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Date : 20090209

Dossier : A-208-08

Référence : 2009 CAF 35

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS                 

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

 

G.D. SEARLE & CO. et PFIZER CANADA INC.

appelantes

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 24 novembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 février 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                               LE JUGE EVANS

 


 

Date : 20090209

Dossier : A-208-08

Référence : 2009 CAF 35

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS                 

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

G.D. SEARLE & CO. et PFIZER CANADA INC.

appelantes

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

 

[1]                La présente espèce concerne une décision du ministre de la Santé visant à radier un brevet du registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC) au motif que le brevet en question n’était pas admissible à l’inscription. La juge Gauthier n’a trouvé aucune erreur dans la décision de radier le brevet (2008 CF 437) et a rejeté la demande de Pfizer et de Searle visant à annuler la décision du ministre. C’est la décision de la juge Gauthier qui en l’espèce est frappée d’appel.

 

Parties pertinentes du régime de réglementation

[2]               Il y a deux régimes de réglementation pertinents en l’espèce, lesquels sont tous deux administrés par le ministre. Aux fins du présent appel, seule la compréhension de certains aspects des deux régimes de réglementation est nécessaire.

 

[3]               Le premier régime de réglementation est lié à l’approbation de drogues. On le trouve dans la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27 et dans le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., 1978, ch. 870. Une drogue ne peut être vendue au Canada à moins de faire l’objet d’un avis de conformité (AC) délivré par le ministre en vertu du Règlement sur les aliments et drogues signifiant que la drogue satisfait aux normes applicables en matière d’innocuité et d’efficacité. L’AC indique, entre autres, la catégorie de la drogue établie par le ministre et l’utilisation autorisée de la drogue. La délivrance d’un AC est accompagnée d’une monographie du produit approuvée par le ministre qui fournit les mêmes renseignements que l’AC, ainsi que des renseignements plus détaillés quant à l’utilisation par les professionnels de la santé et les consommateurs. La première étape pour obtenir un AC à l’égard d’une nouvelle drogue consiste à soumettre au ministre une « présentation de drogue nouvelle » (PDN).

 

[4]               Si le fabricant d’une drogue qui a été approuvée à l’égard d’une utilisation déterminée souhaite que le ministre approuve une nouvelle utilisation de la drogue, le fabricant soumet une demande d’approbation au moyen d’un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN). Si la modification est approuvée, le ministre délivre un nouvel AC afin de remplacer l’AC précédent. Le nouvel AC indique toutes les utilisations approuvées de la drogue, y compris la nouvelle utilisation approuvée en réponse au SPDN. La nouvelle utilisation approuvée et les renseignements connexes figurent également dans une monographie du produit modifiée délivrée au même moment que le nouvel AC.

 

[5]               Le deuxième régime de réglementation pertinent dans le cadre du présent appel se rapporte aux inventions brevetées incluses dans les drogues approuvées. Ce régime de réglementation est tiré de la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P-4 et du Règlement AC. Aux fins du présent appel, l’aspect le plus important du Règlement AC est le fait que le titulaire d’un brevet relatif à une invention incluse dans une drogue approuvée ne peut bénéficier du Règlement AC à moins que le brevet soit inscrit à l’égard de cette drogue dans le registre des brevets tenu par le ministre en vertu du Règlement AC.

 

[6]               Comme dans bien d’autres arrêts traitant du Règlement AC, le présent appel révèle l’existence d’une controverse concernant l’interprétation d’une disposition du Règlement AC. Le règlement d’un tel litige débute par l’application des principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 37 à 77 (voir aussi AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, aux paragraphes 15 et 16).

 

[7]               Le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bristol-Myers, affirme que le Règlement AC doit être interprété conformément aux principes énoncés comme suit dans l’ouvrage d’Elmer A. Driedger, Construction of Statutes 2e éd. (Toronto : Butterworth & Co. 1983) à la page 87 :

 

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Souligné dans l’original.)

et à la page 247 :

[traduction] Il ne suffit pas de déterminer le sens d’un règlement en l’interprétant au regard de son propre objet et des circonstances dans lesquelles il a été pris; il faut aussi interpréter les termes conférant les pouvoirs dans le contexte global de la loi habilitante.  L’objet de la loi transcende et régit l’objet du règlement.

 

[8]               En ce qui concerne le Règlement AC, le contexte interprétatif comprend son historique et son objet. Ces sujets sont traités de façon détaillée dans l’arrêt Bristol-Myers, mais aux fins de la présente affaire, un résumé de cet exposé suffira.

 

[9]               En 1993, il était reconnu qu’un fabricant de drogue souhaitant obtenir un AC pour la version générique d’une drogue approuvée comportant une invention brevetée contreferait probablement le brevet simplement en entreprenant le processus d’approbation réglementaire avant l’expiration du brevet, ce qui pouvait retarder de plusieurs années le début du processus d’approbation de la version générique.

 

[10]           Afin de contrebalancer le désavantage possible pour les fabricants de drogues génériques et pour les consommateurs cherchant des drogues possiblement moins dispendieuses, la Loi sur les brevets a été modifiée par l’adjonction du paragraphe 55.2(1), « l’exception relative aux travaux préalables ». L’exception relative aux travaux préalables redéfinit la contrefaçon de brevet de manière à exclure, entre autres, les travaux nécessaires pour obtenir l’approbation réglementaire d’une version générique d’une drogue comprenant une invention brevetée.

 

[11]           Parallèlement, afin de prévenir des abus éventuels à l’égard de l’exception relative aux travaux préalables, la Loi sur les brevets a également été modifiée par l’adjonction du paragraphe 55.2(4), lequel autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements à l’égard de l’exception relative aux travaux préalables. Le Règlement AC a été édicté en vertu de cette disposition.

 

[12]           Le pouvoir de réglementation conféré par le paragraphe 55.2(4) de la Loi se limite expressément à la prise de règlements visant à empêcher la contrefaçon de brevets par une personne qui utilise une invention brevetée en ayant recours à l’exception relative aux travaux préalables. Par conséquent, lorsqu’un tribunal examine si l’interprétation du Règlement AC proposée par le titulaire d’un brevet devrait être favorisée par rapport à une interprétation différente adoptée par le ministre, le fait que cette interprétation proposée par le titulaire du brevet tendrait à décourager la contrefaçon d’une ou de plusieurs revendications du brevet en question n’est pas nécessairement convaincant. La question la plus pertinente est de savoir si l’interprétation proposée tendrait à empêcher la contrefaçon de brevet découlant de l’utilisation de l’invention brevetée.

 

[13]           En l’espèce, le débat sur l’interprétation porte sur l’article 4 du Règlement AC. Pour que le titulaire d’un brevet puisse bénéficier des avantages du Règlement AC, il doit inscrire le brevet à l’égard d’une drogue approuvée au registre des brevets. L’article 4 du Règlement AC indique les conditions devant être respectées pour inscrire un brevet au registre des brevets. Le paragraphe 3(2) du Règlement AC donne au ministre le pouvoir de radier tout brevet qui ne respecte pas les exigences de l’article 4.

 

[14]           L’article 4 a été modifié considérablement par DORS/2006-242 entré en vigueur le 5 octobre 2006. Aux termes de l’article 6 du DORS/2006-242, la version de l’article 4 antérieure au 5 octobre 2006 ne s’applique pas aux brevets inscrits sur une liste de brevets présentée en vue de son inscription avant le 17 juin 2006. Toutefois, le brevet en question a été présenté pour inscription après le 17 juin 2006. Par conséquent, la version de l’article 4 postérieure au 5 octobre 2006 régit son admissibilité aux fins de l’inscription au registre. Dans les présents motifs, les renvois à l’article 4 du Règlement AC font référence à la version postérieure au 5 octobre 2006, à moins que le contexte n'indique un sens différent.

 

[15]           La jurisprudence relative à l’admissibilité des brevets pour l’inscription au registre conformément à l’article 4 du Règlement AC (tel qu’il existait avant les modifications du 5 octobre 2006) avait adopté une interprétation que le gouvernement considérait tellement large qu’elle retardait indûment l’entrée des drogues génériques sur le marché. Les modifications du 5 octobre 2006 avaient comme objectif de rétablir l’équilibre. Cette situation est expliquée en détail dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation publié avec le règlement modifié (DORS/2006-242).

 

[16]           L’article 4 du Règlement AC exige qu’une demande d’inscription d’un brevet à l’égard d’une drogue soit déposée en liaison avec une PDN ou un SPDN en particulier déposé au titre de cette drogue. En l’espèce, la demande visant à inscrire le brevet en question a été déposée relativement à un SPDN. Les exigences précises relatives à l’inscription pour ces demandes sont énoncées au paragraphe 4(3) du Règlement AC, lequel dispose :

 

4. (3) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache au supplément à une présentation de drogue nouvelle visant une modification de la formulation, une modification de la forme posologique ou une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, s’il contient, selon le cas :

4. (3) A patent on a patent list in relation to a supplement to a new drug submission is eligible to be added to the register if the supplement is for a change in formulation, a change in dosage form or a change in use of the medicinal ingredient, and

a) dans le cas d’une modification de formulation, une revendication de la formulation modifiée, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;

(a) in the case of a change in formulation, the patent contains a claim for the changed formulation that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement;

b) dans le cas d’une modification de la forme posologique, une revendication de la forme posologique modifiée, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;

(b) in the case of a change in dosage form, the patent contains a claim for the changed dosage form that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement; or

c) dans le cas d’une modification d’utilisation de l’ingrédient médicinal, une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément.

(c) in the case of a change in use of the medicinal ingredient, the patent contains a claim for the changed use of the medicinal ingredient that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement.

 

[17]           Il ressort clairement de la partie liminaire du paragraphe 4(3) que seulement trois types de SPDN peuvent appuyer l’inscription d’un brevet au registre : un SPDN visant une modification de la formulation, un SPDN visant une modification de la forme posologique ou un SPDN visant une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal.

 

[18]           La présente espèce concerne la demande d’inscription d’un brevet fondée sur un SPDN visant une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal. Par conséquent, le brevet est admissible à l’inscription seulement si les conditions de l’alinéa 4(3)c) sont respectées. En d’autres termes, l’utilisation modifiée demandée dans le SPDN doit être approuvée par le ministre, comme en fait foi la délivrance d’un AC en réponse au SPDN, et le brevet faisant l’objet de la demande d’inscription doit comporter une revendication liée à la nouvelle utilisation approuvée de l’ingrédient médicinal.

 

[19]           L’alinéa 4(3)c) du Règlement AC a été récemment examiné par la Cour dans l’arrêt Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 244 (autorisation de pourvoi rejetée le 18 décembre 2008) (« Abbott 244 »). Dans cette affaire, le juge Pelletier, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit au sujet de l’alinéa 4(3)c), au paragraphe 47 (non souligné dans l’original) :

 

[…] le Règlement prévoit, comme condition à l'inscription d'un brevet à l'égard d'une modification de l'utilisation de l'ingrédient médicinal, que ce brevet revendique explicitement l'utilisation modifiée et non qu'il contienne simplement des revendications non explicites assez larges pour englober l'utilisation modifiée.

 

Le juge Pelletier a ajouté ce qui suit, au paragraphe 49 (non souligné dans l’original) :

Je conclus que l'alinéa 4(3)c) du Règlement pose comme condition de l'adjonction d'un brevet au registre l'obligation pour ce brevet de revendiquer expressément la modification précise de l'utilisation que le ministre a approuvée par la délivrance d'un avis de conformité à l'égard d'un SPDN.

 

Faits

[20]           L’appelant Pfizer Canada Inc. fabrique et commercialise un médicament appelé Celebrex conformément à un AC délivré le 14 avril 1999 à l’égard de la PDN 057660 déposée en 1998. À l’origine, Celebrex avait été autorisé pour [traduction] « le soulagement des signes et des symptômes de l’arthrose et de la polyarthrite rhumatoïde chez l’adulte pendant une courte ou une longue période » (dossier d’appel, volume 6, page 1593 (monographie de produit d’origine, page 8)).

 

[21]           L’ingrédient médicinal contenu dans Celebrex est le célécoxib, un inhibiteur de la cyclo‑oxygénase-2 ou inhibiteur de la cox-2. On croit que l’inhibiteur de la cox-2 entrave la production des prostaglandines. À la suite d’une blessure ou lors d’arthrose ou de polyarthrite rhumatoïde, des prostaglandines sont libérées et déclenchent un processus qui produit de la douleur et de l’inflammation. C’est la raison pour laquelle on avait classé Celebrex dans la famille des anti‑inflammatoires analgésiques dans l’AC.

 

[22]           En 2001, Pfizer a déposé un supplément à la présentation de drogue nouvelle (SPDN 072375) qui a donné lieu à la délivrance d’un AC autorisant une nouvelle utilisation de Celebrex le 7 septembre 2004. La nouvelle utilisation était [traduction] « le traitement de courte durée (7 jours ou moins) chez l’adulte de la douleur aiguë modérée ou grave causée par des états pathologiques tels que le trauma musculosquelettique et/ou le trauma des tissus mous, y compris les entorses, la chirurgie orthopédique et l’extraction dentaire » (dossier d’appel, volume 6, page 1628 (monographie de produit révisée le 7 septembre 2004, page 10)).

 

[23]           Entre‑temps, l’appelante G.D. Searle & Co. a déposé une demande de brevet intitulée « Compositions à base de célécoxib ». À la suite de cette demande, le brevet canadien nº 2 319 201 a été délivré le 11 juillet 2006, soit le brevet en litige en l’espèce. La date à laquelle la demande de brevet canadien 201 a été déposée est le 30 novembre 1999.

 

[24]           En ce qui concerne le brevet 201, l’exposé de l’invention comprend plusieurs nouvelles formulations de célécoxib censées résoudre divers problèmes rencontrés avec les formulations connues. Le brevet 201 comporte 16 revendications. Les dix premières revendications renvoient à des compositions de célécoxib variant en fonction de certaines caractéristiques physiques (par exemple, taille et dimension des particules de célécoxib, caractéristiques en lien avec la biodisponibilité, formes posologiques, diluants, désintégration, agents liants ou lubrifiants). Les revendications 11, 12 et 13 renvoient à certaines méthodes d’administration de chacune des compositions définies par les revendications 1 à 10.

 

[25]           La revendication 14 porte sur l’utilisation de l’une ou l’autre des compositions définies pour [traduction] « la préparation d’un médicament servant au traitement et/ou la prophylaxie d’un état pathologique ou d’un trouble chez un sujet pour qui le traitement par un inhibiteur de la cyclo‑oxygénase-2 est indiqué ». La revendication 15 porte sur l’utilisation de l’une ou l’autre des compositions définies à la revendication 14, dans laquelle [traduction] « l’état pathologique ou le trouble est la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrose ou la douleur ». La revendication 16 renvoie à une méthode commerciale de conditionnement pour chacune des compositions définies dans les revendications 1 à 10.

 

[26]           Le ministre a convenu avec Pfizer et Searle que les compositions à base de celecoxib définies dans le brevet 201 comprennent Celebrex, la composition à base de celecoxib à l’égard de laquelle le ministre a délivré un AC sur le fondement de la PDN 057660. Par conséquent, je tiendrai pour acquis aux fins du présent appel que Celebrex est une substance qui est comprise dans au moins une des revendications relatives à la composition du brevet 201 (revendications 1 à 10). Toute mention dans les revendications 11 à 16 faisant référence aux compositions définies dans les revendications 1 à 10 comprendra nécessairement Celebrex.

 

[27]           N’eût été le délai imparti prévu par le Règlement AC, le brevet 201 aurait pu être inscrit à l’égard de Celebrex sur le fondement des revendications liées à la composition à base de célécoxib appelée Celebrex. Le problème que pose le délai découle du fait que la date de dépôt de la demande de brevet au Canada à l’égard du brevet 201 était postérieure à celle du dépôt de la PDN 057660 en 1998 (voir le paragraphe 4(6) du Règlement AC). Cependant, l’échéance pour inscrire le brevet 201 à l’égard de Celebrex au moyen du SPDN 072375 pouvait être respectée en déposant la demande d’inscription dans les 30 jours suivant la délivrance du brevet 201. Par conséquent, en juillet 2006, Pfizer a convenu avec Searle qu’elle demanderait l’inscription du brevet 201 à l’égard de Celebrex au moyen du SPDN 072375.

 

[28]           Le ministre a accepté la demande d’inscription du brevet 201 en s’appuyant sur le Règlement AC alors en vigueur. Toutefois, il a réexaminé la demande d’inscription lorsque les modifications du Règlement AC sont entrées en vigueur le 5 octobre 2006. Comme il a été mentionné précédemment, l’admissibilité du brevet 201 à l’inscription est déterminée en fonction de l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC. Après avoir examiné plusieurs arguments formulés par Pfizer et Searle, le ministre a conclu que le brevet 201 n’était pas admissible à l’inscription à l’égard de Celebrex et l’a retiré du registre des brevets.

 

[29]           L’exposé des faits et du droit de Pfizer et Searle dans le présent appel résume l’historique de leurs discussions avec le ministre au sujet de la question de l’admissibilité à l’inscription du brevet 201. Pfizer et Searle estiment que le raisonnement du ministre a changé au fil du temps. Je ne suis pas convaincue que l’avis du ministre a changé considérablement, mais même si c’était le cas, le contrôle judiciaire de la décision du ministre devrait être fondé sur les motifs qu’il a formulés dans la lettre de décision finale datée du 24 avril 2007. La partie essentielle de la lettre est rédigée en ces termes (dossier d’appel, Volume 6, page 1707) :

 

[traduction] Nous acceptons les arguments de Pfizer portant que l’indication pour laquelle le SPDN 072375 a été délivré est différente de celle de l’avis de conformité délivré à l’égard de la PDN 057660, soit le soulagement des signes et des symptômes de l’arthrose et de la polyarthrite rhumatoïde chez l’adulte pendant une courte ou une longue période. Nous acceptons aussi que la composition revendiquée dans le brevet 201 couvre la composition de Celebrex autorisée dans le cadre la PDN. Cependant, le [ministre] demeure d’avis que l’inscription du brevet 201 au registre des brevets sur le fondement de la revendication 15, laquelle comprend la mention « douleur », compromettrait le lien voulu entre l’objet d’un brevet figurant sur une liste de brevets et le contenu de la demande sous-jacente de l’AC à l’égard duquel le brevet est présenté [c.‑à‑d., le SPDN 072375].

 

C’est pourquoi le brevet 201 relatif au SPDN 072375 n’est pas admissible à l’inscription. Par conséquent, en vertu du pouvoir que le paragraphe 3(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) confère au ministre de la Santé, le brevet 201 lié à la présentation susmentionnée sera retiré du registre des brevets une semaine après la date de la présente lettre.

 

[30]           Il est admis que l’admissibilité à l’inscription du brevet 201 à l’égard de Celebrex doit être établie sur le fondement de la revendication 15 du brevet 201. Si j’ai bien compris, le ministre a conclu que la revendication 15 du brevet 201 n’est pas une revendication portant sur la modification de l’utilisation de Celebrex qui a été approuvée au moyen d’un AC délivré à l’égard du SPDN 072375.

 

[31]           Pfizer et Searle ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du ministre visant à radier le brevet 201. Cette demande a été rejetée par la juge Gauthier, d’où le présent appel.

 

Norme de contrôle

[32]           La juge Gauthier n'avait pas à sa disposition la décision rendue par la Cour dans Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, mais les parties étaient au courant de son existence avant l’instruction du présent appel. Cet arrêt a adopté le cadre d’analyse établi par le juge Hughes relativement à la détermination de l’admissibilité à l’inscription d’un brevet sur le fondement d’une PDN et a arrêté la norme de contrôle en tenant compte de ce cadre. Dans le présent appel, je me servirai du cadre établi par le juge Hughes et je l’adapterai au présent contexte factuel puisqu’il est légèrement différent (c.-à-d. du fait que le présent appel concerne une demande d’inscription d’un brevet par l’entremise d’un SPDN).

 

[33]           Le cadre d’analyse comprend trois questions. Dans le contexte de la présente espèce, la première question est la suivante : « Quelle est l’utilisation indiquée dans la revendication 15 du brevet 201? ». Il s’agit d’une question portant sur l’interprétation du brevet, soit une question de droit devant être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[34]           La deuxième question est la suivante : « Quelle utilisation est approuvée par l’AC délivré en réponse au SPDN 072375? ». Cette question devra être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[35]           La troisième question est la suivante : « L’utilisation indiquée dans la revendication 15 est‑elle approuvée par l’AC? ». Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit parce qu’elle exige l’application du droit aux faits. La composante factuelle doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La composante juridique, qui consiste à préciser le sens de l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC, doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[36]           La décision du ministre de radier le brevet 201 doit être maintenue à moins qu’elle soit fondée sur une interprétation erronée de la revendication 15, sur une interprétation erronée de l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC, sur une conclusion déraisonnable quant à l’utilisation approuvée de Celebrex ou sur une conclusion déraisonnable à l’égard de la question de savoir si l’utilisation de Celebrex indiquée dans la revendication 15 est la nouvelle utilisation approuvée de Celebrex.

 

[37]           La juge Gauthier a examiné la décision du ministre selon la norme de la décision correcte en s’appuyant sur l’observation faite par toutes les parties selon laquelle la décision portait entièrement sur l’interprétation du brevet et de la réglementation pertinente. Je ne suis pas convaincue de l’existence d’un litige réel au sujet de l’interprétation du brevet 201. À mon avis, le véritable litige entre les parties est lié à l’interprétation juste de l’alinéa 4(3)c) du Règlement AC. Pour ces motifs, je suis d’accord avec la décision de la juge Gauthier d’appliquer la norme de la décision correcte pour la résolution de ce litige.

 

Analyse

[38]           J’examinerai chacune des trois questions du cadre d’analyse à tour de rôle.

 

(1) Interprétation de la revendication 15 du brevet 201

[39]           Comme il a été expliqué précédemment, la demande faite par Pfizer visant à inscrire le brevet 201 à l’égard de Celebrex se fonde sur la revendication 15 du brevet 201. La revendication 15 renvoie à la revendication 14 et doit être lue conjointement avec celle-ci. La revendication 14 porte sur l’utilisation de l’une ou l’autre des compositions indiquées dans les revendications 1 à 10 (lesquelles, comme il a été expliqué précédemment, comprennent nécessairement l’utilisation de Celebrex) pour la préparation d’un médicament destiné au [traduction] « traitement et/ou à la prophylaxie d’un état pathologique ou d’un trouble observé chez un sujet pour qui le traitement par un inhibiteur de la cyclo‑oxygénase-2 est indiqué ». La revendication 15 porte sur une utilisation conforme à la revendication 14, dans les cas où [traduction] « l’état pathologique ou le trouble est la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrose ou la douleur ».

 

[40]           Il ressort du dossier que toutes les parties ont donné une interprétation littérale à la revendication 15. Le dossier ne révèle aucun désaccord entre les parties quant à son interprétation. Par conséquent, aux fins du présent appel, je tiendrai pour acquis, sans pour autant me prononcer à cet égard, que la revendication 15 devrait être interprétée de façon littérale. Pour ce motif, elle doit être considérée comme visant l’utilisation de Celebrex pour le traitement de la douleur si la nature de la douleur est telle que l’utilisation d’un inhibiteur de la cox‑2 est indiquée pour la traiter.

 

[41]           L’examen complet du brevet 201 démontre que l’invention brevetée comprend les compositions à base de célécoxib décrites dans les revendications 1 à 10, y compris Celebrex. Le fait que l’inventeur de ces compositions a découvert une nouvelle utilisation du célécoxib à des fins médicales n’a pas été contesté ni ne peut l’être. Le ministre a bien compris que l’utilisation indiquée dans la revendication 15 est une utilisation connue de la nouvelle composition ou des nouvelles compositions.

 

(2) Nouvelle utilisation autorisée de Celebrex

[42]           Ce point n’est pas en litige. La nouvelle utilisation autorisée de Celebrex consiste en un « traitement de courte durée (7 jours ou moins) chez l’adulte de la douleur aiguë modérée à grave causée par des états pathologiques tels que le trauma musculosquelettique et/ou le trauma des tissus mous, y compris les entorses, la chirurgie orthopédique et l’extraction dentaire ».

 

(3) Comparaison entre l’utilisation indiquée dans les revendications et la nouvelle utilisation autorisée de Celebrex

[43]           Je résume comme suit la thèse de Pfizer et de Searle sur la troisième question du cadre d’analyse. Celebrex est un inhibiteur de la cox-2. Le fait que le ministre a autorisé l’utilisation de Celebrex pour traiter chez l’adulte la douleur aiguë modérée ou grave causée par « le trauma musculosquelettique et/ou le trauma des tissus mous, y compris les entorses, la chirurgie orthopédique et l’extraction dentaire » signifie que la nature de la douleur associée à ces états pathologiques permet l’utilisation d’un inhibiteur de la cox-2 pour soulager la douleur. Il en découle que l’utilisation de Celebrex « pour la douleur », telle qu’elle est indiquée dans la revendication 15 du brevet 201, comprend la nouvelle utilisation autorisée de Celebrex.

 

[44]           Le problème que pose l’analyse présentée par Pfizer et Searle est que la portée de la revendication relative à l’utilisation de Celebrex en cas de « douleur » est si large qu’elle couvre la plupart des utilisations connues de Celebrex (y compris son utilisation dans le traitement de la douleur causée par l’arthrite et l’arthrose chez l’adulte, utilisation de Celebrex qui avait été autorisée par le ministre lors de la délivrance de l’AC d’origine de Celebrex). Selon moi, l’acceptation de l’interprétation de l’alinéa 4(3)c) proposée par Pfizer et Searle serait incompatible avec la décision de la Cour dans l’arrêt Abbott 244. Qui plus est, elle donnerait à l’alinéa 4(3)c) un sens si large qu’elle irait à l’encontre de l’objet pour lequel il a été adopté.

 

[45]           En gardant à l’esprit le fait que les revendications liées à la composition du brevet 201 incluent Celebrex, et prenant aussi en considération les principes établis dans l’arrêt Abbott 244, je formulerais la troisième question fondamentale comme suit : la revendication 15 du brevet 201 porte‑t‑elle expressément sur l’utilisation qui avait été approuvée par la délivrance de l’AC en réponse au SPDN 072375 (c.‑à‑d., [traduction] « le traitement de courte durée (7 jours ou moins) chez l’adulte de la douleur aiguë modérée ou grave causée par des états pathologiques tels que le trauma musculosquelettique et/ou le trauma des tissus mous, y compris les entorses, la chirurgie orthopédique et l’extraction dentaire »)? Après avoir lu l’arrêt Abbott 244, je dois répondre à cette question par la négative, car l’utilisation indiquée dans la revendication 15 (« pour la douleur ») est simplement trop générale.

 

[46]           Comme il a été expliqué précédemment, l’examen de l’objet du Règlement AC confirme cette conclusion. Un fabricant de drogue générique qui entreprend les travaux nécessaires pour obtenir l’approbation d’une version générique de Celebrex utiliserait sans aucun doute l’invention brevetée divulguée dans le brevet 201 et (sauf en ce qui concerne l’exception relative aux travaux préalables) contreferait probablement les revendications 1 à 10. Si, avant l’expiration du brevet 201, la drogue générique était approuvée pour les mêmes utilisations que Celebrex, la fabrication et la vente de la drogue générique contreferaient les revendications 1 à 10. Toutefois, cette contrefaçon éventuelle ne peut être visée par le Règlement AC parce que l’échéance applicable à ces revendications n’a pas été respectée.

 

[47]           La fabrication et la vente d’une version générique de Celebrex pourraient également contrefaire la revendication 15. Néanmoins, la seule partie de la revendication 15 qui vise l’invention brevetée est celle qui renvoie aux nouvelles compositions à base de célécoxib. La partie de la revendication 15 qui traite de l’« utilisation » vise les utilisations de célécoxib à des fins médicales connues. Le fait de permettre au Règlement AC d’être utilisé pour empêcher la contrefaçon éventuelle de la revendication 15 sur le fondement des utilisations connues élargirait la portée du Règlement AC au-delà de l’objet visé par le législateur.

 

[48]           À mon avis, la décision du ministre visant à radier le brevet 201 est compatible avec l’objet du Règlement AC. Dans sa lettre de décision le ministre affirme que [traduction] « l’inscription du brevet 201 au registre des brevets sur le fondement de la revendication 15, laquelle comprend la mention « douleur », compromettrait le lien voulu entre l’objet d’un brevet figurant sur une liste de brevets et le contenu de la demande sous-jacente de l’AC à l’égard duquel le brevet est présenté ». Selon mon interprétation de la lettre de décision, les motifs du ministre expriment essentiellement le même raisonnement que dans l’arrêt Abbott 244.

 

Conclusion

[49]           Pour ces motifs, je conclus que la juge Gauthier n’a commis aucune erreur en décidant de ne pas annuler la décision du ministre visant à radier le brevet 201. Je rejetterais le présent appel, avec dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

     J. Richard, j.c. »

 

« Je suis d’accord.

     John M. Evans, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, trad. a., LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-208-08

 

INTITULÉ :                                                                           G.D. Searle & Co. & Pfizer Canada Inc. c. Le ministre de la Santé

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 24 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 9 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael A. Penny

W. Grant Worden

POUR LES APPELANTES

 

 

David Cowie

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES APPELANTES

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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