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Date : 20090421

Dossier : A-518-08

Référence : 2009 CAF 122

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

GABRIEL RICHARD

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 avril 2009.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 21 avril 2009.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                              PAR LA COUR

 


Date : 20090421

Dossier : A-518-08

Référence : 2009 CAF 122

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

GABRIEL RICHARD

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 21 avril 2009)

PAR LA COUR

 

[1]               Le juge-arbitre (CUB 70980) a-t-il erré en droit dans l’interprétation du sous-alinéa 29c)(vi) et de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi).

 

[2]               L’effet combiné de ces articles est d’exclure du bénéfice des prestations de chômage le travailleur qui, sans justification, quitte volontairement un emploi. Toutefois, l’exclusion ne joue pas si le travailleur, depuis qu’il a quitté son emploi, a exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis pour recevoir des prestations de chômage.

 

[3]               Se posent donc pour résolution par cette Cour les questions de savoir si, dans les circonstances, le défendeur était fondé à quitter son emploi et si l’exclusion du bénéfice des prestations de chômage s’applique dans son cas. Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent ainsi :

 

29. Pour l’application des articles 30 à 33 :

 

a) « emploi » s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;

 

[…]

 

c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

 

[…]

 

(vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,

 

[…]

 

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

 

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

 

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

 

29. For the purposes of sections 30 to 33,

 

(a) “employment” refers to any employment of the claimant within their qualifying period or their benefit period;

 

 

 

(c) just cause for voluntarily leaving an employment or taking leave from an employment exists if the claimant had no reasonable alternative to leaving or taking leave, having regard to all the circumstances, including any of the following:

 

 

(vi) reasonable assurance of another employment in the immediate future,

 

 

30. (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

 

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

 

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

 

                                                                                                                                        (Je souligne)

 

[4]               On voit à la lecture de ces dispositions qu’un travailleur est bien fondé à quitter son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas en tenant compte, entre autres circonstances, du fait qu’il détient l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

 

La décision du conseil arbitral

 

[5]               En l’espèce, le conseil arbitral a infirmé la détermination de la Commission. Dans une décision aussi laconique qu’erronée, il a conclu que le défendeur était justifié de quitter son emploi pour aller occuper un emploi saisonnier dans un autre domaine où il pouvait améliorer sa situation financière.

 

[6]               Le défendeur occupait un emploi à temps partiel de pompiste lui méritant de 15 à 20 heures de travail par semaine. Il était rémunéré au taux de 8 $ l’heure. Il a déménagé de la Gaspésie à Québec où il a travaillé chez Maçonnerie Richard et Plante Inc. (Maçonnerie) afin d’obtenir ses cartes d’apprenti-maçon. À cet endroit, il a travaillé du 8 octobre au 23 novembre 2007.

 

[7]               Au moment où le défendeur a quitté son emploi en Gaspésie le 15 septembre 2007, la Maçonnerie lui garantissait 150 heures de travail au taux de 18,60 $ l’heure. Pendant sa période de travail dans son nouvel emploi, il a accumulé 184 heures d’emploi assurables.

 

[8]               Le défendeur a quitté son emploi antérieur pour venir à Québec parce que la Commission de la construction du Québec (CCQ) avait ouvert, pour une période restreinte, des postes d’apprenti-maçon, permettant à ceux qui se qualifieraient de pouvoir obtenir par la suite une carte de compétence reconnue par la CCQ.

 

[9]               Ce sont là les faits qui ont présidé à la décision du conseil arbitral.

 

La décision du juge-arbitre

 

[10]           Le juge-arbitre s’est référé à la décision de notre Cour dans l’affaire Procureur général du Canada c. Langlois, 2008 CAF 18, étant donné la similitude des deux instances au niveau des faits. Dans cette affaire comme dans le cas présent, le travailleur a laissé un emploi permanent pour accepter un autre emploi permanent plus rémunérateur, mais saisonnier.

 

[11]           Le juge-arbitre a vu dans les questions en litige une simple question d’appréciation de la preuve : voir la page 6 des motifs de sa décision. Il a appliqué la jurisprudence énonçant que le conseil arbitral est maître des faits et qu’il ne peut substituer son opinion à celle du conseil, sauf si la décision du conseil apparaît avoir été prise d’une façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance : ibidem.

 

[12]           Enfin, à la page 7 de ses motifs, il s’est dit d’avis que la décision du conseil arbitral était entièrement compatible avec la décision de notre Cour dans l’arrêt Langlois, précité, en ce qui a trait à la « question de la justification dans des circonstances telles celles du prestataire dans ce dossier ». Il a maintenu la décision du conseil arbitral.

 

Analyse de la décision du conseil arbitral et du juge-arbitre

 

a)         Le désir d’améliorer son sort financièrement

 

[13]           Le conseil arbitral s’est mépris lorsqu’il a accepté comme justification du fait de quitter volontairement un emploi le désir d’un travailleur d’améliorer son sort financièrement.

 

[14]           La jurisprudence est pourtant claire sur la question et le demandeur se plaint qu’elle ne soit pas suivie. Combien de fois faudra-t-il le répéter pour que les juges-arbitres le comprennent et le juge-arbitre en chef s’assure qu’ils l’ont compris? Si noble et si légitime que soit le désir d’un travailleur d’améliorer son sort, ce désir ne constitue pas, aux fins des articles 29 et 30 de la Loi, une justification légale de quitter volontairement son emploi. Dans l’affaire Langlois précitée, cette Cour écrivait au paragraphe 31 des motifs de la décision :

 

 

 

[31]     S’il est légitime pour un travailleur de vouloir améliorer son sort en changeant d’employeur ou la nature de son travail, il ne peut faire supporter le coût de cette légitimité par ceux et celles qui contribuent à la caisse de l’assurance-emploi. Cela est vrai autant pour ceux qui décident de retourner aux études pour parfaire leur formation ou de partir en entreprise que pour ceux qui sont simplement désireux d’accroître leur rémunération : voir Canada (Procureur général) c. Tremblay (C.A.F.), [1994] A.C.F. no. 896; Astronomo c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no. 1025; Canada (Procureure générale) c. Martel (C.A.F.), [1994] A.C.F. no. 1458. Reprenant les termes utilisés par cette Cour dans l’arrêt Campeau, précité, au paragraphe 21, « la bonne foi et l’insuffisance du revenu ne constituent pas une justification au sens de l’article 30 autorisant [un prestataire] à abandonner son emploi et à en faire supporter le coût au système d’assurance-emploi ».

 

 

[15]           La décision du juge-arbitre Stevenson dans l’affaire Tilbury (CUB 66322), sur laquelle le conseil arbitral s’est fondé dans la présente affaire, doit être décriée. Par son refus ou son omission de suivre la jurisprudence en la matière, cette décision induit en erreur les conseils arbitraux en plus de créer des attentes illégitimes chez les demandeurs de prestations et de leur occasionner des frais en révision judiciaire.

 

[16]           Le juge-arbitre aurait dû intervenir pour sanctionner cette erreur de droit du conseil arbitral : voir Procureur général du Canada c. Sacrey, 2003 CAF 377 aux paragraphes 6, 11 et 12 où il est dit que l’interprétation du terme « justification » au sens du paragraphe 30(1) constitue une question de droit, son application une question mixte de fait et de droit; Procureur général du Canada c. Campeau, 2006 CAF 376, au paragraphe 17.

 

 

 

 

b)         Le défendeur avait-il l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat qui le justifiait de quitter son emploi antérieur?

 

 

[17]           Avec respect, le juge-arbitre a mal interprété la décision de notre Cour dans l’affaire Langlois, ce qui l’a conduit à en faire une application erronée aux faits du présent litige.

 

[18]           Le seul fait pour le défendeur de quitter son emploi antérieur pour un emploi saisonnier débouchant inévitablement sur une période de chômage ne l’excluait pas nécessairement du bénéfice des prestations : Procureur général du Canada c. Langlois, précité, au paragraphe 29.

 

[19]           Mais l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat doit s’apprécier en fonction de toutes les circonstances qui entourent le départ du prestataire, comme nous y convie l’alinéa 29c) de la Loi, afin de déterminer si ce départ constitue la seule solution raisonnable. Sur ce point, notre Cour a décrit en ces termes, aux paragraphes 33 et 34 de l’arrêt Langlois, les circonstances les plus importantes à considérer lorsque le départ s’effectue vers un emploi saisonnier :

 

[33]     À mon sens, dans le cas d’un emploi saisonnier, le moment du départ volontaire et la durée restante de l’emploi saisonnier sont les circonstances les plus importantes à considérer pour déterminer si le départ était une solution raisonnable et donc justifiée.

 

[34]     Un départ tardif vers l’emploi saisonnier, alors que la saison s’achève et qu’il est évident que l’employé ne pourra rencontrer les exigences de l’article 30, crée une certitude injustifiée de chômage. Il est toujours loisible à l’employé de quitter l’emploi qu’il occupait auparavant, mais il doit alors assumer seul les risques de son départ. Qu’en est-il dans le cas qui nous occupe?

 

 

 

 

[20]           Au moment où le défendeur a quitté son emploi, il était évident qu’il ne pourrait se qualifier en vertu de l’article 30 pour le bénéfice de prestations au terme de son nouvel emploi saisonnier puisqu’il n’avait qu’une garantie de travail de 150 heures alors qu’il devait en accumuler 840 dans ce nouvel emploi. En outre, il était également de connaissance du défendeur que le travail se faisait rare à cette période de l’année. De fait, l’emploi s’est terminé le 23 novembre et n’a duré que six semaines.

 

[21]           Dans les circonstances, le départ volontaire n’était pas justifié au sens du sous-alinéa 29c)(vi) et de l’article 30 de la Loi.

 

Conclusion

 

[22]           Il n’y a pas de doute que l’exclusion de l’article 30 de la Loi s’avère punitive pour le défendeur du fait qu’il ne peut cumuler les heures assurables acquises dans son ancien emploi avec celles obtenues du nouvel emploi. Mais c’est le choix que le législateur a fait. Et, bien que le cas du défendeur soit sympathique, nous nous devons d’appliquer la Loi.

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans frais, le défendeur ne l’ayant pas contestée. La décision du juge-arbitre (CUB 70980) sera annulée et l’affaire retournée au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre qu’il désignera pour qu’elle soit à nouveau décidée en tenant pour acquis que le défendeur n’était pas justifié de quitter son emploi chez la Cie 9058-0697 Québec Inc. et qu’il n’avait pas accumulé le minimum d’heures d’emploi assurables pour avoir droit au bénéfice des prestations.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 


 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                   A-518-08

 

 

INTITULÉ :                                                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

                                                                                       CANADA c. GABRIEL RICHARD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                            Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                          Le 21 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :              LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                       LE JUGE PELLETIER

                                                                                       LA JUGE TRUDEL

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :                               PAR LA COUR

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pauline Leroux

POUR LE DEMANDEUR

 

(M. Gabriel Richard se représentant

lui-même n’a pas comparu)

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

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