans Grenier, précité. Je suis d’avis que les motifs exposés par le juge Hugessen au soutien de sa conclusion sont, dans les circonstances de l’espèce, inattaquables.

 

 

 

 

 

 

DISPOSITIF

[42]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            A.M. Linden, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-486-07

 

APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE PAR LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER DU GREFFE DE LA COUR No T-227-02

 

INTITULÉ :                                                                           NU-PHARM INC. c.

SA MAJESTÉ LA REINE et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 26 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LINDEN 

                                                                                                LE JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 3 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brodkin

POUR L’APPELANTE

 

F.B. (Rick) Woyiwada

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.