Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20091016

Dossier : A‑76‑09

Référence : 2009 CAF 296

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JOHN WILLIAM GREEY

défendeur

 

 

 

Audience tenue à St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 16 septembre 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

LE JUGE RYER

 


 

Date : 20091016

Dossier : A‑76‑09

Référence : 2009 CAF 296

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JOHN WILLIAM GREEY

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision CUB 71639 par laquelle le juge‑arbitre David G. Riche (le juge‑arbitre) a, le 2 décembre 2008, rejeté l’appel interjeté par la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) à l’encontre d’une décision du conseil arbitral.

 

[2]               Encore une fois, la Cour est appelée à se prononcer sur le terme « emploi » dans le contexte de la justification du départ; cette fois‑ci, il s’agit d’une personne qui quitte un emploi rémunéré à temps plein pour accepter un poste bénévole non rémunéré.

 

[3]               Le sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’assurance‑emploi (L.C. 1996, ch. 23) (la Loi) est libellé comme suit :

Loi sur l’assurance‑emploi (L.C. 1996, ch. 23)

 

29. Pour l’application des articles 30 à 33 :

 

[…]

 

c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci‑après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

 

[…]

 

(vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

Employment Insurance Act (S.C. 1996, c. 23)

 

29. For the purposes of sections 30 to 33,

 

 

 

(c) just cause for voluntarily leaving an employment or taking leave from an employment exists if the claimant had no reasonable alternative to leaving or taking leave, having regard to all the circumstances, including any of the following:

 

 

(vi) reasonable assurance of another employment in the immediate future,

 

 

(emphasis added)

 

 

[4]               Selon les parties, il s’agit de trancher si le poste bénévole accepté par M. Greey constituait un « emploi » au sens de la Loi et, le cas échéant, si, compte tenu de toutes les circonstances, ce poste satisfaisait au critère fondamental de constituer « la seule solution raisonnable » au sens de l’article 29 de la Loi.

 

[5]               Pour les motifs exposés ci‑après, j’accueillerais la présente demande de contrôle judiciaire sans frais, concluant que le travail effectué par M. Greey ne constituait pas un emploi.

 

Les faits pertinents

 

[6]               D’après les antécédents professionnels dont a fait état M. Greey, celui‑ci a travaillé à temps plein dans un café Tim Hortons à Terre‑Neuve de 2005 au 14 avril 2006. Au cours de la même période, il a également travaillé à temps partiel dans un supermarché Sobeys. Bien que ces emplois lui permettaient de subvenir à ses besoins, ils ne contribuaient aucunement à l’atteinte de son objectif professionnel, soit de devenir un pilote de l’aviation commerciale. M. Greey, qui détenait déjà sa licence de pilote professionnel (contrairement à l’affirmation du juge‑arbitre à la page 2 de ses motifs), devait accumuler des heures de vol dans son carnet de vol pilote, ce qui lui permettrait un jour d’être embauché par une compagnie aérienne commerciale.

 

[7]               Ainsi, en avril 2006, M. Greey a quitté son emploi chez Tim Hortons à Terre‑Neuve et a déménagé en Ontario où, durant les fins de semaine de mai à août 2006, il a fourni ses services à Skydive Toronto Inc. (Skydive) sans recevoir de rémunération.

 

[8]               M. Greey était connu chez Skydive, où il avait réussi en 2005 un cours de pilotage-avion largueur de parachutistes, après avoir décroché un diplôme en technologie aéronautique au Moncton Flight College. Pendant l’été de 2005, il avait également piloté des avions pour Skydive à titre de pilote débutant.

 

[9]               À la même période, M. Greey a aussi trouvé le moyen d’obtenir un transfert à un supermarché Sobeys en Ontario, où il a travaillé à temps partiel. Toutefois, il n’a pas demandé de transfert à un café Tim Hortons dans cette province a) parce qu’il était plus difficile d’obtenir un tel transfert étant donné que ces commerces sont des franchises, mais surtout b) parce qu’il n’aimait pas le travail.

 

[10]           Au terme de l’été de 2006, M. Greey a accepté un poste au Moncton Flight College au Nouveau‑Brunswick, où il a travaillé d’octobre 2006 au 26 décembre 2006. Il a ensuite présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi (prestations).

 

Historique des procédures

 

[11]           Dans le cadre des premières procédures, la Commission et le conseil arbitral ont conclu que M. Greey n’avait pas droit aux prestations parce qu’il avait quitté son emploi chez Tim Hortons volontairement et sans justification, si bien qu’il ne pouvait pas se servir des heures consacrées à cet emploi pour établir une période de prestations. Par conséquent, M. Greey ne comptait pas assez d’heures d’emploi assurable.

 

[12]            M. Greey a interjeté appel. Le juge‑arbitre Teitelbaum, dans la décision CUB 69882, a annulé la décision du conseil arbitral et renvoyé l’affaire devant un conseil arbitral constitué de membres différents, en précisant qu’il faudrait se pencher sur l’argument du prestataire selon lequel son poste non rémunéré chez Skydive constituait un emploi.

 

[13]           S’attelant à la tâche, le deuxième conseil arbitral a pour sa part conclu que M. Greey était fondé à quitter son emploi chez Tim Hortons et qu’il avait droit aux prestations. La Couronne a interjeté appel de la décision du deuxième conseil arbitral auprès d’un juge‑arbitre. Cet appel a été rejeté par le juge‑arbitre Riche, qui a confirmé la décision du deuxième conseil arbitral (décision CUB 71639), entraînant la présente demande de contrôle judiciaire déposée par la Couronne.

 

Les positions des parties

 

[14]           Invoquant l’arrêt de notre Cour Bérubé c. Canada (Emploi et Immigration) (C.A.F.), [1990] A.C.F. no 137 [Bérubé], la Couronne soutient que le juge‑arbitre a omis de prendre en considération l’argument selon lequel un prestataire qui offre ses services gratuitement n’effectue pas un travail au sens de la disposition applicable. Par conséquent, [traduction] « il y a un emploi uniquement si la personne s’attend à tirer un avantage financier de l’activité en question » (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 35).

 

[15]           Subsidiairement, la Couronne soutient que le juge‑arbitre a aussi omis de recourir au critère juridique approprié quand il a examiné la justification mise de l’avant par le défendeur pour avoir quitté son emploi. Le juge‑arbitre n’a pas tenu compte du critère de « la seule solution raisonnable » et de l’esprit général de la Loi (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 43).

 

[16]           M. Greey n’a pas présenté d’avis de comparution, ni de mémoire des faits et du droit. Bien qu’il ait eu amplement la possibilité de présenter des observations écrites et orales dans la présente affaire, il ne l’a pas fait, sauf d’une façon irrégulière en envoyant une lettre avant la tenue de l’audience. Le tribunal a pu évaluer la position de M. Greey grâce à cette lettre et aux propos de son père, qui a été autorisé à prendre la parole pour le compte de M. Greey à l’audience. Une autre demande de M. Greey, qui souhaitait soumettre des observations après l’audience, a été rejetée.

 

[17]           En bref, la position de M. Greey est que le poste chez Skydive était un emploi aux termes de la Loi. Le propriétaire de Skydive était le propriétaire des avions et il fixait l’horaire de travail, assignait les tâches, établissait les critères de sélection des pilotes, exigeait des références et congédiait les pilotes s’ils étaient impolis avec les clients, manquaient d’assiduité ou se comportaient de manière imprudente. De l’avis de M. Greey, aucun [traduction] « autre emploi rémunéré à temps plein n’était le moindrement comparable à celui de Skydive Toronto sur le plan financier, ni ne pouvait offrir une expérience de travail dans le domaine choisi par M. Greey, soit l’aviation commerciale » (lettre du défendeur à la Cour, en date du 14 août 2009). Par conséquent, il satisfait au critère de « la seule solution raisonnable ».

 

La norme de contrôle judiciaire

 

[18]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Campeau, 2006 CAF 376, citant l’arrêt Tanguay c. Canada (Commission d’assurance‑chômage), [1985] A.C.F. no 910, notre Cour a conclu, au paragraphe 17, que la décision concernant ce qui constitue une justification est une question de droit. Je suis d’avis que la portée et le sens du terme « emploi » dans le contexte de la disposition sur la justification sont des questions d’interprétation législative, qui est une question de droit. La Cour a déjà statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge‑arbitre relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte (Martens c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 240).

 

[19]           Par conséquent, la décision rendue sur la question de savoir si le juge‑arbitre s’était posé la bonne question juridique devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Toutefois, l’application correcte du critère juridique est une question mixte de fait et de droit qui devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable (ibid., au paragraphe 31).

 

[20]           Après un examen approfondi des motifs du juge‑arbitre, je conclus qu’il faut infirmer sa décision parce qu’elle repose sur une erreur de droit, soit une interprétation erronée du terme « emploi » à l’article 29 de la Loi.

 

Analyse

 

[21]           Le poste chez Skydive devrait‑il être considéré comme étant un « emploi »? Non. La réponse à cette question permet de trancher la présente demande. Par conséquent, il ne sera pas nécessaire d’examiner la question se rapportant au critère de « la seule solution raisonnable ».

 

[22]           Selon la définition au paragraphe 2(1) de la Loi, « emploi » signifie : « Le fait d’employer ou l’état d’employé ». Bien que ce soit évident, pour les besoins de la présente demande, il est utile de noter que le mot « ou » n’est pas utilisé ici pour présenter les deux termes d’une alternative puisque l’état d’employé découle nécessairement du fait d’employer. Il faut un accord mutuel pour établir un contrat d’emploi dans le cadre duquel l’employeur versera une rémunération à l’employé en échange de ses services.

 

[23]           Dans la présente affaire, Skydive affirme clairement que M. Greey n’était pas un employé (se reporter au dossier du demandeur, aux pages 81 et 93). Évidemment, cette affirmation à elle seule ne suffit pas à qualifier la relation entre Skydive et M. Greey. Pour des motifs qu’il n’est pas nécessaire d’exposer ici, un employeur pourrait trouver avantageux de nier qu’il a embauché quelqu’un.

 

[24]           Comme je l’ai signalé précédemment, M. Greey a soutenu dans sa lettre qu’il était un employé de Skydive parce que cette dernière était la propriétaire des avions et fixait l’horaire des activités de M. Greey tout en exigeant un service de qualité pour sa clientèle. J’admets que des éléments tels que la propriété du matériel et le degré de contrôle exercé peuvent s’avérer utiles pour rendre une décision sur la nature de la relation entre Skydive et M. Greey.

 

[25]           Toutefois, « [i]l est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » (non souligné dans l’original) (voir Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553, au paragraphe 15).

 

[26]           Dans son explication de sa relation de travail avec Skydive, M. Greey a écrit qu’il [traduction] « troquait ses heures contre des heures de vol gratuites », ce qui lui a permis de tirer un [traduction] « bénéfice immédiat non en espèces d’une valeur de plus de 14 000 dollars » (lettre du défendeur en date du 14 août 2009, à la page 3).

 

[27]           Il a soutenu que, selon le Guide de la détermination de l’admissibilité (le Guide), au chapitre 5 consacré à la « Rémunération » (Ottawa : Ressources humaines et Développement social Canada, http://www.servicecanada.gc.ca/fra/ae/guide/chp5.shtml), il est reconnu qu’une entente de troc peut constituer un emploi.

 

[28]           Le Guide est un manuel d’interprétation qui ne lie pas la Cour (voir Canada (Procureur général) c. Savard (C.A.F.), 2006 CAF 327, [2007] 2 R.C.F. 429, aux paragraphes 18 et 28), mais j’admets qu’il faut en tenir compte et qu’il peut constituer un facteur important dans l’interprétation des lois (voir Silicon Graphics Ltd. c. Canada (C.A.), 2002 CAF 260, [2003] 1 C.F. 447).

 

[29]           À la section 5.3.1.1 du Guide, on définit une entente de troc comme suit :

 

Il est jugé qu’une entente de troc, dans le cadre de laquelle des personnes conviennent d’échanger des services, donne lieu à un emploi, étant donné que l’une d’elle [sic] fournit des services à l’autre. Dans cette mesure, les deux parties s’attendent à recevoir des services et un paiement qui prend la forme de services qui leur seront fournis.

 

[30]           Dans la présente affaire, je ne vois pas comment cette définition pourrait favoriser la position de M. Greey. Il n’y avait aucun élément de preuve au dossier qui aurait permis au juge‑arbitre de conclure qu’il existait une entente d’échange de services entre M. Greey et Skydive.

 

[31]           Même si M. Greey avait réussi à démontrer que l’autre partie s’attendait à recevoir des services de sa part, il est clair que M. Greey ne s’attendait pas à un paiement qui prendrait la forme de services qui lui seraient fournis par Skydive. Le bénéfice que M. Greey prétend avoir tiré, soit des heures de vol gratuites et l’accumulation de ces heures de vol, ne constituait pas un service offert par Skydive en contrepartie des services offerts par M. Greey à Skydive. Dans une situation de troc, bien qu’aucune somme d’argent ne soit échangée pour les services rendus, la valeur des services échangés peut être considérée comme étant un revenu non en espèces découlant d’un emploi. Mais dans la présente affaire, il n’y a pas eu d’échange de services.

 

[32]           Au chapitre V du Guide, il y a également une section consacrée au bénévolat. À la section 5.3.2.1, on signale que « le bénévolat désigne généralement le travail exécuté sans attendre en échange de récompense monétaire » (dossier du demandeur, à la page 114). Lorsque le bénévole reçoit ou s’attend à recevoir une rémunération ou des avantages matériels, il ne s’agit plus d’un travail bénévole, mais d’un emploi.

 

[33]           Par conséquent, la thèse de M. Greey fondée sur le Guide doit être rejetée si l’existence d’un emploi n’est pas démontrée.

 

[34]           Ainsi, cela nous ramène au principe fondamental selon lequel on est tenu, lorsqu’il faut décider ce qui constitue un emploi aux termes de la Loi, de se reporter à la rémunération ou aux avantages matériels tirés de l’emploi par le prestataire.

 

[35]           Dans ses motifs, le juge‑arbitre a amorcé son exposé sur la question de l’emploi en rejetant la conclusion du conseil arbitral selon laquelle « le prestataire n’était pas un employé [de l’entreprise de transport aérien] parce qu’il n’avait pas reçu de rémunération » (motifs du juge‑arbitre, à la page 1). Le juge‑arbitre a conclu que ce n’était pas « de ce critère dont on doit se servir pour déterminer si un travail bénévole peut être considéré comme un emploi assurable » (motifs du juge‑arbitre, à la page 1). Il a ensuite énoncé ce qu’il considérait le critère approprié sur lequel il allait fonder son analyse.

 

[36]           Ce faisant, il a fait siennes les paroles du juge Addy dans la décision CUB 5560 (la décision CUB Samson), qui avait écrit :

 

Pour qu’un prestataire qui fournit des services à un employeur puisse être considéré au travail au sens de la Loi sur l’assurance‑chômage et plus particulièrement au sens des deux articles précités [le paragraphe 21(1) de la Loi sur l’assurance‑chômage et le paragraphe 155(1) du Règlement alors en vigueur], il est absolument essentiel qu’il existe entre lui et la personne qui bénéficie de ses services une relation d’employeur‑employé. Cette relation implique nécessairement qu’une rémunération présente ou future soit payable à l’employé par l’employeur pour les services rendus, ou, au moins, il est essentiel que les services rendus par l’employé le soient dans le but précis de se mériter ultimement une rémunération ou un bénéfice pécuniaire ou matériel quelconque provenant de son employeur.

 

[37]           Dans la décision CUB Samson, datée du 27 avril 1979, on a conclu que le travail que Mme Samson effectuait sans rémunération à l’entreprise de ses frères était une sorte de thérapie visant à améliorer sa santé mentale et physique. Elle ne nourrissait aucun espoir d’y décrocher un emploi par la suite. Sa cause a été examinée à la lumière du paragraphe 21(1) de la Loi sur l’assurance‑chômage (qui est devenu le paragraphe 10(1) de la Loi sur l’assurance‑chômage, L.R. (1985), ch. U‑1), qui prévoyait à l’époque qu’« une semaine de chômage, pour un prestataire, est une semaine pendant laquelle il n’effectue pas une semaine entière de travail ».

 

[38]           Étonnamment, le juge‑arbitre s’est fondé sur la décision CUB Samson, confirmée par une décision de notre Cour rendue par le juge Pratte en décembre 1979 (Procureur général du Canada c. Françoise Samson, [1980] 1 C.F. 620) [Samson], sans mentionner que le juge Pratte, dix ans plus tard, écrivait ce qui suit dans la décision Bérubé, précitée :

 

Je crois avoir eu tort de dire, dans l’affaire Samson, qu’une personne qui fournit bénévolement ses services à une autre peut néanmoins effectuer un travail au sens du paragraphe 10(1) de la Loi sur l’assurance‑chômage. Il me semble aujourd’hui que le seul travail dont se préoccupe la Loi sur l’assurance‑chômage et le seul, en conséquence, dont parlent le paragraphe 10(1) et les règlements est celui que l’on fait, pour son propre compte ou celui d’autrui, dans le but ou l’espoir d’en retirer un avantage financier. [Non souligné dans l’original.]

 

[39]           Il est utile de savoir qu’on avait refusé à tous les ordres décisionnels d’accorder des prestations à M. Bérubé au motif qu’il n’était pas au chômage. Il avait travaillé sans rémunération pendant 50 heures par semaine dans une cantine qui appartenait à sa mère. Le conseil arbitral s’était concentré uniquement sur le nombre d’heures travaillées par le prestataire, considérant le fait que son travail n’était pas rémunéré comme étant non pertinent; le juge‑arbitre a confirmé cette démarche.

 

[40]           Dans l’arrêt Bérubé, le juge Hugessen, rédigeant pour la Cour, a statué que :

 

De tout ce qui précède, l’on voit bien non seulement que le Conseil arbitral avait tort d’ignorer le caractère non rémunéré du travail du requérant mais aussi que, dans les circonstances de l’espèce, une des principales questions qu’il avait à résoudre était précisément de savoir si ledit travail était vraiment bénévole, c’est‑à‑dire si le requérant n’espérait vraiment pas en tirer un avantage pécuniaire. [Non souligné dans l’original.]

 

[41]           Plus récemment, et dans le même esprit que l’arrêt Bérubé, la Cour a statué dans Canada (Procureur général) c. Traynor, [1995] A.C.F. no 836 [Traynor], au paragraphe 9, que « [l]a rémunération, réelle ou éventuelle, pour prestation de services est nécessaire pour qu’un travail constitue un “emploi” aux termes de la Loi ». Je signale que, dans cette affaire, on avait avisé Mme Traynor qu’elle ne toucherait aucun revenu sous la forme d’une allocation durant son stage; par conséquent, l’utilisation du mot « rémunération » par le juge Marceau faisait également renvoi à un avantage financier (Traynor, précité, au paragraphe 2).

 

[42]           Bien que le juge‑arbitre se soit distancié du critère utilisé par le conseil arbitral, il a adopté le raisonnement du conseil arbitral et a tiré la même conclusion, mais à la lumière de son propre critère.

 

[43]           Par conséquent, il a signalé favorablement, à la page 3 de ses motifs, que « […] le prestataire n’avait pas touché de rémunération en espèces pour le travail effectué, mais [...] avait en effet tiré de grands avantages de ce travail, soit l’utilisation gratuite d’un aéronef coûteux, ce qui lui a permis d’accumuler de précieuses heures de vol […] ». Le juge‑arbitre a également écrit que « [l]e conseil a conclu que le prestataire toucherait une rémunération directe et éventuelle en raison de l’accumulation de ses heures de vol ». Le juge‑arbitre a en outre conclu que si M. Greey « n’avait pas procédé ainsi, il aurait dû débourser des sommes considérables pour louer un aéronef ou encore trouver un employeur prêt à l’embaucher pour ses services ».

 

[44]           Il a ensuite conclu, à la page 3 de ses motifs, qu’il était « convaincu qu’une relation employeur‑employé avait été établie parce que l’employeur déterminait l’horaire de travail du prestataire et que celui‑ci obtenait un avantage matériel quelconque, les heures de vol dont il avait besoin, en effectuant ce travail ».

 

[45]           Sauf le respect que je dois au juge‑arbitre, bien que ces affirmations démontrent qu’il saisit bien les exigences imposées aux candidats pilotes et les coûts engagés pour la formation et l’accumulation des heures de vol, elles indiquent aussi que le juge‑arbitre a abordé incorrectement la question juridique qui lui était soumise. Il a commis une erreur de droit.

 

[46]           Suivant les principes formulés dans les arrêts Bérubé et Traynor, précités, le juge‑arbitre aurait dû tout d’abord relever les éléments de la relation existant entre les parties, ce qui supposait de constater une forme d’emploi quelconque et l’existence d’une rémunération ou d’un avantage financier reçu ou devant être reçu en échange de la prestation de services. 

 

[47]           Autrement dit, le critère approprié consistait à établir si M. Greey s’attendait à en retirer un avantage financier, à savoir un avantage financier de Skydive, et non un avantage « quelconque » sans lien avec Skydive. Le juge‑arbitre a plutôt conclu que l’accumulation des heures de vol constituait un avantage matériel pour M. Greey sans se poser de question quant à la nature et la source de cet avantage.

 

[48]           Je suis d’accord avec la Couronne relativement au fait que :

 

[traduction]

La Loi n’a pas pour objet de subventionner la poursuite de l’objectif louable de l’avancement professionnel. Une personne ne peut compter sur le système d’assurance‑emploi lorsqu’elle quitte un emploi à temps plein pour devenir bénévole. Qualifier ces activités comme étant de l’« emploi » pourrait causer l’expansion du système d’assurance‑emploi en un programme permettant de subventionner l’éducation informelle acquise au moyen du bénévolat.

(mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 38)

 

[49]           L’énoncé de la Couronne est conforme à l’esprit de la Loi. La Loi établit un régime d’assurance en vertu duquel on accorde une protection aux prestataires contre la perte de revenu causée par le chômage. Le régime a évidemment pour objet d’indemniser les chômeurs d’une perte; il ne vise pas à verser des prestations à ceux qui n’ont subi aucune perte (voir Canada (P.G.) c. Walford, [1978] A.C.F. no 185, au paragraphe 8; Canada (Procureur général) c. Lesiuk (C.A.), [2003] 2 C.F. 697, au paragraphe 15; le Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] A.C.S. no 57, au paragraphe 18).

 

[50]           En réalité, M. Greey a pris une pause de ses emplois afin de satisfaire son propre intérêt et de réaliser ses aspirations de carrière à long terme. Heureusement pour lui, son plan a fonctionné et semble‑t‑il, [traduction] « il a réussi à obtenir un emploi rémunéré comme pilote au sein d’une compagnie aérienne commerciale » (lettre du défendeur à la Cour, en date du 14 août 2009). Bien que c’était exactement ce que M. Greey recherchait lorsqu’il s’est porté bénévole, le processus d’accumulation des heures de vol ne constituait toutefois pas un avantage financier, actuel ou éventuel, obtenu de Skydive.

 

[51]           Si le juge‑arbitre avait évalué la thèse de M. Greey en gardant à l’esprit le critère approprié et l’esprit de la Loi dans l’ensemble, je pense qu’il serait arrivé à une conclusion différente et qu’il aurait conclu que le poste de M. Greey chez Skydive ne constituait pas un emploi en vertu de la Loi.

 

[52]           Pour ces motifs, j’accueillerais la présente demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge‑arbitre et je renverrais l’affaire au juge‑arbitre en chef, ou à un juge‑arbitre désigné par celui‑ci, pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l’appel de la Commission devrait être accueilli, et que M. Greey ne devrait pas être admissible à des prestations d’assurance‑emploi vu que son emploi bénévole chez Skydive ne constituait pas un emploi au sens de la Loi. Comme la Couronne n’a pas demandé de dépens, aucuns dépens ne devraient être adjugés.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

       K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

       C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑76‑09

 

 

INTITULÉ :                                                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. JOHN WILLIAM GREEY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 SEPTEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark S. Freeman

POUR LE DEMANDEUR

 

John Gamble Greey

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.