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Date : 20091223

Dossier : A-463-08

Référence : 2009 CAF 380

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

FRANÇOIS DEMERS

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 septembre 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20091223

Dossier : A-463-08

Référence : 2009 CAF 380

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

FRANÇOIS DEMERS

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision du juge Tannenbaum de la Cour fédérale, 2008 CF 873, en date du 16 juillet 2008, accueillant la demande de contrôle judiciaire du Procureur général du Canada (« intimé ») qui avait pour objet de faire annuler la décision d’un arbitre de grief. Plus particulièrement, le juge Tannenbaum annulait la décision de l’arbitre Michèle A. Pineau (« arbitre ») selon laquelle une mesure disciplinaire, à savoir une peine pécuniaire de 75,00$ imposée à l’appelant par son employeur, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), n’était point justifiée et que le SCC devait dédommagé l’appelant pour la perte d’avantages et de revenus résultant d’un congé de maladie involontaire.

 

[2]               Un résumé des faits pertinents sera utile à une bonne compréhension des questions soulevées par l’appel.

 

Les faits

[3]               L’appelant, un agent correctionnel, est un employé du SCC depuis 1977. Au moment des événements qui ont mené au présent appel, l’appelant travaillait à l’établissement de Cowansville, Québec.

 

[4]               Le 1er juin 2005, le SCC adoptait un nouveau code vestimentaire qui donnait lieu au port d’un nouvel uniforme par les agents correctionnels. Cet uniforme, conçu en collaboration avec le Syndicat des agents correctionnels du Canada (« syndicat »), ne prévoit pas le port d’une cravate, contrairement à l’ancien uniforme qui en exigeait le port. Avec l’entrée en vigueur du port du nouvel uniforme, la cravate a été remplacée par un T-shirt noir que l’agent doit porter sous une chemise règlementaire, dont les deux premiers boutons doivent être détachés pour que le col du T-shirt soit visible. En outre, le code vestimentaire interdit le port de tout article vestimentaire non-réglementé. Il interdit aussi aux agents de modifier l’aspect original de l’uniforme. Les articles 8, 9 et 18 du code se lisent ainsi :

8.       Les employés doivent porter les uniformes du SCC et les articles vestimentaires pour le travail distribués par ce dernier en respectant rigoureusement les règles énoncées dans le présent document. Aucun article additionnel visible ni substitution par un article semblable n’est permis, sauf si expressément autorisé dans le présent document.

 

9.       En conséquence, les employés en uniforme doivent s’abstenir : …

f.        de porter des articles vestimentaires non réglementaires avec les articles réglementaires (p. ex., une casquette de baseball) pour donner un style décontracté ou autre;

 

 

18.   Sauf si autrement autorisé dans le présent document,

a.       seuls les articles composant l’uniforme réglementaire seront permis, sans substitution;

b.       aucun article vestimentaire inapproprié ne sera porté avec l’uniforme du SCC (p. ex., un foulard, des bas blancs ou un t-shirt autre que le t-shirt noir du Service);

c.       les uniformes doivent être dépourvus d’ornements tels que des épinglettes non réglementaires.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[5]               Il ne peut faire de doute que les agents correctionnels, dont l’appelant, ont été avisés du changement d’uniforme et des conséquences possibles dans le cas de non-respect de la consigne. Au paragraphe 5 de ses motifs, l’arbitre écrit ce qui suit :

5.    … Les agents correctionnels ont été avertis du changement d’uniforme de trois façons : ils ont reçu un courriel les informant des changements le 12 mai 2003; des photos du nouvel uniforme ont été affichées à deux reprises avant le mois de juin 2005 sur un tableau d’affichage dans la salle de surveillance à laquelle ont accès tous les agents correctionnels; chaque agent correctionnel a reçu et contresigné une copie du code vestimentaire, qui comprend 25 pages. Le code vestimentaire décrit en grand détail le nouvel uniforme, explique ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, et précise comment le porter. Le code vestimentaire prévoit en outre des mesures disciplinaires en cas de non-respect.

 

 

[6]               Malgré le nouveau code vestimentaire et les règles applicables, l’appelant, qui a toujours porté une cravate dans le cadre de ses fonctions, a refusé de se conformer en continuant d’en porter une.

 

[7]               Des notes de service en date du 26 octobre et du 29 novembre 2005, signées par M. Pierre Sansoucy, superviseur de l’appelant, lui ont été remises, le sommant de se conformer au code vestimentaire. En outre, l’appelant a été avisé le 27 novembre 2005 et le 4 décembre 2005 que le port d’une cravate était interdit.

 

[8]               Le 5 décembre 2005, une rencontre avait lieu entre deux représentants du SCC, dont M. Sansoucy, l’appelant et deux représentants du syndicat, soit Mario Martel et Francine Boudreault, lors de laquelle le SCC faisait comprendre à l’appelant, en termes non-équivoques, que des mesures disciplinaires seraient prises à son égard s’il persistait à porter la cravate. Vu son intransigeance durant le cours de la rencontre, l’appelant a reçu une réprimande écrite de son employeur dès la fin de la rencontre.

 

[9]               Le 8 décembre 2005, M. Sansoucy rencontrait à nouveau l’appelant et lui ordonnait d’enlever sa cravate. L’appelant refusait de nouveau de l’enlever et le SCC lui imposait une amende pécuniaire de 75,00$. Suite à l’imposition de l’amende, l’appelant quittait l’établissement de Cowansville pour se diriger vers un hôpital où il rencontrait un urgentologue qui recommandait qu’il soit placé en arrêt de travail pour trois mois. Suite à la recommandation de l’urgentologue, le médecin traitant de M. Demers le plaçait en arrêt de travail pour trois mois à compter du 8 décembre 2005 pour cause de troubles d’adaptation situationnelle.

 

[10]           Le 21 décembre 2005, le SCC avisait l’appelant qu’il serait sans solde à compter du 23 décembre 2005 jusqu’à ce que sa réclamation auprès de la Commission de santé et de la sécurité du travail du Québec (« CSSTQ »), déposée le 13 décembre 2005, soit déterminée. De fait, sa réclamation a été rejetée par la CSSTQ le 1er mars 2006.

 

[11]           Le 23 décembre 2005, l’appelant déposait un grief contre le SCC alléguant un abus de pouvoir de sa part en raison de l’interdiction de porter une cravate et du refus de lui permettre accès à l’établissement de Cowansville. Au paragraphe 20 de ses motifs, le juge Tannenbaum énonçait le grief comme suit :

[20]     …

Description du grief :

Abus de pouvoir de l’employeur menant à de la discrimination et au harcèlement, tout cela à cause d’une cravate.

On m’interdit de gagner ma vie, car je n’ai plus accès à l’établissement.

Mesures correctives demandées :

1.   Apporter au code vestimentaire le port de la cravate optionnelle.

2.   Que toute somme d’argent perdue me soit remboursée.

3.   Être présent à tous les paliers au frais de l’employeur.

 

 

[12]           Le 26 décembre 2005, le SCC informait l’appelant, qui s’était présenté pour effectuer son quart de travail, qu’il ne pouvait reprendre ses fonctions tant et aussi longtemps qu’il ne produisait pas un certificat médical attestant qu’il était apte au travail.

 

[13]           Le 13 février 2006, à la demande du SCC, l’appelant était examiné par un psychiatre, soit le docteur Lafontaine de la clinique Medisys. Selon le docteur Lafontaine, l’appelant ne présentait aucune limitation fonctionnelle et était, par conséquent, apte à retourner au travail. Par ailleurs, le Dr Lafontaine soulignait le fait que l’appelant était « encore perturbé par l’intransigeance et la décision du SCC d’appliquer une règle qu’il ne comprend pas ».

 

[14]           Suite à la décision de la CSSTQ et du rapport du docteur Lafontaine, le SCC exigeait, par voie d’une lettre en date du 6 mars 2006, que l’appelant réintègre son travail à compter du 15 mars 2006.

 

[15]           Lors d’une conversation avec son superviseur M. Sansoucy, le 7 mars 2006, l’appelant refusait d’indiquer s’il allait se présenter au travail le 15 mars 2006. De fait, il ne s’est pas présenté.

 

[16]           Le 1er août 2006, le docteur Lafontaine examinait à nouveau l’appelant et, suite à cet examen, il concluait que l’appelant était inapte à réintégrer son travail. Dans son rapport, le docteur Lafontaine indiquait, inter alia, ce qui suit :

1.       Le diagnostique actuel, à mon avis, est une dépression majeure d’une intensité sévère.

 

Il faut comprendre que Monsieur Demers, à mon avis, tente désespérément de se défendre sur le plan psychique pour l’apparition d’une dépression qui amènerait une détérioration importante de sa personnalité et une désintégration de son image de soi. C’est pour cette raison que je considère qu’il a développé une fixation délirante psychotique sur le port de sa cravate. Comme il le dit lui-même, si on enlève sa cravate, on change tout le personnage et si on la lui enlève, il a l’impression qu’il va mourir sur place.

 

Dans la mesure ou monsieur peut maintenir le port de la cravate et l’idée que ceci est essentiel pour lui, il ainsi prévient la désintégration psychotique.

 

2.                   Je considère qu’actuellement la situation est effectivement évolutive. Plus l’employeur le confronte à l’idée de ne pas porter sa cravate, plus monsieur devient angoissé et ses angoisses de désintégration ramènent à une solidification, une rigidité de la défense psychotique.

 

3.                   Le pronostic, dans ce contexte, m’apparaît très mauvais et je suis d’avis que Monsieur Demers sera incapable de retourner à son emploi si on ne lui permet pas le port de la cravate.

 

4.                   Comme je l’ai mentionné plus haut, dans la mesure où monsieur ne peut porter sa cravate sur le milieu de travail, je trouve qu’il est complètement inapte pour retourner à son travail.

 

5.                   À mon avis, il y a une restriction au travail qui est permanente, à savoir que monsieur ne peut travailler sans le port de la cravate.

 

6.                   Je crois que la seule chose que l’employeur pourrait faire pour aider la réintégration au travail et diminuer la souffrance psychique de ce monsieur, serait de lui permettre de porter sa cravate.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[17]           Par lettre datée le 14 décembre 2006, la compagnie financière Sun Life avisait l’appelant que sa demande de prestations d’assurance-invalidité était acceptée avec effet rétroactif au 10 mars 2006.

 

[18]           Le 16 août 2007, l’arbitre accueillait le grief de l’appelant, annulait la sanction pécuniaire de 75,00$ imposée par le SCC et ordonnait à ce dernier de rembourser à l’appelant la somme qu’il avait payée. L’arbitre ordonnait aussi au SCC de dédommager l’appelant pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son congé de maladie qui, selon l’arbitre, avait été pris par l’appelant « contre son gré ».

 

[19]           Le 16 juillet 2008, le juge Tannenbaum accueillait la demande de contrôle judiciaire de l’intimé, il annulait la décision de l’arbitre et retournait le dossier à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») avec directive que le grief soit rejeté.

 

La décision de l’arbitre

[20]           Même si la preuve ne laissait aucun doute quant au fait que le nouvel uniforme avait été conçu par le SCC en collaboration avec le syndicat, l’arbitre se disait d’avis que le code vestimentaire dépassait « largement la description de l’uniforme qui a reçu l’approbation de l’agent négociateur ». Cette constatation amenait l’arbitre à conclure que le code vestimentaire n’avait pas reçu la sanction du syndicat et, par conséquent, que son application aux agents correctionnels devait être jugée comme étant une mesure imposée unilatéralement par le SCC.

 

[21]           L’arbitre s’est dès lors penchée sur la jurisprudence arbitrale traitant de l’imposition d’exigences vestimentaires au travail. Selon cette jurisprudence, un refus de se conformer à des exigences vestimentaires constitue une question d’insubordination. Par ailleurs, puisque l’appelant contestait le caractère raisonnable de l’imposition du code vestimentaire, l’arbitre passait en revue « la jurisprudence du secteur privé » traitant du caractère raisonnable d’exigences vestimentaires et de l’obligation d’un employé de se conformer à ces exigences.

 

[22]           Selon l’arbitre, les critères selon lesquels l’application unilatérale par un employeur d’exigences vestimentaires devaient être évaluée étaient ceux qui ont été énoncés dans Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537 v. K.V.P. Co. Ltd. (1965), 16 L.A.C. 73:

1.                  les exigences ne doivent pas contrevenir à la convention collective;

2.                  elles doivent être raisonnables;

3.                  elles doivent être claires et sans équivoque;

4.                  elles doivent avoir été portées à l’attention de l’employé;

5.                  elles doivent avoir été signalées à l’employé pour l’informer qu’une infraction aux exigences pourrait faire l’objet d’une sanction disciplinaire; et

6.                  elles doivent avoir été appliquées uniformément par le SCC depuis leur adoption.

 

[23]           L’arbitre concluait que la preuve démontrait clairement que les critères 1, 3, 4 et 5 étaient rencontrés en l’instance, laissant pour analyse les deuxième et sixième critères. Au paragraphe 102 de ses motifs, l’arbitre s’exprimait comme suit :

102.     Eu regard des critères généraux énoncés dans Lumber & Sawmill Workers’ Union à l’égard d’une règle imposée unilatéralement par l’employeur, je conclus que, dans le grief à l’étude, a) selon le premier critère, le SCC [le « Service correctionnel du Canada »] et l’agent négociateur se sont entendus sur l’uniforme et l’obligation de le porter; b) selon le troisième critère, la description de l’uniforme est claire et sans équivoque; c) selon le quatrième critère, l’uniforme et le code vestimentaire ont été portés à l’attention de M. Demers; d) selon le cinquième critère, il a été signalé à M. Demers que toute infraction au code vestimentaires était susceptible de faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Par conséquent, le grief met en cause l’application des deuxième et sixième critères : l’aspect raisonnable du code vestimentaire et son uniformité d’application. Puisque ces critères sont reliés l’un à l’autre, il convient de les traiter ensemble dans l’analyse qui suit.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[24]           Ensuite, l’arbitre résumait, aux paragraphes 103 à 106 de ses motifs, les faits relatifs aux deuxième et sixième critères de la décision Lumber & Sawmill Workers’ Union, supra, pour conclure que le SCC n’avait pas appliqué le port de l’uniforme « de façon uniforme pour tous les agents correctionnels » :

103     Les faits pertinents à ces deux aspects sont les suivants. Contrairement aux changements d'uniforme antérieurs, le nouvel uniforme adopté en 2005 n'est pas entré en vigueur à compter d'une date butoir, mais a été introduit graduellement, au fur et à mesure que les articles vestimentaires qui le composent sont devenus disponibles. Le SCC a permis que les articles de l'ancien uniforme, devenus « non réglementaires » et des articles personnels, soit manteaux, chandails et chemises, soient portés avec le nouvel uniforme, en attendant la confection de nouveaux articles.

 

104     Une fois sommé de porter son uniforme le 28 octobre 2005, M. Demers s'est conformé aux exigences, si ce n'est qu'il y a ajouté la cravate de son ancien uniforme.

 

105     Au moment où M. Demers a reçu un avertissement et ensuite une amende, le SCC permettait encore le port des articles vestimentaires non réglementaires suivants : des chandails à col montant au lieu du t-shirt, des tuques au lieu du képi, et des foulards, tel qu'en fait foi la note de service du 22 décembre 2005 qui régularise le port de ces nouveaux articles vestimentaires, en précisant toutefois qu'ils sont aux frais des agents correctionnels qui les portent. En conséquence, l'amende imposée à M. Demers l'a été pendant une période où le port de l'uniforme n'était pas appliqué de façon uniforme pour tous les agents correctionnels.

 

106     Rappelons que la consigne que le SCC a appliquée rigoureusement à M. Demers est la même qui devait s'appliquer aux autres agents correctionnels qui portaient des articles vestimentaires non réglementaires, laquelle consigne figure à l'article 18 du code vestimentaire :

18. Sauf, si autrement autorisé dans le présent document,

a.    seuls les articles composant l'uniforme réglementaire seront permis, sans substitution;

b.     aucun article vestimentaire inapproprié ne sera porté avec l'uniforme du SCC (p. ex., un foulard, des bas blancs ou un t-shirt autre que le t-shirt noir du Service);

[…]

[Je souligne]

 

 

[25]           Au paragraphe 109 de ses motifs, l’arbitre énonçait les principes élaborés par la jurisprudence quant au caractère raisonnable de l’application d’exigences vestimentaires. Suite à sa constatation des principes applicables, l’arbitre s’adressait à la situation de l’appelant, à savoir l’application du code vestimentaire en l’espèce. En premier lieu, l’arbitre concluait que malgré le fait que l’interdiction de porter une cravate ne couvrait que la période de travail de l’appelant, le SCC devait néanmoins tenir compte du fait que sa détresse psychologique « débordait la période de travail ». L’arbitre concluait ainsi parce qu’elle était d’avis que le SCC avait eu connaissance des préoccupations de l’appelant avant et au moment de lui imposer la sanction pécuniaire.

 

[26]           En deuxième lieu, l’arbitre se disait convaincue, en raison du témoignage de l’appelant et du rapport du docteur Lafontaine, que le SCC avait « poussé à l’extrême » l’interdiction de porter la cravate.

 

[27]           En troisième lieu, l’arbitre concluait que l’appelant avait été profondément humilié du fait qu’il avait dû défendre publiquement son désir de porter une cravate.

 

[28]           En quatrième lieu, l’arbitre concluait que le SCC n’avait fait aucun effort pour tenir compte « des circonstances de M. Demers » et qu’il avait laissé détériorer la situation pour s’en remettre éventuellement à des évaluations psychiatriques.

 

[29]           En outre, l’arbitre faisait état du fait que l’appelant travaillait la nuit, qu’il ne travaillait qu’avec des détenus et qu’il n’avait aucun contact avec le public en général. Dans ces circonstances, selon l’arbitre, le port de la cravate n’avait aucun effet négatif sur la santé et la sécurité de l’appelant, ni sur celles de ses collègues de travail ou des détenus qu’il supervisait. En d’autres mots, selon l’arbitre, le port de la cravate n’affectait aucunement le travail de l’appelant et ne portait aucunement atteinte à la perception que le public pouvait avoir du SCC.

 

[30]           Par conséquent, l’arbitre concluait que le code vestimentaire avait été appliqué à l’appelant de façon déraisonnable et que l’amende de 75,00$ était injustifiée. Suite à cette conclusion, l’arbitre s’est demandée si le SCC avait agi correctement en lui refusant l’accès à l’établissement de Cowansville le 26 décembre 2005 au motif qu’il n’avait pas présenté un certificat médical attestant qu’il était apte à reprendre le travail.

 

[31]           Nonobstant le fait que la jurisprudence permet à un employeur d’exiger un certificat d’aptitude au travail avant le retour d’un employé qui s’est absenté pour cause de maladie ou d’accident de travail, l’arbitre a conclu que les circonstances particulières de la situation de l’appelant étaient telles que le principe général ne pouvait trouver application. En effet, considérant que le SCC avait pleine connaissance de la situation de l’appelant en date du 8 décembre 2005 ou avant, son intransigeance quant au port de la cravate était directement responsable du stress subi par l’appelant. Puisque le SCC n’avait fait aucun effort pour trouver une solution raisonnable avant d’imposer une sanction à l’appelant, l’arbitre concluait que l’appelant n’avait pas à subir de perte de revenus découlant de son congé de maladie. Par conséquent, l’arbitre concluait que le SCC avait mal agi en ce que son refus de permettre à l’appelant de porter la cravate l’avait obligé à prendre un congé de maladie « contre son gré ». L’arbitre ordonnait donc au SCC de dédommager l’appelant pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son congé de maladie.

 

La décision de la Cour fédérale

[32]           Après un examen attentif des faits pertinents, le juge Tannenbaum s’adressait aux questions dont il devait disposer, à savoir si les conclusions de l’arbitre concernant la validité de l’amende de 75,00$ et le dédommagement de l’appelant pour perte d’avantages et de revenus étaient raisonnables.

 

[33]           Quant à la validité de l’amende de 75,00$, le juge a conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable. Selon lui, l’arbitre avait erré lorsqu’elle affirmait que le code n’interdisait pas le port de la cravate. Selon le juge, il ne pouvait faire de doute que le code l’interdisait. En outre, le juge indiquait que l’appelant avait été avisé plusieurs fois (selon le juge, au moins à quatre occasions) et qu’une réprimande écrite lui avait été remise en raison de son attitude de défiance. Par conséquent, selon le juge, le SCC n’avait eu autre choix que de lui imposer une sanction pécuniaire de 75,00$.

 

[34]           En ce qui a trait à l’ordonnance concernant le dédommagement de l’appelant, le juge concluait, à nouveau, que la décision de l’arbitre était déraisonnable. Il s’est dit en désaccord avec la position de l’arbitre selon laquelle le SCC avait été intransigeant en interdisant le port de la cravate. Selon le juge, le SCC n’avait eu autre choix que d’imposer une sanction pécuniaire à l’appelant puisque c’était ce dernier qui avait « déclaré la guerre » à son employeur et qui avait déclaré au docteur Lafontaine que seul un congédiement l’empêcherait de porter sa cravate.

 

[35]           Par la suite, le juge s’en est pris à la conclusion de l’arbitre selon laquelle la détresse psychologique de l’appelant s’était manifestée durant le cours de la rencontre du 8 décembre 2005. Selon le juge, cette conclusion était erronée puisque l’évaluation du docteur Lafontaine en date du 13 février 2006 concluait que l’appelant ne souffrait d’aucune maladie mentale et qu’il n’existait aucune atteinte permanente. En outre, le juge soulignait que le docteur Lafontaine était d’avis qu’aucun traitement spécifique n’était requis.

 

[36]           De plus, selon le juge, l’arbitre ne possédait pas l’expertise requise pour conclure que la détresse de l’appelant s’était manifestée de façon claire durant le cours de la rencontre du 8 décembre 2005.

 

[37]           Ces constations menaient le juge Tannenbaum à conclure que l’appelant était « l’auteur de sa situation actuelle » et que le SCC ne savait pas en décembre 2005 que l’appelant souffrait d’une « dépression majeure d’intensité sévère » à laquelle concluait le docteur Lafontaine dans son rapport du 1er août 2006.

 

Questions en litige

[38]           L’appel soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Le juge a-t-il erré en annulant la décision de l’arbitre et en retournant le dossier devant la Commission des relations de travail dans la Fonction publique avec la directive que le grief soit rejeté? Plus particulièrement, le juge a-t-il erré en concluant que la décision de l’arbitre de renverser la sanction pécuniaire de 75,00$ et d’ordonner au SCC de dédommager l’appelant pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son congé de maladie était déraisonnable?

 

Analyse

[39]           La première question concerne la norme de contrôle applicable. Le juge Tannenbaum a considéré que la norme de la décision raisonnable était la norme applicable. Sur ce point, les parties ne sont pas en désaccord. Selon l’intimé, l’arbitre devait considérer, pour décider les questions devant elle, soit l’amende de 75,00$ et la compensation pour perte d’avantages et de revenus, les faits de l’instance et les principes juridiques développés dans le domaine des relations de travail dans la fonction publique fédérale. Par conséquent, selon l’intimé, s’agissant d’une question mixte de droit et de faits, la norme de la décision raisonnable est la norme appropriée.

 

[40]           L’appelant n’est pas en désaccord avec la position de l’intimé. Son argumentation est à l’effet que la norme de la décision raisonnable est la norme applicable, mais que le juge « n’a pas fait preuve de la déférence requise envers la décision arbitrale de l’arbitre Pineau en vertu des principes récemment dégagés par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, précité » (paragraphe 46 du mémoire de l’appelant).

 

[41]           À mon avis, la norme applicable est bien celle de la décision raisonnable. Je passe donc à la deuxième question et, plus particulièrement, à l’ordonnance concernant la perte d’avantages et de revenus par l’appelant.

 

[42]           Le raisonnement de l’arbitre sur ce point apparaît clairement aux paragraphes 122, 123 et 124 de sa décision qui se lisent comme suit :

122     … J'ai conclu que l'amende administrée à M. Demers était une sanction disciplinaire injustifiée. Selon la preuve du défendeur, la détresse psychologique concernant l'interdiction du port de la cravate s'est manifestée avant la rencontre du 8 décembre 2005, tel qu'en fait foi le courriel du 2 décembre 2005 de M. Desrosiers à M. Sansoucy. Cette détresse s'est manifestée de façon aigüe au cours de la rencontre du 8 décembre 2005 et ce fait est consigné dans un rapport d'observation. Le défendeur ne peut donc nier que le SCC était au courant de la situation personnelle de M. Demers et qu'il était en mesure d'agir de façon préventive. Le SCC ne s'est préoccupé du bien-être de M. Demers qu'au mois de février 2006, lorsqu'il lui a demandé de subir une évaluation psychiatrique en vue de le faire revenir au travail. Comme il a déjà été exposé, le psychiatre a confirmé l'opinion du médecin traitant quant au motif de l'absence de M. Demers depuis le 8 décembre 2005.

 

123     Je souligne les conclusions du psychiatre selon lesquelles le fait que le SCC soit demeuré campé sur sa position d'interdire la cravate a fait évolué le stress de M. Demers, rendant ce dernier inapte à retourner au travail à l'heure actuelle, et ce, pour une période indéfinie. Notons que la deuxième évaluation psychiatrique a confirmé que l'état de M. Demers s'est aggravé. Les conclusions des deux évaluations psychiatriques sont à l'effet que l'état de M. Demers perdurera tant que le SCC insistera pour qu'il ne porte pas de cravate.

 

124     Ces faits m'emmènent à conclure que M. Demers a pris un congé de maladie contre son gré, attribuable directement au stress causé par l'intransigeance continue du SCC quant à l'interdiction de porter la cravate. Ayant conclu que le SCC n'a pas tenté de trouver une solution raisonnable à l'égard de M. Demers, contrairement à ce que permet le code vestimentaire, avant de lui imposer une sanction, je suis d'avis que M. Demers n'a pas à subir la perte de revenus découlant d'un congé de maladie involontaire de sa part. Par conséquent, j'ordonne au défendeur de dédommager M. Demers pour la perte d'avantages et de revenus résultant d'un tel congé de maladie.

 

[43]           Il appert clairement de ces passages que l’arbitre s’est dite convaincue que l’appelant était en détresse psychologique au début de décembre 2005 et que « [c]ette détresse s’est manifestée d’une façon aigüe au cours de la rencontre du 8 décembre 2005 et ce fait est consigné dans un rapport d’observation ». Par conséquent, selon l’arbitre, le SCC ne pouvait nier être au courant de cette situation. Cette constatation constitue, à mon avis, la prémisse sur laquelle l’arbitre s’est fondée pour conclure que le SCC devait dédommager l’appelant pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son congé de maladie.

 

[44]           Comme le juge Tannenbaum, je suis d’avis que la preuve au dossier ne soutien nullement la conclusion de l’arbitre. Je reproduis le courriel en date du 2 décembre 2005 auquel réfère l’arbitre, soit de Bernard Desrosiers à Pierre Sansoucy, envoyé à 20h09 :

François Demers en entré au travail ce soir avec sa cravate et en pensant que tu serait [sic] là pour le voir. Il était très frustré et voulait que je t’appelle pour qu’il puisse te parler. Il a discuté avec d’autres officiers de cette situation et m’a dit qu’il raportait [sic] Murielle Leblanc et m’a demandé de faire des photocopies de cette lettre qu’il m’a demandé de remettre à Claude Guérin, France Poisson et Suzanne Legault. J’ai tout fait cela en gardant mon calme et en lui mentionnant à une reprise de baisser la voix.

 

Alors qu’il était à mettre dans des enveloppes les copies de sa lettre sur Murielle Leblanc, il m’a dit : « Pis je ne suis pas apte à travailler ce soir, je m’en vais chez nous ». Je l’ai donc rapporté CM.

 

J’ai bien hâte de savoir comment vous voulez qu’on le gère, car Je n’aime pas être obligé d’endurer ses sautes d’humeurs au quotidien. Qu’on lui donne des ordres de se présenter de façon conforme au code vestimentaire sinon qu’il reste chez lui sans solde jusqu’à ce qu’il entre travailler de façon conforme.

 

En attente de directives clairs [sic] à faire concernant cette situation.

 

 

[45]           Je reproduis aussi un autre courriel envoyé plus tard la même journée, soit à 23h08, encore une fois de Bernard Desrosiers à Pierre Sansoucy :

François Demers est revenu au keeper’s hall peu après avoir quitté soit vers 19h20 et me dit qu’il est prêt à rester faire son quart de travail. Il a pêté les plombs mais il est revenu à lui. Je l’ai rencontré dans mon bureau pour m’assurer qu’il est apte à faire son travail et après avoir eu une bonne discussion avec lui surtout être une oreille attentive à ses propos, j’ai décidé de la garder au travail.

 

Il mentionne qu’il a hâte de voir son surveillant correctionnel qui lui avait dit qu’il serait là à son retour au travail soit ce soir.

 

Donc, tu annuleras mon dernier message.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[46]           Je reproduis aussi les notes de service de M. Sansoucy en date du 5 et du 8 décembre 2005, envoyées à l’appelant :

Le 5 décembre 2005 :

Lundi matin à 07h00 A.M. nous avons rencontré M. François Demers à la salle de conférence de l’administration 3. Celui-ci était accompagné de Mario Martel et Francine Boudreault du syndicat. La gestion était représentée par Karine Dutil G.U. int. et Pierre Sansoucy S.O.C. Le premier sujet a été le port de la cravate de M. Demers. J’ai répété devant tous les gens présents la procédure qui serait prise envers M. Demers si celui-ci continuait à persister dans son intention de porter sa cravate. Il nous a dit qu’il irait jusqu’au bout dans sa démarche. Il nous a dit qu’il voulait recevoir sa réprimande écrite avant de quitter l’établissement. Ce qui fût fait. Le deuxième sujet a été le rapport qu’il y aurait eu envers lui de la part de la surveillante Murielle Leblanc. Il a expliqué son point de vue face à cette situation. Mme Dutil lui a expliqué que le rapport ne tenait plus, que la gestion avait mal interprétée [sic] le rapport de Mme Leblanc. M. Demers nous a expliqué qu’il avait rapporté Madame et qu’il voulait d’autres explications et qu’il était insatisfait. Il nous a dit en terminant que la guerre était déclarée.

 

Le 9 décembre 2005 :

Le 08 décembre 2005 vers 19 :00hres, je vous ai rencontré en présence de Mario Martel du syndicat et de Alessandria Page G.U. à l’administration 3 de l’établissement de Cowansville. Je vous ai donné ordre d’enlever votre cravate et de ne pas la porter durant votre quart de travail. Vous avez refusez [sic] et je vous ai remis une mesure disciplinaire (amende).

 

 

[47]           À mon avis, ces documents ne démontrent nullement que l’appelant était en état de détresse psychologique et que sa détresse s’était manifestée « de façon aigüe » lors de la rencontre du 8 décembre 2005. Il est évident que l’appelant n’était pas heureux de la situation et qu’il avait la ferme intention de ne pas céder quant au port de la cravate. Ceci explique pourquoi il a déclaré à M. Sansoucy que « la guerre était déclarée ». Avec respect, il m’apparaît d’autre part impossible de conclure, comme l’a fait l’arbitre, que le SCC « était au courant » de la détresse psychologique de l’appelant et qu’il devait dès lors agir de façon préventive.

 

[48]           Il est important de se rappeler, comme l’a fait le juge, que le docteur Lafontaine, dans son rapport du 13 février 2006, a conclu, après avoir noté que l’appelant avait un « [t]rouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive », que ce dernier ne présentait aucune limitation sur le plan médical psychiatrique et qu’il n’était pas inapte à faire son travail. Ce n’est que lors de sa deuxième évaluation, en date du 1er août 2006, que le docteur Lafontaine a conclu que l’appelant souffrait d’une dépression majeure d’intensité sévère.

 

[49]           Par conséquent, je ne peux conclure que le juge Tannenbaum a erré en concluant que le SCC ne savait pas et ne pouvait savoir en décembre 2005 que l’appelant souffrait d’une « dépression majeure avec intensité sévère » et, par conséquent, que la décision de l’arbitre sur ce point était déraisonnable.

 

[50]           Il me reste maintenant à disposer de la question concernant l’amende de 75,00$ imposée à l’appelant par le SCC.

 

[51]           La preuve démontre que malgré le fait qu’il a été avisé du changement d’uniforme et des conséquences en cas de non-respect, l’appelant a toujours refusé de se conformer aux directives concernant le port du nouvel uniforme, à savoir que l’uniforme devait être porté sans substitution ni addition, sauf si autrement autorisé. Par conséquent, il ne peut faire de doute que l’appelant, en refusant d’enlever sa cravate, contrevenait aux directives du SCC. Malgré le refus de l’appelant, l’arbitre a conclu que l’amende pécuniaire était déraisonnable et que le SCC devait lui rembourser la somme de 75,00$ déjà payée.

 

[52]           Je vais m’adresser aux conclusions de l’arbitre dans l’ordre dans lequel elles apparaissent dans ses motifs.

 

[53]           Pour commencer, il est important de souligner que le nouvel uniforme a été conçu par le SCC en collaboration avec le syndicat. En d’autres mots, le syndicat s’est dit d’accord que le nouvel uniforme ne comprendrait pas le port d’une cravate, contrairement à la situation antérieure où les agents correctionnels devaient porter une cravate. Voici ce que prévoit la description détaillée du nouvel uniforme sous le titre « Nouvelles tenues vestimentaires pour les agents » :

La tenue de travail pour les hommes et les femmes se composera de chemises à manches longues et à manches courtes en polyester/coton infroissable, de couleur marine foncée. Les chemises seront dotées de sept boutons et boutonnières, de trois plis permanents à l’arrière et de deux poches poitrine appliquées avec fente pour crayon et rabat boutonné. Elles auront aussi deux épaulettes pour les galons de manche. Les chemises à manches longues comporteront deux manchettes boutonnées. Les deux chemises disposeront d’un pan long.

 

 

Au lieu d’une cravate [Non souligné dans l’original], les agents devront porter sous leur chemise un t-shirt noir en coton. Les deux premiers boutons de la chemise devront être détachés pour qu’on puisse voir le col du t-shirt.

 

 

[54]           Dans ces circonstances, je suis d’avis que l’arbitre a erré lorsqu’elle a conclu que l’application du code vestimentaire n’ayant pas reçu l’assentiment du syndicat, devait être considéré comme une mesure imposée unilatéralement par le SCC. Même s’il est vrai que le SCC n’a pas recherché l’assentiment du syndicat quant au contenu du code vestimentaire, il ne peut faire de doute que le syndicat a consenti au nouvel uniforme. Le véritable débat entre les parties, à mon avis, ne concerne pas le code vestimentaire, mais bel et bien le nouvel uniforme à l’égard duquel il ne peut y avoir de doute que le syndicat a donné son assentiment.

 

[55]           La pierre angulaire de la décision de l’arbitre concernant l’amende de 75,00$ est sa conclusion que l’appelant était dans un état de détresse psychologique en date du 8 décembre 2005. À mon avis, comme je l’ai déjà indiqué, la preuve ne soutient aucunement cette conclusion de l’arbitre. Même si l’appelant était perturbé et en colère parce que le SCC refusait de lui permettre de porter une cravate, cette constatation ne mène nullement à la conclusion qu’il était dans un état de détresse psychologique. De toute façon, s’il l’était, le SCC ne pouvait nullement le savoir.

 

[56]           L’arbitre a aussi eu tort de conclure que le SCC avait « poussé à l’extrême » l’interdiction concernant le port de la cravate. À mon avis, l’uniforme ayant été adopté par le SCC avec la collaboration du syndicat, le SCC ne faisait que demander à l’appelant de se conformer aux directives émises plus tôt concernant le port du nouvel uniforme. J’en profite pour souligner qu’il n’est pas du ressort de l’arbitre de se substituer à un employeur pour décider du bien-fondé de ses politiques ou directives vestimentaires.

 

[57]           L’arbitre concluait aussi que l’appelant avait été humilié parce qu’il avait été obligé de défendre « publiquement » son droit de porter la cravate. À mon avis, cette constatation n’est d’aucune pertinence. Si l’appelant avait obéi aux directives du SCC et par la suite avait déposé son grief, il n’aurait pas « eu à se défendre publiquement des raisons pour lesquelles il ne pouvait travailler sans cravate ». Par conséquent, si l’appelant s’est senti humilié dans les circonstances, il doit en prendre le blâme.

 

[58]           L’arbitre a aussi conclu que le SCC n’avait fait aucun effort pour comprendre la situation de l’appelant et qu’il avait permis à la situation de se détériorer. Puisqu’il n’a pas été établi que le SCC savait que l’appelant était dans un état de détresse psychologique, je ne puis souscrire au point de vue de l’arbitre.

 

[59]           L’arbitre a aussi conclu que le port de la cravate n’affectait aucunement le travail de l’appelant et ne portait aucunement atteinte à la perception que le public pouvait avoir du SCC. À nouveau, il n’est pas du ressort de l’arbitre de se substituer au SCC et de déterminer le bien-fondé du port de la cravate, compte tenu, entre autres, du fait que le syndicat avait consenti au nouvel uniforme.

 

[60]           Aux paragraphes 104 à 106 de ses motifs, l’arbitre indique que l’appelant s’est conformé aux exigences du code vestimentaire, sauf quant au port de la cravate. Elle ajoute qu’au moment où l’appelant a reçu une réprimande et une amende, le SCC permettait aux agents de porter des articles vestimentaires non permis par le code. Par conséquent, selon l’arbitre, le SCC a imposé une amende à l’appelant pour son refus d’enlever sa cravate alors que durant cette période, le port de l’uniforme « n’était pas appliqué de façon uniforme pour tous les agents correctionnels » (paragraphe 105 des motifs de l’arbitre). En d’autres mots, selon l’arbitre, la consigne appliquée « rigoureusement » à l’appelant n’avait pas été appliquée de la même façon à d’autres agents correctionnels.

 

[61]           Au soutien de cette affirmation, l’arbitre réfère à une note de service en date du 22 décembre 2005, permettant le port de foulards, tuques et chandails à col montant. Il me suffit d’indiquer que le port de ces articles non réglementaires a été autorisé « en cas de temps froid » seulement. Je ne puis voir comment le port de ces vêtements, en périodes de temps froid, puisse aider l’appelant. Pour le reste, la preuve démontre que lors de l’entrée en vigueur du nouveau code vestimentaire, le SCC a averti tous les agents dont la tenue vestimentaire n’était pas en conformité avec le nouvel uniforme qu’ils devaient se soumettre aux nouvelles directives. Par conséquent, l’arbitre a eu tort de conclure que le SCC n’avait pas appliqué de façon uniforme le port du nouvel uniforme à tous les agents correctionnels.

 

[62]           Au paragraphe 41 de ses motifs, l’arbitre énonce que le code vestimentaire « ne contient aucune interdiction de porter une cravate ». Puisque les articles 8, 9 et 18 du code vestimentaire sont sans équivoque, à savoir que tout article non-réglementaire ne peut être porté à moins qu’il y ait une autorisation expresse dans le code, il est difficile de comprendre comment l’arbitre a pu conclure que le code n’interdisait point le port de la cravate.

 

[63]           Un dernier point. Il est de jurisprudence constante en relations de travail qu’un employé doit « obéir d’abord, se plaindre ensuite » (« work now and grieve later »). Brown Beatty, dans leur ouvrage Canadian Labour Arbitration, 4th ed., Online, para. 7:3610, expliquent cette règle comme suit :

One of the most basic and long-standing rules of arbitration law is that employees who dispute the propriety of their employers’ orders must, subject to the considerations that follow, comply with those orders and only subsequently, through the grievance procedure, challenge their validity. This general principle, which requires employees to “work first and grieve later” has been applied in industrial, educational and hospital settings and to professional employees. Both professional employees and those who perform skilled trades may have legal obligations to occupational codes, and may be expected to exercise a degree of independent judgment in the performance of their duties. However, they too must “work first and grieve later” where others are better qualified to assess the reasonableness of an order, and certainly where superiors have responsibility for the consequences of complying with any directives.

 

The rationale for the rule is said to lie in the employer’s need to be able to control and direct its operations, to ensure that they continue uninterrupted even when controversies arise, and in its concomitant authority to maintain such discipline as may be required to ensure the efficient operation of the enterprise. Recognition of the employer’s right to maintain production and to preserve its symbolic authority is neither inconsistent with, nor prejudicial to, employees’ legitimate contractual rights because, in the vast majority of circumstances, they can secure adequate redress for any abuse of authority by the employer through the grievance and arbitration process.

 

The rule and its rationale were famously summarized in an early American award which has frequently been cited with approval by arbitrators in Canada:

Some men apparently think that, when a violation of contract seems clear, the employee may refuse to obey and thus resort to self-help rather than the grievance procedure. That is an erroneous point of view. In the first place, what appears to one party to be a clear violation may not seem so at all to the other party. Neither party can be the final judge as to whether the contract has been violated. The determination of that issue rests in collective negotiation through the grievance procedure. But, in the second place, and more important, the grievance procedure is prescribed in the contract precisely because the parties anticipated that there would be claims of violation which would require adjustment. That procedure is prescribed for all grievances, not merely for doubtful ones. Nothing in the contract even suggests the idea that only doubtful violations need be processed through the grievance procedure and that clear violations can be resisted through individual self-help. The only difference between a “clear” violation and a “doubtful” one is that the former makes a clear grievance and the latter a doubtful one. But both must be handled in the regular prescribed manner.

 

… an industrial plan is not a debating society. Its object is production. When a controversy arises, production cannot wait for exhaustion of the grievance procedure. While that procedure is being pursued, production must go on. And some one must have the authority to direct the manner in which it is to go on until the controversy is settled. That authority is vested in supervision. It must be vested there because the responsibility for production is also vested there; and responsibility must be accompanied by authority. It is fairly vested there because the grievance procedure is capable of adequately recompensing employees for abuse of authority by supervision.

 

However, as a corollary of the premises on which the rule is based, arbitrators have also consistently held that employees are not bound by the principle when adequate redress cannot be secured through the grievance and arbitration process. As well, the logic of the rule means that employees who obey their employers and follow the rule must be allowed to challenge directives and policies they perceive as unreasonable and/or unsafe. Indeed, it has been recognized that they must be allowed to do so even in the absence of an actual order.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[64]           Je ne vois aucune raison pour laquelle cette règle ne s’appliquerait pas en l’instance. Par conséquent, le refus de l’appelant d’obéir aux directives du SCC concernant le nouvel uniforme constitue à lui seul, à mon avis, de l’insubordination qui justifie la décision de l’employeur de le réprimander et de lui imposer une amende de 75,00$.

 

[65]           Une autre porte était ouverte à l’appelant, soit celle dont a parlé M. Sansoucy, son superviseur, lorsqu’il a témoigné qu’il était loisible à l’appelant de suggérer au comité conjoint national que le port de la cravate puisse être optionnel, soulignant que le comité conjoint national faisait des recommandations au SCC. L’appelant ne s’est pas prévalu de cette possibilité.

 

[66]           Je suis donc d’avis que le juge Tannenbaum n’a commis aucune erreur en concluant que la décision de l’arbitre concernant l’amende de 75,00$ était déraisonnable.

 

[67]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-463-08

 

INTITULÉ :                                                                           FRANÇOIS DEMERS c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Qc)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 21 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 23 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me David Rhéaume

POUR L’APPELANT

 

 

Me Adrian Bieniasiewicz

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grégoire, Poitras, Payette, Rhéaume, Messier, avocats

Montréal (Qc)

POUR L’APPELANT

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous procureur general du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

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