Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20090218

Dossier : A-335-08

Référence : 2009 CAF 46

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 9 février 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                              LE JUGE NADON

 

 


 

 

 

 

Date : 20090218

Dossier : A-335-08

Référence : 2009 CAF 46

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               Au cours de la campagne agricole 2006-2007, l’appelante, Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (CP), a accordé à des expéditeurs de grain certaines primes d’incitation s’ils effectuaient des chargements dans des wagons multiples (CWM) et leur infligeait des amendes pour non-exécution si les wagons n’étaient pas déchargés et libérés dans un délai déterminé. Pour calculer, dans le cas du CP, le « revenu admissible maximal tiré du transport du grain » (le plafond de revenu) pour la campagne agricole 2006-2007, conformément à l’article 150 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi), l’Office des transports du Canada (l’Office) a décidé que les sommes versées à CP en tant qu’amendes pour non-exécution ne pouvaient raisonnablement être qualifiées comme telles et a conclu qu’elles constituaient en fait simplement une réduction apportée aux montants offerts à titre de primes d’incitation pour le chargement de wagons multiples (CWM). Ces sommes ont par conséquent été incluses dans les revenus de CP pour le calcul du plafond de revenu; si l’Office avait accepté de les considérer comme des amendes pour non-exécution, ces sommes auraient été exclues du revenu de CP aux fins du calcul de son plafond de revenu. CP interjette appel de cette décision, qui est publiée sous le numéro 655-R-2007 [la décision de l’Office].

 

LES FAITS

[2]               Les taux facturés par les compagnies de chemin de fer et les conditions de transport des marchandises sont énoncés dans des tarifs, qui sont élaborés et publiés par les compagnies de chemin de fer. Dans le cas qui nous occupe, trois de ces tarifs nous intéressent. Le tarif CPRS 4310-F fixe les taux exigibles pour le transport des marchandises prévues au point 350 de ce même tarif (grain), entre certaines localités de la Colombie-Britannique et Thunder Bay (Ontario) ou Vancouver (Colombie-Britannique). Le tarif précise le taux par tonne pour un wagon, de sorte, par exemple, que le taux exigé pour expédier un wagon de grain d’Armstrong (Colombie-Britannique) à Thunder Bay (Ontario) est de 56,85 $ par tonne, tandis que le taux réclamé pour expédier la même cargaison d’Armstrong à Vancouver est de 19,58 $ par tonne. Le tarif précise ensuite que les réductions de taux (primes d’incitation) suivantes peuvent être appliquées aux CWM :

[traduction]

 

Une réduction de 4 $ par tonne sur le taux publié s’appliquera aux rames de 56 wagons.

 

Une réduction de 7 $ par tonne sur le taux publié s’appliquera aux rames de 112 wagons.

 

Une réduction de 7,50 $ par tonne sur le taux publié s’appliquera aux rames de 112 wagons chargés en dix heures.

 

[Dossier d’appel, onglet 27, p. 1]

 

[3]               Les conditions à remplir pour être admissible aux primes d’incitation sont énumérées au tarif CPRS 4311. On y trouve des restrictions quant au nombre d’expéditeurs, au nombre d’installations où la cargaison doit être livrée, à la manutention des wagons dans ces endroits, ainsi que d’autres conditions de nature semblable. De plus, l’expéditeur doit obtenir l’autorisation pour commander des rames de wagons multiples en communiquant avec le « coordonnateur MaxTrax » de CP dans le délai prescrit au tarif. Le tarif précise aussi que les wagons doivent être chargés dans un délai de 10 ou de 24 heures, selon ce que précise l’expéditeur. Si le délai de chargement précisé ne peut être respecté, certaines autres conditions s’appliquent :

[traduction]

 

Les clients qui ne peuvent procéder au chargement dans ces délais doivent demander la prorogation de délai prévue au point 106 du tarif 4312 pour protéger leur prime d’incitation.

 

Le défaut d’informer CP dans le délai antérieurement publié dans le tarif […] entraîne la perte de la prime d’incitation, le retrait des chargements et des wagons vides et l’annulation des commandes non exécutées.

 

[Dossier d’appel, onglet 26, p. 3]

 

 

[4]               Le dernier tarif qui nous intéresse est le tarif CPRS 4312, et plus précisément le point 130 de ce tarif, dont voici le texte intégral :

[traduction]

 

AMENDES

DÉCHARGEMENT RETARDÉ DE WAGONS MULTIPLES 

 

Si les wagons circulent en rames de wagons multiples en vertu du tarif CPRS 4311 – point 20000, mais que les wagons ne sont pas déchargés et qu'ils ne repartent pas à vide dans les 24 heures suivant leur arrivée effective, conformément au paragraphe L {I} & P du tarif CPRS 4312 - point 20000, l'expéditeur doit alors payer une amende de :

- 180 $ par wagon sur la totalité des rames de 50 à 99 wagons;

- 180 $ par wagon sur la totalité des rames de 100 wagons et plus.

La libération à vide de la rame de wagons dépendra du moment où le dernier wagon de la rame expédiée est libéré à vide.

 

[Dossier d’appel, onglet 28, p. 1]

 

 

[5]               Le dossier révèle que 99 pour 100 des cargaisons CWM livrées au moment des faits respectaient l’échéance de 24 heures et que les amendes infligées pour celles qui ne respectaient pas ce délai s’élevaient à environ 180 000 $.

 

[6]               Dans sa décision, l’Office signale que le délai « normal » alloué pour le déchargement d’un wagon dans les situations autres que celles de CWM est de 60 heures, à la suite de quoi est imposée une amende pour non-exécution, appelée droits de stationnement.

 

[7]               La thèse de CP est qu’il faut interpréter les tarifs comme un tout et les considérer comme un régime cohérent. Lorsqu’un expéditeur obtient l’autorisation préalable de CP pour expédier un CWM et qu’il satisfait à toutes les autres conditions énumérées au tarif CPRS 4311, il est alors facturé pour la cargaison conformément au tarif CPRS 4310-F. Si, à destination, l’installation n’est pas en mesure de respecter la condition relative au déchargement dans un délai de 24 heures, l’expéditeur continue à bénéficier des primes d’incitation prévues au tarif CPRS 4310-F, mais il doit payer une amende de 180 $ par wagon pour la totalité de la rame, conformément au tarif CPRS 4312. CP soutient que le montant facturé pour la marchandise, après avoir tenu compte de la prime d’incitation, doit entrer dans le calcul de son plafond de revenu, mais que l’amende de 180 $ par wagon doit être exclue du calcul étant donné qu’il s’agit d’une amende pour non-exécution au sens de l’alinéa 150(3)b) de la Loi.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[8]               Voici les dispositions applicables de la Loi :

Revenu admissible maximal

 

Plafond

 

150. (1) Le revenu d’une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d’une campagne agricole, calculé par l’Office, ne peut excéder son revenu admissible maximal, calculé conformément au paragraphe 151(1), pour cette campagne.

 

Remboursement et pénalité en cas d’excédent

 

(2) Si le revenu d’une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d’une campagne agricole, calculé par l’Office, excède son revenu admissible maximal, calculé conformément au paragraphe 151(1), pour cette campagne, la compagnie verse l’excédent et toute pénalité réglementaire en conformité avec les règlements.


Exclusion

 

(3) Pour l’application du présent article, sont exclus du revenu d’une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d’une campagne agricole :

 

a) les prime d’incitations, rabais ou réductions semblables versés ou accordés par la compagnie;

 

b) les recettes attribuables aux amendes pour non-exécution, aux droits de stationnement et aux droits de stockage des wagons chargés de grain que l’Office estime justifié de considérer comme telles;

 

c) les indemnités pour les droits de circulation.

Maximum Grain Revenue Entitlement

 

Ceiling

 

150. (1) A prescribed railway company’s revenues, as determined by the Agency, for the movement of grain in a crop year may not exceed the company’s maximum revenue entitlement for that year as determined under subsection 151(1).

 

 

Payment of excess and penalty



(2) If a prescribed railway company’s revenues, as determined by the Agency, for the movement of grain in a crop year exceed the company’s maximum revenue entitlement for that year as determined under subsection 151(1), the company shall pay out the excess amount, and any penalty that may be specified in the regulations, in accordance with the regulations.

 

Items not included in revenue

 

(3) For the purposes of this section, a prescribed railway company’s revenue for the movement of grain in a crop year shall not include

 

 

(a) incentives, rebates or any similar reductions paid or allowed by the company;

 

(b) any amount that is earned by the company and that the Agency determines is reasonable to characterize as a performance penalty or as being in respect of demurrage or for the storage of railway cars loaded with grain; or

 

(c) compensation for running rights.

 

DÉCISION DE L’OFFICE

[9]               Le traitement de l’amende de 180 $ n’est qu’une des questions litigieuses sur lesquelles l’Office s’est penché dans une décision beaucoup plus vaste dans laquelle il a déterminé le plafond de revenu de CP. Avant de se prononcer sur le plafond de revenu, l’Office a publié un document de consultation dans lequel il invitait les intéressés à lui faire connaître leur point de vue. CP s’oppose au contenu de ce document, au motif qu’il démontre que l’Office avait préjugé de la question de l’amende pour non-exécution. Or, il s’avère qu’il n’en est rien. Le débat est donc clos.

 

[10]           On trouve le raisonnement de l’Office dans les trois paragraphes suivants, que nous reproduisons ici :

[90]      Le fait d'accepter l'argument de CP voulant que le rabais de CWM complet devrait être déduit du revenu revient implicitement à accepter que toutes les conditions du tarif ont été respectées, ce qui n'est pas le cas […]

[92]      Deux raisons, chacune suffisante en soi, amènent l'Office à conclure que les montants perçus conformément au tarif CPRS 4312, point 130 ne peuvent être raisonnablement désignés à titre d'amendes pour non-exécution. La première raison découle de la constatation que l'omission d'un expéditeur de respecter la condition de déchargement des wagons multiples dans un délai de 24 heures reflète l'omission de respecter une des conditions requises pour obtenir son rabais d'incitation au CWM plutôt que l'omission de satisfaire à une norme d'exécution moins stricte de 60 heures. Ainsi, il ne s'agit pas d'une amende pour non-exécution. Autrement dit, si le comportement opérationnel de l'expéditeur est orienté de façon à surpasser considérablement les normes de l'industrie, il est difficile d'établir que, selon toute norme raisonnable, son manquement à respecter ce seuil particulier constitue réellement une amende pour non-exécution. Il ne s'agit tout simplement que de la perte d'une prime d'incitation qui, dans le cas présent, représente un montant approximatif de 2 $ par tonne.

[93]      La deuxième raison amenant l'Office à conclure qu'il n'est pas raisonnable que les montants perçus en fonction du tarif CPRS 4312, point 130 soient désignés au titre d'amendes pour non-exécution découle de ce qui suit : le fait de permettre à CP de déclarer les montants perçus selon le tarif CPRS 4312, point 130 comme amendes pour non-exécution, tout en lui permettant de déduire de son revenu le montant complet lié aux primes d'incitation au CWM, est manifestement une contradiction sur le plan du traitement qui conférerait un double avantage à CP et qui pourrait doubler le coût que paient les agriculteurs pour transporter le grain. Cette façon d'imposer les frais et d'évaluer les revenus indique que le revenu tiré des « amendes » ne représente pas du tout une amende. En fait, les 2 $ approximatifs par tonne représente la perte d'une prime d'incitation.

 

 

QUESTION À TRANCHER

[11]           La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si l’Office a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant que les montants facturés par CP en vertu du tarif CPRS 4312 ne pouvaient raisonnablement être qualifiés d’amende pour non-exécution au sens de l’alinéa 150(3)b).

 

ANALYSE

[12]           Comme toujours, la première question à résoudre est celle de la norme de contrôle à appliquer à la décision de l’Office. Pour ce faire, il faut interpréter l’alinéa 150(3)b) de la Loi sur les transports au Canada, qui est la loi constitutive de l’Office. Il s’agit évidemment d’une question de droit, étant donné que l’article 41 de la Loi ne permet d’interjeter appel que sur des questions de droit ou de compétence. Personne n’a laissé entendre qu’il s’agissait d’une question de compétence.

 

[13]           La Cour s’est déjà penchée sur la même disposition, bien que sur une question différente, dans l’arrêt Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports du Canada), 2003 CAF 271, [2003] 4 C.F. 558 [Canadien Pacifique 2003], dans lequel le juge Rothstein (alors juge à la Cour d’appel), qui s’exprimait au nom de la Cour, a conclu, après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Dans cette affaire, le débat tournait autour de la conclusion de l’Office suivant laquelle certaines redevances de stationnement réclamées par CP étaient déraisonnables.

 

[14]           Depuis, la Cour suprême du Canada a précisé davantage la question de la norme de contrôle dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 [Dunsmuir], dans lequel elle a réduit le nombre de normes de contrôle possibles en intégrant la norme de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision raisonnable. En discutant de l’application des deux normes de contrôles qui en résultaient ─ la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable ─, la Cour a expliqué ce qui suit, au paragraphe 54 :

54   La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l’application de la norme de la raisonnabilité. Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise : Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 48; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 39 […]

 

[15]           Dans l’arrêt Chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports du Canada), 2008 CAF 363, [2008] A.C.F. no 1643, notre Cour a réexaminé la question de la norme de contrôle des décisions de l’Office à la lumière de l’arrêt Dunsmuir et de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650. Elle a conclu que, lorsque l’Office interprète la Loi, sa décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, qui commande un degré plus élevé de retenue (au paragraphe 51).

 

[16]           Il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si c’est la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte qui s’applique au contrôle judiciaire de la question en litige puisque la décision de l’Office ne peut être confirmée, peu importe la norme que l’on applique.

 

[17]           L’Office a invoqué deux motifs pour justifier sa conclusion que les montants facturés par CP en vertu du tarif CPRS 4312 n’étaient pas des amendes pour non-exécution. Voici la première :

La première raison découle de la constatation que l'omission d'un expéditeur de respecter la condition de déchargement des wagons multiples dans un délai de 24 heures reflète l'omission de respecter une des conditions requises pour obtenir son rabais d'incitation au CWM plutôt que l'omission de satisfaire à une norme d'exécution moins stricte de 60 heures. Ainsi, il ne s'agit pas d'une amende pour non-exécution. Autrement dit, si le comportement opérationnel de l'expéditeur est orienté de façon à surpasser considérablement les normes de l'industrie, il est difficile d'établir que, selon toute norme raisonnable, son manquement à respecter ce seuil particulier constitue réellement une amende pour non-exécution. Il ne s'agit tout simplement que de la perte d'une prime d'incitation qui, dans le cas présent, représente un montant approximatif de 2 $ par tonne.

 

[Dossier d’appel, onglet 2, au paragraphe 92]

 

 

[18]           Il est difficile de suivre le fil du raisonnement de l’Office. Il semble toutefois qu’il laisse entendre qu’on ne peut considérer l’amende de 180 $ par wagon comme une amende pour non-exécution parce que la condition de déchargement dans un délai de 24 heures surpasse considérablement « la norme de l’industrie » de 60 heures prévue pour le déchargement des wagons. L’Office songeait peut-être aux propos suivants tenus par le juge Rosthstein dans l’arrêt Canadien Pacifique 2003, au paragraphe 39 :

Je reconnais que si une compagnie de chemin de fer tentait d'imposer des droits excessivement élevés pour la détention des wagons, l'Office serait habilité à juger que tous les revenus découlant de ces droits ne peuvent être désignés comme se rapportant au stationnement.

 

[19]           De la même façon, l’Office pourrait fort bien être justifié d’intervenir si la compagnie de chemin de fer, en tentant de soustraire artificiellement des recettes du calcul du plafond de revenu, imposait des amendes pour non-exécution en se fondant sur des normes d’exécution tellement élevées que les expéditeurs n’auraient aucune chance raisonnable de s’y conformer. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque 99 pour 100 des expéditeurs ont été en mesure de satisfaire à la norme du déchargement dans un délai de 24 heures.

 

[20]           Il n’y a rien dans le dossier qui permette de conclure que la norme appliquée dans l’industrie en ce qui concerne le déchargement des CWM est de 60 heures. Il se peut que l’on alloue normalement 60 heures pour le déchargement des wagons qui sont assujettis à un tarif de wagon seul, ce qui ne veut pas pour autant dire que le chiffre de 60 heures devient la norme de l’industrie dans le cas des CWM. En faisant reposer son analyse de la question de l’amende pour non-exécution sur une évaluation non étayée et, partant, déraisonnable, de la norme applicable, l’Office a tiré une conclusion déraisonnable qui ne peut être confirmée.

 

[21]           Ainsi que notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports du Canada), 2007 CAF 240, [2007] A.C.F. no 878, au paragraphe 5, « une amende pour non-exécution est liée au défaut d’exécuter une obligation ». Dans cette affaire, l’obligation consistait à achever le déchargement des wagons CWM dans un délai de 24 heures. Rappelons que 99 pour 100 des expéditeurs ont réussi à satisfaire à cette obligation. Il serait déraisonnable de tenter de remettre en cause la légitimité de l’obligation imposée aux expéditeurs et l’amende à infliger en cas de défaut en se fondant sur une norme dont la pertinence n’est tout simplement pas appuyée par la preuve.

 

[22]           Le second motif invoqué par l’Office pour modifier la qualification des montants que CP considérait comme des amendes pour non-exécution était que le fait de permettre à CP de déclarer les montants perçus comme amendes pour non-exécution était une contradiction sur le plan du traitement qui conférerait un double avantage à CP, en l’occurrence celui de permettre à CP d’inclure dans son revenu un montant inférieur à celui qu’il avait effectivement reçu (frais de transport majorés de l’amende pour non-exécution), tout en lui permettant de déduire de son revenu le montant reçu comme amende au motif qu’il s’agit d’une amende pour non-exécution.

 

[23]           Un seul avantage est conféré. Le montant du revenu de CP est réduit du montant de l’amende pour non-exécution. Si l’amende pour non-exécution est une amende pour non-exécution légitime, la loi confère à CP le droit d’exclure ce montant de son revenu. Ce faisant, CP n’obtient pas subrepticement un avantage auquel il n’a pas droit. Il ne fait que ce que l’alinéa 150(3)b) lui permet de faire.

 

[24]           La Loi n’oblige pas CP à organiser ses affaires de manière à maximiser ses revenus aux fins du calcul du plafond de revenu. Le législateur fédéral a mis au point un mécanisme qui impose aux compagnies ferroviaires certaines obligations et leur confère certains droits. Le fait que CP pouvait toucher des recettes à deux titres – et que, dans un cas, il pouvait tenir compte de ce montant dans le calcul du plafond de revenu, mais pas dans le second cas – ne signifie pas qu’il doit choisir de structurer ses affaires de manière à ce que tous ses revenus entrent dans le calcul du plafond de revenu. En l’espèce, il est évident que l’Office estimait que le mécanisme prévu par les trois tarifs applicables constituait un régime progressif de primes d’incitation. CP aurait fort bien pu obtenir les avantages qu’il recherchait en structurant son programme de primes d’incitation de manière à prévoir le versement de primes d’incitation progressives. Il a plutôt choisi de réclamer ces avantages en recourant à une combinaison de mesures incitatives et d’amendes. Le fait que CP aurait pu opter pour un système de primes d’incitation progressives ne permet pas de conclure, en contradiction avec la forme et l’effet juridiques des tarifs applicables, qu’il a agi de la sorte.

 

[25]           Je suis par conséquent d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la décision de l’Office dans la mesure où elle se rapporte aux amendes pour non-exécution et de renvoyer l’affaire à l’Office pour qu’il rende une nouvelle décision en partant du principe qu’aucune partie des amendes pour non-exécution ne doit être incluse dans le calcul du plafond de revenu de CP. CP a droit à ses dépens contre l’Office des transports du Canada.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-335-08

 

 

INTITULÉ :                                                   CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Glen H. Poelman

Ryan C. Penner

 

POUR L’APPELANTE

Glen Hector

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MacLeod Dixon, s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

POUR L’APPELANTE

 

Direction des services juridiques

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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