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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20091002

Dossier : A-32-09

Référence : 2009 CAF 283

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SHERRI BENEDETTI

défenderesse

 

 

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er octobre 2009

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                                  LE JUGE RYER

 


 

Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

 

 

Date : 20091002

Dossier : A-32-09

Référence : 2009 CAF 283

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SHERRI BENEDETTI

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE SEXTON

I. Les faits

[1]               La défenderesse, Mme Benedetti, a travaillé comme aide à domicile dans l’arrondissement scolaire no 73 de la Colombie-Britannique du 6 septembre 2004 au 5 octobre 2006. Mme Benedetti n’a pas pu reprendre le travail le 7 octobre 2005 en raison d’une grève déclenchée par des membres de la fédération des enseignants de la province.

[2]               À l’automne 2005, la convention collective signée entre la fédération des enseignants et l’employeur, la British Columbia Public School Employers’ Association (BCPSEA), était expirée. Des négociations en vue de la conclusion d’une nouvelle convention étaient en cours. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a alors déposé un projet de la loi visant à prolonger le contrat expiré. En réponse à cette mesure législative, des membres de la fédération des enseignants et du Syndicat canadien de la fonction publique (le SCFP), lequel représentait les aides à domicile, ont déclenché un arrêt de travail. Mme Benedetti était membre du SCFP.

[3]               À la suite de son arrêt de travail, Mme Benedetti a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-chômage du Canada (la Commission) a refusé de lui verser des prestations pour la période du 7 au 21 octobre 2005, estimant qu’elle n’avait pu reprendre le travail en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, et qu’elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations pendant l’arrêt de travail aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

II. Décisions des tribunaux inférieurs

[4]               Mme Benedetti a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral. Après avoir analysé la preuve, le conseil arbitral a conclu que l’arrêt de travail qui avait empêché Mme Benedetti de travailler n’était pas dû à un conflit collectif mais plutôt à une protestation de nature politique. Il a par conséquent accueilli l’appel.

[5]               Le demandeur a alors interjeté appel de la décision du conseil arbitral devant un juge‑arbitre. Le juge-arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral et a rejeté l’appel, statuant que lorsque la fédération des enseignants avait décidé de débrayer, les négociations entre la fédération et l’employeur, la BCPSEA, étaient toujours en cours. Le juge‑arbitre a par conséquent déclaré que « [c]ette mesure résulte clairement de l’intervention du gouvernement, qui a imposé par voie législative un règlement au conflit opposant les enseignants et leur employeur ». Le juge-arbitre a estimé que la décision du conseil arbitral était raisonnable.

III. Questions en litige

[6]               Le demandeur affirme que le juge-arbitre a commis une erreur en confirmant la décision par laquelle le conseil arbitral avait conclu que le conflit à l’origine de l’arrêt de travail survenu entre le 7 octobre 2005 et le 21 octobre 2005 n’était pas un conflit collectif au sens de la Loi.

IV. Dispositions législatives applicables

[7]               La disposition portant exclusion du bénéfice des prestations qui nous intéresse en l’espèce se trouve au paragraphe 36(1) de la Loi :

Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant :

a) soit la fin de l’arrêt de travail;

b) soit, s’il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable.

 

Subject to the regulations, if a claimant loses an employment, or is unable to resume an employment, because of a work stoppage attributable to a labour dispute at the factory, workshop or other premises at which the claimant was employed, the claimant is not entitled to receive benefits until the earlier of

(a) the end of the work stoppage, and

(b) the day on which the claimant becomes regularly engaged elsewhere in insurable employment.

 

[8]               L’article 2 de la Loi définit comme suit l’expression « conflit collectif » :

« conflit collectif » Conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées.

“labour dispute” means a dispute between employers and employees, or between employees and employees, that is connected with the employment or non-employment, or the terms or conditions of employment, of any persons.

 

La Loi ne définit pas le mot « conflit » (“dispute”).

V. Analyse

A. Norme de contrôle

[9]               Le demandeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis. La question de savoir si l’arrêt de travail était dû à un conflit collectif est une question mixte de fait et de droit puisque la réponse dépend de l’application des faits de l’espèce à l’expression juridique « conflit collectif ». Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême explique que « lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement » (au paragraphe 52).

[10]           La Cour suprême a également déclaré que, pour déterminer la norme de contrôle applicable dans le cas d’un tribunal administratif, la cour de révision doit d’abord vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence applicable (au paragraphe 62). Il n’y a pas de décision postérieure à l’arrêt Dunsmuir qui porte précisément sur la question qui nous intéresse en l’espèce, mais il existe des décisions antérieures pertinentes. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Stillo, 2002 CAF 346, [2002] 296 N.R. 209, notre Cour a estimé que « [l]a question de savoir si l’arrêt de travail était rattaché à un conflit collectif défini dans la Loi sur l’assurance-emploi est une question mixte de fait et de droit qui entraînera l’intervention de la Cour seulement s’il en a été décidé de façon déraisonnable ».

B. La preuve

[11]           Suivant la preuve qui a été présentée en l’espèce :

a)         Mme Benedetti n’était pas membre de la fédération des enseignants et elle n’était pas une enseignante. Elle était une aide à domicile et elle était membre du SCFP, lequel a décidé de manifester contre la décision du gouvernement provincial de contraindre par voie législative les enseignants à reprendre le travail;

b)         Mme Benedetti n’a pas participé à la ligne de piquetage érigée par les enseignants; elle a d’ailleurs essayé d’aller travailler, mais elle n’a pu le faire en raison de la ligne de piquetage;

c)         il y avait des négociations en cours entre les enseignants et leur employeur et le contrat des enseignants avait été prolongé en vertu de la loi adoptée par le gouvernement de la Colombie-Britannique;

d)         la fédération des enseignants a décidé d’appeler ses membres à la grève en réaction à la décision du gouvernement de mettre fin aux négociations par voie législative.

[12]           Il était loisible au conseil arbitral d’accepter ou de rejeter ces éléments de preuve. Le juge‑arbitre a estimé que la décision du conseil arbitral était « entièrement compatible avec la preuve qui lui a été présentée » et que « la décision du conseil est fondée sur la preuve qui lui a été présentée. »

C. La décision du juge-arbitre était-elle raisonnable?

[13]           Est raisonnable la décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Je conclus que la décision du juge-arbitre répond à ce critère et qu’elle est par conséquent raisonnable.

[14]           Le demandeur renvoie la Cour à une décision qui, affirme-t-il, permet de conclure que le conseil arbitral et le juge-arbitre ont commis une erreur dans leur application du droit aux faits. Dans l’affaire British Columbia Teachers’ Federation c. British Columbia (Attorney General), 2003 BCSC 534, [2003] 90 C.L.R.B.R. (2d) 306, des membres de la fédération des enseignants avaient débrayé pour prendre part à une manifestation organisée contre l’Education Services Agreement Act, S.B.C. 2002, ch. 1. La BCPSEA avait présenté une demande à la commission des relations de travail en vue de faire déclarer que la manifestation contrevenait à l’article 57 du Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, ch. 244, qui prévoit qu’il [traduction] « est interdit à tout employé lié par une convention collective […] de participer à une grève tant que la convention collective est en vigueur ».

[15]           Cette affaire n’est d’aucun secours pour le demandeur parce que la question en litige était celle de savoir qui, de la Cour ou de la commission, était le mieux placé pour statuer sur l’affaire. Cette décision ne visait nullement à interpréter même le Labour Relations Code de la Colombie‑Britannique, et encore moins la Loi sur l’assurance-emploi fédérale.

[16]           Le demandeur cite également la décision André Bonneau et autres (21 octobre 1994), CUB 30448. Dans cette affaire, un certain nombre de syndicats québécois de l’industrie de la construction avaient déclenché un mouvement de contestation à l’occasion duquel les travailleurs concernés avaient débrayé. La contestation faisait suite à un projet de loi qui prévoyait la déréglementation du secteur de la construction résidentielle, la modification de la structure de négociation et une prolongation d’un an de la convention collective. Le conseil arbitral a conclu, eu égard aux faits, que cet arrêt de travail ne découlait pas d’un conflit collectif. Le juge-arbitre a infirmé cette décision après l’avoir examinée selon la norme de la décision correcte.

[17]           Cette affaire n’aide pas non plus la cause du demandeur. En premier lieu, cette affaire était, tout comme la présente, en grande partie axée sur les faits. En second lieu, comme nous l’avons déjà expliqué, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et non celle de la décision correcte.

[18]           En fin de compte, le demandeur s’en remet presque exclusivement à des précédents pour étayer sa thèse. J’ai toutefois expliqué en quoi les affaires qu’il cite se distinguent de la présente espèce. La jurisprudence est par ailleurs de façon générale peu utile pour Mme Benedetti étant donné que l’issue de l’affaire dépend de la décision qui est prise en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi, laquelle décision a un fort contenu factuel. Pour répondre à la question de savoir si le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’arrêt de travail était dû à un conflit collectif, il faut impérativement se fonder sur une appréciation de l’ensemble de la preuve et appliquer cette appréciation à la loi. On a affaire en l’espèce à un cas classique de question mixte de fait et de droit. Je tiens par ailleurs à souligner que c’est à la Commission qu’il incombe de démontrer que Mme Benedetti n’est pas admissible à des prestations.

[19]           En l’espèce, notre Cour est séparée des conclusions de fait originales par deux décisions. Le conseil arbitral et le juge-arbitre ont tous les deux estimé que la Commission n’avait pas établi l’existence de motifs légitimes permettant de conclure que Mme Benedetti n’était pas admissible au bénéfice des prestations. Je suis d’avis que notre Cour n’est pas en mesure de réexaminer la preuve présentée au conseil arbitral, pas plus qu’elle n’est en mesure de dire que la décision du conseil arbitral et celle du juge-arbitre n’étaient pas raisonnables.

VI. Dispositif

[20]           Je suis par conséquent d’avis de rejeter la demande.

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


 

 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-32-09

 

INTITULÉ :                                                               Procureur général du Canada c. Sherri Benedetti

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 1er octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LA JUGE SHARLOW

                                                                                    LE JUGE RYER

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 2 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tania Nolet

POUR LE DEMANDEUR

 

Sherri Benedetti

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

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