Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20080919

Dossier : A-455-05

Référence : 2008 CAF 279

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SHELL CANADA LIMITÉE

appelante

et

P.T. SARI INCOFOOD CORPORATION

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 9 septembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE TRUDEL

 


 

Date : 20080919

Dossier : A-455-05

Référence : 2008 CAF 279

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SHELL CANADA LIMITÉE

appelante

et

P.T. SARI INCOFOOD CORPORATION

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                     Shell Canada Limitée (Shell) a interjeté appel d’une décision du juge Mackay (le juge de la Cour fédérale) rejetant son appel à l’encontre d’une décision de la registraire des marques de commerce (la registraire). La registraire a rejeté l’opposition de Shell à la demande produite par P.T. Sari Incofood Corporation (P.T. Sari) en vue de l’enregistrement de la marque de commerce JAVACAFE.

 

[2]                     Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerais l’appel et ordonnerais à la registraire de faire droit à l’opposition de Shell à l’égard des marchandises de la famille du café qui sont précisées dans la déclaration d’opposition.

 

CONTEXTE

Les faits

[3]                     Le 15 janvier 1998, P.T. Sari, une société constituée en vertu des lois de l’Indonésie, a demandé l’enregistrement de la marque de commerce JAVACAFE en vue de son emploi en liaison avec une grande quantité de produits alimentaires et de boissons dont la gamme s’étend des produits du café aux sauces chili, aux mélanges à gâteaux et aux gommes à claquer. La demande est fondée sur l’enregistrement et l’emploi de la marque de commerce par P.T. Sari en Indonésie.

 

[4]                     La demande a été publiée aux fins d’opposition et, le 8 mai 2000, Shell a produit une déclaration d’opposition pour contester l’enregistrement de la marque de commerce en ce qui a trait uniquement aux marchandises de la famille du café, plus précisément la poudre à café, les graines de café cuites, le café instantané, le café lyophilisé et le café en poudre. Au soutien de son opposition, Shell affirme que la marque de commerce JAVACAFE n’est ni enregistrable ni distinctive au regard de ces marchandises, parce qu’elle donne des marchandises une description claire ou une description fausse et trompeuse et que par conséquent, tous les commerçants devraient pouvoir l’utiliser pour leurs produits du café. 

 

[5]                     La preuve mise à la disposition de la registraire consiste en des définitions du mot « java » extraites de dictionnaires de langue anglaise, des définitions du mot « café » en différentes langues (anglais, français et italien) et des citations de références encyclopédiques décrivant l’île de Java. La registraire a remarqué qu’aucune des deux parties n’avait présenté une preuve quant à la signification du mot « java » en langue française. Aussi a-t-elle, de sa propre initiative, consulté une édition de 1968 du Nouveau Petit Larousse et découvert que le mot « java » est décrit comme suit : « n. f. Danse populaire à trois temps, dansée dans les bals musettes ».

 

[6]                     La registraire a conclu que les motifs d’opposition, soit le caractère enregistrable au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce,  L.R.C. 1985, ch. T-13, modifiée (la Loi), et l’absence de caractère distinctif, étaient subordonnés à la conclusion que la marque de commerce JAVACAFE donne une description claire, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises en cause ou de leur lieu d’origine.

 

[7]                     Après avoir fait observer que le motif d’opposition le plus solide de Shell tenait à ce que la première impression d’un Canadien francophone, en apercevant la marque JAVACAFE, serait de penser que les produits du café associés à la marque proviennent de Java (motifs de la registraire, paragraphe 7), la registraire a conclu que la preuve n’étayait pas cette prétention. Elle a aussi estimé que la preuve ne permettait pas de conclure que le Canadien anglophone moyen perçoit Java comme un endroit connu pour son café. De plus, elle s’est dit d’avis que même si le Canadien anglophone moyen comprend le mot « java » comme désignant du café et attribue le même sens au mot « café », la marque JAVACAFE, dans son ensemble, ne donne pas une description claire des marchandises en cause.

 

[8]                     Shell a fait appel de la décision de la registraire à la Cour fédérale et a produit deux autres affidavits au soutien de sa position. Dans la décision qu’il a rendu le 27 juillet 2005, le juge de la Cour fédérale a conclu que rien ne justifiait de modifier la décision de la registraire. C’est cette décision de la Cour qui fait l’objet du présent appel.

 

Les dispositions législatives pertinentes

[9]                     Aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, une marque de commerce est enregistrable,

sauf si :

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

[10]                 Selon l’alinéa 38(2)d) de la Loi, il est possible de s’opposer avec succès à une demande si la marque de commerce qui fait l’objet de la demande n’est pas distinctive. L’article 2 de la Loi définit comme suit le terme « distinctive » :

«distinctive» Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[11]                 Se fondant sur la règle de droit énoncée dans l’arrêt John Labbatt Limitée et al c. Brasseries Molson (C.A.), (2000) 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.) (John Labatt Ltée), le juge de la Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle que devait appliquer la Cour à l’égard de la décision de la registraire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans John Labbatt Ltée, notre Cour a déclaré (au paragraphe 51) :

[…] les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

En l’espèce, le juge de la Cour fédérale a conclu comme il l’a fait parce qu’il estimait qu’aucun des éléments de preuve additionnels déposés dans le cadre de l’appel n’aurait pu avoir une incidence concrète sur la décision de la registraire, du fait, notamment, que les éléments de preuve additionnels étaient « pour la plupart » postérieurs à la date de la demande d’enregistrement de la marque de commerce, en l’occurrence le 15 janvier 1998, et qu’ils étaient donc sans pertinence (paragraphe 17 des motifs de la Cour). En tirant cette conclusion, le juge de la Cour fédérale a rejeté la prétention de Shell selon laquelle la date pertinente pour l’examen du caractère descriptif, au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, est la date de la décision de la registraire plutôt que celle de la production de la demande.

 

[12]                 Le juge de la Cour fédérale a par ailleurs conclu, quant au caractère descriptif, qu’aucun des éléments de preuve additionnels soumis à la Cour n’avait quelque valeur que ce soit pour répondre aux préoccupations de la registraire quant à l’insuffisance de la preuve mise à sa disposition, et que la décision de cette dernière n’était pas déraisonnable au regard de l’alinéa 12(1)b). En conséquence, aucun motif ne justifiait l’intervention de la Cour. 

 

[13]                 L’argument subsidiaire de Shell, à savoir que la marque n’est pas distinctive parce qu’elle donne une description claire de la nature, de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises visées par l’opposition, a aussi été rejeté. Le juge de la Cour fédérale a souscrit à la position de la registraire selon laquelle les conclusions de cette dernière quant au caractère descriptif réglaient aussi la question du caractère distinctif de la marque.

 

[14]                 Le juge de la Cour fédérale a ensuite rejeté l’appel et adjugé les dépens à P.T. Sari.

 

QUESTIONS SOULEVÉES EN APPEL

[15]                 Les parties ont fait état d’une foule de questions que soulève à leur avis la décision du juge de la Cour fédérale. J’estime qu’il suffit, pour trancher le présent appel, de répondre aux trois questions suivantes :

-     Le juge de la Cour fédérale a-t-il appliqué la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision de la registraire?

 

-     Le juge de la Cour fédérale a-t-il commis une erreur en ne concluant pas que la marque JAVACAFE, en langue française, donne une description claire ou donne une description fausse ou trompeuse des marchandises de P.T. Sari, au titre de l’alinéa 12(1)b) de la Loi?

 

-     Le juge de la Cour fédérale a-t-il commis une erreur en concluant que la marque JAVACAFE est distinctive au sens de l’article 2 de la Loi? 

 

[16]                 Avant d’exposer la position des parties sur ces questions, je signalerai que celles-ci ont amplement discuté la date à laquelle il convient d’apprécier le caractère enregistrable d’une marque de commerce au titre de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question puisque, comme nous le verrons, les éléments de preuve antérieurs à la date du dépôt de la demande d’enregistrement sont suffisants pour statuer sur l’appel. 

 

[17]                 En ce qui concerne la norme de contrôle, Shell soutient que la preuve nouvelle qu’elle a déposée en Cour fédérale répond directement à l’insuffisance relevée par la registraire, à savoir l’absence de preuve quant à la signification du mot « java » pour un Canadien francophone moyen, qu’elle a dès lors une force probante et qu’elle aurait eu une incidence concrète sur la décision du registraire. Partant, le juge de la Cour fédérale aurait dû examiner cette décision suivant la norme de la décision correcte plutôt que celle de la décision raisonnable. 

 

[18]                 Shell affirme qu’en appliquant cette norme, la preuve, évaluée comme il se doit, établit que le mot « java » évoque, pour les Canadiens francophones, une île située en Indonésie et connue pour son café. Plus précisément, Shell fait valoir que les articles des dictionnaires et des encyclopédies de langue française ainsi que les extraits d’un livre sur le café, qui, tous, ont été produits à titre de preuve additionnelle en appel, démontrent que les francophones perçoivent « java » comme une importante île d’Indonésie, connue pour produire du café.

 

[19]                 Shell avance en outre que bien que la marque de commerce en cause ne soit pas JAVA CAFE, deux mots distincts, mais bien JAVACAFE en un seul mot inventé, cette distinction s’évanouit lorsqu’on prononce la marque de commerce en français. Aux fins de l’examen du caractère descriptif suivant l’alinéa 12(1)b), la marque de commerce est bien formée de deux mots, JAVA et CAFE. Lorsque les composantes d’un mot inventé sont facilement reconnaissables, il convient d’en examiner les composantes distinctes pour l’analyse du caractère descriptif (Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128 (C.F. 1re inst.); Proctor & Gamble Inc. c. Groupe Lavo Inc. (1992), 43 C.P.R. (3d) 543 (C.O.M.C.)). Shell est d’avis que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit lorsqu’il a décidé qu’une preuve additionnelle était nécessaire pour établir que la marque se prononce comme deux mots distincts.

 

[20]                 P.T. Sari soutient pour sa part que le juge de la Cour fédérale a appliqué la norme appropriée pour examiner la décision du registraire et a conclu à juste titre que la décision était raisonnable. En particulier, aucun des éléments de preuve additionnels produits par Shell dans le cadre de l’appel [traduction] « n’aurait eu d’incidence concrète sur la décision de la registraire ». À cet égard, P.T. Sari adopte essentiellement les motifs du juge de la Cour fédérale.

 

[21]                 En ce qui touche tout particulièrement la preuve soumise par Shell pour établir la signification du mot « java » pour les Canadiens francophones, P.T. Sari prétend que ces éléments ne satisfont pas à la norme de preuve imposée par notre Cour dans l’arrêt Candrug Health Solutions Inc. c. Thorkelson, 2008 CAF 100, 64 C.P.R. (4th) 431. Plus précisément, soutient-elle, aucun élément de preuve n’indique que les références et les définitions présentées par Shell sont en général acceptées d’emblée par les francophones; en outre, le fait qu’un dictionnaire définisse un mot d’une certaine façon ou qu’une encyclopédie décrive un endroit en en faisant ressortir une caractéristique particulière ne signifie pas que le francophone moyen possède cette connaissance ou que sa réaction immédiate sera de faire quelque association que ce soit à partir de cette connaissance.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[22]                 En ce qui a trait à la première question, la norme de preuve, le juge de la Cour fédérale devait décider si la preuve nouvelle qui lui avait été soumise aurait eu un effet concret sur les conclusions de fait de la registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (arrêt John Labatt Ltée, précité). Dans l’affirmative, le juge de la Cour fédérale devait réévaluer la décision de la registraire à la lumière de l’ensemble de la preuve et tirer sa propre conclusion (Accessoires d'autos Nordiques Inc. c. Société Canadian Tire Limitée, 2007 CAF 367, 62 C.P.R. (4th) 436 (au paragraphe 30)):

Comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, [2006] A.C.F. no 1968, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont déposés et qu’ils sont importants pour la décision finale, la Cour fédérale n’est pas limitée à trouver une erreur dans la décision faisant l’objet de la révision. La Cour peut tirer ses propres conclusions en fonction du dossier devant elle, qui comprend les éléments de preuve présentés au registraire de même que les nouveaux éléments de preuve. Dans ce contexte, la Cour est évidemment appelée à prendre la décision correcte, mais elle ne révise pas la décision du registraire selon la norme de la décision correcte.

 

[23]                 En appel, notre Cour peut examiner le bien-fondé de toute décision rendue par le juge de la Cour fédérale sur toute question de droit, et vérifier notamment s’il a utilisé le bon critère juridique pour déterminer la norme de contrôle applicable à la décision de la registraire. S’il appert, des motifs du juge, que celui-ci a appliqué la mauvaise norme, notre Cour doit étudier la preuve soumise à la registraire et les nouveaux éléments de preuve, puis tirer la conclusion correcte.

 

[24]                 La preuve additionnelle présentée en appel comprend des articles de dictionnaires et d’encyclopédies annexés à l’affidavit de Tawfic Nessim Abu-Zahra, qui indiquent tous que le mot « java », en plus de désigner une danse dans la langue française, est aussi généralement connu comme une île d’Indonésie renommée pour sa production de café (dossier d’appel, vol. II, Le Grand Dictionnaire Terminologique, à la page 332; Petit Larousse, à la page 337; Dictionnaire Hachette, à la page 341; Grand Larousse Universel, aux pages 404, 405 et 406; Encyclopédie Bordas, à la page 410; Dictionnaire Encyclopédique Axis, à la page 414). Des extraits d’un livre de langue française qui traite de l’histoire du commerce du café font aussi la même association (dossier d’appel, vol. III, aux pages 641 à 643).

 

[25]                 Le juge de la Cour fédérale a réuni ces éléments de preuve et d’autres définitions en langue anglaise et les a rejetés, les estimant sans pertinence (motifs, au paragraphe 13) :

Le second affidavit supplémentaire qui a été déposé dans la présente demande présentée par la demanderesse est celui de M. Tawfic Nessim Abu-Zahra. Il renferme notamment des extraits de dictionnaires et d’encyclopédies de langue française et de langue anglaise concernant les mots JAVA et CAFÉ. D’autres renseignements, provenant d’ouvrages ou de brochures que l’on peut consulter dans les bibliothèques publiques, traitent de l’histoire du commerce du café et de celle de l’Indonésie et de sa géographie et de ses principaux produits. La date de publication de la plupart de ces documents est postérieure à la date pertinente du 15 janvier 1998. L’agent d’audience disposait des définitions des mots « café » et « java » extraites des dictionnaires. Ces définitions ne renfermaient pas de nouveaux éléments d’information. Il n’y a aucun élément de preuve qui permette de penser que les références citées s’appliquaient à la date pertinente ou que les consommateurs canadiens, en prenant connaissance des références et des définitions proposées, auraient immédiatement l’impression qu’elles décrivent  la nature et l’origine des marchandises en question comme le propose Shell.

 

[Je souligne.]

 

[26]                 L’examen des éléments de preuve additionnels présentés à la Cour fédérale montre que les définitions, articles et extraits en langue française concernant le mot « java » ont tous été publiés en 1998 ou bien avant. Par conséquent, aucun de ces éléments de preuve ne pouvait être exclu au motif qu’il traduit une compréhension du mot « java » qui n’avait pas cours à la date de la production de la demande d’enregistrement.

 

[27]                 Quant à la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle cette preuve ne renfermait « pas de nouveaux éléments d’information », il est utile de rappeler en quels termes la registraire a décrit la question qu’elle devait trancher quant à la signification du mot « java » pour un Canadien francophone (motifs de la registraire, au paragraphe 20) :

[…] Je crois que personne ne conteste que le mot « café » désigne « du café » en français, ni que le Canadien francophone moyen associerait ce sens à un tel mot en le voyant dans la marque en question employée en liaison avec les produits à base de café visés en l’espèce. La question est donc de savoir ce que la composante JAVA signifie pour le Canadien francophone moyen, mais il importe d’abord de savoir si l’opposante a présenté une preuve suffisante pour s’acquitter de son fardeau initial de preuve à cet égard.

 

[28]                 Après avoir fait observer qu’on ne lui avait soumis aucun élément de preuve sur ce point, et étant donné que la seule définition dont elle a tenu compte indiquait que le mot « java » désigne en français une danse populaire, la registraire a rejeté la prétention de Shell portant qu’un Canadien francophone moyen saurait qu’il existe une île appelée Java ou que cette île produit du café. À ce sujet, elle écrit (motifs de la registraire, au paragraphe 24) :

En fonction de la preuve qui m’a été présentée, je ne peux pas conclure selon la prépondérance des probabilités que le Canadien francophone moyen sait qu’il existe une île appelée Java ou que cette île produit du café. Je n’ai donc aucune raison de croire qu’un Canadien francophone, en voyant le mot JAVACAFÉ, aurait immédiatement l’impression que le café en question vient de Java. Comme l’opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial, je rejette l’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)b).

 

[29]                 Dans ce contexte, on ne peut pas dire que les nouveaux éléments de preuve concernant le mot « java » en langue française n’apportent aucune information nouvelle ou sont autrement dépourvus de pertinence. Il semble évident que si la registraire avait été informée du fait que le mot « java » désigne aussi en français une île connue pour sa production de café, elle se serait demandée (comme elle l’a fait pour l’acception dont elle était informée) si la marque JAVACAFE, compte tenu de cette acception, évoque immédiatement, chez un Canadien francophone, un endroit où l’on produit du café. Manifestement, elle aurait répondu affirmativement à cette question parce que, eu égard à cette seconde acception, la combinaison des mots JAVA et CAFE ne se prête à aucune autre conclusion.

 

[30]                 Je ne crois pas que des éléments de preuve additionnels (sous forme de sondage ou d’autres éléments semblables) soient nécessaires pour parvenir à cette conclusion. Si le mot « java », employé seul, peut revêtir plus d’une signification en langue française, de sorte qu’un sondage pourrait s’imposer pour découvrir la signification qui vient immédiatement à l’esprit du Canadien francophone moyen, la question ne se pose pas lorsque le mot JAVA est employé avec le mot CAFÉ comme c’est le cas dans la marque projetée JAVACAFE.

 

[31]                 À cet égard, l’alinéa 12(1)b) de la Loi prévoit qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable si elle donne une description claire « sous forme […] écrite ou sonore ». J’estime, en accord avec Shell, que même si la marque de commerce en cause n’est pas constituée de deux mots distincts, « java » et « café », mais d’un seul mot inventé, JAVACAFE, cette distinction disparaît lorsqu’on prononce la marque de commerce en français. Aussi, pour l’examen du caractère descriptif suivant l’alinéa 12(1)b), la marque de commerce consiste-t-elle en deux mots, « JAVA » et « CAFE ». À nouveau, aucun sondage n’est nécessaire pour démontrer ce point, puisque la marque projetée n’est susceptible d’aucune autre prononciation dans la langue française. 

 

[32]                 Le même raisonnement m’amène à conclure que la marque n’est pas distinctive. Le caractère distinctif d’une marque de commerce suppose que celle-ci distingue véritablement les marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée par son propriétaire. Je suis d’avis que la marque de commerce JAVACAFE ne distingue pas les produits du café de P.T. Sari des produits du café offerts par d’autres, parce qu’elle donne une description claire de la nature, de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises dont l’association avec la marque est contestée (comparer Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., 2005 CSC 65 (au paragraphe 39)).

 

[33]                 Étant donné que la marque de commerce JAVACAFE donne en langue française une description claire des produits du café offerts par P.T. Sari, il n’est pas nécessaire d’examiner si elle en donne aussi une description claire en langue anglaise.

 

[34]                 Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision du juge de la Cour fédérale et, rendant la décision que celui-ci aurait dû rendre, je ferais droit à l’opposition de Shell et ordonnerais à la registraire de rejeter la demande no 866,545 de P.T. Sari en vue de l’enregistrement de la marque JAVACAFE en ce qui concerne les « poudre à café, graines de café cuites, café instantané, café lyophilisé et café en poudre », au motif que la marque visée par la demande donne une description claire de ces marchandises et n’est pas distinctive. Je suis d’avis d’adjuger les dépens à Shell, tant devant notre Cour qu’en première instance.  

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

     Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-455-05

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 27 JUILLET 2008 PAR L’HONORABLE JUGE MACKAY DANS LE DOSSIER No T-2163-03

 

INTITULÉ :                                                               SHELL CANADA LIMITÉE et

                                                                                    P.T. SARI INCOFOOD CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 9 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 Le juge Létourneau

                                                                                    La juge Trudel

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 19 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

François Guay

 

POUR L’APPELANTE

 

Iain Beaudoin

Daniel Urbas

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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