Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20100527

Dossier : A-381-09

Référence : 2010 CAF 135

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MARTINE LANDRY

intimée

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 18 mai 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mai 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE NADON

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 


 

Date : 20100527

Dossier : A-381-09

Référence : 2010 CAF 135

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MARTINE LANDRY

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en litige

 

[1]               Le juge Hogan de la Cour canadienne de l’impôt (juge) a-t-il exercé correctement la discrétion que lui confère l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) DORS/90-688 (Règles) en matière d’octroi des frais et dépens aux parties à une instance? Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’exercice qui en fut fait est entaché d’importantes erreurs de droit et de principe qui le rendent arbitraire et nécessitent notre intervention.

 

La législation pertinente

 

[2]               Je reproduis les paragraphes pertinents de l’article 147.

 

FRAIS ET DÉPENS

 

Règles générales

 

147.     (1) Sous réserve des dispositions de la Loi, la Cour a entière discrétion pour adjuger les frais et dépens aux parties à une instance, pour en déterminer la somme, pour les répartir et pour désigner les personnes qui doivent les supporter.

 

 

(2) Des dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

 

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l'instance;

b) des sommes en cause;

c) de l'importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l'instance;

h) de la dénégation d'un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l'admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l'instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

 

(4) La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

 

(5) Nonobstant toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut, à sa discrétion :

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question ou d'une partie de l'instance particulière;

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés jusqu'à et y compris une certaine étape de l'instance;

c) adjuger la totalité ou partie des dépens sur une base procureur-client.

 

(6) La Cour peut, dans toute instance, donner des directives à l'officier taxateur, notamment en vue :

a) d'accorder des sommes supplémentaires à celles prévues pour les postes mentionnés au tarif B de l'annexe II;

b) de tenir compte des services rendus ou des débours effectués qui ne sont pas inclus dans le tarif B de l'annexe II;

c) de permettre à l'officier taxateur de prendre en considération, pour la taxation des dépens, des facteurs autres que ceux précisés à l'article 154.

 

COSTS

 

General Principles

 

147.     (1) Subject to the provisions of the Act, the Court shall have full discretionary power over the payment of the costs of all parties involved in any proceeding, the amount and allocation of those costs and determining the persons by whom they are to be paid.

 

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

 

(3) In exercising its discretionary power pursuant to subsection (1) the Court may consider,

(a) the result of the proceeding,

(b) the amounts in issue,

(c) the importance of the issues,

(d) any offer of settlement made in writing,

(e) the volume of work,

(f) the complexity of the issues,

(g) the conduct of any party that tended to shorten or to lengthen unnecessarily the duration of the proceeding,

(h) the denial or the neglect or refusal of any party to admit anything that should have been admitted,

(i) whether any stage in the proceedings was,

(i) improper, vexatious, or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution,

(j) any other matter relevant to the question of costs.

 

 

 

 

 

(4) The Court may fix all or part of the costs with or without reference to Schedule II, Tariff B and, further, it may award a lump sum in lieu of or in addition to any taxed costs.

 

(5) Notwithstanding any other provision in these rules, the Court has the discretionary power,

(a) to award or refuse costs in respect of a particular issue or part of a proceeding,

(b) to award a percentage of taxed costs or award taxed costs up to and for a particular stage of a proceeding, or

(c) to award all or part of the costs on a solicitor and client basis.

 

 

(6) The Court may give directions to the taxing officer and, without limiting the generality of the foregoing, the Court in any particular proceeding may give directions,

(a) respecting increases over the amounts specified for the items in Schedule II, Tariff B,

(b) respecting services rendered or disbursements incurred that are not included in Schedule II, Tariff B, and

(c) to permit the taxing officer to consider factors other than those specified in section 154 when the costs are taxed.

 

 

 

Les faits et la procédure

 

[3]               L’intimée exerçait le métier de danseuse nue au Bar Chez Parée à Montréal au moment où elle a rencontré Monsieur X. En 2003, elle est apparue sur l’écran radar de l’Agence du revenu du Canada (Agence) en raison d’un écart apparent entre ses avoirs et ses revenus déclarés. Elle a donc fait l’objet d’une vérification selon la méthode de l’avoir net pour les années d’imposition 1998 à 2002. La vérification a débouché sur un ajout de quelques 602,627 $ aux revenus de l’intimée ventilé comme suit : 91 388 $ pour l’année 1998, 89 146 $ pour 1999, 68 068 $ pour 2000, 181 849 $ pour 2001 et 172 176 $ pour 2002. Elle a admis à l’audition de l’appel un écart reconstitué de 529 568 $ : voir dossier d’appel, volume 13, à la page 2770.

 

[4]               La vérification entreprise par l’Agence a débuté le 10 février 2003. Elle s’est heurtée à un manque de collaboration de l’intimée. L’Agence n’a jamais pu la rencontrer. De fait, le vérificateur de l’Agence, M. Noiseux, dira au procès en mars 2009 qu’il voyait l’intimée pour la première fois : voir le dossier d’appel, volume 17, à la page 3736. Cependant, l’Agence a fini en mars 2003 par rencontrer un représentant de l’intimée et de son conjoint de fait : voir le dossier d’appel, volume 7, aux pages 1424 à 1428.

 

[5]               À la mi-avril 2003, l’intimée retient les services d’un procureur : ibidem, à la page 1429. Le 1er mai, se tient une rencontre à laquelle participent le procureur de l’intimée, le chef d’équipe de la Division des enquêtes de l’Agence, M. Gagnière, et le vérificateur attitré au dossier, M. Noiseux.

 

[6]               Le procureur de l’intimée est informé que le dossier de sa cliente est au stade de la vérification. Pour expliquer les avoirs de sa cliente, il émet l’hypothèse qu’elle était peut-être entretenue, à l’insu de son conjoint de fait, par une personne connue dans le passé, en l’occurrence un joueur de hockey. Mais il refuse de fournir le nom de cette personne ainsi que les renseignements demandés par l’Agence pour pouvoir démarrer sur un bon pied la vérification par la méthode de l’avoir net : ibidem, à la page 1431.

 

[7]               Lors d’une nouvelle rencontre le 20 juin 2003, l’Agence se voit remettre certains documents :

 

a)                  les états financiers de la société 9051-1957 Québec inc., propriété de l’intimée, pour les années 1998 à 2002;

 

b)                  deux copies d’un contrat d’achat selon lequel la société 9057-6042 Québec inc., aussi propriété de l’intimée, s’est portée acquéresse d’actions de catégorie A de la société 9051-1957 Québec inc.;

 

c)                  une copie du contrat de financement entre 9057-6042 Québec inc. représentée par l’intimée et M. Guérin, le créancier; et

 

d)                  une copie d’un contrat de location entre Les Immeubles Leopold inc. (le locateur) et 9057-6042 Québec inc. représentée par l’intimée.

 

[8]               Il s’est écoulé 8 mois depuis le début de la vérification lorsque l’Agence demande à nouveau au procureur de l’intimée de fournir le nom de la personne qui entretiendrait sa cliente, les montants reçus par celle-ci, les dates auxquelles elle les aurait reçus, le mode de versement de ces montants et à quel titre ils auraient été versés.

 

[9]               Le procureur de l’intimée refuse de dévoiler l’identité demandée et de fournir les autres renseignements. Il insiste que ce qu’il avance quant au fait que sa cliente aurait reçu des sommes d’un joueur de hockey n’est qu’une hypothèse : ibidem, à la page 1448.

 

[10]           Confrontée à un refus de fournir les renseignements demandés, l’Agence n’a d’autre choix, comme elle l’avait indiqué au procureur de l’intimée en cas de refus, que de recourir au processus d’une Demande péremptoire de fourniture de renseignements et de production de documents prévu à l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), (5e supp.), ch.1.

 

[11]           La Demande péremptoire de renseignements et de production de documents est expédiée à l’intimée par courrier le 12 novembre 2003 : ibidem à la page 1451. Dans une lettre de réponse à la demande péremptoire, lettre datée du 3 décembre 2003, le procureur de l’intimée évoque l’hypothèse qu’il pourrait y avoir plusieurs tierces personnes qui entretiendraient sa cliente : voir le dossier d’appel, volume 2, à la page 262.

 

[12]           Dans une lettre adressée à M. Raymond Galimi, directeur du bureau des services fiscaux de Laval, le 9 janvier 2004, le procureur de l’intimée remet à ce dernier, dans une enveloppe scellée et initialée, le nom d’une tierce personne qui a remis des montants substantiels à l’intimée. Mais l’enveloppe ne peut être ouverte et le nom révélé à l’Agence qu’avec l’autorisation de l’intimée selon son bon vouloir : ibidem, à la page 267.

 

[13]           Mais l’hypothèse de multiples tierces personnes refait surface à nouveau dans une lettre que le procureur de l’intimée fait parvenir à l’Agence le 26 mars 2004 : ibidem, aux pages 271 et 272.

 

[14]           Le 25 mai 2004, un projet de cotisation est acheminé à l’intimée : voir le dossier d’appel, volume 7, à la page 1461.

 

[15]           Le 28 juillet 2004, soit environ un an et demi après le début de la vérification, l’Agence ignore toujours l’identité des tierces personnes qui auraient donné des sommes d’argent à l’intimée lorsqu’elle reçoit du procureur de cette dernière une lettre laissant encore entendre qu’elles sont plus d’une, mais indiquant que Monsieur X est la personne principalement responsable des apports de sommes : voir le dossier d’appel, volume 8, aux pages 1796 et 1800.

 

[16]           Des démarches sont alors entreprises pour rencontrer Monsieur X relativement aux transactions commerciales avec l’intimée et aux informations selon lesquelles il aurait remis de fortes et généreuses sommes d’argent à l’intimée. Celle-ci a lieu le 26 octobre 2004. Et Monsieur X nie à triple reprise avoir remis de quelque façon que ce soit des sommes ou montants substantiels à l’intimée entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2003. L’entrevue est immortalisée sur DVD : voir le dossier d’appel, volume 11, à la page 2392.

 

[17]           Le 15 novembre 2004 se tient une dernière rencontre des représentants de l’Agence avec le procureur de l’intimée avant que ne soit finalisée la cotisation. Ce dernier décline l’offre qui lui est faite de faire des représentations concrètes quant au projet de cotisation. Il refuse aussi de préciser s’il y a d’autres tierces personnes que Monsieur X qui ont versé des sommes d’argent et si sa cliente a fait des gains au casino au cours de la période sous vérification : voir le dossier d’appel, volume 7, à la page 1465.

 

[18]           Par la même occasion, les représentants de l’Agence sont autorisés verbalement par le procureur de l’intimée à ouvrir la lettre scellée remise antérieurement à M. Raymond Galimi laquelle ne contient qu’un nom, celui de Monsieur X lequel, contrairement à la fausse information sciemment donnée au début de la vérification, n’a rien du tout d’un joueur de hockey : ibidem.

 

[19]           Le 9 juin 2005, un avis de cotisation fut émis par le Ministre du Revenu national contre l’intimée pour les périodes en litige. Le 18 juillet, celle-ci, sans recourir à la procédure d’opposition, interjetait appel à la Cour canadienne de l’impôt. Contestation fut liée, une audition eut lieu du 9 au 13 mars 2009 et jugement de la Cour canadienne de l’impôt fut rendu le 10 août 2009.

 

[20]           Un avis d’appel fut déposé à notre Cour le 25 septembre 2009 par lequel l’appelante conteste l’octroi de dépens plus élevés de l’ordre de 35 000 $ à l’intimée.

 

[21]           Je me garde de relater certains faits à ce stade afin d’éviter ultérieurement des répétitions. Je les aborderai et considérerai au moment de l’analyse de la décision sous appel.

 

Analyse de la décision et des prétentions des parties

 

[22]           S’appuyant sur la décision de notre Cour dans l’arrêt Lau c.Canada, [2004] A.C.F. 35, aux paragraphes 4 et 5, l’intimée rappelle que l’article 147 des Règles confère au juge un pouvoir hautement discrétionnaire quant à l’octroi des dépens. En révision, la Cour ne peut substituer son opinion à celle du juge. J’en conviens, mais notre Cour rappelle également que la discrétion doit s’exercer selon les principes établis : ibidem.

 

[23]           L’appelante allègue que l’exercice de la discrétion dans le cas présent est entaché de trois erreurs de droit et deux erreurs de fait qui font de celui-ci un exercice arbitraire et contraire à la loi. Examinons ces allégations.

 

Le juge a mal interprété la Règle 147 et, conséquemment, fait une application erronée de celle-ci en considérant des comportements antérieurs à l’instance

 

 

[24]           Le juge possède le pouvoir de fixer une somme globale pour les frais, supérieure à celle qu’aurait engendrée l’application régulière du tarif prévu par les Règles. Pour ce faire, le juge doit normalement examiner la conduite des parties durant l’instance. C’est ce qui ressort des facteurs énumérés à la Règle 147 et de la jurisprudence : voir l’arrêt Hunter c. Canada, 2003 D.T.C. 51 (CCI) et la jurisprudence qu’il contient. Ce n’est qu’exceptionnellement que la Cour prendra en compte un comportement antérieur aux procédures et à l’instance : ibidem, voir aussi Merchant c. Sa Majesté la Reine, 2001 CAF 19 où la conduite du contribuable a frustré la procédure de vérification et prolongé indûment et inutilement l’audience, Merchant c. Canada, [1998] 3 C.T.C. 2505, 98 D.T.C. 1734 (CCI).

 

[25]           Avec respect, le juge a mal interprété le droit et les faits sur cette question en reprochant au vérificateur de ne pas avoir mené une enquête raisonnable sur le bien-fondé des affirmations faites par l’appelante au sujet de son généreux bienfaiteur. Si manquement il y a eu au niveau de la vérification, il est venu de l’intimée comme nous le verrons ci-après.

 

[26]           Elle et son conjoint n’ont jamais rencontré le vérificateur alors que, dans 99% des cas de vérification, les contribuables acceptent de le rencontrer : voir le témoignage de M. Noiseux, dossier d’appel, volume 17, aux pages 3735, 3736 et 3756 où le témoin relate que la section de la vérification a été contrainte de recourir à la procédure de demande péremptoire vu l’absence de collaboration.

 

[27]           En outre, l’intimée a caché jusqu’à la toute dernière minute l’identité de son donateur tout en laissant flotter l’idée qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse et qu’au surplus, il pouvait y en avoir plus d’un : voir les paragraphes 6, 8, 9, 11, 12, 13 et 15 des présents motifs. De fait, alors qu’à la connaissance de l’intimée la vérification était complétée à environ 85%, celle-ci refusait toujours de décliner les noms et adresses de ses bienfaiteurs alors qu’elle savait qu’il n’y en avait qu’un seul : voir le dossier d’appel, volume 7, page 1448 et le volume 17 aux pages 3678 et 3754 à 3756.

 

[28]           C’est une bien maigre consolation, et d’un secours inutile à la vérification, pour un vérificateur que de se faire dire qu’une enveloppe scellée, qui ne peut être ouverte sans le consentement d’une intimée qui se refuse à le donner, contient l’information nécessaire et capitale à l’exercice efficace et approprié de son pouvoir de vérification. Comment, sans sombrer dans l’arbitraire, peut-on en pareilles circonstances faire porter le blâme au vérificateur pour le manque de collaboration de l’intimée? Je crois que poser la question, c’est y répondre.

 

[29]           L’intimée avait enregistré les appels téléphoniques de Monsieur X reçus durant la période de vérification et au cours desquels il se décrivait comme un « généreux bienfaiteur » et se déclarait prêt à dire n’importe quoi au vérificateur de l’Agence pour la rencontre qu’il devait avoir avec lui le 26 octobre 2004 : voir le dossier d’appel, volume 5, aux pages 873 à 884.

 

[30]           Or ce n’est qu’à l’étape de l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt qu’elle a révélé l’existence et le contenu des messages téléphoniques. Elle ne l’a jamais fait à l’étape de la vérification. Face au triple déni formel de Monsieur X qu’il ait fait cadeau de larges sommes d’argent à l’intimée, l’Agence était en droit de s’adresser à la cour pour lui demander de trancher les questions de crédibilité soulevées par l’appel de l’intimée, sans qu’elle n’ait à subir les foudres de la cour pour avoir exercé son droit dans l’intérêt public.

 

[31]           Au paragraphe 64 de ses motifs, le juge écrit :

[64]     Cela dit, j’estime par contre que si l’appelante avait mis à la disposition de l’ARC une partie de la preuve qui a été présentée lors du procès, l’attitude de l’ARC aurait pu être différente. Je suis ainsi d’avis que l’appelante est en partie responsable de la durée des procédures.

 

Si on ajoute ce fait significatif à l’absence de collaboration démontrée durant la période de vérification, on ne peut que s’étonner du fait que l’Agence ait alors été condamnée au paiement de frais plus élevés que ceux normalement octroyés par le tarif.

 

[32]           En cours d’instance, le juge, évidemment alors au courant de tous les faits, s‘est interrogé sur une possibilité d’offre de règlement avant procès, compte tenu qu’il y avait des réputations à protéger. Le vérificateur, M. Noiseux, a répondu qu’il n’a pas eu de collaboration de la part de l’intimée pour discuter d’un règlement : voir le dossier d’appel, volume 17, aux pages 3749-51 et 3778. Il faut être deux pour discuter d’un règlement et le vérificateur n’a jamais pu rencontrer l’intimée et son conjoint. Essentiellement, la stratégie de l’intimée a été de dire « faites la preuve de vos écarts d’avoirs et on verra ».

 

[33]           Or, faut-il le rappeler, le fardeau reposait légalement sur les épaules de l’intimée d’expliquer la provenance des fortes sommes dont elle disposait au cours des périodes en litige. Elle pouvait le faire au stade de la vérification. Elle ne l’a pas fait. Elle a plutôt choisi d’aller directement à procès, sans même passer par la procédure d’opposition, et de se décharger de son fardeau à ce moment-là. L’Agence ne saurait être blâmée pour le choix d’un procès exercé par l’intimée, sans qu’il n’y ait eu de collaboration de cette dernière pour un règlement hors cour.

 

[34]           En somme, le juge a exercé sa discrétion sous la Règle 147 en prenant en considération des facteurs antérieurs aux poursuites et externes à la conduite des parties aux procédures sans que n’existent les circonstances exceptionnelles requises pour procéder comme il l’a fait. Ce faisant, il a exercé sa discrétion contrairement aux principes établis. En fait si circonstances exceptionnelles il y a, elles jouent en faveur de l’appelante.

 

Le juge a erré dans son interprétation de la Règle 147 en y inférant un pouvoir de sanctionner des obligations inexistantes

 

 

[35]           À ce titre, l’appelante reproche au juge d’avoir créé une tripe obligation pour l’Agence, soit de mener une enquête sur le bien-fondé des affirmations faites par l’intimée au sujet de Monsieur X, de mener une enquête sur les affaires de Monsieur X et de ses entreprises et, enfin, d’expliquer les sources de revenus de l’intimée.

 

[36]           Elle fonde ses deux premiers reproches sur le paragraphe 63 des motifs de la décision. Il se lit :

[63]     Après avoir entendu la preuve dans son ensemble et avoir écouté le témoignage de M. X, je dois constater que l’ARC a failli à son obligation de mener une enquête raisonnable sur le bien-fondé des affirmations faites par l’appelante au sujet de M. X. De plus, si l’ARC avait poussé l’enquête avec M. X, elle aurait facilement été en mesure de découvrir la vérité et l’existence des dons. L’ARC avait le pouvoir de mener cette enquête ou cette vérification auprès de M. X. D’autre part, M. Noiseux n’avait aucune explication possible des sources de revenu de l’appelante. Il a admis, lors de son témoignage, que les comptes fiscaux des sociétés de l’appelante étaient en règle et il n’avait aucune indication de revenu non déclaré. Dans la plupart des cas, lorsque les cotisations selon l’avoir net ont été établies et confirmées par les tribunaux, on retrouve des revenus non déclarés des entreprises des contribuables. M. Noiseux n’avait aucun motif valable de croire la version des faits de M. X quant à la non-existence des dons en argent comptant.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[37]           Bien que le juge ait reconnu dans ses motifs que l’obligation de repousser les présomptions du ministre incombe à l’intimée, il est surprenant de constater qu’il crée à l’Agence une obligation d’enquêter auprès de tiers pour corroborer les dires de l’intimée ou tenter de les infirmer. C’est le contribuable qui dispose de l’information concernant ses affaires. Et il lui appartient de la fournir pour assumer son fardeau de preuve, particulièrement dans un cas de cotisation par la méthode de l’avoir net. Contrairement à ce que dit le juge, il n’incombait pas au vérificateur d’apporter « une explication possible des sources de revenu de [l’intimée] » : voir le paragraphe 63 des motifs de la décision du juge.

 

[38]           De plus, il était pratiquement impossible de mener une enquête sur Monsieur X puisque ce n’est que le 26 octobre 2004 que le vérificateur apprit que Monsieur X était le généreux donateur. Or, Monsieur X fut aussitôt confronté par l’Agence avec les affirmations de l’intimée. Et il les a formellement niées à triple reprise. L’Agence aurait pu savoir que Monsieur X ne leur disait pas la vérité si l’intimée lui avait révélé l’existence et le contenu des bandes sonores enregistrées.

 

[39]           Au paragraphe 62 des motifs de sa décision, le juge le reconnaît lorsqu’il écrit :

[62] …  Toutefois, dans un système d’autocotisation, lorsque le ministre observe des augmentations d’avoir net non expliquées par le revenu d’un contribuable, ce dernier a l’obligation d’apporter des explications claires au ministre. Il est également à noter que le comportement de M. Noiseux aurait pu être différent si la preuve que l’appelante possédait (y compris les bandes sonores enregistrées) avait été mise à la disposition de celui-ci.

 

 

 

[40]           Mais le fait est que ces éléments de preuve ont été cachés du vérificateur dans sa phase de vérification. Tenu dans le noir et l’ignorance comme il le fut par l’intimée, le vérificateur, contrairement à ce que dit le juge, n’avait aucun motif valable au stade de la vérification de ne pas croire la version des faits de Monsieur X quant à la non-existence des dons en argent comptant. Lorsque les éléments de preuve occultés ont été portés à la connaissance de l’Agence, les poursuites en appel avaient déjà été intentées par l’intimée.

 

[41]           Pour justifier l’octroi d’une somme globale majorée à titre de dépens, le juge s’est mépris en imposant à l’Agence des obligations qu’elle n’a pas et en déplaçant sur elle le fardeau de preuve qui revient à l’intimée. À ce chapitre également, la discrétion judiciaire ne fut pas exercée selon les principes établis.

 

[42]           Ceci m’amène à considérer les deux dernières prétentions de l’appelante relatives aux erreurs de fait que le juge aurait commises.

 

Le juge a commis des erreurs de fait lorsqu’il a conclu que le vérificateur avait un préjugé favorable envers Monsieur X et n’a pas procédé à une vérification normale dans le dossier de l’intimée

 

 

[43]           Au paragraphe 61 des motifs de sa décision, le juge écrit :

[61]… Selon Me Ouellette, M. X fut traité avec déférence lors de son entrevue avec l’ARC. M. Noiseux n’a pas entrepris d’enquête approfondie; il a retenu sans fondement la version des faits de M. X, un homme d’affaires, plutôt que de croire l’appelante, autrefois une danseuse érotique. D’après moi, le comportement de M. Noiseux équivalait, dans les circonstances, à un préjugé favorable non fondé envers M. X en raison de son statut social, ce qui aurait été infirmé par une enquête et par une vérification normale de M. X ou de ses entreprises. Me Ouellette a argumenté que le comportement de M. X était suspect dès ses premières rencontres avec l’ARC et que si M. Noiseux avait suivi les procédures normales, l’ARC aurait découvert l’existence des dons importants que M. X avait versés à l’appelante.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

 

[44]           Le juge a endossé les représentations faites par le procureur de l’intimée. Avec respect, ces représentations n’étaient pas appuyées par la preuve.

 

[45]           Il n’y avait aucune preuve, et le procureur de l’intimée n’a pu nous en faire voir une seule qui établirait, comme l’énonce le juge, que « le comportement de M. Noiseux équivalait, dans les circonstances, à un préjugé favorable non fondé envers [Monsieur X] en raison de son statut social ». Ce n’est que pure spéculation. Et la conclusion prise ou l’inférence de fait faite par le juge est arbitraire et déraisonnable.

 

[46]           Revêt la même caractéristique sa conclusion que le préjugé du vérificateur eut été infirmé si celui-ci avait procédé à une enquête et une vérification normale de Monsieur X ou de ses entreprises. En fait, cette conclusion est contraire à la preuve parce que Monsieur X et ses entreprises venaient de faire l’objet d’une vérification fiscale et tout était en ordre. : voir le dossier d’appel, volume 11, à la page 2390.

 

[47]           Rien dans le comportement de Monsieur X ne permettait au vérificateur de croire qu’il cachait des informations. Il a accepté la demande de rencontre avec l’Agence, que l’entrevue soit enregistrée et il a répondu aux questions qui lui étaient posées.

 

[48]           Le vérificateur ignorait la remise de sacs d’argent comptant à l’intimée. Il a appris avec surprise, dans le cadre des poursuites prises par l’intimée, l’enregistrement de conversations téléphoniques entre elle et Monsieur X alors que ce fait et leur contenu ne lui furent jamais communiqués au cours du processus de vérification.

 

[49]           Enfin, il a aussi découvert après la vérification que certains documents relatifs à la vente d’un immeuble, dont la quittance, ne lui avaient pas été transmis alors qu’ils étaient en possession de l’intimée.

 

[50]           La preuve révèle que le vérificateur a suivi la procédure normale de vérification, mais que l’efficacité de celle-ci s’en est trouvée réduite à cause de la stratégie de non-coopération adoptée par l’intimée. Encore là, la conclusion du juge que la procédure normale de vérification n’a pas été suivie est déraisonnable parce que contraire à la preuve. Elle ne peut servir au soutien du pouvoir discrétionnaire d’accroître les frais en faveur de l’intimée.

 

Conclusion

 

[51]           Le système d’impôt sur le revenu repose sur l’auto-cotisation. Le contribuable est tenu annuellement de rapporter d’une manière franche et honnête ses revenus pour l’année d’imposition en cours. Inévitablement, s’ensuivent des contestations quant aux évaluations respectives faites de part et d’autre en ce qui a trait au revenu déclaré, au revenu gagné et, le cas échéant, à l’impôt réclamé.

 

[52]           Un litige en matière d’impôt n’est pas différent d’un litige dans d’autres domaines du droit en ce qu’il soulève des questions de crédibilité. Rien n’est plus vrai dans le domaine fiscal que lorsque la cotisation du contribuable se fonde sur la méthode de l’avoir net. On demande alors au contribuable d’expliquer l’écart entre ses revenus déclarés et son avoir net. L’explication fournie peut être satisfaisante pour clore le dossier. Mais elle peut aussi s’avérer plus ou moins crédible et, dans certains cas, tout simplement incroyable.

 

[53]           Aussi bien l’Agence que le contribuable a le droit de s’adresser au tribunal pour faire trancher les questions de crédibilité. Si l’Agence a l’obligation de vérifier l’existence de certains faits qui lui sont rapportés, elle n’a pas le fardeau d’enquêter sur la conduite d’un tiers étranger au litige pour tenter d’établir que le contribuable ne dit pas la vérité ou de corroborer ses dires. C’est le contribuable qui a le fardeau de réfuter les présomptions sur lesquelles le ministre fonde la cotisation.

 

[54]           Le pouvoir d’octroyer les frais et d’en déterminer le montant est un pouvoir discrétionnaire et non arbitraire. L’exercice de la discrétion doit s’articuler sur des principes établis et pertinents à la finalité pour laquelle la discrétion est exercée. Dans le cas présent, il s’est avéré erroné et arbitraire.

 

[55]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens. Compte tenu du manque de collaboration de l’intimée à la vérification, des informations fausses qu’elle a fournies et des informations qu’elle a cachées, lesquelles auraient ouvert la porte à une possibilité de règlement et évité la tenue d’une audition coûteuse, j’annulerais l’ordonnance du juge quant aux frais et je la remplacerais dans le dossier 2007-3211(IT)G par une ordonnance stipulant que chaque partie assume ses frais et dépens des procédures en Cour canadienne de l’impôt.

 

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-381-09

 

 

INTITULÉ :                                                   SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                        MARTINE LANDRY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 mai 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 mai 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marie-Claude Landry

POUR L’APPELANTE

 

Yves Ouellette

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Gowling Lafleur Henderson

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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