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Cour d’appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100527

Dossier : A-582-08

Référence : 2010 CAF 139

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

demanderesse

 

et

BELL CANADA, L’ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS, LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, L’ASSOCIATION DE L’INDUSTRIE CANADIENNE DE L’ENREGISTREMENT, APPLE CANADA INC., L’ASSOCIATION NATIONALE DES RADIOS ÉTUDIANTES ET COMMUNAUTAIRES INC., THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION, THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION OF CANADA, ICEBERG MEDIA.COM, ROGERS COMMUNICATIONS INC., ROGERS WIRELESS PARTNERSHIP, SHAW CABLESYSTEMS G.P., TELUS COMMUNICATIONS INC., CMRRA/SODRAC INC., ESPRIT COMMUNICATIONS, CKUA RADIO NETWORK et LE CONSEIL CANADIEN DU COMMERCE AU DÉTAIL

 

défendeurs

et

 

LA COMMISSION DU DROIT D’AUTEUR DU CANADA

 

intervenante

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 5 mai 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                          LE JUGE NADON                                                                                                                  LE JUGE PELLETIER


Cour d’appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100527

Dossier : A-582-08

Référence : 2010 CAF 139

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

demanderesse

 

et

BELL CANADA, L’ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS, LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, L’ASSOCIATION DE L’INDUSTRIE CANADIENNE DE L’ENREGISTREMENT, APPLE CANADA INC., L’ASSOCIATION NATIONALE DES RADIOS ÉTUDIANTES ET COMMUNAUTAIRES INC., THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION, THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION OF CANADA, ICEBERG MEDIA.COM, ROGERS COMMUNICATIONS INC., ROGERS WIRELESS PARTNERSHIP, SHAW CABLESYSTEMS G.P., TELUS COMMUNICATIONS INC., CMRRA/SODRAC INC., ESPRIT COMMUNICATIONS, CKUA RADIO NETWORK et LE CONSEIL CANADIEN DU COMMERCE AU DÉTAIL

 

défendeurs

et

 

LA COMMISSION DU DROIT D’AUTEUR DU CANADA

 

intervenante

 


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire

 

[1]               En plus de la sempiternelle question de la norme de contrôle applicable, la présente demande de contrôle judiciaire présentée par la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN) soulève les trois questions suivantes :

 

a)                  la Commission du droit d’auteur du Canada (la Commission) a-t-elle erré en droit et outrepassé sa compétence en refusant d’homologuer un tarif pour l’utilisation par la Société Radio-Canada (la SRC) du répertoire de la SOCAN dans le cadre de la diffusion simultanée sur Internet du signal radio conventionnel de la SRC ou en refusant d’homologuer un tarif pour la catégorie visant les « Autres sites »?

 

b)         la Commission a-t-elle violé le droit de la SOCAN à l’équité procédurale en s’appuyant sur des éléments de preuve qui ne faisaient pas partie du dossier, à savoir l’entente entre la SOCAN et la SRC, et en ne permettant pas aux parties de présenter des observations et de produire des éléments de preuve relativement à la question de savoir si l’entente existante de la SRC relative au tarif 1.C s’étendait à l’utilisation sur Internet?

 

c)         la Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait abusive ou arbitraire en concluant que les redevances actuellement versées par la SRC à la SOCAN au titre de la radio conventionnelle incluaient aussi la diffusion simultanée sur Internet?

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[2]               Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce sont les articles 3, 66.7, 66.71, 67.1 et 68 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 (la Loi), que je reproduis ci-dessous :

 

Droit d’auteur sur l’œuvre

 

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

 

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’œuvre;

 

b) s’il s’agit d’une œuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre œuvre non dramatique;

 

c) s’il s’agit d’un roman ou d’une autre œuvre non dramatique, ou d’une œuvre artistique, de transformer cette œuvre en une œuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;

 

d) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’œuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

 

e) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’œuvre en tant qu’œuvre cinématographique;

 

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

 

g) de présenter au public lors d’une exposition, à des fins autres que la vente ou la location, une œuvre artistique — autre qu’une carte géographique ou marine, un plan ou un graphique — créée après le 7 juin 1988;

 

h) de louer un programme d’ordinateur qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil;

 

i) s’il s’agit d’une œuvre musicale, d’en louer tout enregistrement sonore.

 

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

 

 

 

Fixation

 

(1.1) Dans le cadre d’une communication effectuée au titre de l’alinéa (1)f), une œuvre est fixée même si sa fixation se fait au moment de sa communication.

 

 

Attributions générales

 

66.7 (1) La Commission a, pour la comparution, la prestation de serments, l’assignation et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production d’éléments de preuve, l’exécution de ses décisions et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives.

 

 

Assimilation

 

(2) Les décisions de la Commission peuvent, en vue de leur exécution, être assimilées à des actes de la Cour fédérale ou de toute cour supérieure; le cas échéant, leur exécution s’effectue selon les mêmes modalités.

 

Procédure

 

(3) L’assimilation se fait selon la pratique et la procédure suivies par le tribunal saisi ou par la production au greffe du tribunal d’une copie certifiée conforme de la décision. La décision devient dès lors un acte du tribunal.

 

 

 

 

 

Décisions modificatives

 

(4) Les décisions qui modifient les décisions déjà assimilées à des actes d’un tribunal sont réputées modifier ceux-ci et peuvent, selon les mêmes modalités, faire l’objet d’une assimilation.

 

 

 

 

Publication d’avis

 

66.71 La Commission peut en tout temps ordonner l’envoi ou la publication de tout avis qu’elle estime nécessaire, indépendamment de toute autre disposition de la présente loi relative à l’envoi ou à la publication de renseignements ou de documents, ou y procéder elle-même, et ce de la manière et aux conditions qu’elle estime indiquées.

 

 

Dépôt d’un projet de tarif

 

67.1 (1) Les sociétés visées à l’article 67 sont tenues de déposer auprès de la Commission, au plus tard le 31 mars précédant la cessation d’effet d’un tarif homologué au titre du paragraphe 68(3), un projet de tarif, dans les deux langues officielles, des redevances à percevoir.

 

 

Sociétés non régies par un tarif homologué

 

(2) Lorsque les sociétés de gestion ne sont pas régies par un tarif homologué au titre du paragraphe 68(3), le dépôt du projet de tarif auprès de la Commission doit s’effectuer au plus tard le 31 mars précédant la date prévue pour sa prise d’effet.

 

 

 

Durée de validité

 

(3) Le projet de tarif prévoit des périodes d’effet d’une ou de plusieurs années civiles.

 

Interdiction des recours

 

(4) Le non-dépôt du projet empêche, sauf autorisation écrite du ministre, l’exercice de quelque recours que ce soit pour violation du droit d’exécution en public ou de communication au public par télécommunication visé à l’article 3 ou pour recouvrement des redevances visées à l’article 19.

 

 

 

 

Publication des projets de tarifs

 

(5) Dès que possible, la Commission publie dans la Gazette du Canada les projets de tarif et donne un avis indiquant que tout utilisateur éventuel intéressé, ou son représentant, peut y faire opposition en déposant auprès d’elle une déclaration en ce sens dans les soixante jours suivant la publication.

 

 

 

 

 

Examen du projet de tarif

 

 

68. (1) La Commission procède dans les meilleurs délais à l’examen des projets de tarif et, le cas échéant, des oppositions; elle peut également faire opposition aux projets. Elle communique à la société de gestion en cause copie des oppositions et aux opposants les réponses éventuelles de celle-ci.

 

 

Cas particuliers

 

(2) Aux fins d’examen des projets de tarif déposés pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication de prestations d’œuvres musicales ou d’enregistrements sonores constitués de ces prestations, la Commission :

 

a) doit veiller à ce que :

(i) les tarifs ne s’appliquent aux prestations et enregistrements sonores que dans les cas visés aux paragraphes 20(1) et (2),

 

(ii) les tarifs n’aient pas pour effet, en raison d’exigences différentes concernant la langue et le contenu imposées par le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion établi à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, de désavantager sur le plan financier certains utilisateurs assujettis à cette loi,

(iii) le paiement des redevances visées à l’article 19 par les utilisateurs soit fait en un versement unique;

 

b) peut tenir compte de tout facteur qu’elle estime indiqué.

 

Homologation

 

(3) Elle homologue les projets de tarif après avoir apporté aux redevances et aux modalités afférentes les modifications qu’elle estime nécessaires compte tenu, le cas échéant, des oppositions visées au paragraphe 67.1(5) et du paragraphe (2).

 

 

 

Publication du tarif homologué

 

(4) Elle publie dès que possible dans la Gazette du Canada les tarifs homologués; elle en envoie copie, accompagnée des motifs de sa décision, à chaque société de gestion ayant déposé un projet de tarif et aux opposants.

 

Copyright in works

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

 

 

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

 

(b) in the case of a dramatic work, to convert it into a novel or other non-dramatic work,

 

(c) in the case of a novel or other non-dramatic work, or of an artistic work, to convert it into a dramatic work, by way of performance in public or otherwise,

 

 

(d) in the case of a literary, dramatic or musical work, to make any sound recording, cinematograph film or other contrivance by means of which the work may be mechanically reproduced or performed,

 

 

(e) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to reproduce, adapt and publicly present the work as a cinematographic work,

 

 

(f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

 

(g) to present at a public exhibition, for a purpose other than sale or hire, an artistic work created after June 7, 1988, other than a map, chart or plan,

 

 

 

 

(h) in the case of a computer program that can be reproduced in the ordinary course of its use, other than by a reproduction during its execution in conjunction with a machine, device or computer, to rent out the computer program, and

 

(i) in the case of a musical work, to rent out a sound recording in which the work is embodied,

 

and to authorize any such acts.

 

 

 

Simultaneous fixing

 

(1.1) A work that is communicated in the manner described in paragraph (1)(f) is fixed even if it is fixed simultaneously with its communication.

 

 

General powers, etc.

 

66.7 (1) The Board has, with respect to the attendance, swearing and examination of witnesses, the production and inspection of documents, the enforcement of its decisions and other matters necessary or proper for the due exercise of its jurisdiction, all such powers, rights and privileges as are vested in a superior court of record.

 

Enforcement of decisions

 

(2) Any decision of the Board may, for the purposes of its enforcement, be made an order of the Federal Court or of any superior court and is enforceable in the same manner as an order thereof.

 

Procedure

 

(3) To make a decision of the Board an order of a court, the usual practice and procedure of the court in such matters may be followed or a certified copy of the decision may be filed with the registrar of the court and thereupon the decision becomes an order of the court.

 

 

 

Effect of variation of decision

 

(4) Where a decision of the Board that has been made an order of a court is varied by a subsequent decision of the Board, the order of the court shall be deemed to have been varied accordingly and the subsequent decision may, in the same manner, be made an order of the court.

 

 

Distribution, publication of notices

 

66.71 Independently of any other provision of this Act relating to the distribution or publication of information or documents by the Board, the Board may at any time cause to be distributed or published, in any manner and on any terms and conditions that it sees fit, any notice that it sees fit to be distributed or published.

 

 

Filing of proposed tariffs

 

67.1 (1) Each collective society referred to in section 67 shall, on or before the March 31 immediately before the date when its last tariff approved pursuant to subsection 68(3) expires, file with the Board a proposed tariff, in both official languages, of all royalties to be collected by the collective society.

 

Where no previous tariff

 

 

(2) A collective society referred to in subsection (1) in respect of which no tariff has been approved pursuant to subsection 68(3) shall file with the Board its proposed tariff, in both official languages, of all royalties to be collected by it, on or before the March 31 immediately before its proposed effective date.

 

Effective period of tariffs

 

(3) A proposed tariff must provide that the royalties are to be effective for periods of one or more calendar years.

 

Prohibition of enforcement

 

(4) Where a proposed tariff is not filed with respect to the work, performer’s performance or sound recording in question, no action may be commenced, without the written consent of the Minister, for

(a) the infringement of the rights, referred to in section 3, to perform a work in public or to communicate it to the public by telecommunication; or

(b) the recovery of royalties referred to in section 19.

 

Publication of proposed tariffs

 

(5) As soon as practicable after the receipt of a proposed tariff filed pursuant to subsection (1), the Board shall publish it in the Canada Gazette and shall give notice that, within sixty days after the publication of the tariff, prospective users or their representatives may file written objections to the tariff with the Board.

 

 

 

 

 

Board to consider proposed tariffs and objections

 

68. (1) The Board shall, as soon as practicable, consider a proposed tariff and any objections thereto referred to in subsection 67.1(5) or raised by the Board, and

(a) send to the collective society concerned a copy of the objections so as to permit it to reply; and

(b) send to the persons who filed the objections a copy of any reply thereto.

 

Criteria and factors

 

(2) In examining a proposed tariff for the performance in public or the communication to the public by telecommunication of performer’s performances of musical works, or of sound recordings embodying such performer’s performances, the Board

 

(a) shall ensure that

(i) the tariff applies in respect of performer’s performances and sound recordings only in the situations referred to in subsections 20(1) and (2),

(ii) the tariff does not, because of linguistic and content requirements of Canada’s broadcasting policy set out in section 3 of the Broadcasting Act, place some users that are subject to that Act at a greater financial disadvantage than others, and

 

 

(iii) the payment of royalties by users pursuant to section 19 will be made in a single payment; and

 

(b) may take into account any factor that it considers appropriate.

 

Certification

 

(3) The Board shall certify the tariffs as approved, with such alterations to the royalties and to the terms and conditions related thereto as the Board considers necessary, having regard to

(a) any objections to the tariffs under subsection 67.1(5); and

(b) the matters referred to in subsection (2).

 

 

Publication of approved tariffs

 

(4) The Board shall

(a) publish the approved tariffs in the Canada Gazette as soon as practicable; and

(b) send a copy of each approved tariff, together with the reasons for the Board’s decision, to each collective society that filed a proposed tariff and to any person who filed an objection.

 

 

Résumé des faits

 

[3]               La SOCAN a proposé un tarif (le tarif 22) pour la communication d’œuvres musicales sur Internet. L’instance devant la Commission s’est déroulée en deux temps. L’audience a été divisée en deux phases. La deuxième phase de l’audience, qui est en cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, a par la suite été divisée en deux parties qui ont mené à deux décisions de la Commission. L’une a été rendue en 2007 et fait l’objet de cinq autres demandes de contrôle judiciaire. La deuxième, rendue en 2008, fait l’objet de la présente instance.

 

[4]               Cette deuxième décision traitait des questions suivantes : radio commerciale (catégorie B du tarif 22); radio non commerciale (catégorie C); télévision commerciale, autres services de télévision, services sonores payants, services de radio par satellite (catégorie D du tarif 22); Société Radio-Canada (SRC), Office de la télécommunication éducative de l’Ontario (TVO), Société de télédiffusion du Québec (Télé-Québec) (catégorie E); sites Web audio (catégorie F); sites de jeux (catégorie G); « Autres sites » (catégorie résiduelle).

 

[5]               La SOCAN conteste seulement deux parties de la volumineuse décision de la Commission. Elle est en désaccord avec la conclusion de la Commission concernant la partie de la catégorie E du tarif relative l’utilisation de musique par la SRC lors de la diffusion simultanée sur Internet et demande le contrôle judiciaire de cette conclusion. Elle demande aussi l’annulation de la décision de la Commission en ce qui a trait à la partie VIII du projet de tarif visant les « Autres sites ». Je donnerai plus de détails sur ces deux questions lorsque j’examinerai leur bien-fondé.

 

La norme de contrôle

 

[6]               La SOCAN et la défenderesse CMRRA-SODRAC INC. (CSI) prétendent que la norme de contrôle applicable au refus de la Commission d’exercer sa compétence ainsi qu’au manquement à l’équité procédurale est la norme de la décision correcte, mais la plupart des défendeurs soutiennent que le contrôle de ces questions est régi par la norme de la décision raisonnable. Pour sa part, Apple Canada Inc. soutient que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique, mais que, quoi qu’il en soit, la décision de la Commission est correcte. Enfin, l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement est d’avis que la norme applicable est soit celle de la décision correcte, soit celle de la décision raisonnable.

 

[7]               Toutes les parties ont fourni des justifications contradictoires au soutien de leurs prétentions fondées sur leur interprétation de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12) et sur leur qualification des deux premières questions. Pour ce qui concerne la troisième question relative aux conclusions de fait, tous s’entendent pour dire que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

 

[8]               Je n’ai pas l’intention de traiter de manière détaillée des observations des parties à cet égard. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que, peu importe que ce soit la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable qui s’applique, la décision de la Commission satisfait aux deux normes.

 

 

Analyse de la décision de la Commission et des observations de la SOCAN

 

La Commission a-t-elle erré en droit et outrepassé sa compétence en refusant d’homologuer un tarif pour l’utilisation par la SRC du répertoire de la SOCAN dans le cadre de la diffusion simultanée sur Internet du signal radio conventionnel de la SRC et en refusant d’homologuer un tarif pour la catégorie visant les « Autres sites »?

 

 

[9]               Ce motif de contrôle soulève en fait deux questions distinctes. Je traiterai en premier lieu d’allégation concernant le refus d’homologuer un tarif pour l’utilisation par la SRC du répertoire de la SOCAN dans le cadre de la diffusion simultanée sur Internet du signal radio de la SRC.

 

a)         Allégation concernant le refus d’homologuer un tarif pour l’utilisation par la SRC du répertoire de la SOCAN dans le cadre de la diffusion simultanée sur Internet du signal radio de la SRC

 

 

[10]           La SOCAN a proposé un taux de 8 % pour la diffusion simultanée sur Internet du signal radio de la SRC. Elle a fondé son taux sur le même taux qu’elle proposait pour la radio conventionnelle. Pour sa part, la SRC a soutenu qu’elle ne faisait que dupliquer sur Internet un signal conventionnel (hertzien) et que, par conséquent, la diffusion simultanée de son signal sur Internet ne devrait entraîner pour elle aucune charge supplémentaire puisqu’il s’agissait simplement d’une autre façon d’écouter la radio.

 

[11]           La Commission a traité directement de la question et s’est plainte de l’absence d’analyse spécifique visant la SRC par la demanderesse pour justifier le projet de tarif applicable à la SRC. Elle a ensuite examiné la prétention de la SRC selon laquelle le droit de diffusion en continu sur Internet devrait être inclus dans le tarif 1.C existant de la SOCAN. Enfin, elle a conclu que, pour le moment, « les redevances actuellement versées par la SRC à la SOCAN rémunèrent déjà le droit d’utiliser la musique de cette dernière dans le cadre de la diffusion simultanée sur Internet. » Pour les motifs qu’elle a exposés, elle a reporté la décision finale sur la question au moment de la révision du tarif 1.C de la SOCAN.

 

[12]           Il est utile de reproduire intégralement les paragraphes 64 à 70 de la décision de la Commission qui démontrent comment la Commission a exercé sa compétence et énoncent les motifs de sa conclusion :

 

La SRC

 

[64] Les sites Web de la SRC pratiquent la diffusion simultanée de signaux de radio, la webdiffusion audio et audiovisuelle, ainsi que d’autres types d’activités.

 

La diffusion simultanée audio

 

[65] La SOCAN propose d’appliquer à la diffusion simultanée du signal de radio de la SRC le même taux qu’elle propose pour la radio conventionnelle, soit 8 pour cent. M. Liebowitz n’a pas justifié par une analyse spécifique le taux proposé pour la SRC. La SOCAN semble fonder sa position sur le principe qu’il convient de traiter de la même façon les stations de radio publiques et privées dans l’environnement

Internet.

 

[66] La SRC soutient que la diffusion simultanée de son signal sur Internet ne devrait entraîner pour elle aucune charge supplémentaire. Elle fait valoir que la diffusion simultanée ne fait que reproduire un signal conventionnel (hertzien). Il s’agirait là simplement d’une autre façon d’écouter la radio.

 

[67] L’audience Internet de la SRC est pour l’instant marginale. La SRC soutient que le droit à la transmission Internet devrait être inclus dans le tarif existant (Tarif 1.C de la SOCAN). Elle a produit à l’appui de cette position des éléments de preuve relatifs à des accords avec des associations d’artistes telles que l’American Federation of Musicians of the United States and Canada (AFM), l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) et l’Union des artistes (UDA), qui montrent que les titulaires de droits ont consenti à inclure la transmission Internet dans l’ensemble de droits en vertu desquels la SRC les rémunère déjà.

 

[68] Nous rejetons la proposition de la SOCAN à cet égard. Elle est fondée sur le taux proposé pour la diffusion simultanée des signaux des stations de radio commerciales assimilables à celles du tarif 1.A, taux obtenu à partir de l’analyse basée sur les coûts irrécupérables que nous avons déjà rejetée.

 

[69] Nous concluons que la SRC devrait rémunérer dans une certaine mesure la SOCAN pour la diffusion simultanée de son signal sur Internet et que cette rémunération devrait autant que possible être assise sur les revenus de ces activités de diffusion simultanée. Cependant, la SRC paie actuellement un forfait annuel convenu avec la SOCAN au titre de ses activités radiophoniques conventionnelles. Ce montant n’est pas lié aux revenus ou aux dépenses de la SRC. Par conséquent, l’accroissement d’audience que pourraient valoir à la SRC ses activités de diffusion simultanée sur Internet n’entraînera pas automatiquement une augmentation des redevances versées à la SOCAN, comme ce serait le cas par exemple pour la radio commerciale. Nous ne disposons pas de données, touchant les revenus publicitaires ou autres ou l’accroissement de l’audience, sur lesquelles fonder une augmentation des redevances à verser à la SOCAN.

 

[70] Par conséquent, force nous est pour le moment de considérer que les redevances actuellement versées par la SRC à la SOCAN rémunèrent déjà le droit d’utiliser la musique de cette dernière dans le cadre de la diffusion simultanée sur Internet. Quand viendra le temps de réviser le tarif 1.C de la SOCAN, la Commission sera en mesure d’établir de nouveau un lien entre les redevances versées par la SRC et son audience, y compris celle attribuable à Internet, étant donné que la méthode employée dans le passé pour établir les redevances à payer par la SRC était liée aux recettes publicitaires de la radio commerciale.

CBC

 

[64] CBC websites provide simulcasting of radiosignals, audio and audiovisual webcasting as well as other types of activities.

 

 

Audio Simulcasting

 

[65] SOCAN proposed a rate of 8 per cent for the simulcast of the CBC radio signal, based on applying the same rate it proposes for conventional radio. Professor Liebowitz provided no specific analysis of CBC in order to justify the proposed CBC tariff. SOCAN appears to base its position on the notion that public and private radio stations should be treated the same in the Internet environment.

 

 

 

[66] CBC contends there should be no additional liability arising from simulcasting its signal on the Internet. In its submission, simulcasting just duplicates a conventional, over-the-air signal. It is just another way of listening to the radio.

 

 

[67] CBC’s Internet audience is, at the moment, marginal. CBC argues that the right to Internet streaming should be included in its existing tariff (SOCAN Tariff 1.C). In support of this position,

it provided evidence of agreements with artists associations such as the American Federation of Musicians of the United States and Canada (AFM), the Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) and the Union des artistes (UDA) which shows that rights holders have agreed to include these rights in the bundle of rights for which they already receive payments from CBC.

 

 

[68] We reject SOCAN’s proposal in this respect. It is based on the tariff proposed for the simulcast of a commercial radio station’s signal similar to a Tariff 1.A broadcast station, which relies on the sunk cost analysis we have already rejected.

 

 

 

[69] We find that some payment should be made to SOCAN for CBC’s Internet simulcasting and those payments should, as much as possible, be derived from the income arising from these Internet simulcasting activities. However, CBC currently pays a fixed amount per year, established by agreement with SOCAN, for its conventional radio activity. The amount is not tied to CBC’s income or expenses. Thus, any possible increase in audience that CBC might achieve from Internet simulcasts will not automatically generate additional payments to SOCAN, as it would for example with commercial radio. We have no data on advertising or other revenues or additional audience on which to base an increase in SOCAN royalties.

 

 

 

 

 

 

 

[70] Therefore, for the moment, we can only consider that the current CBC payments to SOCAN already include the right to use SOCAN music on the Internet simulcasts. When the time comes to revise SOCAN Tariff 1.C, the Board will be able to reestablish a link between CBC payments and its audience, including that derived from the Internet, because the methodology used in the past to establish CBC royalties was linked to advertising revenues of commercial radio.

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           En toute déférence, je n’arrive pas à voir comment on peut dire que la Commission a refusé d’homologuer un tarif et, ce faisant, a refusé d’exercer sa compétence ou l’a outrepassée. En l’absence d’une analyse spécifique visant la SRC par la SOCAN ou de données touchant les revenus publicitaires ou autres ou l’accroissement de l’audience sur lesquelles fonder une augmentation des redevances à verser à la SOCAN et d’éléments de preuve démontrant que tout accroissement possible de l’auditoire de la SRC résultant des diffusions simultanées sur Internet entraînerait des redevances additionnelles pour la SOCAN en vertu du tarif 1.C, la Commission a conclu que les redevances que la SRC versait actuellement à la SOCAN incluaient le droit d’utiliser la musique de la SOCAN dans le cadre des diffusions simultanées sur Internet. Compte tenu de ces faits, je ne saurais dire que la décision de la Commission est erronée ou déraisonnable et qu’elle justifie notre intervention.

 

[14]           Évidemment, la SOCAN n’aime pas la décision rendue par la Commission dans l’exercice de ses fonctions hautement spécialisées à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve de retenue : voir Société canadienne de gestion des droits voisins c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2003 CAF 302, aux paragraphes 42 et 44; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2002 CAF 166, aux paragraphes 72 et 76. Cependant, il s’agit d’une décision relative au tarif applicable à la diffusion simultanée par la SRC, rendue par la Commission dans l’exercice même de sa compétence. Comme la Cour l’a dit dans Fédération canadienne des municipalités c. AT & T Canada Corp. (C.A.), 2002 CAF 500, au paragraphe 27, « suivant un principe de droit incontesté, la compétence d’un organisme administratif n’est pas subordonnée à la satisfaction ou au mécontentement d’une partie à l’égard de sa décision ».

 

[15]           Pour ces motifs, je ne puis retenir la prétention de la SOCAN relativement à cette première question. Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas besoin de traiter des allégations selon lesquelles la Commission a fondé sa décision sur l’entente entre la SRC et la SOCAN et a violé le droit de la SOCAN à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité d’exprimer son point de vue sur cette question. Cela m’amène à l’allégation selon laquelle la Commission a refusé d’homologuer un tarif relativement aux « Autres sites ».

 

b)         L’allégation concernant le refus d’homologuer un tarif relativement aux « Autres sites »

 

[16]           La catégorie du tarif visant les « Autres sites » faisait partie du tarif 22. La Commission a bel et bien homologué le tarif 22, mais sans y inclure la catégorie contenant les dispositions proposées par la SOCAN qui auraient assujetti les « Autres sites » aux taux de redevance applicables pour l’utilisation de musique sur leurs sites Web. L’expression « Autres sites » s’entend de « toutes sortes de sites qui utilisent de la musique de diverses façons mais dont l’activité principale n’est pas liée à l’utilisation de musique » : voir la décision de la Commission au paragraphe 108. La Commission cite comme exemples les sites de restaurants, d’hôtels, de bars, les balados d’amateur, les sites de partage vidéo et les sites de réseautage social. Dans leurs mémoires des faits et du droit, les parties ajoutent que cette catégorie comprendrait, entre autres choses, les sites de magasinage en ligne, de cartes et de blagues et d’information générale, les sites commerciaux et de vente au détail, les épisodes Web, les pages identitaires, les publicités, les sites promotionnels et les dessins animés : voir le mémoire de la SOCAN aux paragraphes 29 et 30 et le mémoire d’Apple Canada Inc. au paragraphe 15.

 

[17]           Encore une fois, et je le dis en toute déférence, je ne pense pas qu’il soit exact en droit de dire que la Commission a refusé d’homologuer un tarif et a donc refusé d’exercer sa compétence ou l’a outrepassée.

 

[18]           La Commission est investie du pouvoir d’approuver un projet de tarif et a l’obligation de l’homologuer une fois qu’il est approuvé. Dans l’exercice de cette fonction, la Commission possède le pouvoir d’ « [apporter] aux redevances et aux modalités afférentes les modifications qu’elle estime nécessaires » : voir le paragraphe 68(3) de la Loi. C’est précisément ce que la Commission a fait.

 

[19]           Dans l’exercice de sa compétence pour approuver le projet de tarif 22, la Commission a estimé nécessaire d’exclure du processus d’homologation la catégorie visant les « Autres sites ». Elle a fourni de motifs approfondis, détaillés et convaincants au soutien de cette exclusion.

 

[20]           Premièrement, en peu de mots, elle a statué qu’il serait d’effet hautement perturbateur et inéquitable de fixer à l’aveuglette un taux d’application rétroactive (de 1996 à 2006) : voir le paragraphe 113 de la décision.

 

[21]           Deuxièmement, étant donné l’absence de preuve sérieuse, il serait irresponsable d’homologuer un tarif qui pourrait avoir une portée aussi large, surtout compte tenu de la responsabilité conjointe et solidaire à l’égard de la communication de musique : ibidem, au paragraphe 114.

 

[22]           Troisièmement, étant donné que le partage de vidéo et le réseautage sont un phénomène plutôt récent qui est devenu populaire vers la fin de la période (1996 à 2006), les montants en jeu pour la période risqueraient d’être relativement peu importants : ibidem, au paragraphe 115.

 

[23]           Quatrièmement, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas « en l’absence de preuve, remplir adéquatement ses obligations, énoncées par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire ACR. c. SOCAN et SCGDV, de justifier adéquatement dans des motifs la façon dont elle s’y est prise pour arriver au taux du tarif » : ibidem, au paragraphe 116.

 

[24]           Enfin, tout en reconnaissant le droit de la SOCAN d’être rémunérée pour toute utilisation de son répertoire et l’obligation corrélative des utilisateurs de verser des redevances, la Commission a estimé que, dans ce cas-ci, pour la période visée par la réclamation, elle ne pouvait pas, faute de preuve sérieuse, établir un tarif équitable et raisonnable applicable aux « Autres sites » (non souligné dans l’original). Le paragraphe 117 expose de manière éloquente le dilemme devant lequel se trouvait la Commission :

 

[117] La Commission a déclaré à plusieurs reprises que la SOCAN a le droit d’être rémunérée pour toute utilisation de son répertoire et que les utilisateurs ne peuvent être dispensés de lui payer des redevances. Ces déclarations restent vraies en principe. Cependant, dans le cas qui nous occupe, il n’a été produit absolument aucun élément de preuve tendant à établir la valeur du répertoire ou même le degré ou la nature de ses utilisations. En outre, nous ne disposons pas de points de repère fiables sur lesquels fonder la fixation d’un taux. En fait, même l’intention de la SOCAN concernant l’application de cet élément du tarif n’est pas claire. Internet est un phénomène à la fois si fluide et si omniprésent qu’il serait imprudent de fixer un taux dont nous pensons que les conséquences risqueraient de se révéler excessives et, comme nous le disions, socialement inéquitables. En tout état de cause, la SOCAN a déposé pour 2007 et au-delà, des projets de tarifs toujours applicables à « tous les autres sites ». Lorsque la Commission examinera de nouveau ces tarifs, elle attendra des parties qu’elles produisent les éléments de preuve nécessaires à une évaluation adéquate de la situation.

[117] The Board has repeatedly stated that SOCAN is entitled to compensation for any use of its repertoire and that users cannot be exempted from paying royalties. These statements are correct as a matter of principle. In this instance, however, no evidence whatsoever was produced that would seek to establish the value of the repertoire or even the degree or the nature of its uses. In addition there are no reliable benchmarks on which to base a tariff. Indeed, even SOCAN’s intention with respect to the application of this part of the tariff is not clear. The Internet is such a fluid, yet omnipresent phenomenon that it would be foolhardy to attempt to set a tariff when we fear that the consequences might be overwhelming and, we repeat, socially unfair. In any event, SOCAN has filed for 2007 and beyond, proposed tariffs that target again “all other sites”. When the Board hears such tariffs in the future, parties will be expected to provide the necessary evidence to allow the Board to properly assess the situation.

 

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

[25]           Il n’est pas contesté que, lorsqu’elle examine une demande d’homologation d’un projet de tarif, la Commission a l’obligation d’approuver et d’homologuer un tarif équitable et raisonnable. Cela fait partie de son obligation de soupeser les intérêts opposés des titulaires du droit d’auteur, des fournisseurs de services et du public : voir l’arrêt Société canadienne de gestion des droits voisins c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, précité, au paragraphe 42.

 

[26]           À mon avis, il aurait été déraisonnable pour la Commission d’homologuer cette catégorie contestée du projet de tarif 22 en l’absence de la preuve probante nécessaire, sur le fondement de simples conjectures et approximations, surtout compte tenu de la longue période rétroactive visée (1996 à 2006) et du fait que, comme la Commission l’a conclu, ce n’est qu’à la fin de cette période que les sites de réseautage et de partage de vidéo sont devenus populaires.

 

[27]           En outre, rendre une décision du genre de celle que demande la SOCAN, en l’absence de cette preuve, serait un acte arbitraire et déraisonnable. Or, agir de manière arbitraire et déraisonnable lorsque la loi oblige à agir de manière équitable et raisonnable constitue une erreur de droit. La décision de la Commission aurait été à la fois erronée et déraisonnable.

 

[28]           Il est vrai que le paragraphe 68(3) dispose que la Commission doit homologuer les projets de tarif approuvés. Cependant, je n’arrive pas à voir comment le libellé de cette disposition peut obliger et obligerait la Commission à homologuer un tarif qu’elle ne peut pas approuver faute de preuve ou de preuve suffisante pour satisfaire aux exigences légales relatives à l’approbation.

 

[29]           Même si je présume, comme l’a soutenu la SOCAN, que la catégorie visant les « Autres sites » doit être considérée comme un tarif autonome et donc que la Commission a refusé d’homologuer ce tarif, je conclurais, pour les motifs déjà exposés, que la Commission était bien fondée à refuser de l’homologuer. Il n’était certainement pas dans l’intention du législateur que la Commission homologue un tarif non approuvé et non approuvable.

 

[30]           Par conséquent, je ne trouve aucun fondement à ce deuxième motif de contrôle judiciaire soulevé par la SOCAN.

 

[31]           À l’audience, la SOCAN a concédé que la plupart des conclusions de la Commission touchant l’absence de preuve et l’insuffisance de la preuve étaient justifiées. Cependant, elle a soutenu que l’affaire ne s’arrêtait pas là puisque, selon elle, la Commission avait l’obligation d’homologuer un tarif. Par conséquent, elle aurait dû recourir aux pouvoirs procéduraux que lui confère la Loi et prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir les renseignements qu’elle estimait nécessaires aux fins d’homologuer un tarif juste et équitable : voir les paragraphes 58 et 61 du mémoire de la demanderesse.

 

[32]           L’article 66.7 confère à la Commission les attributions d’une cour supérieure d’archives pour la comparution de témoins, la production de documents, l’exécution de ses décisions et toutes autres questions relevant de sa compétence.

 

[33]           Ces pouvoirs constituent des outils complémentaires utiles à la disposition de la Commission et auxquels elle peut recourir sur demande ou d’office lorsque les circonstances s’y prêtent : voir le Modèle de directive sur la procédure de la Commission. Ils ne remplacent toutefois pas l’obligation d’une partie de produire les éléments de preuve nécessaires au soutien de son projet de tarif, surtout lorsqu’une part importante des éléments de preuve essentiels manquants sont entre les mains de la partie qui propose le projet de tarif. Bien que la Commission puisse exercer opportunément ces pouvoirs pour compléter un dossier incomplet, ces pouvoirs n’entraînent pas pour la Commission l’obligation de créer un dossier. La partie qui propose un tarif à des fins d’homologation doit présenter sa cause sous son meilleur jour et non demander à la Commission de le faire à sa place.

 

[34]           J’ajouterai qu’il était loisible à la SOCAN, en vertu des règles de procédure applicables aux instances devant la Commission, de demander l’aide de la Commission pour recueillir ses éléments de preuve et compléter sa preuve, laquelle était clairement incomplète comme la SOCAN devait le savoir. Son omission de le faire en temps opportun en vertu de ces règles de procédure ne peut pas être transformée plus tard en une obligation pour la Commission d’exercer d’office les pouvoirs discrétionnaires que lui confère l’article 66.7 de la Loi et en une omission de la part de la Commission de s’acquitter de cette obligation.

 

[35]           Je rejetterais l’argument de la SOCAN fondé sur l’article 66.7 de la Loi.

 

[36]           S’appuyant sur la dissidence de Mme Charron, membre de la Commission, la SOCAN, soutenue par CSI, a fait valoir que la Commission aurait dû homologuer un tarif mais fixer le taux à zéro. Comme l’a souligné l’avocat d’Apple Canada Inc., un tarif entraîne des obligations onéreuses notamment en matière de vérification, de comptabilité et de présentation de rapports. Compte tenu de ces obligations, de la vaste catégorie mal définie des personnes à qui ces obligations s’appliqueraient et de l’absence de preuve permettant à la Commission d’approuver le projet de tarif, je ne saurais dire qu’il était erroné ou déraisonnable de la part de la Commission dans ces circonstances de refuser d’homologuer un tarif prévoyant un taux de zéro. En demandant l’impossible, la SOCAN a obtenu le mieux possible, soit une proposition de réexaminer la question lorsque les projets de tarif pour 2007 seraient présentés à la Commission : voir le paragraphe 117 de la décision.

 

Conclusion

 

[37]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur des défendeurs.

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-582-08

 

INTITULÉ :                                                  SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE c. BELL CANADA et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 5 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gilles M. Daigle

D. Lynne Watt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hafeez Rupani

 

 

Gerald L. Kerr-Wilson

 

 

 

 

J. Thomas Curry

Marguerite Ethier

 

Michael Koch

 

 

Casey M. Chisick

Timothy Pinos

 

J. Aidan O’Neill

 

 

Howard P. Knopf

 

 

 

Mario Bouchard

 

POUR LES DÉFENDERESSES

l’ESA et l’ESAC

 

POUR LES DÉFENDERESSES

Bell Canada, Rogers Comm. Inc., Rogers Wireless, Shaw Cablesystems, Puretracks Inc. et Telus Comm. Inc.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

l’AICE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Apple Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

CMRRA-SODRAC Inc.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

la SRC

 

POUR LE DÉFENDEUR

le Conseil canadien du commerce de détail

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Borden Ladner Gervais

Ottawa (Ontario)

 

Fasken Martineau S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

 

 

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Toronto (Ontario)

 

Goodmans

Toronto (Ontario)

 

Cassels Brock & Blackwell LLP

Toronto (Ontario)

 

Fasken Martineau Fasken Martineau S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Macera & Jarzyna LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

La Commission du droit d’auteur du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

l’ESA et l’ESAC

 

POUR LES DÉFENDERESSES

Bell Canada, Rogers Comm. Inc., Rogers Wireless, Shaw Cablesystems, Puretracks Inc. et Telus Comm. Inc.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

l’AICE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Apple Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

CMRRA-SODRAC Inc.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

CBC

 

POUR LE DÉFENDEUR

le Conseil canadien du commerce de détail

 

POUR L’INTERVENANTE

 

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