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Date : 20081217

Dossier : A-140-08

Référence : 2008 CAF 404

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

RUWAN CHANDIMA JAYASEKARA

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 octobre 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2008

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW                                                                                                                        LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20081217

Dossier : A-140-08

Référence : 2008 CAF 404

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

RUWAN CHANDIMA JAYASEKARA

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions certifiées et l’opportunité d’y répondre

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’un jugement par lequel le juge Strayer de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant à l’égard de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Le juge a certifié les deux questions suivantes aux fins d’analyse par notre Cour :

 

1.         Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1Fb) de la Convention?

2.        Si la réponse à la question 1 est affirmative, une peine est‑elle réputée purgée si l’auteur du crime est forcé de quitter le pays où il a commis le crime avant d’avoir fini de purger sa peine?

 

Par application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, et de la clause d’exclusion prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention, la Commission a conclu que l’appelant n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. En outre, la Commission a estimé que l’appelant n’était pas crédible et qu’il ne répondait pas aux critères de la Convention. Cette seconde conclusion de la Commission n’a pas été portée en appel. De ce point de vue, l’appel est sans objet.

 

[2]               Il résulte toutefois du rapprochement des alinéas 95(1)c) et 112(3)c) de la LIPR que la personne qui, aux termes de l’article 98 de la LIPR, est exclue de la définition de réfugié au sens de la Convention par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention ne peut bénéficier de la protection offerte aux réfugiés.

 

[3]               Qui plus est, bien qu’elle puisse quand même présenter une demande d’asile au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) si elle fait l’objet d’une mesure de renvoi, cette personne ne peut obtenir le statut de résident permanent. Aux termes du paragraphe 114(1) de la LIPR, la décision du ministre accordant la demande de protection a simplement pour effet de surseoir à la mesure de renvoi. Compte tenu des conséquences auxquelles le demandeur d’asile est ainsi exposé, je crois que notre Cour devrait se pencher sur les questions certifiées.

 

[4]               L’article 98 de la LIPR et l’interprétation à donner au mot « grave » dans l’expression « crime grave de droit commun » que l’on trouve à l’alinéa 1Fb) de la Convention comportent une dimension internationale. Ainsi que lord Llyod of Berwick l’explique dans l’arrêt T v. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All ER 865, à la page 891, [traduction] « dans une affaire portant sur une convention internationale, il est de toute évidence souhaitable que les décisions émanant de divers États soient, dans la mesure du possible, compatibles ». Pour cette raison, nous avons invité les parties à nous soumettre des observations complémentaires renvoyant à la jurisprudence internationale sur la question.

 

[5]               Plus précisément, les parties ont été invitées à citer des sources sur l’une ou l’autre des questions suivantes :

 

a)         la gravité d’un crime de droit commun au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention est‑elle déterminée uniquement en fonction de la peine maximale qui peut être infligée pour un crime précis selon le droit interne du pays d’accueil?

 

b)         pour tirer cette conclusion, peut‑on ou doit‑on tenir compte des faits se rapportant à la nature et à la gravité des actes commis?

 

La Cour a accordé aux parties jusqu’au 7 novembre 2008 pour produire leurs observations.

 

[6]               Avant d’exposer les faits, je reproduis les dispositions pertinentes :

 

 

La Convention

Article premier. -- Définition du terme « réfugié »

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser  :

 

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

 

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 1. Definition of the term “refugee”

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

(b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

(c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

                                                                                                  [Non souligné dans l’original.]

 

La LIPR

 

PARTIE 1 - IMMIGRATION AU CANADA

 

Section 4 - Interdictions de territoire

 

Grande criminalité

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

 

 

 

PARTIE 2 - PROTECTION DES RÉFUGIÉS

 

Section 1 - Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

Asile

 

95. (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

 

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

 

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

 

 

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

 

[…]

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[…]

 

Irrecevabilité

 

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

 

[…]

 

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) – , grande criminalité ou criminalité organisée.

 

 

 

Grande criminalité

 

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité visée à l’alinéa (1)f) n’emporte irrecevabilité de la demande que si elle a pour objet :

 

a) une déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et pour laquelle un emprisonnement d’au moins deux ans a été infligé;

 

 

b) une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, le ministre estimant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

 

 

[…]

 

 

Section 3 - Examen des risques avant renvoi

 

Protection

 

Demande de protection

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

[…]

 

Restriction

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

[…]

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

Effet de la décision

 

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

 

PART 1 - IMMIGRATION TO CANADA

 

Division 4 - Inadmissibility

 

 

Serious criminality

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

 

PART 2 - REFUGEE PROTECTION

 

Division 1 - Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Conferral of refugee protection

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

 

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

 

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

 

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Exclusion — Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

 

Ineligibility

 

101. (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

 

 

(f) the claimant has been determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality, except for persons who are inadmissible solely on the grounds of paragraph 35(1)(c).

 

 

Serious criminality

 

(2) A claim is not ineligible by reason of serious criminality under paragraph (1)(f) unless

 

 

(a) in the case of inadmissibility by reason of a conviction in Canada, the conviction is for an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years and for which a sentence of at least two years was imposed; or

 

(b) in the case of inadmissibility by reason of a conviction outside Canada, the Minister is of the opinion that the person is a danger to the public in Canada and the conviction is for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament that is punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

 

 

Division 3 - Pre-removal Risk Assessment

 

Protection

 

Application for protection

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

 

Restriction

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

Effect of decision

 

114. (1) A decision to allow the application for protection has

 

(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and

 

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 

                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

Les faits

 

[7]               Les faits peuvent être résumés de la façon suivante. L’appelant, M. Ruwan Chandima Jayasekara, est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique cingalaise. Il allègue avoir été ciblé au Sri Lanka par les Tigres tamouls. Il est arrivé en 1998 aux États-Unis, où il a vécu sans statut jusqu’en 2004.

 

[8]               En janvier 2004,  il a été arrêté dans l’État de New York et accusé de trafic de stupéfiants. Il a plaidé coupable à des accusations de vente criminelle au troisième degré d’une substance réglementée, en l’occurrence l’opium, et de possession criminelle de marijuana. En mars 2004, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 29 jours et à une période de probation de cinq ans.

 

[9]               Un mois après avoir fini de purger sa peine d’emprisonnement, il a été convoqué à une audience en matière d’immigration et a reçu l’ordre de quitter de son plein gré les États-Unis au plus tard en octobre 2004.

 

[10]           Le 5 juillet 2004, il est entré au Canada et a demandé l’asile. Il ne s’est pas adressé à son bureau de probation pour obtenir la permission de quitter le territoire des États-Unis et un mandat d’arrestation a été lancé contre lui le 27 juillet 2004 parce qu’il était considéré comme un fugitif.

 

La décision de la Commission

 

[11]           La Commission a entendu la demande d’asile de l’appelant les 12 avril et 15 septembre 2006. Comme je l’ai mentionné précédemment, elle a estimé que l’appelant n’avait pas la qualité de réfugié par application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fb) de la Convention parce qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada et qu’il n’avait pas fini de purger sa peine puisqu’il s’était enfui des États‑Unis pendant sa période de probation.

 

[12]           La Commission a également conclu que, même si l’appelant ne pouvait être exclu par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention, il ne satisfaisait pas aux critères lui permettant de répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Ces conclusions, qui étaient fondées sur la crédibilité, ne sont pas contestées.

 

[13]           La demande de contrôle judiciaire que l’appelant a présentée devant la Cour fédérale porte uniquement sur son exclusion fondée sur l’article 98 de la LIPR et sur l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

Jugement de la Cour fédérale

 

[14]           Le juge a examiné la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable parce qu’essentiellement, la question de l’exclusion prononcée en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fb) de la Convention était une question mixte de fait et de droit qui supposait l’exercice d’un certain pouvoir discrétionnaire (voir le paragraphe 10 des motifs du jugement).

 

[15]           Le juge s’est également dit d’avis qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la déclaration de culpabilité de l’appelant aux États-Unis pour un crime qui le rendrait passible d’une peine d’emprisonnement à vie au Canada donnait à la Commission des raisons sérieuses de conclure que l’appelant avait commis un crime grave de droit commun à l’étranger. Il a estimé que cette conclusion était raisonnable parce que le délit commis par l’appelant était passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité au Canada. Au paragraphe 11 des motifs du jugement, le juge a écrit :

 

Il était parfaitement raisonnable de la part de la Commission de s’inspirer de la peine que prévoit le droit canadien et non de la gravité de la peine infligée aux États‑Unis pour mesurer la « gravité » du crime en question.

 

 

[16]           Pour ce qui est des questions certifiées, le juge a estimé que l’appelant n’avait pas fini de purger sa peine aux États-Unis puisqu’il avait quitté de son plein gré ce pays sans avoir accompli la plus grande partie de sa période de probation de cinq ans.

 

[17]           Enfin, en ce qui concerne l’argument de l’appelant suivant lequel l’alinéa 1Fb) de la Convention ne s’applique pas aux personnes qui ont purgé leur peine à l’étranger avant de venir au Canada, le juge a examiné les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1180, et Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no  565. Il a conclu que la Commission avait là encore eu raison d’exclure l’appelant en vertu de l’alinéa 1Fb) de la Convention, même si l’appelant devait être considéré comme ayant purgé sa peine aux États-Unis.

 

Objet de l’alinéa 1Fb) de la Convention

 

[18]           Notre Cour a examiné l’objet de l’alinéa 1Fb) de la Convention dans les arrêts Chan et Zrig. L’avocat de l’appelant soutient que l’arrêt Chan s’applique toujours. Il fait valoir que, dans cet arrêt, notre Cour a posé le principe général voulant que la personne qui a purgé sa peine ne devrait pas être exclue par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

[19]           L’appelant se fonde sur les propos suivants qu’a tenus le juge Robertson, au paragraphe 4 de l’arrêt Chan :

 

Si l’on présume, sans toutefois trancher la question, que l’infraction dont l’appelant a été déclaré coupable constitue un crime grave de droit commun, il est clair selon moi que la section Fb) de l’article premier ne saurait être invoquée dans les cas où le revendicateur a été déclaré coupable d’un crime et a purgé sa peine ailleurs qu’au Canada, avant d’arriver au pays. Je fonde cette conclusion sur deux motifs. Premièrement, des remarques incidentes que le juge Bastarache (s’exprimant au nom des juges majoritaires) a faites dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et que le juge La Forest a faites dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, étayent une telle interprétation de la section Fb) de l’article premier, à l’instar de la doctrine. Deuxièmement, toute autre interprétation de cette section irait à l’encontre du régime législatif qu’établit la Loi sur l’immigration.

 

 

[20]           Dans cette affaire, notre Cour était appelée à concilier le texte de l’alinéa 1Fb) de la Convention avec celui des sous-alinéas 46.01(1)e)(i) et 19(1)(c.1)(i) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, modifiée (l’ancienne Loi).

 

[21]           Les dispositions en question de l’ancienne Loi étaient ainsi libellées :

 

Critères de recevabilité

 

46.01 (1) – La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

 

[…]

 

(e) L’arbitre a décidé, selon le cas :

(i) qu’il appartient à l’une des catégories non admissibles visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

 

19. (1) Personnes non admissibles – Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

 

[…]

 

c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles ont, à l’étranger :

(i) soit été déclarées coupables d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, d’un emprisonnement maximum égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu’au moins cinq ans se sont écoulés depuis l’expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l’infraction ou depuis la commission du fait;

Access Criteria

 

46.01 (1) A person who claims to be a Convention refugee is not eligible to have the claim determined by the Refugee Division if the person

 

 

(e) has been determined by an adjudicator to be

(i) a person described in paragraph 19(1)(c) or subparagraph 19(1)(c.1)(i) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada,

 

 

19. (1) Inadmissible Persons – No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

 

 

(c.1) persons who there are reasonable grounds to believe

 

(i) have been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of ten years or more, or

 

 

 

except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission as the case may be;

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Aux termes de l’article 46.01, la personne non admissible au Canada ne pouvait faire trancher sa demande par la section du statut. En d’autres termes, elle n’avait pas droit à une audience concernant son statut de réfugié devant la section du statut.

 

[23]           Toutefois, le sous-alinéa 19(1)c.1)(i) créait une exception à l’inadmissibilité au Canada des personnes déclarées coupables à l’extérieur du Canada d’un crime qui pouvait être punissable au Canada d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix (10) ans.

 

[24]           En fait, la personne reconnue coupable de tels crimes pouvait quand même se voir reconnaître la qualité de réfugié et faire examiner sa demande par la section du statut si le ministre était convaincu qu’elle s’était réadaptée et qu’au moins cinq ans s’étaient écoulés depuis l’expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l’infraction ou depuis la commission du fait.

 

[25]           Pour donner un sens aux dispositions de l’ancienne Loi relatives à la réadaptation, le juge Robertson a conclu, dans l’arrêt Chan, que l’alinéa 1Fb) de la Convention ne pouvait recevoir une interprétation qui se traduirait par l’exclusion générale de tous ceux qui avaient été jugés coupables de crimes graves au sens de la Loi. Une telle interprétation aurait privé le demandeur d’asile de la protection offerte par l’exception à la règle de l’inadmissibilité. Je tiens à ajouter qu’elle aurait aussi privé le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui conférait l’alinéa 19(1)(c.1) de cette loi.

 

[26]           À mon humble avis, l’arrêt Chan appuie le principe que, selon les règles de droit qui étaient en vigueur à l’époque et qui, comme nous le verrons, ont depuis été modifiées par la LIPR, le demandeur d’asile qui avait été reconnu coupable d’un crime grave de droit commun et qui avait purgé sa peine ne se voyait pas nécessairement refuser le droit à une audience concernant le statut de réfugié et ne devenait pas nécessairement inadmissible à revendiquer le droit d’asile prévu par la Convention. Il conservait le droit de faire examiner sa demande d’asile par la section du statut si le ministre estimait qu’il s’était réadapté et qu’il ne constituait plus un danger pour le public.

 

[27]           Bien que l’arrêt Chan offre une certaine protection au demandeur d’asile et qu’il sauvegarde le pouvoir discrétionnaire du ministre, il n’appuyait pas alors et n’appuie pas maintenant, à mon humble avis, la proposition voulant que, peu importe les circonstances, un pays ne peut exclure un demandeur qui a été déclaré coupable et qui a purgé sa peine.

 

[28]           L’objectif déclaré dans l’arrêt Chan n’est ni le seul ni, comme le soutient l’appelant, nécessairement le principal objectif visé par l’exclusion prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention, ainsi qu’il ressort clairement de l’arrêt subséquent rendu par notre Cour dans l’affaire Zrig. À cet égard, notre collègue le juge Décary écrit ce qui suit, aux paragraphes 118 et 119 de l’arrêt Zrig :

 

Objectifs de la section F de l’article premier de la Convention en général, et de la section 1Fb) en particulier

[118]       Ma lecture de la jurisprudence, de la doctrine et, bien sûr, quoi qu’il ait souvent été négligé, du texte même de la section F de l’article premier de la Convention, m’amène à conclure que cette section vise à réconcilier différents objectifs que je me permets de résumer comme suit  : s’assurer que les auteurs de crimes internationaux ou d’agissements contraires à certaines normes internationales ne puissent se réclamer du droit d’asile; s’assurer que les auteurs de crimes ordinaires commis pour des motifs foncièrement politiques puissent trouver refuge dans un pays étranger; s’assurer que le droit d’asile ne soit pas utilisé par les auteurs de crimes ordinaires graves afin d’échapper au cours normal de la justice locale; et s’assurer que le pays d’accueil puisse protéger sa propre population en fermant ses frontières à des criminels qu’il juge indésirables en raison de la gravité des crimes ordinaires qu’il les soupçonne d’avoir commis. C’est ce quatrième objectif qui est véritablement en cause dans ce litige. (Je note, en passant, que les expressions « crimes ordinaires » et « crimes non politiques » sont synonymes de l’expression « crimes de droit commun » et sont employés indistinctement dans la doctrine et la jurisprudence.)

 

[119]       Ces objectifs sont complémentaires. Le premier indique que la communauté internationale n’a pas voulu que ceux par qui la persécution arrivait profitent d’une Convention qui vise à protéger les victimes de leurs crimes. Le second indique que les signataires de la Convention acceptent ce principe fondamental du droit international que l’auteur d’un crime politique, même d’une extrême gravité, a le droit d’échapper aux autorités de l’État où il a commis son crime, la prémisse étant que cette personne ne saurait être jugée équitablement dans cet État et serait persécutée. Le troisième indique que les signataires n’acceptent pas que le droit d’asile soit transformé en garantie d’impunité au profit de criminels de droit commun dont la crainte réelle n’est pas d’être persécutés, mais d’être jugés par le pays qu’ils cherchent à fuir. Le quatrième indique que les signataires, s’ils sont prêts à sacrifier leur souveraineté, voire leur sécurité, quand il s’agit d’auteurs de crimes politiques, entendent au contraire les préserver, pour des raisons de sécurité et de paix sociale, quand il s’agit d’auteurs de crimes ordinaires graves. Ce quatrième objectif indique aussi que les signataires ont voulu s’assurer que la Convention soit acceptée par la population d’accueil qui ne risque pas d’être forcée, sous le couvert du droit d’asile, à côtoyer des individus particulièrement dangereux.

                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

[29]           Je souscris à cette analyse fouillée de notre collègue le juge Décary (voir aussi, sur l’existence et la portée de ce quatrième objectif, les décisions Minister for Immigration and Multicultural Affairs c. Singh, [2002] HCA 7, aux paragraphes 94 et 95 (Haute Cour d’Australie); Tenzin Dhayakpa c. The Minister of Immigration and Ethnic Affairs, [1995] FCA 1653 (Cour féd. d’Australie), aux paragraphes 27, 28 et 29; Igor Ovcharuk c. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, [1998] FCA 1314 (Cour féd. d’Australie). Ces objectifs sont complémentaires et aucun d’entre eux ne prime sur l’autre.

 

[30]           Certains aspects du raisonnement suivi dans l’arrêt Chan valent toujours dans le cas de la LIPR en raison de la règle d’irrecevabilité des demandeurs d’asile en vertu de la partie 2 de la LIPR, telle que l’interdiction de territoire pour grande criminalité (voir les paragraphes 101(1) et 101(2) de la LIPR).

 

[31]           Il y a toutefois une différence notable entre la LIPR et l’ancienne Loi. Aux termes de l’alinéa 46.01(1)e) et du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de l’ancienne Loi, un revendicateur n’avait pas droit à une audience concernant son statut de réfugié s’il n’était pas admissible au Canada pour cause de grande criminalité sauf si, comme nous l’avons vu, le ministre était convaincu que le demandeur d’asile s’était réadapté et que cinq ans s’étaient écoulés depuis l’expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l’infraction ou depuis la commission du fait (non souligné dans l’original).

 

[32]           Sous le régime de la LIPR, la règle relative à l’irrecevabilité a été modifiée. Ainsi, aux termes du paragraphe 101(2), l’interdiction de territoire pour grande criminalité n’emporte irrecevabilité de la demande « que si elle a pour objet une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, [et que] le ministre estim[e] que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada » (non souligné dans l’original).

 

[33]           En d’autres termes, l’ancienne loi prévoyait une règle d’irrecevabilité dans le cas du demandeur d’asile qui n’était pas admissible pour cause de grande criminalité. Cette règle s’appliquait sauf lorsque l’exception jouait. Sous le régime de la LIPR, la règle est inversée. Le demandeur d’asile demeure admissible, à moins que l’exception ne s’applique.

 

[34]           Le concept de « peine purgée » demeure utile pour trancher la question de l’admissibilité au Canada en raison de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR, qui porte sur la réadaptation.

 

[35]           Ce qui m’amène à répondre à la première question certifiée et au rôle que joue ou devrait jouer le droit interne en ce qui concerne l’interprétation de la clause d’exclusion prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1F(b) de la Convention?

 

 

[36]           L’élément central de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention est la commission d’un crime « grave » de droit commun. Mais qu’entend-on par crime « grave » ? Quels critères applique-t-on pour déterminer si le crime commis par un demandeur d’asile est grave au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention? Quelles normes retient-on pour prendre cette décision? Les normes internationales, les normes locales ou les deux? Le crime commis dans le cas qui nous occupe était-il suffisamment grave pour justifier l’application de la clause d’exclusion? Il convient maintenant d’aborder ces questions à la lumière de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

a)         Normes régissant la détermination de la gravité d’un crime

 

[37]           Suivant les Principes directeurs sur la protection internationale publiés par l’UNHCR (le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), au paragraphe 38, la gravité du crime « doit être mesurée à l’aune des normes internationales et pas simplement suivant l’interprétation qui en est faite dans le pays d’accueil ou le pays d’origine ». Cette façon de voir vise évidemment à éviter les profondes disparités qui peuvent exister entre les États relativement aux mêmes agissements. Ainsi que le juge Branson l’écrit dans la décision Igor Ovcharuk c. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, précitée, à la page 15, [traduction] « il suffit d’évoquer les régimes dans lesquels des comportements tels que la dissidence politique pacifique, la possession d’alcool et les tenues féminines jugées indécentes sont considérés comme étant des actes criminels graves ».

 

[38]           Les Principes directeurs de l’UNHCR proposent, au paragraphe 39, de tenir compte des facteurs suivants pour déterminer la gravité d’un crime pour l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention :

            - la nature de l’acte;

            - le dommage réellement causé;

            - la forme de la procédure employée pour engager des poursuites;

            - la nature de la peine encourue pour un tel crime;

- si la plupart des juridictions considéreraient l’acte en question comme un crime grave.

 

Les Principes directeurs poursuivent en donnant comme exemples de crimes graves le meurtre, le viol, l’incendie criminel et le vol à main armée. Ils citent également d’autres infractions qui pourraient être considérés comme graves « si elles associent l’usage d’armes mortelles, si elles impliquent des blessures graves sur des personnes ou s’il est prouvé que la conduite criminelle grave est habituelle ou d’autres facteurs similaires » (idem, au paragraphe 40). On renvoie ici clairement aux circonstances entourant la perpétration d’un crime dont, suivant les Principes directeurs, l’on devrait tenir compte pour évaluer la gravité du crime.

 

[39]           Les Principes directeurs de l’UNHCR ne sont pas impératifs, pas plus que le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés), Genève, janvier 1988, bien que les tribunaux puissent consulter le Guide pour y trouver des lignes directrices (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 713 et 714, Tenzin Dhayakpa, précité, au paragraphe 27, Igor Ovcharuk, précité, à la page 8, INS c. Aguirre-Aguirre, U.S. 1999, 1, aux pages 10 et 11 (Cour suprême des États-Unis). Je suis également d’accord pour dire que le Guide ne saurait avoir préséance sur la mission de la Cour de statuer sur les termes de la Convention (voir les motifs du jugement du juge Henry dans S. c. Refugee Appeals Authority, [1998] 2 NZLR 291, au paragraphe 20 (C.A. N.-Z.).

 

[40]           Pour déterminer si une demande d’asile est irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés pour cause de « grande criminalité », l’alinéa 101(2)b) de la LIPR exige que l’intéressé ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Il faut y voir une forte indication de la part du législateur que le Canada, en tant que pays d’accueil, considère les crimes entraînant ce type de sanction comme des crimes graves. Dans le cas d’un crime commis à l’extérieur du Canada, l’alinéa 101(2)b) ne tient pas compte de la durée de la peine effectivement infligée. Il convient de mettre cette disposition en contraste avec l’alinéa 101(2)a), qui porte sur l’interdiction de territoire en raison d’une déclaration de culpabilité au Canada. Dans ce dernier cas, le législateur fédéral a jugé à propos d’exiger que l’infraction soit punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et qu’un emprisonnement d’au moins deux ans ait été infligé (non souligné dans l’original).

 

[41]           Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire que, si aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention, il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis. En revanche, une personne peut encourir dans certains pays des peines d’emprisonnement prolongées pour des actes qui ne sont pas considérés criminels au Canada.

 

[42]           De plus, dans de nombreux pays, pour déterminer la peine à infliger pour une infraction criminelle, on ne tient pas uniquement compte de la gravité du crime. Ainsi, une personne impliquée dans un réseau de prostitution peut, par intérêt personnel, aider les autorités chargées des poursuites à démanteler le réseau en question en échange d’une peine légère. Ou encore un contrevenant peut obtenir une peine plus clémente en échange d’un plaidoyer de culpabilité qui épargne à la victime l’épreuve de devoir témoigner au sujet d’une agression sexuelle traumatisante. On peut éviter la tenue de mégas procès longs et coûteux impliquant de nombreux accusés en négociant des plaidoyers de culpabilité et des peines moins lourdes. Les négociations relatives aux peines à infliger peuvent être liées à des engagements de confidentialité, à la protection de personnes et au secret professionnel de l’avocat. Il se peut que l’accès à certains renseignements confidentiels, protégés et privilégiés soit interdit, de sorte qu’un examen isolé d’une peine clémente par une autorité chargée de la révision donnerait une image déformée de la gravité du crime dont le contrevenant a été reconnu coupable.

 

[43]           Bien qu’il faille tenir compte des normes internationales, on ne doit pas ignorer le point de vue de l’État ou du pays d’accueil lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité du crime. Après tout, comme nous l’avons déjà évoqué, c’est à l’État ou au pays d’accueil qu’est conférée la protection prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention. C’est d’ailleurs ce que reconnaissent les Principes directeurs de l’UNHCR (voir le paragraphe 36).

 

[44]           Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.-Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel-Miguel c. Gonzales, no 05-15900, (Cour d’appel É.-U., 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine (voir Xie c. Canada, précité, au paragraphe 38, INS c. Aguirre-Aguirre, précité, à la page 11; T c. Home Secretary (1995), 1 WLR 545, aux pages 554-555 (C.A. Angleterre), Dhayakpa c. The Minister of Immigration and Ethnic Affairs, précité, au paragraphe 24).

 

[45]           Ainsi, une coercition qui ne permet pas d’invoquer le moyen de défense de droit criminel de la contrainte peut constituer une circonstance atténuante pertinente pour évaluer la gravité du crime commis. Le préjudice causé à la victime ou à la société, l’utilisation d’une arme, le fait que le crime a été commis par un groupe criminel organisé, etc. seraient également des facteurs pertinents à considérer.

 

[46]           Je tiens par ailleurs à ajouter, par souci de clarté, qu’à l’instar de la Grande-Bretagne et des États-Unis, le Canada dispose d’un nombre assez élevé d’infractions hybrides, c’est-à-dire d’infractions qui, selon les circonstances aggravantes ou atténuantes entourant leur perpétration, peuvent être punissables par procédure sommaire ou, plus sévèrement, sur acte d’accusation. Dans des pays où cette option existe, le choix du mode de poursuite est utile pour évaluer la gravité du crime s’il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d’accusation.

 

b)         Le crime commis en l’espèce est-il grave et justifiait-il l’application de la clause d’exclusion?

 

 

[47]           On se rappellera que l’appelant a été reconnu coupable aux États-Unis de trafic d’une drogue dure, en l’occurrence l’opium.

 

[48]           Il est acquis aux débats que, dans notre société, le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes est susceptible d’entraîner des conséquences tant sur le plan humain que sur le plan économique. Ainsi que la preuve le révèle, le trafic de stupéfiants est considéré comme un crime grave partout dans le monde. Dans leur ouvrage The Refugee in International Law, 3e éd., Oxford University Press, 2007, à la page 179, les auteurs G.S. Goodwin-Gill et J. McAdam mentionnent que l’UNHCR, pour promouvoir l’uniformité des décisions [traduction] « a proposé qu’en l’absence de tout facteur politique, la preuve de l’une des infractions suivantes soit considérée comme valant présomption de crime grave : homicide, viol, sévices sexuels sur la personne d’un enfant, coups et blessures graves, incendie criminel, trafic de drogue et vol à main armée » (non souligné dans l’original).

 

[49]           Conformément aux trois conventions des Nations Unies sur les stupéfiants, à savoir la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (modifiée par le Protocole du 25 mars 1972), 976 R.T.N.U. 105, la Convention sur les substances psychotropes de 1971, 1019 R.T.N.U. 175, et la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, E/Conf. 82/15, les États signataires sont tenus de coordonner leurs mesures préventives et répressives contre le trafic de stupéfiants, notamment en appliquant les dispositions pénales nécessaires. Le choix de dispositions pénales est à la discrétion de l’État membre et leur nombre peut être supérieur à celui prévu par les Conventions si les États membres le jugent souhaitable ou nécessaire pour assurer la protection de la santé et du bien-être de leur population.

 

[50]           Comme les dispositions pénales édictées le laissent entrevoir, la plupart des États signataires définissent et considèrent le trafic de stupéfiants comme un crime grave. Contrairement à la simple possession, le trafic de stupéfiants est habituellement punissable d’emprisonnement. Au Canada, la peine maximale prévue pour le trafic de stupéfiants est de 18 mois dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et de l’emprisonnement à perpétuité pour une infraction punissable sur acte d’accusation, selon la substance faisant l’objet du trafic (voir la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, article 5).

 

[51]           Dans d’autres pays, la peine infligée est égale ou supérieure à celle qui est appliquée chez nous et peut comprendre à la fois l’incarcération et la condamnation à une amende. Les États-Unis prévoient également une série de peines selon la nature de la substance faisant l’objet du trafic, selon que le trafic a entraîné comme conséquence des blessures graves ou la mort, et selon que l’intéressé a déjà été déclaré coupable ou non. Dans l’ensemble, les peines se situent entre un minimum d’un an de prison et l’emprisonnement à perpétuité et les amendes varient entre 100 000 $ et 20 000 000 $ selon que le contrevenant est une personne physique ou non, pour reprendre la formulation de l’article (voir 21 U.S.C. §841). Dans une affaire récente comparable à celle qui nous est soumise dans laquelle l’accusé avait plaidé coupable à l’accusation d’avoir vendu 0,26 grammes de cocaïne sous forme de cristaux pour 20 $, la Cour d’appel des États-Unis pour le 9e circuit a, en août 2007, confirmé la présomption que l’accusé avait commis un crime grave. L’accusé avait été condamné à la peine purgée (36 jours), à une amende de 200 $ et à une période de probation de cinq ans (voir Miguel-Miguel c. Gonzales, précité).

 

[52]           Des peines moins sévères, mais semblables, sont prévues par le législateur en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en France. Au Royaume-Uni, la peine maximale prévue pour le trafic de stupéfiants est de 3 à 12 mois d’emprisonnement ou de 400 à 2 500 livres d’amende ou les deux dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité . Dans le cas d’une infraction punissable sur acte d’accusation, la peine est plus sévère et se situe entre cinq ans et l’emprisonnement à perpétuité ou une amende ou les deux (voir la Misuse of Drugs Act, 1971 (U.K.), 1971, ch. 38, article 4 et annexe 4). De même, l’Australie permet de condamner à dix ans d’emprisonnement ou à 2 000 unités ou aux deux (voir la Criminal Code Act, 1995 (Cth.), article 302.4(1)). La Nouvelle‑Zélande prévoit, pour les actes criminels en matière de trafic de stupéfiants, une série de peines allant de huit ans d’emprisonnement à l’emprisonnement à perpétuité selon la substance et, dans le cas des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité , des peines maximale d’un an d’emprisonnement ou une amende de 1 000 $ (voir la Misuse of Drugs Act, 1975 (N.Z.), 1975/116, article 6). Enfin, la France prévoit une peine de 10 ans d’emprisonnement et de 7,5 millions d’euros d’amende lorsque les stupéfiants ont servi à la revente plutôt qu’à la consommation personnelle (voir le Code Pénal, articles 222 à 237).

 

[53]           Au Canada, l’opium est classé à l’annexe 1 et, selon l’alinéa 5(3)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, précitée, la personne qui vend cette substance se rend passible de l’emprisonnement à perpétuité. Il n’y a aucun doute que le législateur considère le trafic d’opium comme un crime grave.

 

[54]           Aux États-Unis, l’acte commis par l’appelant était considéré comme un acte délictueux grave de catégorie B. Malgré le fait qu’il s’agissait de sa première infraction, l’appelant a été condamné à 29 jours d’emprisonnement et à une période de probation de cinq ans. Une ordonnance de probation, surtout une probation de cinq ans, n’est pas nécessairement une peine légère, car elle est assortie de restrictions qui peuvent limiter considérablement la liberté de l’intéressé, en plus d’entraîner des conséquences pénales en cas de violation (voir R. c. B. (M.), [1987] O.J. No. 726 (C.A. Ont).

 

[55]           Pour décider si l’appelant avait été déclaré coupable d’un crime grave, la Commission a tenu compte des facteurs suivants :

 

a)         la gravité des crimes (le trafic d’opium et la possession criminelle de marijuana) selon la législation de l’État de New York qui, même dans le cas d’une première infraction, peut donner lieu à une peine d’emprisonnement et à une période de probation de cinq ans;

 

b)         la peine infligée par le tribunal new-yorkais;

 

c)         les faits à la base de la déclaration de culpabilité, à savoir la nature de la substance faisant l’objet du trafic et de la possession, le trafic de l’opium en trois parties, la quantité de stupéfiants ayant fait l’objet de la possession et du trafic;

 

d)         la conclusion tirée par notre Cour dans l’arrêt Chan suivant laquelle un crime est un crime grave de droit commun si une peine maximale de dix ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada;

 

e)         la gravité objective du crime de trafic d’opium au Canada qui peut donner lieu à une peine d’emprisonnement à perpétuité;

 

f)          le fait que l’appelant a violé son ordonnance de probation en faisant défaut à trois reprises de se présenter à son agent de probation et en prenant finalement la fuite.

 

 

[56]           J’estime que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure, au vu de ces faits, que la déclaration de culpabilité aux États‑Unis lui donnait de sérieuses raisons de penser que l’appelant avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays.

 

 

c)         Réponse à la première question certifiée

 

[57]           La Cour répond par la négative à la première question, formulée comme suit :

Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1Fb) de la Convention?

 

[58]           Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu en ce qui concerne la première question certifiée, il n’est pas nécessaire de répondre à la seconde question.

 

Dispositif

 

[59]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Je suis redevable aux deux avocats pour l’assistance qu’ils ont apportée à la Cour pour l’aider à résoudre les questions qui lui étaient soumises.

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Karen Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-140-08

 

 

INTITULÉ :                                                   RUWAN CHANDIMA JAYASEKARA c.

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 14 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 17 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

POUR L’APPELLANT

 

Lisa Hutt

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELLANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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