Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20100610

Dossier : A-238-09

Référence : 2010 CAF 155

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL INC.

et HOFFMANN LAROCHE LIMITED

 

intimées

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 mai 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LA JUGE  DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE EVANS

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20100610

Dossier : A-238-09

Référence : 2010 CAF 155

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL INC.

et HOFFMANN LAROCHE LIMITED

 

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]        L’appelante, Apotex Inc. (Apotex), a intenté une action contre les intimées, Syntex Pharmaceuticals International Inc. et Hoffmann LaRoche Limited (collectivement appelées Roche), en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement). Un juge de la Cour fédérale a rejeté l’action  (2009 CF 494) en concluant que :

 

i.                     dans tous les cas, la version du Règlement de 1993 s’appliquait à l’action;

 

ii.                   les faits de l’espèce n’ont toutefois pas donné lieu à l’application de l’article 8 du Règlement alors en vigueur.

 

[2]        Le présent appel porte sur la justesse de ces conclusions. À mon avis, le juge a correctement répondu aux questions juridiques dont il était saisi. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

 

Les faits

[3]        Les faits ne sont pas contestés. Ils ont été soigneusement et entièrement énoncés dans les motifs du jugement sous appel.  Un résumé des faits est donc suffisant.

 

[4]        Le 20 mars 1996, la juge Reed de la Section de première instance de la Cour fédérale (maintenant la Cour fédérale) a rendu une ordonnance en vertu du Règlement dans le cadre d’une procédure engagée par Hoffmann LaRoche Limited et Syntex Pharmaceuticals International Limited contre le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) et Apotex (la procédure d’interdiction).  Aux termes de l’ordonnance, il était interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement aux comprimés de naproxène à libération lente jusqu’à l’expiration du brevet canadien n° 1,204,671 (le brevet 671).  Dans le cadre de la procédure d’interdiction, la Cour n’avait pas à examiner la validité du brevet 671 parce qu’Apotex n’avait fait aucune allégation d’invalidité.

 

[5]        Un appel et un appel incident de la décision de la juge Reed ont été rejetés.

[6]        Ensuite, Apotex a intenté une action dans le but d’obtenir un jugement déclarant que le brevet 671 était invalide. Le 19 avril 1999, la juge Reed a rendu un jugement déclarant que la formulation d’Apotex relative aux comprimés de naproxène à libération lente ne contrefaisait pas le brevet 671 et que ce dernier était invalide. Aucun appel n’a été interjeté à l’encontre de ce jugement.

 

[7]        Malgré le jugement du 19 avril 1999, le ministre n’a pas délivré d’avis de conformité à Apotex. Il était d’avis que l’ordonnance d’interdiction était toujours en vigueur et l’empêchait de délivrer un avis de conformité. Apotex a alors déposé une requête afin que l’ordonnance d’interdiction soit annulée et que la demande soit rejetée.

 

[8]        Le 30 avril 1999, la juge Reed a rendu une ordonnance annulant l’ordonnance d’interdiction du 20 mars 1996 et rejetant la demande. Aucun appel n’a été interjeté à l’encontre de cette décision. Cette ordonnance est le fondement de l’action en dommages-intérêts intentée par Apotex en vertu de l’article 8 du Règlement.

 

[9]        Après le rejet de la demande d’interdiction, le ministre a délivré un avis de conformité à Apotex relativement aux comprimés de naproxène à libération lente. Il a certifié que, n’eût été de l’ordonnance d’interdiction, l’avis de conformité aurait été délivré à Apotex le 21 juillet 1995.

 

 

 

Décision de la Cour fédérale

[10]      Le juge a commencé en examinant brièvement l’historique du Règlement : il est entré en vigueur le 12 mars 1993 et a été modifié pour la première fois le 11 mars 1998 (DORS/98-166).  Comme l’a fait le juge de la Cour fédérale, j’emploierai « la version du Règlement de 1993 » et « la version du Règlement de 1998 » pour les désigner.

 

[11]      La version du Règlement de 1998 a apporté un certain nombre de modifications au Règlement, notamment à l’article 8. Le paragraphe 9(6) de la version du Règlement de 1998 était une disposition transitoire régissant l’applicabilité des modifications apportées à l’article 8.

 

[12]      Le paragraphe 9(6) de la version du Règlement de 1998 prévoyait ce qui suit :

DISPOSITIONS TRANSITOIRES

 

9(6) L’article 8 du même règlement, édicté par l’article 8, s’applique aux demandes qui sont pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement. [Non souligné dans l’original.]

TRANSITIONAL PROVISIONS

 

9(6) Section 8 of the Regulations, as enacted by section 8, applies to an application pending on the coming into force of these Regulations. [Emphasis added.]

 

[13]      Pour déterminer si c’était la version du Règlement de 1993 ou celle de 1998 qui s’appliquait à l’action en dommages-intérêts intentée par Apotex, le juge s’est d’abord demandé si l’instance était « pendante », ou « pending » dans la version anglaise, le 11 mars 1998, la date à laquelle la version du Règlement de 1998 est entrée en vigueur.

 

[14]      Le juge a examiné la signification des mots « pendante » et « pending » à la lumière de plusieurs définitions trouvées dans des dictionnaires juridiques et a conclu que ces termes désignent une « [procédure] qui n’est pas encore terminée, qui n’a fait l’objet d’aucune décision finale ». Il a reconnu que dans certaines circonstances exceptionnelles, une décision finale peut être modifiée ou annulée et il a fait référence à l’arrêt AB Hassle c. Apotex Inc., 2008 CAF 416, au paragraphe 30, de notre Cour, qui confirmait qu’une ordonnance d’interdiction peut être annulée lorsqu’une conclusion d’invalidité ou de contrefaçon a été tirée dans une autre action.  À la lumière de plusieurs décisions anglaises portant sur la contrefaçon de brevets et la finalité des dommages-intérêts même lorsque le brevet est ultérieurement invalidé, et à la lumière de la finalité de la décision de la juge Reed et de l’appel s’y rapportant, le juge a décidé que l’affaire n’était pas pendante au moment pertinent au sens des dispositions transitoires.  Par conséquent, la version du Règlement de 1993 s’appliquait.

 

[15]      Le juge a ensuite examiné et interprété l’article 8 de la version du Règlement de 1993, lequel prévoyait ce qui suit :

8(1) La première personne est responsable envers la seconde personne de tout préjudice subi par cette dernière lorsque, en application de l’alinéa 7(1)e), le ministre reporte la délivrance de l’avis de conformité au-delà de la date d’expiration de tous les brevets visés par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

 

(2) Le tribunal peut rendre toute ordonnance de redressement par voie de dommages-intérêts ou de profits que les circonstances exigent à l’égard de tout préjudice subi du fait de l’application du paragraphe (1).

8(1) The first person is liable to the second person for all damage suffered by the second person where, because of an application of paragraph 7(1)(e), the Minister delays issuing a notice of compliance beyond the expiration of all patents that are the subject of an order pursuant to subsection 6(1).

 

 

(2) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any damage referred to in subsection (1).

 

[16]      La signification du terme « expiré », défini à l’article 2 du Règlement comme voulant dire « qui est expiré, qui est périmé ou qui a pris fin par l’effet d’une loi », était essentielle à l’analyse du juge.  Le juge a remarqué qu’un brevet pouvait expirer, c’est-à-dire que sa durée était terminée, qu’il était périmé en raison du non-paiement des taxes périodiques réglementaires, ou qu’il avait pris fin par l’effet d’une loi, par exemple s’il avait été déclaré invalide. Il a indiqué que l’alinéa 7(1)e) du Règlement obligeait le ministre à attendre 30 mois avant de délivrer un avis de conformité si une demande d’interdiction avait été présentée. Il a conclu que le ministre, par l’effet de l’alinéa 7(1)f) et du paragraphe 7(2) du Règlement, n’était pas tenu d’attendre avant de délivrer un avis de conformité si le brevet était expiré.

 

[17]      Ensuite, lorsqu’il a examiné l’article 8 de la version du Règlement de 1993, le juge a tenu compte des principes d’interprétation législative. Il a affirmé que ces principes l’obligeaient à donner un sens à la disposition en l’interprétant dans son contexte.  Il a aussi dit qu’il ne devrait pas nécessairement être distrait par le fait que les parties laissent entendre que la disposition est ambiguë ou absurde.

 

[18]      Il a ainsi poursuivi son raisonnement aux paragraphes 71 à 73 et 76 :

 

71.       Une interprétation raisonnable de l’article 8 consisterait à imposer une responsabilité à la première personne si la délivrance d’un avis de conformité à la seconde personne a été retardée parce que le brevet en cause était « expiré », c’est-à-dire que sa durée était terminée, qu’il était périmé en raison, par exemple, du non-paiement des taxes périodiques réglementaires, ou qu’il avait pris fin par l’effet d’une loi, par exemple s’il avait été déclaré invalide. Si, par exemple, le brevet a été déclaré invalide dans le contexte de la demande d’avis de conformité elle-même, on peut dire que le ministre a retardé la délivrance de cet avis parce que le brevet est réputé être « expiré ». On pourrait raisonnablement considérer que le retard s’étend de la date à laquelle le ministre dit que l’avis de conformité aurait été délivré n’eût été de la demande présentée au tribunal ou la date à laquelle cette demande est présentée au tribunal, selon la plus tardive de ces deux dates, à la date de la délivrance de l’avis de conformité. En l’espèce, le ministre a produit une lettre (pièce 2-13) indiquant que l’avis de conformité aurait été délivré le 21 juillet 1995 si la demande n’avait pas été présentée au tribunal le 3 août 1993 (pièce 2-5). L’avis de conformité a été délivré le 4 mai 1999 (pièce 2‑12). Le retard aurait donc duré du 21 juillet 1995 au 4 mai 1999.

 

72.       En l’espèce cependant, le jugement invalidant le brevet 671 n’a pas été rendu dans le contexte d’une demande fondée sur le Règlement, mais dans le cadre d’une action distincte. Il a été rendu le 23 avril 1999, soit quelques jours seulement avant le 4 mai 1999. L’ordonnance modifiant l’ordonnance d’interdiction et rejetant la demande présentée en vertu du Règlement a été prononcée le 30 avril 1999. La preuve ne permet pas de savoir à quelle date le ministre a été informé du jugement ou de l’ordonnance. J’estime que le ministre n’a pas retardé de manière déraisonnable la délivrance d’un avis de conformité à Apotex.

 

73.       Dans les circonstances, Apotex était libre de vendre le médicament en question à compter du 4 mai 1999. L’entreprise peut-elle maintenant revenir en arrière et demander que le brevet 671 soit déclaré invalide dans le cadre de l’action au motif qu’il était « expiré » au sens de l’article 8 de la version du Règlement de 1993, afin de pouvoir faire une réclamation en vertu de cette disposition? J’estime que non.

 

[…]

 

76.       En aucun temps pendant la période au cours de laquelle l’ordonnance d’interdiction a été rendue, y compris la période au cours de laquelle elle a été confirmée en appel, le brevet 671 n’a-t-il été déclaré invalide par le tribunal dans cette instance ou dans une autre instance. Le brevet n’était pas « expiré » lorsque l’ordonnance a été rendue ou confirmée en appel. Dès que le brevet a « expiré » par suite de la décision l’invalidant qui a été rendue dans une autre affaire, le ministre a délivré un avis de conformité. Il n’y a pas eu de retard. En conséquence, je conclus que l’article 8 de la version du Règlement de 1993 ne s’applique pas dans les circonstances de la présente action.  [Je souligne.]

 

[19]      Compte tenu de ses conclusions, le juge n’a pas eu à trancher les autres questions soulevées par Apotex.  Il l’a fait dans le cadre de l’appel qui était « presque inévitable ». L’une des questions consistait à savoir si Roche serait responsable des dommages si la version du Règlement de 1998 s’appliquait. En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner l’interprétation que le juge a faite de l’article 8 de la version du Règlement de 1998.  Par conséquent, aucun commentaire n’est fait sur l’exactitude de cette interprétation.

 

Les erreurs alléguées

[20]      Apotex affirme que le juge a commis les erreurs suivantes en tirant les conclusions susmentionnées :  

 

1.                  Compte tenu de l’ordonnance du 30 avril 1999 rendue par la juge Reed rejetant la demande d’interdiction, le juge a commis une erreur en omettant de conclure que  Roche ne pouvait soutenir que la demande d’interdiction n’était pas pendante en date du 11 mars 1998.  

2.                  Si rien n’empêchait Roche de soutenir une telle chose, le juge a tout de même commis une erreur en concluant que la demande d’interdiction n’était pas pendante en date du 11 mars 1998.

3.                  Le juge a commis une erreur en interprétant la version du Règlement de 1993 de façon à l’empêcher de réclamer des dommages-intérêts.

 

 

 

La norme de contrôle applicable en appel

[21]      Les parties conviennent que les questions soulevées dans le cadre du présent appel sont des questions de droit auxquelles le juge devait répondre correctement. Je suis d’accord.

 

Analyse

Le juge a-t-il commis une erreur en omettant de conclure que Roche ne pouvait pas soutenir que la demande d’interdiction n’était pas pendante en date du 11 mars 1998?

[22]      Apotex soutient que, dans sa décision de 1999 d’annuler l’ordonnance d’interdiction, la juge Reed a entendu des observations selon lesquelles elle n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance demandée parce que la demande n’était plus pendante.  La juge Reed n’était pas d’accord et a conclu que la Cour avait compétence continue sur l’ordonnance d’interdiction rendue en vertu du Règlement. Comme cette décision n’a pas été portée en appel, Apotex affirme que la règle de l’autorité de la chose jugée s’applique et que les principes de la préclusion empêchent Roche de rouvrir la question.

 

[23]      À mon humble avis, cet argument n’est pas fondé. En droit, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique seulement lorsque la même question a été tranchée définitivement entre les parties. La préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit à l’égard desquels on a nécessairement statué, même si on ne l’a pas fait de façon explicite, dans le cadre de l’instance antérieure.  Voir : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, à la page 481.  La juge Reed n’a pas explicitement ni nécessairement statué sur la question de savoir si la demande d’interdiction était pendante aux fins de l’application du paragraphe 9(6) de la version du Règlement de 1998. Elle a plutôt fondé sa décision sur la compétence continue inhérente de la Cour pour modifier ou annuler l’ordonnance d’interdiction en fonction des nouvelles circonstances. Elle était aussi d’avis que l’ordonnance d’interdiction avait, d’après ses propres termes, perdu sa force exécutoire en raison du prononcé de l’ordonnance du 19 avril 1999 déclarant le brevet 671 invalide.  Par conséquent, elle a rendu l’ordonnance rejetant la demande d’interdiction.  Voir :  (1999) 167 F.T.R. 111, aux paragraphes 8, 14 et 15.

 

[24]      Comme Apotex n’a pas d’abord déterminé si la demande d’interdiction était pendante aux fins du paragraphe 9(6) de la version du Règlement de 1998, son argument sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée doit être rejeté.  

 

Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la demande d’interdiction n’était pas pendante en date du 11 mars 1998?

[25]      Selon Apotex, pour bien interpréter le terme « pendante » utilisé au paragraphe 9(6) de la version du Règlement de 1998, il faut tenir compte du contexte dans lequel il est utilisé, ce qui comprend le régime et l’objet de la version du Règlement de 1998, l’objet des modifications apportées en 1993 à la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, le Règlement tel qu’il a été édicté et les modifications apportées au Règlement en 1998. Apotex souligne que le Résumé de  l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait la version initiale du Règlement démontrait une intention de limiter la suspension automatique en vertu du Règlement au moyen du mécanisme de l’article 8.  Il s’agirait là d’une tentative d’établir un équilibre entre les droits du titulaire de brevet et ceux du fabricant de produits génériques. Les modifications apportées en 1998 visaient à clarifier et à simplifier le Règlement. Dans le REIR qui accompagnait les modifications de 1998, il y avait également des commentaires sur la nécessité d’établir un équilibre entre les droits du titulaire de brevet et l’intérêt public à ce que les médicaments génériques entrent sur le marché aussitôt que possible. Selon le REIR, la Cour a reçu des précisions en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles des dommages-intérêts pourraient être accordés. La disposition transitoire montrait l’intention que le nouveau règlement s’applique aux demandes présentées avant l’entrée en vigueur des modifications : les demandes qui étaient toujours pendantes.

 

[26]      Apotex s’appuie sur Stroud’s Judicial Dictionary of Words and Phrases pour affirmer qu’une instance est pendante [traduction] « tant et aussi longtemps que la Cour qui a d’abord pris connaissance de l’affaire peut rendre une ordonnance sur les questions en litige, ou soulevées, dans le cadre de l’affaire ».  Elle s’appuie également sur une déclaration de Jessel M.R. dans une affaire d’insolvabilité datant de 1882 (In re Clagett’s Estate; Fordham v. Clagett (1882), 20 Ch D 637, p. 653) selon laquelle une procédure d’insolvabilité pendante [traduction] « comprend toute insolvabilité dans le cadre de laquelle une procédure peut être engagée. […] Une affaire est dite pendante devant une cour de justice lorsqu’une procédure peut être engagée ». Apotex indique aussi que dans le cadre d’une action pour transferts frauduleux, l’instance demeure pendante après le prononcé du jugement jusqu’à ce que toutes les mesures nécessaires pour la distribution des actifs aux créanciers aient été prises.

 

[27]      Apotex soutient qu’une interprétation large du terme « pendante » est compatible avec la conclusion de la juge Reed selon laquelle la Cour avait compétence continue sur l’ordonnance d’interdiction et avec l’intention à l’origine des modifications. Refuser d’appliquer la version du Règlement de 1998 serait, selon elle, contraire à cette intention.

 

[28]      À mon avis, le juge a bien interprété la disposition transitoire. Dans le contexte d’une procédure judiciaire, les termes « pendantes » ou « pending » signifient qu’elle n’est pas encore terminée.  En l’espèce, au moment où les modifications de 1998 ont été apportées, une ordonnance définitive avait été prononcée dans le cadre de la procédure d’interdiction.  Apotex avait fait deux allégations à l’égard du brevet 671 : premièrement, que le brevet ne tombait pas sous le coup du Règlement et deuxièmement, que son produit ne contreferait pas le brevet.  La Cour a conclu que les deux allégations étaient injustifiées. Cette décision a été confirmée en appel. La décision du juge donne, avec raison, effet au rejet de la demande d’interdiction sur le fond.

 

[29]      En ce qui concerne les définitions sur lesquelles s’appuie Apotex, il n’est pas possible que la compétence inhérente de la Cour de modifier ou d’annuler une ordonnance en fonction de nouvelles circonstances vise à rendre les procédures d’interdiction pendantes de façon permanente. Cela signifierait que toutes les demandes d’interdiction présentées en vertu du Règlement seraient indéfiniment pendantes aux termes de la disposition transitoire, de sorte qu’un innovateur risquerait d’être exposé à une responsabilité imprévue des années après avoir eu gain de cause dans des procédures d’interdiction. Il faudrait que le libellé soit plus clair pour  en arriver à ce résultat.

 

Le juge a-t-il commis une erreur en interprétant la version du Règlement de 1993 de façon à empêcher Apotex de réclamer des dommages-intérêts?

[30]      Apotex ne conteste pas la synthèse du juge des principes d’interprétation législative applicables. Elle affirme toutefois que son interprétation était fautive pour les raisons suivantes.

 

[31]      Premièrement, Apotex soutient que le juge a omis de se pencher sur plusieurs questions :

·        Il a reconnu que le ministre n’est pas tenu de reporter l’avis de conformité si le brevet est expiré, mais il n’a pas réglé le problème découlant du fait que l’article 8 semble imposer une responsabilité seulement lorsque le ministre reporte la délivrance de l’avis de conformité « au-delà de la date d’expiration de tous les brevets ».  

·        Il n’a pas répondu à la question de savoir pourquoi il y aurait responsabilité si une ordonnance d’interdiction a été rendue (puisque l’article 8 incorpore le paragraphe 6(1)). Cela mène au résultat absurde qu’un fabricant de médicaments génériques peut réclamer des dommages-intérêts seulement si sa demande d’interdiction est rejetée.

·        L’interprétation du juge permet l’imposition d’une responsabilité seulement lorsqu’il y a un retard inexplicable de la part du ministre après l’expiration d’un brevet. Le juge n’a pas expliqué pourquoi la première personne, et non le ministre, serait responsable de ce retard.  

 

[32]      Par ailleurs, Apotex prétend que le juge a aussi conclu que « l’expiration » d’un brevet pouvait inclure une déclaration d’invalidité dans le contexte d’une procédure d’interdiction.  Cependant, les procédures sommaires intentées en vertu du Règlement ne peuvent donner lieu à  une conclusion d’invalidité. Cela entraîne aussi à la contradiction suivante : des dommages-intérêts pourraient être accordés en cas d’invalidité, mais pas en cas d’absence de contrefaçon.

 

[33]      Apotex soutient que sa propre interprétation de l’article 8 évite de telles absurdités. Elle affirme que le texte de l’article 8 de la version du Règlement de 1993 renvoie à une situation où plus d’un brevet se trouvent sur la liste des brevets et que des ordonnances d’interdiction ont été rendues pour au moins un des autres brevets, mais pas celui à l’égard duquel le fabricant de médicaments génériques intente l’action en vertu de l’article 8. En l’espèce, comme il n’y a aucun autre brevet pertinent ou ordonnance d’interdiction, l’avis de conformité aurait été délivré le 21 juillet 1995 si le gel légal n’avait pas été en vigueur à ce moment-là. Jusqu’au 30 avril 1999, la procédure d’interdiction empêchait le ministre de délivrer un avis de conformité. Apotex affirme donc avoir droit aux dommages-intérêts pour toute cette période.

 

[34]      La Cour a déjà remarqué que l’article 8 de la version du Règlement de 1993 est particulièrement obscur.  Voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 169 N.R. 342 (C.A.F.).  Il ne peut bien pas être possible de trouver une interprétation qui règle toutes les difficultés pouvant survenir.

 

[35]      Je suis d’accord avec Apotex pour dire que le renvoi du juge à un brevet « déclaré invalide dans le contexte de la demande d’avis de conformité elle-même » n’était pas une affirmation exacte parce qu’une telle déclaration ne peut être faite dans une procédure d’interdiction. Cela étant dit, je suis convaincue que les propos du juge étaient accidentels; il ne s’agit pas là d’une erreur importante. Le juge s’est penché sur une situation où, dans une procédure d’interdiction en vertu du Règlement, la Cour a jugé que l’allégation d’invalidité était justifiée. Compte tenu de cette précision, je suis d’avis que le juge a correctement interprété l’article 8 de la version du Règlement de 1993 dans le contexte des faits uniques qui lui ont été soumis.

 

[36]      Aux termes de la version du Règlement de 1993, lorsqu’un innovateur engageait une procédure visant à obtenir une ordonnance d’interdiction, il obtenait l’équivalent d’une injonction interlocutoire interdisant la délivrance d’un avis de conformité jusqu’à un maximum de 30 mois. L’innovateur n’est pas tenu de satisfaire au critère pour l’obtention d’une injonction et de s’engager à payer des dommages-intérêts.  En de telles circonstances, l’article 8 du Règlement visait à fournir un recours au fabricant de médicaments génériques lorsque l’innovateur n’arrivait pas à démontrer que les allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon du fabricant n’étaient pas justifiées. À mon avis, l’article 8 ne visait pas à fournir un recours lorsque l’innovateur avait gain de cause dans la procédure d’interdiction, même si le fabricant de médicaments génériques avait ultérieurement gain de cause dans un litige en matière de brevets. Par conséquent, je suis d’accord avec le juge pour dire qu’Apotex ne peut « revenir en arrière et demander que le brevet 671 soit déclaré invalide dans le cadre de l’action au motif qu’il était expiré au sens de l’article 8 » de la version du Règlement de 1993.

 

[37]      Je ne crois pas que l’interprétation du Règlement proposée par Apotex soit correcte parce qu’elle exigerait que les tribunaux réécrivent l’article 8.  De plus, comme l’a souligné Apotex au paragraphe 62 de son mémoire de faits et de droit, selon son interprétation, aucune ordonnance d’interdiction n’est délivrée relativement au brevet pour lequel une action en vertu de l’article 8 est intentée.  En l’espèce, une ordonnance d’interdiction a été délivrée à l’égard du brevet sur lequel l’action en vertu de l’article 8 est fondée.

 

Conclusion

[38]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens payables par Apotex à Roche.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

John M. Evans, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

            David Stratas, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       A-238-09

 

INTITULÉ :                                                      APOTEX INC. c.

                                                                           SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL INC. et HOFFMANN LAROCHE LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 18 MAI 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE EVANS

                                                                           LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 10 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Andrew Brodkin

Ken Crofoot

POUR L’APPELANTE

 

 

Gunars Gaikis

Nancy Pei

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

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