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Date : 20090508

Dossier : A-188-08

Référence : 2009 CAF 139

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

AMIANTE SPEC INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 20 avril 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mai 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20090508

Dossier : A-188-08

Référence : 2009 CAF 139

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

AMIANTE SPEC INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

 

Introduction

 

[1]               L’appelante interjette appel d’une décision du juge Favreau (le juge) de la Cour canadienne de l’impôt, 2008 CCI 89, en date du 29 avril 2008.  Ce dernier a rejeté l’appel formé par l’appelante à l’encontre d’un avis de cotisation émis par le ministre du Revenu du Québec, agissant au nom du ministre du Revenu national (collectivement le ministre) en application de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15 (la Loi).  Cet avis couvre la période du 1er novembre 1998 au 28 février 2002 (période visée) et a eu pour effet d’ajouter à l’obligation fiscale de l’appelante, pour cette période, un montant de taxe nette de 139 791,69 $, en plus d’une pénalité de 56 056,69 $ et des intérêts de 14 012,61 $ (articles 280 et 285 de la Loi).

 

[2]               Les questions en litige devant cette Cour sont clairement identifiées.  Les trois motifs sur lesquels se fonde le présent appel se résument ainsi :

 

(a)                le juge a erré en imposant à l’appelante un fardeau de preuve plus lourd que la charge initiale qui est la sienne, soit celle de démolir, suivant la balance des probabilités, les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre pour établir la cotisation (Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 au paragraphe 92 [Hickman], mémoire de l’appelante aux paragraphes 14-40).

 

(b)               le juge a erré en tirant une inférence négative de l’absence d’un dénommé Réal Pomerleau à la barre des témoins et en concluant ainsi que son témoignage « aurait été défavorable à la cause de l’appelante » (motifs du jugement modifiés au paragraphe 89) (motifs).

 

(c)                le juge a commis des erreurs manifestes et dominantes dans l’appréciation de la preuve, plus particulièrement  la preuve entourant la remise aux autorités fiscales, par l’appelante, de faux documents dans le cadre de la vérification qui a précédé l’émission de la cotisation; et la preuve ayant démontré l’encaissement de chèques remis en acquittement des factures contestées dans des centres d’encaissement à escompte.

 

[3]               Ces questions étant bien cernées, il n’est pas nécessaire de décrire l’ensemble des faits mis en preuve devant la Cour canadienne de l’impôt, lesquels ont été minutieusement exposés par le juge dans ses motifs aux paragraphes 1-71.

 

[4]               Aux fins du présent appel, il suffit de savoir que l’appelante, Amiante Spec inc., est une société qui œuvre dans le domaine de l’enlèvement de fibres d’amiante et la pose d’isolation dans les édifices.  Elle est dûment inscrite au programme de l’Agence du revenu du Canada relatif à la taxe sur les produits et services / taxe de vente harmonisée (TPS/TVH).

 

[5]               Dans le cadre de l’exploitation de son entreprise, l’appelante a régulièrement recours aux services de sous-traitants, entre autres pour les services et fournitures suivants :

 

(a)                la location et la pose de plates-formes permettant l’exécution de travaux par ses employés;

 

(b)               les travaux de nettoyage de chantiers; et

 

(c)                les services professionnels comptables.

 

[6]               C’est pour de tels services, présumément livrés pendant la période visée, qu’elle a déclaré avoir versé 1 832 592,25 $ à dix sous-traitants :

 

Para. 10 des motifs

Sous-traitants

Contrepartie

TPS

 

 

 

 

a)

Construction Des Forges inc.:

150,859.75

10,560.18

b)

9085-6329 Québec inc. (Systèmes intérieurs moderne)

99,500.00

6,965.00

c)

Échafaudage Unic inc.

20,737.50

1,451.63

d)

3587991 Canada inc. (Gestion St-Martin-Concorde)

301,775.00

21,124.25

e)

9092-0638 Québec inc. (Grands travaux J.J.B.)

97,570.00

6,829.90

f)

9088-5518 Québec inc. (Chomedey Métal-Ik)

165,715.00

11,600.00

g)

9104-0667 Québec inc. (Construction Carnaval)

569,000.00

39,830.00

h)

Poliquin et associés

361,435.00

25,300.45

i)

Leonardo Canzeri

51,000.00

3,570.00

j)

9085-5925 Québec inc.

15,000.00

1,050.00

 

 

 

 

 

Total

1,832,592.25

128,281.41

 

[7]               La taxe sur les produits et services (TPS) correspondant à cette contrepartie se chiffre à 128 281,41 $.  Au moment de la confection de ses déclarations statutaires et du calcul de sa taxe nette, l’appelante a, entre autres, réclamé cette somme au titre de crédit de taxe sur les intrants (CTI).  Cette réclamation lui a été refusée pour des motifs qui ressortent clairement des conclusions et hypothèses de faits sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir la cotisation (dossier d’appel, vol. I à la page 38, paragraphe 27).

 

[8]               L’appelante n’en appelle pas des conclusions du juge qui a maintenu le refus du ministre quant aux CTI pour les sous-traitants apparaissant aux cases (h) et (i) du tableau ci-dessus.  Bien que cet appel partiel ait pour effet de réduire la somme des CTI en cause de 128 281,41 $ à 99 410,96 $ (mémoire de l’appelante aux pages 1 et 14), cela ne change en rien la nature du litige qui oppose les parties.

 

[9]               Revenant ainsi aux conclusions et hypothèses du ministre, je note que les plus pertinentes aux questions en litige sont les suivantes.  Ensemble, elles forment l’argument principal de l’intimée :

 

l’appelante n’a acquis aucune desdites fournitures de biens ou de services en cause qu’elle prétend avoir acquises desdits dix (10) sous-traitants ou l’appelante a acquis lesdites fournitures mais d’un tout autre fournisseur que ceux indiqués sur les pièces justificatives fournies pour la période visée ;

 

les pièces justificatives au soutien des CTI refusés au montant de 128 281,41 $ relativement à des fournitures de services ou de biens qu’elle aurait acquises pendant la période visée sont fausses et constituent des factures d’accommodation afin de permettre à l’appelante de demander sans droit des CTI dans le calcul de sa taxe nette pour la période visée ;

 

les registres de l’appelante contiennent, en outre, de faux documents émanant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CSST ») [attestation de conformité] et de la Commission de la construction du Québec (ci-après « CCQ ») [état de situation], documents qui n’ont été présentés au ministre qu’après la présentation du projet de cotisation. (Dossier d’appel, vol. I aux pages 40-41, sous-paragraphes m, j et n)

 

Norme de contrôle

 

[10]           Il est aisé de constater que les questions en litige portent principalement sur l’administration de la preuve par le juge quant à ces hypothèses.  La question de savoir si ces hypothèses ont été réfutées était donc une question mixte de fait et de droit que devait trancher le juge.

 

[11]           Il est  de jurisprudence constante que "le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu’il a l’occasion d’examiner la preuve en profondeur, d’entendre les témoignages de vive voix et de se familiariser avec l’affaire dans son ensemble.  Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d’apprécier et de soupeser d’abondantes quantités d’éléments de preuve, son expertise dans ce domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées." (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 à la page 251).

 

[12]           Ainsi, notre Cour adoptera une attitude empreinte de retenue à moins qu’il ne soit prouvé que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits (Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353 aux pages 388-389).

 

[13]           Gardant cette norme de contrôle à l’esprit, j’entends tout d’abord analyser les premier et troisième motifs d’appel de l’appelante.

 

Premier et troisième motifs :  le fardeau de preuve et l’appréciation de la preuve

 

[14]           L’appelante est d’avis que le juge a :

 

…dénaturé le test dégagé dans l’arrêt Hickman en lui imposant le fardeau de prouver par prépondérance de preuve et non prima facie les services rendus par les sous-traitants (mémoire de l’appelante au paragraphe 20).

 

[15]           L’affaire Hickman nous a rappelé que le ministre se fonde sur des présomptions pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir les présomptions exactes formulées par celui-ci est imposée au contribuable.  Ce dernier s’acquitte de ce fardeau initial lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées dans la cotisation.  Enfin, lorsque le contribuable s’est déchargé de son fardeau initial, le fardeau de la preuve passe au ministre qui doit alors réfuter la preuve prima facie faite par celui-là et prouver les présomptions (Hickman, supra aux paragraphes 92-93-94).

 

[16]           Selon l’appelante, elle se serait acquittée de son obligation et aurait démoli la présomption selon laquelle elle n’a acquis aucune des fournitures de biens ou de services auxquelles elle prétend en produisant au dossier de la Cour les contrats intervenus avec les sous-traitants de même que les factures et les chèques de règlement y afférents (mémoire de l’appelante au paragraphe 22).

 

[17]           Au surplus, elle avance que les huit témoins qu’elle a produits devant la Cour, et dont le témoignage n’a pas été contredit,

 

… ont démontré que les sous-traitants étaient présents ainsi que l’équipement nécessaire aux services qui devaient être rendus à l’appelante et qu’ils ont effectué les fournitures apparaissant sur les factures qui ont donné lieu à la cotisation (mémoire de l’appelante au paragraphe 24).

 

 

[18]           Pour étayer son argument, l’appelante réfère plus spécifiquement aux témoignages de son président, M. Spiridigliozzi et à ceux de Gilles Goupil, Maurice Duguay, Louis-Pierre Lafortune, Jocya Pellerin, Raïd Kassawat, Tullio Ricci et Nicolaï Tchebotarev, tous appelés à la barre dans le but de démontrer la fourniture des services pour lesquels elle a fait une demande de CTI.

 

[19]           Le juge a sommairement résumé les témoignages de la plupart de ces témoins jugeant « très révélateur » le fait que l’appelante n’ait appelé à la barre des témoins aucun des sous-traitants dont les factures sont contestées par le ministre (sauf M. Poliquin dont les services ne sont plus en cause dans cet appel).

 

[20]           L’appelante réplique à cela qu’elle « ne pouvait faire témoigner des personnes qui ont fraudé le fisc et qui n’ont pas remis les montants de taxes perçues » (mémoire de l’appelante au paragraphe 81), ajoutant à l’audience que sa cliente n’a pas à supporter le fardeau économique de la tromperie de ses sous-traitants (Joseph Ribkoff inc. c. Canada, 2003 CCI 397 au paragraphe 100 ; mémoire de l’appelante au paragraphe 61).  En l’instance, ce n’est pas ce que le ministre a fait.  Ce qu’il soutient plutôt, c’est que l’appelante n’a pas acquis les services pour lesquels elle a formulé sa réclamation de CTI.  C’est ce dont elle devait faire la preuve prima facie.

 

[21]           Or, en l’espèce, le juge a conclu que « selon la preuve testimoniale et documentaire, l’appelante n’a pas établi que les opérations figurant sur les factures représentaient des fournitures de services authentiques compte tenu de l’ensemble des éléments au dossier » et que le renversement du fardeau de la preuve n’était donc pas justifié (motifs au paragraphe 79).  Il a retenu la thèse du ministre suivant laquelle les factures des sous-traitants étaient des factures d’accommodation, c’est-à-dire :

 

... un stratagème dans lequel une société émet des factures à un accommodé en échange d’un prix de vente à la facture.  Et l’accommodateur, qui émet la facture, n’exerce aucune activité commerciale et vend une facture à un accommodé qui, lui, généralement, va rémunérer sa main-d’œuvre au noir, s’approprier les fonds à titre d’administrateur ou payer un sous-contractant comptant, un tiers de la partie (dossier d’appel, vol. XV, témoignage de Robert Bergeron aux pages 3177-3178, lignes 24-25, 1-6).

 

 

[22]           Puisque l’appelante reproche au juge de lui avoir imposé un fardeau de preuve trop lourd, il y a lieu de revoir ce que constitue une preuve prima facie.

 

[23]           Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

 

[24]           Bien qu’il ne s’agisse pas d’une preuve concluante, « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable » (Voitures Orly inc. c. Canada, 2005 CAF 425 au paragraphe 20). Cette Cour a précisé que c’est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle » (ibid.).

 

[25]           Il va de soi que les présomptions du ministre devaient être repoussées prima facie pour chacun des sous-traitants puisque les motifs de refus du ministre pouvaient varier de l’un à l’autre.

 

[26]           Conséquemment, la preuve de l’appelante quant aux services visés par les factures pertinentes au présent appel devait démontrer, prima facie, que l’appelante avait loué des plates-formes et que celles-ci avaient été assemblées et désassemblées par les sous-traitants visés par les contrats dont découlait la réclamation de l’appelante.

 

[27]           Ainsi, dans le cas des sous-traitants Poliquin (h) Canzeri (i) et Chomedey Métal-Ik (f), le ministre s’était fondé sur le paragraphe 169(4) de la Loi et sur l’article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH), DORS/91-45, pour déclarer que les pièces justificatives n’étaient pas adéquates, soit que le nom de l’acquéreur ou du fournisseur n’y apparaissait pas, soit que le numéro d’inscription TPS était erroné ou qu’il avait été annulé, soit que le fournisseur n’existait plus (motifs au paragraphe 87 ; dossier d’appel, vol. XVI, argumentation de Me Denis aux pages 3476-3477 ; Canzeri :  dossier d’appel, vol. I à la page 232 ; Poliquin : dossier d’appel, vol. I aux pages 204, 208, 212, 217, 219, 221, 223, 225, 227 et 229 ; Chomedey Métal-Ik : dossier d’appel, vol. I à la page 167).

 

[28]           Comme l’appelante n’en appelle plus du jugement relativement à ces deux premiers fournisseurs et qu’elle n’a fait valoir aucun argument particulier quant à la conclusion du juge concernant Chomedey Métal-Ik, il n’y a pas lieu de revenir sur les motifs du juge quant à ceux-ci sauf pour se rappeler que la preuve les concernant était devant lui lorsqu’il a tiré ses conclusions « de l’ensemble des éléments du dossier » (motifs au paragraphe 79).

 

[29]           Qu’en est-il donc des autres sous-traitants ?  Dans ses motifs, le juge résume brièvement ce qu’il a retenu de la preuve quant à chacun d’eux.  Je n’ai pas l’intention de réévaluer l’abondante preuve faite au procès qui a duré huit jours.  Je m’attarderai aux seuls reproches formulés par l’appelante dans son mémoire et tout particulièrement aux déclarations des témoins qu’elle cite au soutien de son argumentation.

 

[30]           Mais avant, quelques commentaires généraux s’imposent.  Premièrement, les services auxquels l’appelante pouvait prétendre visaient des plates-formes et non des échafaudages.  La distinction est importante aux fins de la cotisation et elle avait été portée à l’attention du juge par l’ingénieur Kassawat (dossier d’appel, vol. XII à la page 2637, lignes 20-25 ; à la page 2643, lignes 18-25 ; voir aussi argumentation de Me Denis : dossier d’appel, vol. XVI à la page 3548, lignes 19-22).  Essentiellement, l’échafaudage est temporaire et sur roulettes avec freins alors que la plate-forme ne l’est pas.  Un décret de la construction du Québec exige qu’un sous-traitant spécialisé en fasse le montage (dossier d’appel, vol. XII, témoignage de Gilles Goupil à la page 2552, lignes 16-20).

 

[31]           Deuxièmement, le ministre ne conteste pas que l’appelante ait parfois besoin de plates-formes pour l’exécution de ses travaux et que c’est alors qu’elle fait appel à des sous-traitants spécialisés.

 

[32]           Troisièmement, plusieurs sous-traitants (Systèmes intérieurs moderne, Échafaudage Unic inc., Gestion St-Martin-Concorde, Construction Des Forges inc. et Construction Carnaval) (motifs au paragraphe 89) ont été, à un moment ou à un autre, représentés par M. Réal Pomerleau qui n’a pas témoigné, amenant le juge à en tirer une inférence négative, le sujet du deuxième motif d’appel de l’appelante sur lequel je reviendrai plus tard.

 

[33]           Quatrièmement, l’appelante soutient que le témoignage de M. Spiridigliozzi, président de l’appelante (vice-président et secrétaire pendant la période visée), corroboré par le témoignage du surintendant de l’appelante (contremaître pendant la période visée), Gilles Goupil, « qui a travaillé sur les chantiers au cœur des débats » (mémoire de l’appelante au paragraphe 28) :

 

… s’avèrent suffisants pour établir prima facie les prétentions de l’appelante et renverser le fardeau de la preuve…  (mémoire de l’appelante au paragraphe 29).

 

[34]           Or, le juge n’a pas donné foi au témoignage de M. Spiridigliozzi l’ayant trouvé « très vague concernant les circonstances entourant l’octroi des contrats aux sous-traitants » (motifs au paragraphe 89).

 

[35]           Il n’est donc pas étonnant que le juge n’ait pas discuté du témoignage de M. Goupil (dossier d’appel, vol. XII aux pages 2535-2556), qui n’a d’ailleurs pu situer aucun des fournisseurs en cause sur les chantiers visés par les contrats de l’appelante, se contentant d’affirmer que celle-ci avait recours à des entreprises spécialisées lorsque des plates-formes étaient requises.

 

[36]           Enfin, tous les sous-traitants visés par cet appel ont été qualifiés de « délinquants fiscaux » pour des motifs plus variés les uns que les autres, par exemples :  a)  omission de produire des déclarations de taxes ; b) omission de produire des déclarations de retenue à la source ou déclarations inadéquates ; c) omission de s’inscrire au programme TPS/TVH ; d) omission de divulguer leur contrat avec l’appelante auprès de la CCQ.

 

[37]           Ceci dit, je passe maintenant aux motifs de reproche de l’appelante quant aux conclusions du juge pour chacun de ces sous-traitants dans l’ordre où ils sont nommés au tableau précédent (voir paragraphe 6 des présents motifs).

 

Construction Des Forges inc. (motifs aux paragraphes 45-53)

 

[38]           Ce fournisseur a transmis à l’appelante des factures relativement à des travaux d’installation de plates-formes temporaires sur trois chantiers différents (Centre éducation des adultes Lemoyne : dossier d’appel, vol. I à la page 59; École St-Zotique : dossier d’appel, vol. I à la page 64; Hôpital Lindsay : dossier d’appel, vol. I à la page 72) que l’appelante a acquittées par chèques, dont un chèque certifié.

[39]           Le juge a noté que le fournisseur avait encaissé l’un de ces chèques dans un centre d’encaissement à escompte.

 

[40]           Dans son mémoire, l’appelante réfère au témoignage de M. Lafontaine relativement aux travaux effectués à l’hôpital Lindsay affirmant que ce dernier a attesté non seulement :

 

… de l’existence d’un sous-traitant, Construction Des Forges inc., mais également du fait que ce dernier possédait des plates-formes se trouvant sur le chantier de l’hôpital… (mémoire de l’appelante au paragraphe 32).

 

[41]           Il s’agit là d’une lecture peu rigoureuse du témoignage de M. Lafontaine qui, à la période visée, était vice-président de Fortier Transport, une société se spécialisant dans la location de grues (dossier d’appel, vol. XII à la page 2525, lignes 9-11).  Il était appelé pour expliquer la facture et le bon de livraison acheminés à l’appelante en date du 21 août 2000 pour la location d’une grue sur le chantier Lindsay, apparemment pour « Construction Des Forges inc. » pour « la descente des matériaux » (dossier d’appel, vol. I aux pages 79-80).  Au bon de livraison, le client est A&A Démolition et l’information qu’on y trouve lui a été donnée par téléphone par un dénommé Nino qu’il ne connaît pas.  Pour ajouter à cette confusion, le témoin n’est jamais allé sur le chantier (dossier d’appel, vol. XII à la page 2529).

 

[42]           Dans de telles circonstances, je ne vois pas comment l’appelante peut reprocher au juge de ne pas avoir fait mention de ce témoignage et de ne pas en avoir tenu compte dans l’appréciation de la preuve prima facie dont le fardeau lui incombait.

 

9085-6329 Québec inc. (Systèmes intérieurs moderne) (motifs aux paragraphes 42-44)

 

[43]           Dans ses motifs, le juge réfère à une facture du 28 août 2000 décrivant, sans plus, les services rendus comme étant la « protection temporaire pour 5 étages », la 4e phase de travaux effectués à l’Hôpital Hôtel-Dieu de St-Hyacinthe (dossier d’appel, vol. I à la page 151).

 

[44]           Dans son mémoire, l’appelante ne réfère à aucune faute particulière du juge dans l’appréciation de la preuve relative à ce fournisseur.  J’en conclus que l’insatisfaction de l’appelante est reliée à l’inférence négative tirée par le juge de l’absence de M. Pomerleau puisque ce dernier était le représentant de cette société.

 

Échafaudage Unic inc. (motifs aux paragraphes 32-35)

 

[45]           Quant à ce fournisseur, le juge réfère à une facture du 15 août 2000 pour un « échafaudage pour une plate-forme de travail pour cage d’escalier » (dossier d’appel, vol. I à la page 156).

 

[46]           A ce sujet, l’appelante écrit dans son mémoire :

 

30.  L’appelante  a présenté M. Maurice Duguay, un employé de la Commission de la santé et sécurité au travail, dont le témoignage est au-dessus de tout soupçon, qui chargé d’inspecter l’un des chantiers de l’appelante (Parthenais), a effectivement été témoin de la présence de trois (3) employés du sous-traitant Échafaudage Unic montant des plates-formes.  À l’occasion de son inspection, il a rencontré M. Réal Pomerleau qui s’est identifié comme le représentant d’Échafaudage Unic (mémoire de l’appelante au paragraphe 30).

 

[47]           J’ai attentivement relu le témoignage de M. Duguay (dossier d’appel, vol. XII aux pages 2650 et suivantes).  Il en ressort qu’il a visité l’un des chantiers de l’appelante à Parthenais, le 23 octobre 2001.  C’était sa première visite sur ce chantier (ibid. à la page 2652, lignes 10-11) où trois personnes se sont identifiées comme travaillant pour Echafaudage Unic inc. alors que le sous-traitant de l’appelante pour ces travaux était Construction Carnaval (motifs au paragraphe 82).  Le juge n’a donc pas commis d’erreur en ne retenant pas le témoignage de M. Duguay, non pas parce qu’il n’était pas crédible, mais parce qu’il n’appuyait en rien la réclamation de l’appelante en regard des services présumément rendus en 2000 par Échafaudage Unic inc.

 

3587991 Canada inc. (Gestion St-Martin-Concorde) (motifs aux paragraphes 58-62)

 

[48]           L’appelante est d’avis qu’elle a fait la preuve requise de sa relation contractuelle avec ce fournisseur par les témoignages de :

a) Jocya Pellerin qui a vu les plates-formes érigées sur le site du chantier de Radio-Canada ainsi que des représentants du sous-traitant Gestion St-Martin-Concorde (mémoire de l’appelante au paragraphe 33 ; dossier d’appel, vol. XII aux pages 2580-2585).

 

b) Tullio Ricci qui a vu sur le site du chantier de l’école Hubert de Maisonneuve des plates-formes identifiées au sous-traitant Gestion St-Martin-Concorde (mémoire de l’appelante au paragraphe 35 ; dossier d’appel, vol. XIII aux pages 2757-2762).

 

et

 

c) Nicolaï Tchebotarev, ingénieur de projet.  Ce dernier a préparé, à la demande de Gestion St-Martin-Concorde, l’un des sous-traitants de l’appelante, des plans relatifs au chantier de Radio-Canada.  De plus, M. Tchebotarev a également inspecté la plate-forme une fois installée sur le site de ce chantier (mémoire de l’appelante au paragraphe 36 ; dossier d’appel, vol. XII aux pages 2679-2688). 

 

 

[49]           On retrouve aux paragraphes 83 à 85 des motifs sous appel une réponse complète à cet argument de l’appelante.  Le juge a essentiellement retenu de ces témoins, qui par ailleurs ont eu connaissance des chantiers sur lesquels l’appelante exécutait des travaux, qu’ils n’avaient pu associer les fournisseurs en cause aux réclamations refusées par le ministre.

 

9092-0638 Québec inc. (Grands travaux J.J.B.) (motifs aux paragraphes 36-41)

 

[50]           Tout comme dans le cas de  Systèmes intérieurs moderne, l’appelante ne soulève aucune erreur particulière quant à ce fournisseur.

 

[51]           En l’espèce, le juge a noté que le ministre a accepté, en partie, la réclamation de l’appelante pour ce sous-traitant (travaillant chez Hydro-Québec).  Quant à la facture refusée pour des travaux effectués à Sept-Iles chez I.O.C. (dossier d’appel, vol. I à la page 162), le juge avait eu le bénéfice d’entendre la vérificatrice de Revenu Québec, Sylvie Davrieux, laquelle avait vérifié la teneur de ces travaux pour apprendre qu’il n’y avait pas eu de plate-forme puisque :

 

… toute la démolition [chez I.O.C.] était faite à partir d’équipement motorisé.  Et en plus, il m’a donné la liste de tous les équipements qui passaient à la barrière pour IOC.  Bon, donc pour le projet IOC, à la barrière, ils vérifient tous les équipements qui entrent sur le chantier, tous les équipements qui sont rentrés sur le chantier, bien ce sont des équipements motorisés (dossier d’appel, vol. XIII à la page 2891, lignes 10-16).

 

 

 

 

Construction Carnaval (motifs aux paragraphes 63-70)

 

[52]           Le juge a retenu de la preuve que quatre factures étaient problématiques pour ce sous-traitant, dont trois concernant le chantier Armstrong.

 

[53]           A cet égard, l’appelante avance que le témoin Kassawat a vu, à ce site, les représentants du fournisseur de même que des plates-formes (mémoire de l’appelante au paragraphe 34).

 

[54]           En effet, le juge rapporte que ce témoin a confirmé par lettre avoir vu ce fournisseur sur le chantier en relation avec deux bons de commande de la société Armstrong (lettre du 13 juin 2002 : dossier d’appel, vol. I à la page 173 ; bons de commande : dossier d’appel, vol. IV aux pages 867, 870).  Cependant, il ajoute au paragraphe 83 de ses motifs :

 

… En contre-interrogatoire, il n’a pu associer les bons de commandes avec les numéros des bâtiments de la compagnie Armstrong sur lesquels l’appelante a exécuté des travaux, ni avec les différentes phases des travaux.  De plus, il n’a pas été en mesure de préciser exactement les noms des représentants qu’il avait rencontrés, ni les dates, ni le lieu des rencontres avec les sous-traitants…

 

9085-5925 Québec inc. (motifs aux paragraphes 30-31)

 

[55]           Le juge en dit très peu sur ce fournisseur dont la seule facture s’élevait à 15 000 $ (dossier d’appel, vol. I à la page 235).  On y décrit les travaux comme étant la fourniture de « matériaux pour protection temporaire dans trois écoles ».  L’appelante ne formule aucun argument particulier à ce sous-traitant.

[56]           De plus, je note que s’ajoutaient aux lacunes importantes de la preuve de l’appelante quant aux services présumément fournis par les sous-traitants, d’autres faits troublants relevés par le juge :

 

- tous les sous-traitants, sans exception, étaient des délinquants fiscaux (motifs du jugement aux paragraphes 31, 34, 41, 44, 53, 57, 61, 68, 73, 80 et 86).

 

- l’encaissement de chèques par les sous-traitants dans des centres d’encaissement à escompte [constituant] « un autre indice sérieux tendant à démontrer l’existence d’un stratagème frauduleux basé sur des factures d’accommodation » (motifs du jugement au paragraphe 86).

 

- la remise à l’appelante, par cinq sous-traitants, de faux documents paraissant émaner de la CCQ et de la CSST établissant l’état de situation de certains chantiers (motifs du jugement au paragraphe 74 ; dossier d’appel, vol. XVI, argumentation de Me Denis à la page 3543, lignes 12 et suivantes).

 

- le pourcentage élevé des sommes réclamées par les sous-traitants pour les plates-formes par rapport à la valeur totale des contrats (dossier d’appel, vol. XII à la page 2497, vol. XIII à la page 2882, lignes 3 et suivantes, motifs du jugement au paragraphe 86).

 

- l’entente conclue par l’appelante avec la CCQ au montant de 90 000 $ pour régler des infractions aux lois applicables (motifs du jugement aux paragraphes 71 et 74).

 

[57]           Ainsi, sur la foi du dossier, je ne constate aucune erreur manifeste ou autre dans les conclusions que le juge a tirées à partir de la preuve.  Il devait essentiellement soupeser les éléments de preuve produits à la lumière des principes de droit formulés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hickman et c’est ce qu’il a fait.  Il a, à bon droit, conclu que la preuve offerte par l’appelante n’offrait pas une crédibilité suffisante pour constituer une preuve prima facie pouvant démolir les présomptions évoquées par le ministre.  Il n’a pas non plus commis d’erreur en confirmant l’imposition de la pénalité sous l’article 285 de la Loi.

 

 

Deuxième motif : inférence négative

 

[58]           Puisque j’en viens à cette conclusion, je ne crois pas nécessaire d’examiner le second motif d’appel, soit l’inférence négative tirée par le juge et découlant de l’absence de M. Pomerleau.  Même si l’appelante avait raison de plaider que le juge a commis une erreur, ce que je ne suggère aucunement, cette erreur n’aurait pas changé le sort de l’appel.  Je ne peux cependant m’empêcher de remarquer que l’appelante ne se plaint pas du fait que le juge ait également tiré une inférence négative de l’absence « de témoins importants », soit les sous-traitants eux-mêmes (motifs au paragraphe 81), se contentant d’affirmer qu’elle ne pouvait prendre le risque de les assigner compte-tenu du stratagème auquel ils prenaient part à son insu.

 

Conclusion

 

[59]           Pour tous ces motifs, je propose de rejeter cet appel avec dépens.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-188-08

 

APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE FAVREAU DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, DU 29 AVRIL 2008 (2008 CCI 89)

 

INTITULÉ :                                                                           Amiante Spec Inc. c.

                                                                                                Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   20 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          8 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean Groleau

Jacques Plante

POUR L’APPELANTE

 

 

Benoît Denis

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain

Montréal, Québec

POUR L’APPELANTE

 

 

Veillette, Larivière

Montréal, Québec

POUR L’INTIMÉE

 

 

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