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Date : 20081222

 

Dossier : A-77-08

Référence : 2008 CAF 416

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE BLAIS                  

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

appelante

et

 

AB HASSLE, ASTRAZENECA AB ET

ASTRAZENECA CANADA INC.

intimées

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                                 LE JUGE BLAIS

 

 


Date : 20081222

Dossier : A-77-08

Référence : 2008 CAF 416

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE BLAIS                  

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

appelante

et

AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

intimées

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Apotex Inc. interjette appel de l'ordonnance par laquelle le juge Hughes (2008 CF 184) a rejeté deux requêtes demandant l’annulation de l’ordonnance du juge Kelen dans le dossier T‑1747‑00 de la Cour fédérale (AB Hassle et al. c. Apotex, 2002 CFPI 931) (dossier 1) et de l’ordonnance de la juge LaydenStevenson dans le dossier T-1878-02 de la Cour fédérale (AB Hassle et al c. Apotex, 2005 CF 234) (dossier 2). Les deux ordonnances dont on a demandé l’annulation ont été confirmées en appel (2003 CAF 409 et 2006 CAF 51, respectivement). Apotex allègue que les deux ordonnances devraient être annulées parce qu’elles sont incompatibles avec certaines conclusions tirées par la juge Layden‑Stevenson dans une décision plus récente, soit dans le dossier T-766-03 (Astrazeneca et al. c. Apotex, 2006 CF 7, appel rejeté, 2007 CAF 327) (dossier 3).

 

Les faits

[2]               Les dossiers 1, 2 et 3 sont similaires à plusieurs égards. Dans chacun de ces dossiers, l’appelante était la défenderesse ou l’un des défendeurs de la présente espèce. Les intérêts de ces parties défenderesses sont si semblables que je les appellerai collectivement « Astrazeneca ».

 

[3]               Chacun de ces trois dossiers portait sur une demande visant à d’obtenir une ordonnance en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement AC) interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à son médicament à base d’oméprazole avant l'expiration d'un ou de plusieurs brevets inscrits à l’égard de Losec, le médicament à base d’oméprazole commercialisé au Canada par Astrazeneca. Le juge Hughes a fourni, aux paragraphes 3 et 4 de ses motifs, une introduction factuelle utile à ces trois dossiers, dont je reproduis ci-après le texte :

[3] […] L'oméprazole est un médicament censé être utile au traitement de certaines affections d'estomac. Or, l'acide gastrique nuit au médicament une fois qu'il est avalé. Par conséquent, les différentes préparations de ce médicament, telles qu'une gélule ou un comprimé composé de granulés avec un noyau renfermant un mélange d'oméprazole et d'autres substances, comprennent un enrobage sur ces noyaux fait à partir d'une substance qui protège le noyau du milieu acide de l'estomac et qui se dissout une fois que les granulés ont atteint le milieu alcalin de l'intestin. Cet enrobage est appelé enrobage gastrorésistant et entérosoluble. Il a été établi toutefois que l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble en soi agit sur l'oméprazole et réduit son efficacité. Un enrobage intermédiaire, appelé sous-enrobage inerte, a donc été ajouté entre le noyau d'oméprazole et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. Cet enrobage intermédiaire est l'objet de certains brevets détenus ou exploités par [Astrazeneca] et invoqués dans les deux instances antérieures relatives aux AC en cause dans les présentes requêtes [dossier 1 et dossier 2]. Il a aussi été établi que, dans certaines situations, un enrobage se formerait entre le noyau d'oméprazole et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. C'est ce que l'on appelle un enrobage ou un sous‑enrobage in situ et il est l'objet d'un autre brevet détenu ou exploité par [Astrazeneca] invoqué dans la troisième instance relative à des AC [dossier 3].

[4] Apotex souhaitait commercialiser une version générique de l'oméprazole et a déclaré que, de manière générale (parce que les détails ont été contestés dans une partie de l'instance), elle appliquait simplement un enrobage gastrorésistant et entérosoluble directement sur le noyau. Par conséquent, le Règlement AC s'appliquait dans trois des instances qui présentent un intérêt en l'espèce.

 

[4]        Dans le dossier 1, la demande a été présentée en réponse à l’avis d’allégation d’Apotex le 1er août 2000. L’avis d’allégation comportait une allégation de non-contrefaçon portant sur trois brevets alors inscrits à l’égard de Losec : les brevets canadiens no 1,292,693, n1,302,891 et n2,166,483. L’allégation de non‑contrefaçon relative au dossier 1 reposait sur la prémisse selon laquelle les revendications pertinentes du brevet visaient une composition pharmaceutique comprenant un noyau, un sous‑enrobage inerte et un enrobage extérieur gastrorésistant. Selon Apotex, son médicament à base d’oméprazole ne contrefaisait aucune de ces revendications, car les comprimés comprenaient un noyau et un enrobage gastrorésistant directement appliqué sur le noyau, et que, si un sous‑enrobage était formé, ce dernier ne constituerait pas un « sous‑enrobage » au sens des revendications du brevet.

 

[5]        L’argument principal d’Astrazeneca dans le dossier 1 était qu’elle avait droit à un jugement déclarant que l’avis d’allégation est insuffisant. À titre subsidiaire, Astrazeneca a demandé une ordonnance d’interdiction au motif que l’allégation de non‑contrefaçon faite par Apotex était non fondée. Le juge Kelen a accepté l’argument principal d’Astrazeneca et, le 4 septembre 2002, il a rendu une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex « relativement à l'avis d'allégation en question » (2002 CFPI 931, paragraphe 67). Dans les faits, cette ordonnance interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour son médicament à base d’oméprazole et ce, jusqu’au 8 juillet 2014, date d’expiration du plus récent des trois brevets en cause dans le dossier 1, le brevet 483.

 

[6]        Le 3 novembre 2003, la décision prononcée par le juge Kelen dans le dossier 1 a été confirmée par la Cour, bien que ce fût pour des motifs différents (2003 CAF 409). Le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour, avait des doutes au sujet de l’insuffisance de l’avis d’allégation signifié par Apotex. Cependant, il avait remarqué que l’allégation de non‑contrefaçon était fondée sur une interprétation précise des revendications pertinentes, à savoir, que les revendications ne visaient pas un comprimé dans lequel le noyau est recouvert d’un sous‑enrobage formé in situ par une réaction chimique se produisant au moment où l’enrobage gastrorésistant est appliqué sur le noyau. Apotex reconnaissait que son appel ne pouvait être accueilli si la portée des revendications était assez large pour viser un comprimé ayant un sous‑enrobage formé in situ entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant. Après avoir examiné la preuve concernant l’interprétation du brevet, le juge Rothstein a conclu que les revendications avaient une portée assez large pour viser un comprimé qui, dans la forme finale, contient un sous-enrobage entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant, si le sous‑enrobage est formé. Compte tenu de la concession faite par Apotex, il s’ensuit que l’allégation de non‑contrefaçon ne pouvait être fondée.

 

[7]        Apotex n’a pas renoncé à ses intentions à l’égard de son médicament à base d’oméprazole visant à faire concurrence à Losec. Le 26 septembre 2002 (peu de temps après la décision rendue par le juge Kelen dans le dossier 1, mais avant que cette décision soit confirmée en appel), Apotex a signifié un avis d’allégation se rapportant aux trois mêmes brevets qui faisaient l’objet du litige dans le dossier 1, mais, cette fois, faisant valoir à la fois l’absence de contrefaçon et l’invalidité. Apotex alléguait, entre autres, que son médicament ne comprenait pas de sous‑enrobage, qu’il soit appliqué séparément ou formé in situ.

 

[8]        Le dossier 2 a été introduit par le dépôt d’une demande présentée par Astrazeneca en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement AC fondée sur trois arguments subsidiaires. En ce qui concerne le premier argument, Astrazeneca alléguait que l’avis de conformité était insuffisant. Comme deuxième argument, Astrazeneca soutenait que la doctrine de la préclusion découlant d'une affaire déjà tranchée ou de l'abus de procédure empêche Apotex d'alléguer l'absence de contrefaçon et l'invalidité. Le troisième argument était que les allégations de non-contrefaçon et d’invalidité étaient injustifiées. Cette demande a été instruite par la juge Layden‑Stevenson. Au moment de l’audience, les questions litigieuses avaient été restreintes de sorte que seul le brevet 693 était en litige.

 

[9]        Le 14 février 2005, la juge Layden‑Stevenson a accordé l’ordonnance d’interdiction sollicitée par Astrazeneca dans le dossier 2 relativement au brevet 693, mais elle l’a fait sans examiner le bien-fondé des allégations de non-contrefaçon et d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation daté du 26 septembre 2002. Elle a plutôt conclu que l’avis d’allégation était insuffisant dans la mesure où il reposait sur une interprétation erronée des revendications du brevet. Elle a également convenu avec Astrazeneca que la doctrine de la préclusion découlant d'une affaire déjà tranchée s’appliquait pour empêcher Apotex de soulever la même question qui avait été tranchée contre elle dans le dossier 1, ou toute autre question qui n’avait pas été soulevée mais qui aurait pu l’être dans le dossier 1, y compris les allégations d’invalidité. La juge a souligné qu’elle en serait venue à la même conclusion en ce qui a trait à la doctrine d’abus de procédure. Le 10 février 2006, la décision rendue par la juge Layden‑Stevenson dans le dossier 2 a été confirmée en appel (2006 CAF 51).

 

[10]      Le 27 février 2003, le brevet canadien no 2,186,037 a été inscrit à l’égard de Losec. Il faisait l’objet d’une revendication portant sur la formulation et le procédé de fabrication des comprimés contenant un sous‑enrobage formé in situ par une réaction chimique se produisant entre l’enrobage gastrorésistant et le noyau. Le 25 mars 2003, Apotex a signifié un troisième avis d’allégation à Astrazeneca portant sur le même médicament que celui qui était en cause dans les dossiers 1 et 2, dans lesquels elle alléguait la non-contrefaçon et l'invalidité du brevet 037. Le fondement factuel sur lequel reposait principalement l’avis d’allégation était que le médicament d’Apotex ne contenait pas le sous‑enrobage visé dans la revendication.

 

[11]      Le 13 mai 2003, Astrazeneca a introduit le dossier 3 par le dépôt d’une demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en vertu du Règlement AC. La demande a été instruite par la juge Layden‑Stevenson. Le 4 janvier 2006, elle a rejeté la demande au motif que l’allégation de non‑contrefaçon était fondée (2006 CF 7). Le 16 octobre 2007, sa décision a été confirmée en appel (2007 CAF 327).

 

[12]      La conclusion de la juge Layden‑Stevenson selon laquelle l’allégation de non‑contrefaçon était fondée reposait sur l’interprétation de la revendication du brevet proposée par Apotex visant un comprimé dans lequel le noyau contient un réactif alcalin et un inhibiteur de pompe à protons, des substances distinctes et différentes. Comme il n’a pas été contesté que le noyau des comprimés d’Apotex ne contenait pas un réactif alcalin distinct et différent de l’inhibiteur de pompe à protons, le brevet 037 n’était pas contrefait. Cette conclusion a été confirmée en appel (2007 CAF 327).

 

[13]      La juge Layden-Stevenson a également justifié par un autre motif sa conclusion portant que l’allégation de non‑contrefaçon était fondée. Cet autre motif reposait sur l’interprétation de la revendication pertinente proposée par Astrazeneca selon laquelle la revendication porte sur un comprimé dans lequel la couche séparatrice hydrosoluble est formée in situ sous la forme d’un sel hydrosoluble situé entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant par une réaction ayant lieu entre le polymère de l’enrobage gastrorésistant et le réactif alcalin présent dans le noyau. Apotex a allégué que ses comprimés ne comportaient pas la couche séparatrice décrite. Selon Apotex, la matière formée entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant des comprimés ne pourrait pas recouvrir complètement le noyau ou ne serait pas assez épaisse pour agir comme une couche séparatrice.  Il incombait à Astrazeneca d’établir que cette allégation n’était pas fondée. La juge Layden‑Stevenson s’est livrée à une analyse exhaustive d’un grand nombre de témoignages d’experts sur la composition des comprimés d’Apotex et a conclu qu’Astrazeneca ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Lors de l’appel, cette conclusion subsidiaire n’a pas été prise en compte, mais, comme il sera expliqué de manière plus détaillée dans les paragraphes qui suivent, c’est sur celle‑ci que reposent les requêtes d’Apotex visant l’annulation des ordonnances relatives aux dossiers 1 et 2.

 

[14]      Malgré qu’Apotex ait eu gain de cause dans le dossier 3, elle ne pouvait pas recevoir son avis de conformité aussi longtemps que les ordonnances dans les dossiers 1 et 2 étaient en vigueur. L’ordonnance prononcée dans le dossier 2 est restée en vigueur jusqu’au 3 décembre 2008, date d’expiration du brevet 693. Comme susmentionné, l’ordonnance relative au dossier 1 demeurera en vigueur jusqu’au 8 juillet 2014.

 

[15]      Le 23 novembre 2007, Apotex a déposé les requêtes qui font l’objet du présent appel, au moyen desquelles elle cherche à obtenir une ordonnance annulant l’ordonnance prononcée par le juge Kelen dans le dossier 1 et celle prononcée par la juge Layden‑Stevenson dans le dossier 2. Les requêtes font référence à l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ainsi qu’à la compétence inhérente de la Cour, telle qu’elle est décrite dans Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) [1999] A.C.F. no 662 (QL) (C.F. 1re inst.) (C.F.P.I., le juge Reed, appel abandonné, A‑330‑99). Les requêtes ont été rejetées par le juge Hughes le 13 février 2008, d’où le présent appel.

 

[16]      Je remarque que lorsque le brevet 693 a expiré le 3 décembre 2008, l’ordonnance de la juge Layden‑Stevenson dans le dossier 2 ne représentait plus un obstacle à la délivrance d’un avis de conformité à Apotex concernant son médicament à base d’oméprazole. Le caractère théorique éventuel de la requête visant à annuler cette décision n’a pas été soulevé dans le présent appel. Or, je n’ai pas abordé cette question parce que j’ai tenu pour acquis qu’Apotex pourrait éventuellement faire une réclamation en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement AC si la Cour décidait d’accueillir la requête.

 

Les principes juridiques

[17]      La Cour fédérale a compétence pour rejeter ses propres jugements dans les circonstances énoncées à l’article 399 des Règles des Cours fédérales. Cette compétence est rarement exercée parce que le caractère définitif des jugements et l’intégrité du processus judiciaire servent un intérêt public important. La partie de l’alinéa 399(2)a) pertinente est ainsi libellée :

 

399. (2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

399. (2) On motion, the Court may set aside or vary an order

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue […].

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order […].

 

[18]      Il a également été affirmé que la Cour fédérale a la compétence inhérente pour annuler une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement AC si de nouvelles circonstances démontrent que l’ordonnance devrait cesser de s’appliquer (voir la décision Hoffmann‑La Roche, précitée).

 

[19]      La décision Hoffmann‑La Roche visait une ordonnance de 1996 rendue en application du Règlement AC interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex à l’égard d’un certain médicament avant l’expiration du brevet canadien no 1,204,671 (HoffmannLa Roche Ltd c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1996), 109 F.T.R. 216, 67 C.P.R. (3d) 484 (C.F.P.I.), confirmé par (1996) 205 N.R. 360, 70 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée [1996] C.S.C.R. no 554 (QL)). Lorsque l’ordonnance d’interdiction eut été rendue, Apotex a intenté une action visant à contester le brevet 671. Cette action a été accueillie et a donné lieu à une ordonnance datée du 23 avril 1999 déclarant invalide le brevet 671 (Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. (1999), 166 F.T.R. 161, 1 C.P.R. (4th) 22 (C.F.P.I.), appel abandonné, A‑318‑99). En se fondant sur la déclaration d’invalidité, Apotex a sollicité et obtenu de la juge Reed une ordonnance annulant l’ordonnance d’interdiction de 1996.

 

[20]      La juge Reed a annulé l’ordonnance d’interdiction sur le fondement de ce qu’elle appelle les « nouvelles circonstances ». Ce faisant, elle a appliqué par analogie le principe selon lequel la compétence inhérente de la cour se prolonge en ce qui concerne ses propres injonctions. Ce principe est résumé dans l’ouvrage d’I.C.F. Spry, The Principles of Equitable Remedies, 5e éd. (Sydney : The Law Book Company, 1997) à la page 382 :

[traduction] Tant les injonctions permanentes que les injonctions interlocutoires et provisoires peuvent être annulées par le tribunal qui les a rendues, si ce dernier estime qu’il convient de le faire.

 

De l’avis de la juge Reed, il est vrai qu’une ordonnance d’interdiction prononcée en vertu du Règlement AC constitue une réparation prévue par la loi plutôt qu’une réparation en équité, mais une telle ordonnance est similaire à une injonction dans la mesure où elle interdit de faire quelque chose. De plus, elle a souligné qu’une ordonnance disposant d’une demande d’interdiction en application du Règlement AC n’est pas ni ne prétend être une décision définitive à l’égard de la validité ou de la contrefaçon du brevet s’y rapportant, ce qui signifie qu’une ordonnance d’interdiction peut toujours être remise en question si le brevet est déclaré invalide (voir également AB Hassle c. Apotex Inc., 2006 CAF 51, paragraphe 28).

 

La norme de contrôle

[21]      Les deux parties ont fait valoir que la norme de contrôle applicable dans le présent appel est régie par Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. Toutefois, cet arrêt traite de la norme de contrôle relative à l’appel d’une décision de première instance. Il ne s’applique pas en l’espèce puisque l’appel porte sur une décision discrétionnaire d’un juge saisi d’une requête visant à annuler une ordonnance d’interdiction sur le fondement de l’article 399 ou de la compétence inhérente de la Cour fédérale qui se prolonge à l’égard des injonctions et des ordonnances similaires. La Cour ne renversera pas une telle décision discrétionnaire en l’absence d’une erreur de droit ou d’un exercice erroné du pouvoir discrétionnaire parce qu'on n'a pas accordé d’importance, ou suffisamment d'importance, à des considérations pertinentes ou parce que des facteurs non pertinents ont été pris en compte : Elders Grain Co. c. Ralph Misener (The) (C.A.), [2005] 3 F.C.R. 367, paragraphe 13.

 

Analyse

[22]      Si je comprends bien les motifs du juge Hughes, le fondement factuel le plus important de sa décision se trouve aux paragraphes 43 et 44 de ses motifs [non souligné dans l’original] :

 [43] […] dans la première instance, l'allégation d'Apotex était insuffisante pour mettre en jeu la question d'absence de contrefaçon et que dans la deuxième instance, Apotex n'a pas été en mesure de convaincre la Cour que sa conduite dans la première instance ne l'empêchait pas faire des allégations et de présenter une preuve dans la deuxième instance.

[44] Il est évident qu'Apotex essaie, dans les présentes requêtes, de faire ce qu'elle n'a pas fait dans la première instance et ne pouvait faire dans la deuxième.

 

 

 

[23]      À mon avis, cette description des circonstances pertinentes est inattaquable. Le problème pour Apotex réside dans le fait qu’elle devait bien savoir dès le début qu’elle était fondée à faire valoir que ses comprimés n’avaient pas de sous-enrobage, mais elle a opté pour une stratégie d’instance dans le dossier 1 qui a fait en sorte que l’allégation de non-contrefaçon fondée sur l’absence de sous-enrobage qu’elle a soulevé n’a pas été entendue au fond.

 

[24]      Apotex affirme que les avis d’allégation examinés dans les dossiers 1, 2 et 3 portaient sur les mêmes comprimés d’Apotex et que la composition des comprimés n’a pas changé. Le juge Hughes n’a pas accepté cet argument. Apotex soutient que le juge a eu tort sur ce point parce que cet élément n’était pas en litige entre les parties. Je ne suis pas persuadée que ce point est en cause dans le présent appel. Aux fins du présent appel, je supposerai, sans toutefois me prononcer, que le produit d’Apotex était le même dans chaque dossier.

 

[25]      De plus, je présumerai, sans toutefois me prononcer, que compte tenu de la décision de la juge Layden-Stevenson dans le dossier 3, Astrazeneca n’aurait probablement pas pu réfuter l’allégation d’Apotex selon laquelle son comprimé n’avait pas de sous-enrobage comme le prévoient les revendications pertinentes des brevets en cause dans le dossier 1 (le brevet 693, le brevet 891 et le brevet 483) et dans le dossier 2 (le brevet 693). J’avance cette hypothèse tout en sachant qu’il s’agit d’une question en litige dont a été saisi le juge Hughes.

 

[26]      Vu les hypothèses susmentionnées, on pourrait supposer que si la preuve du dossier 3 avait été présentée dans le dossier 1, le juge Kelen aurait pu en venir à la même conclusion que la juge Layden-Stevenson dans le dossier 3 et il aurait donc peut-être refusé de prononcer l’ordonnance d’interdiction dans le dossier 1. Dans ce cas, le dossier 2 n’aurait pas été présenté et il n’y aurait pas eu une deuxième ordonnance d’interdiction.

 

[27]      Or, la situation décrite au paragraphe précédent demeure strictement hypothétique. Apotex a décidé de mener son dossier 1 en n’y présentant pas la preuve qu’elle a par la suite présentée dans le dossier 3 et, selon le juge Kelen, en ne fournissant pas suffisamment de détails à propos de ses comprimés ou en ne présentant pas suffisamment d’échantillons aux fins d’analyse. Dans le dossier 2, Apotex a manifestement présenté une preuve identique ou quasi identique à celle qu’elle a présentée dans le dossier 3, mais il était alors trop tard pour présenter sa cause sous son meilleur jour. Le dossier 2 n’a pas été jugé au fond, mais suivant la doctrine de la préclusion découlant d'une affaire déjà tranchée et de l'abus de procédure.

 

[28]      Le juge Hughes a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler les ordonnances dans les dossiers 1 ou 2 parce qu’il a compris qu’Apotex tentait d’annuler les effets de ses stratégies d’instance qui ont échoué dans les dossiers 1 et 2 en alléguant que ces décisions auraient été différentes si Apotex s’était conduit différemment. Compte tenu de ces circonstances, je ne vois aucune erreur de droit ni aucune autre raison qui permette à la Cour de modifier la décision du juge Hughes de rejeter les requêtes.

 

[29]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

[30]      Comme susmentionné, il a été établi que la décision définitive par laquelle la Cour fédérale déclare un brevet invalide aura préséance sur une ordonnance d’interdiction relative à ce brevet, justifiant ainsi l’annulation de cette ordonnance (Hoffmann-La Roche, précité). Suivant le même raisonnement, les ordonnances d’interdiction dans le dossier 1 ou dans le dossier 2 pourraient être annulées dans l’éventualité où il serait statué dans le cadre d’une action que le produit d’Apotex ne contrefait aucun brevet en cause dans ces décisions. Je crois comprendre, d’après les arguments d’Astrazeneca dans le présent appel, que la question de la contrefaçon doit être tranchée dans une action devant la Cour fédérale (T-1409-04). Rien dans les présents motifs ne portera atteinte au droit d’Apotex de demander l’annulation des ordonnances d’interdiction dans le dossier 1 ou le dossier 2, si elle a gain de cause dans cette action.

 

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

    J. Richard, j.c.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Pierre Blais j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, trad. a., LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-77-08

 

 

INTITULÉ :                                                                           Apotex Inc. c. AB Hassle et al.

                                                                                                et Le ministre de la Santé

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 21 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LE JUGE BLAIS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 22 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew R. Brodkin

POUR L’APPELANTE

 

Gunars A. Gaikis

Yoon Kang

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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