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Date : 20090812

Dossier : A-12-08

Référence : 2009 CAF 245

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

appelant

et

LA BANDE DE SAWRIDGE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 mai 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 août 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                                                                 LE JUGE RYER

 


Date : 20090812

Dossier : A-12-08

Référence : 2009 CAF 245

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

appelant

et

LA BANDE DE SAWRIDGE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) à l’encontre d’un jugement de la Cour fédérale dans lequel le juge Gibson a accueilli une demande présentée par la Bande de Sawridge en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la LAI).   L’ordonnance visée par l’appel interdit à AINC de communiquer à la requérante, membre de la bande, les états financiers consolidés de la bande pour l’exercice se terminant le 31 mars 2002 : Bande de Sawridge c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), 2007 CF 1231.

[2]               La bande a fourni les états financiers à AINC en conformité avec l’alinéa 8(2)b) du Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens, C.R.C. ch. 953 (le Règlement).  Ce dernier prévoit aussi qu’une bande qui est autorisée par AINC à contrôler ses revenus doit faire examiner ses comptes et faire placer un exemplaire du rapport annuel du vérificateur en des endroits bien en vue « pour que les membres de la bande puissent l’examiner » : alinéa 8(1)a).  Le juge a tout de même conclu que, même lorsque la demande présentée à AINC provenait d’un membre de la bande, les états financiers étaient « de nature confidentielle » et échappaient par conséquent à la communication en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

 

[3]               Le présent appel soulève deux questions.  Tout d’abord, des renseignements normalement confidentiels qui sont fournis à une institution gouvernementale par une tierce partie cessent-ils d’être « de nature confidentielle » pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI, parce que l’auteur de la demande de communication est une personne qui dispose d’un droit distinct au document visé?  Dans l’affirmative, la seconde question consiste à déterminer si le droit de la requérante, qui est en l’espèce membre de la Bande de Sawridge, d’examiner le rapport annuel du vérificateur sur les états financiers de la bande, a pour effet d’exclure les renseignements de la catégorie de ceux qui sont confidentiels à l’égard de la requérante.

 

[4]               J’aborde l’interprétation de l’alinéa 20(1)b) de la LAI on gardant à l’esprit que les limites prévues par la loi à la portée générale du devoir des institutions gouvernementales de communiquer leurs documents s’interprètent de façon restrictive : LAI, paragraphe 2(1).  Je donne au paragraphe 8(2) du Règlement une interprétation compatible avec son objet, à savoir l’augmentation de la responsabilité envers les membres de la bande et AINC, du chef et du conseil de la bande en ce qui concerne leur gestion des revenus de la Bande.

 

[5]               À mon avis, des renseignements ne peuvent être « de nature confidentielle » pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI à l’égard de l’auteur d’une demande qui a droit à leur communication en vertu d’une disposition d’un autre texte.  Puisque l’alinéa 8(2)a) du Règlement permet aux membres d’une bande d’examiner les rapports annuels du vérificateur, AINC ne peut refuser de communiquer les états financiers de la bande en invoquant leur nature confidentielle lorsque l’un de ses membres le demande en vertu de la LAI.

 

[6]               En conséquence, j’accueillerais l’appel et je rejetterais la demande de la bande visant la décision d’AINC de communiquer les états financiers de la bande à l’auteure de la demande de communication.

 

B.        TRAME FACTUELLE

            (i)         Statut de Mme Poitras

[7]               Comme d’autres femmes dans sa situation, Elizabeth Bernadette Poitras a perdu son statut d’Indien et son appartenance à la bande lorsqu’elle a épousé un non-Indien.  Pour les besoins du présent appel, il est reconnu qu’elle est redevenue membre de la Bande de Sawridge en 1985, lorsque la Loi C-31 a abrogé l’ancien alinéa 12(1)b) de la Loi sur les indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

 

[8]               La bande a continué à s’opposer à ce que des femmes qui ont épousé des non-Indiens puissent être réintégrées au sein de la bande.  La Cour fédérale a décerné une injonction mandatoire sommant la bande d’inscrire le nom de Mme Poitras et de 10 autres femmes sur la liste de la Bande de Sawridge et de leur accorder sans délai tous les droits et avantages que confère l’appartenance à la bande, jusqu’à ce qu’il soit disposé de l’action contestant la validité de la Loi C-31 : Bande de Sawridge c. Canada, 2003 CFPI 347, [2003] 4 C.F. 748, au paragraphe 39.

 

[9]               L’action de la bande contestant la validité de la Loi C-31 a été subséquemment rejetée par la Cour fédérale : Bande de Sawridge c. Sa Majesté la Reine, 2008 CF 322, 319 F.T.R. 217. La présente Cour a récemment rejeté l’appel interjeté par la bande à l’encontre de ce jugement : Bande de Sawridge c. Sa Majesté la Reine, 2009 CAF 123.  La bande a demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada : dossier 33219.

 

(ii)        La demande de renseignements de Mme Poitras

[10]           En septembre 2005, la Bande de Sawridge ne comptait que 44 membres, mais d’importantes réserves de pétrole et de gaz.  Préoccupée par l’omission de la bande de lui distribuer quelque part de ses revenus que ce soit, Mme Poitras a demandé des renseignements relatifs aux finances de la bande.

 

[11]           Le 27 avril 2003, elle a demandé au chef de la Bande de Sawridge, Roland Twinn, de lui communiquer des renseignements concernant les finances de la Bande, y compris les états financiers visés en l’espèce.  Elle a aussi demandé que l’ordre du jour de l’assemblée de la bande, qui devait se tenir le 26 juin 2003, contienne un point sur la distribution à ses membres des redevances pétrolières et gazières touchées par la Bande.

 

[12]           De plus, le 23 mai 2003, Mme Poitras a demandé à AINC de lui communiquer des renseignements sur les finances de la bande, y compris ses états financiers, que celle-ci avait fournis à AINC en application de l’alinéa 8(2)b) du Règlement.  Elle s’est présentée comme membre de la Bande de Sawridge et, dans une lettre datée du 3 juin 2003, elle a consenti à la divulgation de son identité à la bande.

 

[13]           Après l’assemblée de la bande du 26 juin 2003, Mme Poitras a de nouveau communiqué par écrit avec l’agent de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (l’AIPRP) responsable de son dossier pour lui indiquer que le Conseil de bande ne lui permettrait de voir les états financiers que si elle prêtait un « serment de discrétion ».  Ce qu’elle a refusé de faire puisqu’elle entendait utiliser les renseignements financiers pour faire valoir que les membres de la bande devraient profiter des droits miniers de la bande.  Dans une lettre ultérieure à l’agent de l’AIPRP datée du 1er octobre 2003, Mme Poitras a indiqué qu’elle avait l’intention de partager les renseignements financiers avec des proches, nommés dans la lettre, qui sont aussi des membres de la bande.

 

[14]           Dans une lettre au chef Twinn datée du 24 juillet 2003, AINC a avisé la bande de la demande de divulgation de Mme Poitras sous le régime de la LAI.  Le 29 juillet 2003, le directeur exécutif de la bande a répondu à AINC au nom du chef Twinn.  Il a refusé de communiquer les renseignements financiers à la requérante en ajoutant qu’ils étaient à la disposition de tous les membres de la bande, mais sous réserve des restrictions prévues dans la Politique de divulgation financière de la bande (la Politique) mise en place pour protéger la confidentialité des renseignements.

 

(iii)       Politique de divulgation financière de la Bande

[15]           Le conseil de bande a adopté la Politique le 19 juin 2003, et ce, sans résolution du conseil de bande.  Cela a eu lieu après que Mme Poitras eut demandé les renseignements financiers au chef Twinn, mais avant l’assemblée de la bande du 26 juin 2003, au cours de laquelle Mme Poitras a soulevé des questions sur les revenus de la bande.  Selon le conseil, la Politique donne un cadre formel aux usages antérieurs de la bande en matière de confidentialité de ses renseignements financiers.

 

[16]           Conformément à son obligation de placer bien en vue dans la réserve « un exemplaire dudit rapport [du vérificateur] », la bande a affiché sur un babillard du bureau du conseil de bande, pour examen par ses membres, l’avis d’une page du vérificateur concernant les états financiers de la Bande.  Cet avis ne révèle pas le contenu des états financiers visés par le rapport.  Les états financiers sont conservés dans un bureau verrouillé sur la réserve, protégé par un système d’alarme.  Ils ne peuvent être consultés par les membres de la bande qu’en conformité avec la Politique de divulgation financière de la Bande.

 

[17]           Je signale au passage qu’en s’acquittant de son devoir de remettre à AINC « un exemplaire dudit rapport », la bande a remis l’ensemble des états financiers plutôt que de s’en tenir à l’avis du vérificateur qu’elle a affiché, pour examen par ses membres, sur le babillard du bureau du conseil de bande.

 

[18]           L’objet énoncé de la Politique est d’établir un équilibre entre l’intérêt des membres de la bande à la « transparence » du conseil de bande et le besoin de protéger la bande contre les conséquences préjudiciables de la divulgation au grand public de ses renseignements financiers confidentiels.  La politique exige que les membres de la bande signent une entente de confidentialité avant de consulter un « rapport financiers » au bureau du conseil de bande.  L’entente de confidentialité prévoit quant à elle que les membres ne peuvent utiliser les renseignements contenus dans le rapport, sauf pour en discuter avec le conseil ou avec d’autres membres qui ont aussi signé l’entente.  Les membres ne peuvent non plus divulguer les renseignements à quiconque sans obtenir préalablement le consentement écrit de la bande. 

 

[19]           La bande a tenté de régler le litige devant la Cour fédérale en offrant de faire une exception à la Politique : Mme Poitras pourrait être accompagnée d’un avocat ou d’un comptable lors de l’examen des états financiers, à la condition qu’ils aient signé l’entente de confidentialité.  L’offre a été rejetée.

 

 

 

C.        CADRE LÉGISLATIF ET POLITIQUE

 

[20]           Les dispositions pertinentes de la LAI dans le cadre du présent appel sont rédigées comme suit :

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

[…]

 

 

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[…]

 

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

4. (1) Subject to this Act, but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is

 

(a) a Canadian citizen, or

(b) a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act,

has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

[21]           L’article 69 et le paragraphe 81(1) de la Loi sur les indiens sont rédigés comme suit :

69. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, permettre à une bande de contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de l’argent de son compte de revenu; il peut aussi modifier ou révoquer un tel décret.

(2) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour donner effet au paragraphe (1) et y déclarer dans quelle mesure la présente loi et la Loi sur la gestion des finances publiques ne s’appliquent pas à une bande visée par un décret pris sous le régime du paragraphe (1).

81. (1) Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes :

[…]

69. (1) The Governor in Council may by order permit a band to control, manage and expend in whole or in part its revenue moneys and may amend or revoke any such order.

 

(2) The Governor in Council may make regulations to give effect to subsection (1) and may declare therein the extent to which this Act and the Financial Administration Act shall not apply to a band to which an order made under subsection (1) applies.

 

81. (1) The council of a band may make by-laws not inconsistent with this Act or with any regulation made by the Governor in Council or the Minister, for any or all of the following purposes, namely,

 

[22]           L’article 8 du Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens prévoit ce qui suit :

8. (1) Une bande doit engager un vérificateur qui sera chargé d'examiner le compte et d'établir un rapport annuel à ce sujet.

(2) Dans les sept jours qui suivent la date à laquelle le vérificateur termine son rapport annuel, un exemplaire dudit rapport doit être

a) placé en des endroits bien en vue de la réserve pour que les membres de la bande puissent l'examiner; et

b) remis au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

8. (1) Every Band shall engage an auditor to audit its account and to render an annual report in respect thereof.

 

(2) A copy of the auditor's annual report shall, within seven days of its completion,

            (a) be posted in conspicuous places on the Band Reserve for examination by members of the Band; and

            (b) be supplied to the Minister of Indian Affairs and Northern Development.

 

[23]           Les dispositions pertinentes de la Politique de divulgation financière de la Bande sont les suivantes : 

 

 

[TRADUCTION]

 

POLITIQUE DE DIVULGATION FINANCIÈRE DE

LA BANDE INDIENNE DE SAWRIDGE

 

Attendu que la Bande indienne de Sawridge reconnaît l’importance de la transparence à l’égard ses membres pour la saine administration de la Bande;

 

Et attendu que le conseil de la Bande indienne de Sawridge a soupesé l’intérêt de la transparence à l’égard de ses membres par rapport aux impacts négatifs que pourrait avoir la divulgation au public de renseignements financiers de nature confidentielle;

 

Et attendu que la Bande indienne de Sawridge entend donner un cadre formel à la Politique de divulgation financière qui a été suivie auparavant;

 

La politique qui suit s’applique à la divulgation des renseignements financiers de la Bande Indienne de Sawridge :

 

 

DÉFINITIONS

 

1.       Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente politique.

« vérification »  Le rapport du vérificateur accompagné des états financiers, des notes et des annexes préparés annuellement par le vérificateur.

. . .

 

CONFIDENTIALITÉ DES RENSEIGNEMENTS FINANCIERS

 

2. Les renseignements financiers sont des renseignements confidentiels de la Bande et, sauf en conformité avec la présente politique, ils ne peuvent être communiqués à quiconque.

. . .

 

DEVOIR DE CONFIDENTIALITÉ

 

4. Quiconque obtient le droit de consulter les renseignements confidentiels doit être informé de la  confidentialité de ceux-ci et doit veiller à ce que les renseignements demeurent confidentiels.

. . .

MEMBRES

 

7. Un membre peut examiner le rapport financier à un moment convenu au préalable.  Le membre à qui il est permis d’examiner la rapport financier doit d’abord remplir une entente de confidentialité en la forme prévue à l’annexe et la remettre au conseil de bande.  Il n’est pas permis au membre autorisé à consulter le rapport financier d’en faire des copies ou de prendre des notes.  L’examen du rapport financier peut être effectué seul ou en présence d’autres membres qui ont aussi rempli l’entente de confidentialité. À l’exception des employés de la Bande responsables de la supervision de l’examen, il n’est pas permis à qui que ce soit d’autre d’examiner le rapport financier ou d’être présent lors de son examen.

 

UTILISATION DE RENSEIGNEMENTS

 

8. Il est interdit aux membres d’utiliser de quelque façon les renseignements contenus dans le rapport financier, sauf pour en discuter avec le Conseil ou avec d’autres membres qui ont rempli l’entente de confidentialité en la forme prévue à l’annexe et qui l’ont remise au Conseil.

 

ENTENTE DE CONFIDENTIALITÉ

 

Le membre reconnaît que, dans le cadre de l’examen des renseignements financiers de la Bande, il aura accès à des renseignements provenant de sources diverses, y compris de la Bande, et que tous ces renseignements constituent des biens précieux qui sont la propriété exclusive de la Bande.  Au cours de l’examen ou après celui-ci, le membre ne divulguera aucun renseignement, en tout ou en partie et de quelque façon que ce soit, y compris les renseignements préparés par le membre à l’intention d’une personne, d’une firme, d’une société, d’une association, d’un gouvernement, des médias ou d’une autre entité pour quelque motif que ce soit, sans obtenir au préalable le consentement explicite de la Bande par écrit.

 

D.        JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE

[24]           Appelé à statuer, en vertu du paragraphe 44(1) de la LAI, sur le recours en révision de la décision d’AINC de communiquer à Mme Poitras les renseignements qu’elle avait demandés, le juge Gibson a rejeté l’argument de la bande selon lequel la LAI ne s’appliquait pas aux documents demandés puisqu’il ne s’agissait pas de documents « relevant » d’AINC.  Le juge Gibson a conclu que c’était là un terme large indiquant la possession et qu’il n’était pas pertinent que la bande ait eu l’intention d’imposer des conditions restrictives lorsqu’elle a fourni les renseignements financiers à AINC en application de l’alinéa 8(2)b) du Règlement.

 

[25]           Le juge Gibson a toutefois souscrit à l’argument de la bande selon lequel les documents avaient été fournis à AINC par un tiers (en l’occurrence, la bande) et contenaient des renseignements financiers de nature confidentielle.  Il a conclu qu’ils étaient donc visés par une dispense de communication en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.  Pour arriver à cette conclusion, il s’est appuyé sur la décision Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 C.F. 143 (1re inst.) (Bande Montana), pour déterminer que, tout comme le journaliste qui avait demandé des renseignements de nature confidentielle dans cette affaire, l’intérêt de Mme Poitras divergeait de celui de la bande, représentée par son chef et son conseil.

 

[26]           En conséquence, il a accueilli la demande de la bande et a ordonné à AINC de ne pas communiquer à Mme Poitras les renseignements qu’elle avait demandés en vertu de la LAI.

 

E.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

            Première question : la norme de contrôle

[27]           Le présent appel soulève deux questions.  Tout d’abord, les renseignements peuvent-ils cesser d’être de « nature confidentielle » pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI lorsque la communication est demandée par une personne qui a droit aux renseignements en vertu d’un droit conféré par une autre loi?  Il s’agit d’une question d’interprétation des lois susceptible de révision en appel de la Cour fédérale selon la norme de la décision correcte.

 

[28]           La seconde doit être tranchée s’il est répondu par l’affirmative à la première. Elle se formule ainsi : la possibilité pour un membre d’examiner une copie du « rapport du vérificateur » en vertu de l’alinéa 8(2)a) du Règlement efface-t-elle la « nature confidentielle » des états financiers visés par le rapport, permettant ainsi leur communication à Mme Poitras sous le régime de la LAI?  Comme le juge Gibson ne s’est pas penché sur cette question, la présente Cour doit l’examiner de novo.

 

Deuxième question : les renseignements peuvent-ils être de « nature confidentielle » ausens de l’alinéa 20(1)b) de la LAI à l’égard de certains auteurs de demande alors qu’ils ne le sont pas pour d’autres?

 

[29]           AINC reconnaît que dans la plupart des cas, les états financiers consolidés de la Bande de Sawridge sont « de nature confidentielle » selon le critère établi dans Bande Montana.  Toutefois, les avocates soutiennent que, puisque l’alinéa 8(2)a) du Règlement exige que la bande place « un exemplaire [du rapport financier du vérificateur] » en un endroit bien en vue de la réserve pour que les membres puissent l’examiner, ce ne sont pas des renseignements de nature confidentielle à  l’égard de Mme Poitras.  Par conséquent, les avocates avancent que sa demande de communication de ceux-ci ne peut être rejetée en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

 

[30]           Pour l’examen de cet argument, je dois présumer que le droit  des membres de la bande à ce que le « rapport annuel [du vérificateur] » soit placé en des endroits bien en vue de la réserve comprend les états financiers visés par le rapport.  Je dois aussi tenir pour acquis que le droit des membres de la bande d’examiner les états financiers comprend aussi le droit de les lire et de les utiliser.  Je me penche plus loin sur le bien-fondé de ces prémisses.

 

[31]           La bande s’appuie sur Bande Montana pour affirmer que, même si Mme Poitras est membre de la bande, elle ne peut, en vertu de la LAI, obtenir les renseignements confidentiels fournis à AINC par la bande puisque ses intérêts divergent de ceux de la bande.  L’auteur de la demande dans Bande Montana était un journaliste qui, contrairement à Mme Poitras, ne pouvait examiner les documents autrement.  Le juge en chef adjoint Jerome a rejeté l’argument selon lequel les documents demandés n’étaient pas de nature confidentielle pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI parce que les membres de la Bande pouvaient les consulter.

 

[32]           Il a établi une distinction d’avec la décision DMR & Associates c. Ministre des Approvisionnement et Services (1984), 11 C.P.R. (3d) 87 (C.F. 1re inst.), où la cour conclu que les renseignements n’étaient pas de nature confidentielle puisqu’ils seraient communiqués aux compétiteurs du soumissionnaire retenu à une étape ultérieure du projet.  En revanche, même si les membres de la Bande disposaient du droit d’examiner les renseignements confidentiels de la Bande,

[l’]intimé n’a pas prouvé qu’il y aurait même une chance raisonnable que des personnes dont les intérêts sont divergents de ceux de la bande puissent consulter ces informations (à la page 156).

 

[33]           À mon avis, le juge opposait ici les membres de la bande aux non-membres.  Même si les membres ont la possibilité d’examiner les documents en raison de l’obligation de les afficher imposée à la bande, cette dernière peut - et elle l’a fait - interdire aux autres de les voir.  Il ne cherchait pas à affirmer que les membres de la bande qui n’étaient pas d’accord avec la politique du chef et du conseil n’avaient pas droit à la communication des renseignements financiers de la bande s’ils le demandent sous le régime de la LAI.  Les faits de cette affaire ne soulevaient pas cette question puisque le journaliste qui avait demandé les renseignements n’était pas membre de la bande.

 

[34]           Ainsi donc, l’arrêt Bande Montana ne s’applique pas en l’espèce.  Les documents demandés dans cette affaire étaient confidentiels à l’égard de l’auteure de la demande parce qu’elle n’y avait pas accès.  En effet, Bande Montana appuie l’affirmation selon laquelle la nature confidentielle pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI est un concept relatif : le fait que les membres de la bande pouvaient examiner les documents ne supprimait pas leur confidentialité à l’égard des autres personnes.  À l’inverse, même si pour l’application de l’alinéa 20(1)b), les renseignements financiers sont de nature confidentielle à l’égard de ceux qui ne sont pas membres de la bande, ils ne le sont pas pour les membres de la bande si leur droit d’examiner le « rapport annuel [du vérificateur] » en vertu de l’alinéa 8(2)a) du Règlement est aussi large que je l’ai présumé. 

 

[35]           Puisque l’identité de l’auteur d’une demande sous le régime de la LAI est normalement confidentielle, on peut soutenir que l’identité de l’auteur particulier d’une demande ne peut déterminer si les renseignements sont soustraits à la communication en vertu de l’alinéa 20(1)b).  Bien entendu, si l’identité de l’auteur de la demande n’est pas divulguée, il sera de façon générale impossible d’établir que des renseignements qui seraient autrement de nature confidentielle, ne le sont pas à l’égard de cette personne.

 

[36]           Dans la présente affaire par contre, Mme Poitras a consenti à ce que son identité soit communiquée à la Bande afin d’établir qu’elle en était membre.  Dans des circonstances aussi exceptionnelles, et suivant une interprétation large de la LAI jumelée à une interprétation stricte de ses exceptions, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas être tenu compte de l’identité de l’auteur de la demande pour déterminer si les renseignements sont de nature confidentielle à son égard.

 

[37]           Par conséquent, j’estime que le juge Gibson a commis une erreur de droit en concluant que l’arrêt Bande Montana permettait d’affirmer que Mme Poitras n’avait pas droit à la communication des renseignements financiers de la Bande en vertu de l’alinéa 20(1)b).

 

 

Troisième question : le droit des membres de la bande d’examiner le « rapport annuel du [vérificateur] » soustrait-il les états financiers de la Bande de Sawridge à la catégorie des renseignements financiers de nature confidentielle lorsque la communication est demandée par un membre de la bande?

 

[38]           À mon avis, pour déterminer si la décision d’AINC de communiquer à Mme Poitras les états financiers consolidés de la Bande pour l’exercice se terminant le 31 mars 2002 était correcte, il faut principalement s’en remettre à l’interprétation du paragraphe 8(2) du Règlement.  Celui-ci est reproduit ci-après par souci de commodité.

8. (2) Dans les sept jours qui suivent la date à laquelle le vérificateur termine son rapport annuel, un exemplaire dudit rapport doit être

a) placé en des endroits bien en vue de la réserve pour que les membres de la bande puissent l’examiner; et

b) remis au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

8. (2) A copy of the auditor's annual report shall, within seven days of its completion,

(a) be posted in conspicuous places on the Band Reserve for examination by members of the Band; and

 

(b) be supplied to the Minister of Indian Affairs and Northern Development.

 

[39]           En l’espèce, il faut déterminer si l’alinéa 8(2)a) accorde à Mme Poitras, en sa qualité de membre de la Bande de Sawridge, un droit suffisamment large à l’accès aux états financiers de la bande pour qu’ils ne soient plus « de nature confidentielle » pour l’appréciation de son droit à leur communication en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.  Deux questions se posent alors : le sens de l’expression « rapport annuel [du vérificateur] » et celui du mot « examen ».

 

(i) « rapport annuel [du vérificateur] »

[40]           Quels documents sont visés par l’expression « rapport annuel [du vérificateur] » au paragraphe 8(2) : uniquement la page intitulée « rapport du vérificateur », ou plutôt le rapport et les états financiers qui en font l’objet?  Selon moi, l’expression « rapport annuel [du vérificateur] » comprend le rapport du vérificateur lui-même et les états financiers concernés.

 

[41]           Le paragraphe 8(2) vise à fournir les renseignements nécessaires pour qu’AINC et les membres intéressés de la bande puissent procéder à un examen minutieux de la façon dont les revenus de la bande sont gérés, soulever des questions sur ceux-ci et utiliser ces renseignements pour veiller à ce que les problèmes soient résolus et à ce que des correctifs soient apportés au besoin.  Autrement dit, les dispositions visent à accroître la responsabilité des bandes envers leurs membres quant à la gestion de leurs finances.

 

[42]           Cet objet est aussi implicite à l’article 69 de la Loi sur les indiens.  Le paragraphe 69(1) autorise AINC à permettre à une bande de « contrôler, administrer et dépenser » son revenu, alors que le paragraphe 69(2), en vertu duquel le Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens a été pris, accorde au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements pour donner effet à cette permission.  Ainsi, la délégation à une bande du contrôle de son revenu s’accompagne du pouvoir du gouverneur en conseil de créer des mécanismes de reddition de compte pour l’exercice de ce contrôle par la bande.

 

[43]           La page affichée par la Bande, intitulée « Rapport du vérificateur », se limite à expliquer ce sur quoi porte la vérification et contient l’avis du vérificateur portant que les états financiers constituent une représentation honnête de la situation financière consolidée de la bande.  Or ce n’est là qu’une petite portion de ce que les membres ou AINC ont besoin de savoir pour pouvoir engager la responsabilité du chef et du conseil de la bande pour leur gestion des revenus de la bande.  Ce sont les états financiers eux-mêmes qui sont utiles pour ce faire.

 

[44]           De fait, la Bande de Sawridge semble interpréter la loi de la même façon puisque, comme je l’ai déjà souligné, elle a remis l’ensemble de ses états financiers consolidés à AINC conformément à l’obligation prévue à l’alinéa 8(2)b) de fournir à AINC « un exemplaire dudit rapport [du vérificateur] ».

 

[45]           Je conclus donc que l’obligation de placer « un exemplaire dudit rapport [du vérificateur] » en des endroits bien en vue de la réserve pour que les membres de la bande puissent l’examiner vise à la fois le « rapport annuel [du vérificateur] » et les états financiers qui font l’objet du rapport. Afin de protéger la nature confidentielle des états financiers à l’égard des non-membres, la bande peut par contre prendre des mesures pour veiller à ce les documents soient placés en des endroits de la réserve où l’accès est réservé aux membres.

 

(ii) « examiner »

[46]           La question suivante porte sur la portée du droit que l’alinéa 8(2)a) du Règlement confère aux membres de la Bande d’examiner les états financiers de la bande.  Il est évident que l’expression « examiner » les états financiers implique de les lire et de les assimiler.  Le fait que les états financiers doivent être placés en des endroits bien en vue pour que les membres de puissent les examiner laisse croire que les membres n’ont pas besoin d’obtenir de permission pour les lire.

 

[47]           Une interprétation téléologique de l’alinéa 8(2)a) du Règlement et de sa disposition habilitante, le paragraphe 69(2) de la Loi sur les Indiens, permet aussi d’inférer que le droit des membres d’examiner les états financiers doit aussi comprendre le droit de les utiliser pour engager la responsabilité du chef et du conseil de la bande pour leur gestion des finances de la Bande.

 

[48]           La Politique de divulgation financière de la bande est incompatible avec les droits des membres prévus à l’alinéa 8(2)a) à au mois deux égards.  Tout d’abord, elle oblige les membres de la bande à signer une entente de confidentialité avant qu’ils puissent consulter les états financiers de la bande.  Ensuite, à moins d’obtenir le consentement préalable de la Bande, il est interdit aux membres qui les ont lus d’en discuter ou de les divulguer à quiconque, sauf à des membres qui ont aussi signé l’entente de confidentialité.

 

[49]           Que la Politique ait été dûment adoptée à titre de règlement administratif par le conseil de bande ou non, elle ne peut être légitimement appliquée aux membres de la bande en contravention des droits qui, selon mes conclusions, leur sont conférés à l’alinéa 8(2)a).  Selon le paragraphe 81(1) de la Loi sur les indiens, les règlements administratifs pris par un conseil de bande ne peuvent être « incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre ».

 

[50]           En vertu de l’alinéa 8(2)a), les membres de la Bande ont le droit de lire et d’assimiler les états financiers de la bande à laquelle ils appartiennent et de les utiliser pour rendre le chef et le conseil de la bande redevables de la gestion des revenus de la bande.  Par conséquent, les états financiers consolidés de la Bande de Sawridge pour l’exercice se terminant le 31 mars 2002 ne sont pas « de nature confidentielle » pour l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI, lorsque l’auteur de la demande est un membre de la bande.  AINC a donc conclu à bon droit qu’elle ne pouvait rejeter la demande de communication de ceux-ci présentée par Mme Poitras.

 

F.        CONCLUSIONS

[51]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens devant la présente Cour et la Cour fédérale, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale et je rejetterais la demande de la bande.

 

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-12-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE GIBSON RENDU LE 23 NOVEMBRE 2007, No T-2194-03)

 

INTITULÉ :                                                                           LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN c.

                                                                                                LA BANDE DE SAWRIDGE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 12 MAI 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                                LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 12 AOÛT 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Gail Sinclair

Corole Lindsay

POUR L’APPELANT

 

 

Philip Healey

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANT

 

 

Aird and Berlis LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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