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Date : 20100429

Dossier : A-468-09

Référence : 2010 CAF 116

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LANCE ROGERS

appelant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 avril 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 avril 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                       LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20100429

Dossier : A-468-09

Référence : 2010 CAF 116

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LANCE ROGERS

appelant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Lance Rogers d’une décision de la Cour fédérale (2009 CF 1093), par laquelle le juge Near a rejeté sa demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (2008 CRTFP 94).

 

[2]               L’arbitre a rejeté le grief de M. Rogers à l’encontre d’une mesure disciplinaire, au motif qu’elle n’a pas entraîné le « licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire » et que, par conséquent, le grief ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage en application du paragraphe 92(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, la loi régissant le présent litige. L’alinéa applicable prévoit ce qui suit :

 

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

 

[…]

 

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

 

 

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

 

 

 

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

 

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

 

 

 

Si M. Rogers ne peut se prévaloir de l’alinéa 92(1)c), il ne pourra poursuivre son grief au‑delà du deuxième niveau de la procédure interne de règlement des griefs, où le grief a été rejeté.

 

[3]               Les supérieurs de M. Rogers, employé de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), l’ont prévenu de ne pas intervenir personnellement dans le problème fiscal d’une personne qu’il avait rencontrée à son église. Le directeur de M. Rogers s’est chargé d’envoyer à un agent de résolution de problèmes les renseignements que M. Rogers avait fournis concernant le problème de son ami.

 

[4]               Par la suite, un spécialiste de l’ARC a informé M. Rogers des « décrets de remise » qui, selon lui, pouvaient lui permettre de résoudre le problème fiscal de son ami. Par conséquent, il a expliqué le problème au spécialiste et lui a suggéré de renvoyer l’affaire à l’agent de résolution de problèmes. Dix‑huit mois plus tard, M. Rogers a été informé que le problème avait été réglé de façon satisfaisante par la prise d’un décret de remise.

 

[5]               Lorsque M. Rogers a reçu son examen de rendement annuel, il a remarqué que sa réussite à résoudre ce problème n’y figurait pas. Il en a toutefois avisé ses supérieurs, qui l’ont informé que l’ARC avait ouvert une enquête pour savoir s’il avait mal agi en désobéissant à leurs directives de ne pas intervenir personnellement dans le problème de son un ami et en contrevenant au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

 

[6]               Monsieur Rogers a été tellement stressé par cette enquête qu’il a dû prendre environ un mois de congé de maladie payé approuvé par son médecin. Lorsqu’il est retourné au travail, il a rencontré les enquêteurs de l’ARC, qui lui ont expliqué les allégations. Cette rencontre l’a incité à prendre une autre période de congé de maladie payé, approuvée également par son médecin, en raison du stress.   

 

[7]               À la fin de l’enquête, conformément à ce qui était allégué, l’ARC a conclu que M. Rogers avait mal agi et lui a imposé une suspension disciplinaire de cinq jours. Cette suspension l’a obligé à prendre une troisième période de congé de maladie en raison du stress. Comme il avait épuisé ses congés de maladie payés, M. Rogers n’a pas été payé durant un autre congé qu’il avait pris pour des raisons indépendantes.

 

[8]               Au deuxième niveau de la procédure de grief, l’ARC a réduit la suspension à une réprimande écrite. Monsieur Rogers a néanmoins renvoyé son grief à l’arbitrage. L’arbitre a rejeté son grief, au motif que la réprimande écrite n’a pas entraîné une sanction pécuniaire et ne pouvait donc pas faire l’objet d’un arbitrage.

 

[9]               L’arbitre a conclu que même si M. Rogers a pris des congés de maladie en raison du stress que l’enquête et la mesure disciplinaire lui ont causé, réduisant ainsi le nombre de congés de maladie payés qu’il pouvait prendre plus tard, il n’a pas prouvé que ces congés constituaient une conséquence inévitable de la mesure disciplinaire prise par l’ARC. Par conséquent, comme la mesure disciplinaire n’a pas entraîné, même indirectement, une sanction pécuniaire, l’arbitre a rejeté le grief.

 

[10]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Rogers affirme que l’arbitre a commis une erreur de droit dans son interprétation de la décision Massip c. Canada (1985), 61 N.R. 114 (Massip) de notre Cour lorsqu’il a appliqué le critère pour déterminer si une mesure disciplinaire entraîne une sanction pécuniaire.

 

[11]           L’arbitre a estimé que la décision Massip prévoyait qu’une perte financière causée indirectement par une mesure disciplinaire pouvait constituer une sanction pécuniaire, pourvu qu’elle s’avère être une conséquence inévitable de l’action contestée. Le juge Near a souscrit à la manière dont l’arbitre a interprété la décision Massip.

 

[12]           Les parties conviennent que pour savoir si l’arbitre a commis une erreur de droit, il faut se demander si son interprétation de la décision Massip, décision contraignante de notre Cour, était correcte. Les parties ne contestent pas le bien‑fondé de la décision, mais ne s’entendent pas sur ce qui a été décidé. Par conséquent, la norme applicable en l’espèce est celle de la décision correcte.

 

[13]           L’avocat de M. Rogers soutient que la décision Massip exige simplement la preuve que la perte financière a été causée par la mesure disciplinaire et que cette conséquence est reliée à ladite mesure. Il allègue que la perte financière est reliée à la mesure disciplinaire et constitue ainsi une sanction pécuniaire en application de l’alinéa 9(2)c) puisqu’elle est une conséquence raisonnablement prévisible de la mesure disciplinaire. L’avocat affirme que les faits de la décision Massip étaient évidents, puisque la perte financière de l’employée constituait une conséquence inévitable de la mesure disciplinaire. Il était évident qu’elle était reliée à cette mesure.

 

[14]           Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la décision Massip n’introduisait pas les notions de common law de causalité et de prévisibilité raisonnable dans l’alinéa 92(1)c) : une perte financière ne devient pas une sanction pécuniaire simplement parce qu’elle est une conséquence raisonnablement prévisible de la mesure disciplinaire.

[15]           Les faits de l’affaire Massip sont révélateurs. La plaignante, une agente de poste à l’étranger, a été licenciée pour des raisons disciplinaires, mais a continué de travailler au même niveau au Canada. Toutefois, en raison de ce renvoi, elle a perdu la somme de 790,30 $ qui lui restait de l’indemnité de service à l’étranger à laquelle elle aurait autrement eu droit.

 

[16]           S’exprimant au nom de la majorité, le juge Mahoney a affirmé ce qui suit au par. 5 :

[traduction] La demanderesse a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, laquelle a entraîné une perte financière. Selon moi, il s’agit de savoir si la perte constituait une sanction.

 

 

Pour déterminer si une perte financière découlant d’une mesure disciplinaire constitue une sanction pécuniaire, le juge Mahoney a indiqué au par. 6 qu’il n’est pas nécessaire que la mesure disciplinaire contestée ait [traduction] « directement causée » la perte financière; il suffisait qu’elle ait « indirectement mais inévitablement » causé une perte de salaire. La Cour a conclu que la rétrogradation de Mme Massip l’a privée des droits que lui conférait le poste qu’elle occupait à l’étranger, y compris le droit à l’indemnité. Comme l’a indiqué le juge Mahoney au par. 7 :

[traduction] [L’indemnité de service à l’étranger] constitue principalement un paiement incitatif. Je ne vois pas pourquoi sa perte serait considérée comme moins une sanction pécuniaire que la perte de toute autre composante du salaire d’un employé.

 

 

 

[17]           La mesure disciplinaire faisant l’objet du contrôle ne devait pas obligatoirement énoncer chacun des avantages financiers que l’employé avait perdus en raison de son transfert. Le juge a affirmé au par. 8 de la décision Massip que la question du caractère indirect n’avait pas été soulevée pour les raisons suivantes :

[traduction] La perte découle immédiatement et inévitablement de la mesure disciplinaire par l’application d’une disposition expresse de la convention collective régissant l’emploi de la demanderesse.

 

 

 

[18]           À mon sens, ces propos ne peuvent être interprétés comme une invitation aux arbitres à examiner, chaque fois qu’une perte financière n’est pas le résultat inévitable de la mesure disciplinaire, si cette perte, causée par une mesure disciplinaire mais non implicite, était raisonnablement prévisible. Même si l’employé a prouvé que la perte financière était une conséquence raisonnablement prévisible de la réprimande écrite (ou de toute autre mesure disciplinaire), cette perte ne peut être considérée comme une sanction pécuniaire, c’est‑à‑dire comme une partie de la peine pour inconduite, parce qu’elle n’était pas implicitement prévue dans la réprimande écrite. 

 

[19]           Cette interprétation de la décision Massip est entièrement conforme au libellé de l’alinéa 92(1)c). En particulier, elle donne effet au choix du législateur des mots « sanction pécuniaire », plutôt que « perte financière ». Je ne souscris pas à la suggestion de l’avocat de M. Rogers selon laquelle, en l’espèce, sanction et perte sont synonymes.

 

[20]           L’interprétation de la décision Massip de l’arbitre est également conforme au libellé français de la disposition, laquelle prévoit l’expression « entraînant une sanction pécuniaire ». Le verbe « entraîner » peut signifier « avoir pour conséquence nécessaire, inévitable » (Le Nouveau Petit Robert) ou « involve » ou « entail » (Harrap’s Standard French and English Dictionary). À mon avis, le libellé français saisit précisément le sens donné à la version anglaise de l’alinéa 92(1)c) dans la décision Massip.

 

[21]           Il se pourrait que, comme l’indemnité de service à l’étranger dans la décision Massip, le droit de M. Rogers à un congé de maladie payé fasse partie de son salaire. Quoi qu’il en soit, le fait qu’il a dû l’utiliser en raison du stress que lui a causé la mesure disciplinaire ne signifie pas que la réduction de son droit à un congé de maladie payé constitue une sanction pécuniaire. Monsieur Rogers a pris des congés de maladie parce qu’il était stressé en raison de l’enquête et des procédures disciplinaires, non parce que cela était implicitement prévu dans la mesure disciplinaire. 

 

[22]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-468-09

 

APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE NEAR DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉE DU 27 OCTOBRE 2009, DOSSIER No T-1962-08.

 

 

INTITULÉ :                                                   LANCE ROGERS c.

                                                                        AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 28 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

POUR L’APPELANT

 

Richard Fader

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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