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Date : 20100622

Dossier : A‑369‑09

Référence : 2010 CAF 168

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SANDOZ CANADA INC.

appelante

et

 

ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 mai 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                                                                               LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 

 


Date : 20100622

Dossier : A‑369‑09

Référence : 2010 CAF 168

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SANDOZ CANADA INC.

appelante

et

 

ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

 

[1]        La Cour est saisie de l’appel et de l’appel incident d’une décision rendue par la Cour fédérale (2009 CF 648) en réponse à une demande d’interdiction présentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement).

 

[2]        L’appelante, Sandoz Canada Inc. (Sandoz), a signifié un avis d’allégation (l’avis d’allégation) à l’intimée Abbott Laboratories Limited. L’avis d’allégation précisait que Sandoz avait déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour de la clarithromycine à libération prolongée en comprimés de 500 mg. La PADN comparait le produit de Sandoz avec la clarithromycine à libération prolongée en comprimés de 500 mg de marque BIAXIN XL commercialisée au Canada par Abbott Laboratories. L’avis d’allégation portait sur quatre brevets, mais seulement les trois suivants nous intéressent dans le présent appel :

 

            le brevet canadien no 2285266 (le brevet 266)

            le brevet canadien no 2325541 (le brevet 541)

            le brevet canadien no 2358395 (le brevet 395)

 

[3]        Les brevets en litige appartiennent à l’intimée Abbott Laboratories Limited. Dans les présents motifs, Abbott Laboratories Limited et Abbott Laboratories sont désignées sous le nom d’Abbott.

 

[4]        La Cour fédérale a estimé que les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation n’étaient pas fondées en ce qui concerne le brevet 266. Elle a par conséquent prononcé une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Sandoz avant l’expiration du brevet 266. Il s’agit de l’ordonnance qui fait l’objet de l’appel dont la Cour est saisie.

 

[5]        La Cour fédérale a poursuivi en concluant qu’Abbott n’avait pas répondu de façon adéquate à l’allégation de Sandoz suivant laquelle la revendication 22 du brevet 395 était invalide pour cause de double brevet par rapport au brevet 541. La Cour a par conséquent rejeté la demande d’ordonnance d’interdiction présentée par Abbott relativement au brevet 395. Cette décision fait l’objet de l’appel incident dont la Cour est également saisie.

 

Questions en litige

[6]        Les questions soulevées dans le cadre de l’appel et de l’appel incident sont étroites.

 

[7]        Pour ce qui est de l’appel, aucune erreur de droit n’est reprochée à la juge de première instance. Sandoz soutient que la juge a commis une erreur en jugeant que l’allégation d’évidence qu’elle avait formulée au sujet du brevet 266 n’était pas fondée. En tirant cette conclusion, la juge aurait commis une erreur :

 

            i)          en rejetant, de façon injustifiée, l’exemple d’antériorité le plus rapproché;

 

ii)         en n’évaluant pas correctement les connaissances générales usuelles de la personne versée dans l’art.

 

[8]        S’agissant de l’appel incident, Abbott soutient que la juge a commis une erreur de droit en appréciant les allégations contenues dans l’avis d’allégation à une date erronée. En l’espèce, le brevet 541, sur lequel se fondait l’allégation que la revendication 22 du brevet 395 était invalide pour cause de double brevet, avait été cédé au domaine public au cours du procès. La juge a examiné la question du double brevet en retenant comme date celle à laquelle l’avis d’allégation avait été signifié, et non la date de l’audience. Elle n’a donc pas donné effet à la cession du brevet 541 au domaine public parce que l’avis de cession n’avait pas été « signé avant la signification de l’[avis d’allégation] » (paragraphe 200 des motifs de la juge).

 

Norme de contrôle en appel

[9]        Les parties s’entendent pour dire que les conclusions contestées dans le cadre de l’appel en ce qui concerne l’évidence sont des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit et que la Cour ne peut donc intervenir que s’il est démontré qu’une erreur manifeste et dominante a été commise. J’en conviens.

 

[10]      Les parties ne s’entendent pas sur la nature de l’erreur reprochée dans l’appel incident. Abbott la qualifie d’erreur de droit : la juge n’aurait pas appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne la date à laquelle les allégations contenues dans l’avis d’allégation doivent être appréciées. Sandoz qualifie la question de question mixte de fait et de droit, la question étant de savoir quels sont les effets de la présumée cession au domaine public dans le cadre d’une instance introduite en vertu du Règlement.

 

[11]      À mon avis, la question peut être correctement formulée de la façon suivante. La cession du brevet 541 est intervenue tard dans le déroulement de l’instance, plus précisément dix jours avant qu’Abbott ne signifie son mémoire des faits et du droit à Sandoz. Le premier avis de cession donné à Sandoz se trouvait dans le mémoire des faits et du droit d’Abbott. Le mémoire renfermait une copie d’un document daté du 20 janvier 2009 envoyé au commissaire aux brevets par le cabinet Torys s.r.l. en qualité de mandataire du breveté. Le document était intitulé [traduction] « Cession au domaine public » et précisait que le brevet 541 était cédé au domaine public. Les modalités de la cession sont précisées au paragraphe 194 des motifs de la juge.

 

[12]      Sandoz n’a pas présenté de requête en vue de faire radier du mémoire des faits et du droit le document ou les observations s’y rapportant. Aucune demande n’a été faite en vue d’obtenir un ajournement pour faire enquête sur les circonstances entourant la cession. À l’audience, une copie de la cession certifiée par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’OPIC) a été déposée et Sandoz a reconnu que le brevet 541 avait fait l’objet d’une cession au domaine public (transcription des débats du 1er avril 2009, à la page 694). Sandoz soutenait qu’un préjudice lui avait été causé en raison du dépôt tardif du document, car elle n’a pu s’enquérir des circonstances entourant la cession. Aucune des parties n’a prétendu qu’elle aurait subi un préjudice du fait des conséquences de la cession sur les droits que lui confère l’article 8 du Règlement ou que la cession permettait à Abbott de renouveler à perpétuité le brevet 395.

 

[13]      À mon avis, la juge disposait de la latitude voulue soit pour refuser de permettre à Abbott d’ajouter à son mémoire des faits et du droit ce qui constituait en fait de nouveaux éléments de preuve, soit pour suspendre l’audience afin de permettre à Sandoz de s’enquérir au sujet des circonstances entourant la cession. La Cour ne peut intervenir dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire que si elle est convaincue que la juge n’a pas accordé suffisamment de poids aux facteurs pertinents, s’est fondée sur un mauvais principe de droit ou a très mal apprécié les faits ou encore qu’une injustice évidente serait autrement causée (Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, au paragraphe 15).

 

[14]      Toutefois, après la présentation à la Cour de la preuve et des observations des parties, la juge était tenue d’examiner les effets de la cession. Il s’agit d’une question de droit dont le contrôle est assujetti à la norme de la décision correcte.

 

L’appel : La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’allégation de Sandoz suivant laquelle le brevet 266 était évident n’était pas fondée?

[15]      La seule allégation d’invalidité soulevée par Sandoz contre le brevet 266 concerne la question de l’évidence. La juge a appliqué le critère de l’évidence énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., [2008] 3 R.C.S. 265.

 

[16]      Le brevet 266 porte sur une formulation à libération prolongée de clarithromycine. Sandoz affirmait qu’avant la date de priorité du brevet 266, le 11 avril 1997, il existait une demande de brevet (la demande 422) qui portait sur une formulation à libération d’azithromycine, une drogue semblable à la clarithromycine. Cette formulation serait presque identique à la formulation du brevet 266, sous réserve de quelques différences en ce qui a trait aux ingrédients actifs.

 

[17]      Par l’entremise de ses experts, Sandoz a avancé un argument tiré de la « substitution », en soutenant que, compte tenu des similitudes qui existent entre la clarithromycine et l’azithromycine, la personne versée dans l’art comprendrait, et ce serait évident pour elle, que ces deux drogues sont interchangeables.

 

[18]      La juge a rejeté cet argument pour les motifs qui suivent :

152      La défenderesse soutient que le brevet 714 d’Abbott donne à penser que la substitution peut fonctionner, mais cette thèse n’est pas étayée par la preuve. L’azithromycine comporte des propriétés fort particulières parmi les macrolides, ce qui donne à penser qu’elle ne serait pas interchangeable d’une façon évidente avec la clarithromycine. Le brevet 333 enseigne que de grandes variations dans les propriétés physiochimiques et p‑cinétiques de différents médicaments veulent dire que les formulations qui conviennent pour un médicament ne peuvent pas généralement être appliquées d’une façon prévisible à d’autres médicaments. Cet avis est étayé dans l’ouvrage intitulé Pharmaceutical Dosage Forms and Drug Delivery Systems, étiqueté en tant que document 126 de Sandoz.

 

153      Les dissimilitudes entre les deux médicaments comprennent leur distribution dans les tissus du corps, la demi‑vie et le métabolisme de l’effet de premier passage. Je retiens la preuve avancée par les demanderesses, à savoir que ces différences veulent dire que la performance de ces deux médicaments dans le corps est fondamentalement différente, de sorte qu’un médicament ne peut pas facilement être substitué à l’autre.

 

154      À mon avis, compte tenu des remarques qui précèdent, je conclus que la personne versée dans l’art n’aurait pas été amenée grâce aux enseignements contenus dans le brevet 422, à la composition revendiquée dans le brevet 266.

 

 

[19]      Sandoz soutient qu’en tirant cette conclusion, la juge n’a pas tenu compte de la preuve, en particulier des témoignages de ses experts et de l’ensemble des antériorités (spécialement la demande relative au brevet 422). Sandoz affirme que la juge s’est plutôt fondée sur le témoignage de M. Banker (Ph.D.), l’expert d’Abbott. Sandoz soutient en outre qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui appuyait la conclusion de la juge suivant laquelle il existait des différences importantes entre la clarithromycine et l’azithromycine, et que les antériorités dont parlait la juge ne mentionnaient aucune de ces deux drogues.

 

[20]      À mon avis, Sandoz n’a pas démontré que la juge a commis une erreur manifeste et dominante. La conclusion de la juge suivant laquelle il existait des différences précises entre les propriétés de la clarithromycine et de l’azithromycine qui n’en feraient pas des candidates évidentes pour une substitution de formulation reposait sur les antériorités citées par la juge.

[21]      En ce qui concerne les trois différences précises mentionnées par la juge, on trouve dans l’affidavit de l’expert d’Abbott des éléments de preuve qui confirment l’existence de différences entre la distribution de la clarithromycine et celle de l’azithromycine dans les tissus du corps et entre leur demi‑vie respective. L’expert de Sandoz, M. Chambliss (Ph.D.), a convenu que l’effet de premier passage pouvait avoir une incidence sur le début, l’intensité et la durée de l’activité du médicament dans le corps et que, contrairement à l’azithromycine, la clarithromycine présente un effet de premier passage marqué.

 

[22]      M. Banker a témoigné au sujet de l’antériorité invoquée par Sandoz. Dans son témoignage, il a établi des distinctions avec l’antériorité en question et il s’est rallié à la conclusion de la juge.

 

[23]      En bref, Sandoz demande à la Cour d’évaluer de nouveau la preuve et de conclure en sa faveur. La juge avait cependant le droit de préférer le témoignage de M. Banker à celui des experts de Sandoz. Le témoignage de M. Banker appuyait la conclusion de la juge suivant laquelle, en se fondant sur la demande pour le brevet 422, il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art que l’on pouvait substituer la clarithromycine à l’azithromycine comme le soutenait Sandoz.

 

[24]      Sur le second moyen d’appel, Sandoz affirme que la juge a commis une erreur en n’appréciant pas comme il se doit les connaissances générales usuelles de la personne versée dans l’art. Là encore, je conclus que Sandoz n’a pas démontré que la juge a commis une erreur manifeste et dominante.

[25]      Sandoz avance plusieurs arguments. Elle soutient tout d’abord — et ses experts l’ont confirmé — que, selon plusieurs antériorités citées, la personne versée dans l’art saurait comment utiliser l’hydroxypropyl méthylcellulose (le HPMC) avec tous les types de drogues et comment ajuster le temps de libération de la drogue pour produire un comprimé à libération prolongée. M. Banker a toutefois soumis des éléments de preuve qui contredisaient l’affirmation de Sandoz au sujet de l’apport des antériorités sur les connaissances générales usuelles. Le témoignage de M. Banker était appuyé par les enseignements d’un ouvrage publié en 1987 au sujet des formulations, Hydrogels in Medicine and Pharmacy (volume II, à la page 146). Il était loisible à la juge de préférer le témoignage de M. Banker.

 

[26]      Sandoz affirme ensuite que la juge a examiné de façon isolée chacune des antériorités citées, qu’elle les a comparées au brevet 266, et qu’elle les a écartées au motif qu’elles n’étaient pas pertinentes lorsqu’elles ne révélaient pas tous les éléments prévus au brevet 266. Cet argument est toutefois incompatible avec la façon dont la juge expose, aux paragraphes 113 et 114 de ses motifs, la nature des connaissances générales usuelles à l’époque en cause. Les motifs de la juge ne démontrent pas qu’elle a examiné de façon isolée chacune des antériorités citées.

 

[27]      Enfin, Sandoz attire l’attention sur le traitement que la juge a réservé à deux brevets et à une série de brochures publiées par Dow Chemical Company, le fabricant d’une marque de HPMC. Le fait qu’un document fait partie des antériorités ne veut pas dire qu’il fait également partie des connaissances générales usuelles (Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 217, au paragraphe 25 (citant les facteurs élaborés dans Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234) et Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 991, et les précédents cités dans cette décision aux paragraphes 96 à 100). Sandoz reconnaît que M. Banker a témoigné qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas su, à l’époque en cause, comment utiliser le HPMC pour élaborer un produit à libération prolongée. Sandoz n’a pas démontré que la juge n’avait pas le droit de préférer le témoignage de M. Banker.

 

[28]      N’ayant constaté aucune erreur manifeste ou dominante, je serais d’avis de rejeter l’appel.

 

L’appel incident : La juge a‑t‑elle commis une erreur de droit en ne retenant pas la bonne date en ce qui concerne l’appréciation des allégations contenues dans l’avis d’allégation?

[29]      Comme je l’ai déjà signalé, j’estime que la juge disposait de la latitude voulue soit pour refuser d’admettre de nouveaux éléments de preuve soit pour suspendre l’audience. On ne reproche pas à la juge d’avoir mal exercé ce pouvoir discrétionnaire. À mon avis, faute de preuve de l’existence d’un préjudice, je conclus que la juge a agi de façon raisonnable dans l’exercice de ses fonctions.

 

[30]      Sandoz soutient qu’Abbott n’a pas soumis d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’elle entendait céder le brevet 541 au domaine public ou que le brevet avait effectivement été cédé. Sandoz a annexé au mémoire des faits et du droit qu’elle a déposé en réponse à l’appel incident des copies de documents obtenus de l’OPIC qui démontrent qu’après la cession, Abbott a continué à acquitter la taxe périodique sur le brevet 541.

 

[31]      En raison de la mention de ces documents, Abbott a présenté une requête écrite dans laquelle elle sollicitait une ordonnance radiant les parties du mémoire des faits et du droit de Sandoz qui contestaient la cession ou qui mentionnaient le versement de la taxe périodique. À titre subsidiaire, Abbott a demandé l’autorisation de présenter une contre‑preuve. Sandoz a contesté cette requête et a déposé sa propre requête par écrit en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un affidavit auquel elle annexerait des documents de l’OPIC attestant le paiement de la taxe périodique. Les requêtes ont été jugées à l’ouverture de l’audience portant sur l’appel et l’appel incident. Les deux parties ont été autorisées à présenter les éléments de preuve qu’elles souhaitaient soumettre.

 

[32]      Ces éléments de preuve me convainquent que le brevet 541 a été cédé au domaine public et que le paiement subséquent de la taxe périodique s’explique par une erreur commise par le service de versements périodiques relatifs aux brevets. Il n’y a rien dans la preuve qui permette d’écarter l’admission que l’avocat de Sandoz a faite à l’audience selon laquelle Abbott a cédé le brevet 541 au domaine public.

 

[33]      Je passe maintenant à la façon dont la juge a traité la question de la cession. Abbott soutenait que, comme la cession avait pour effet de modifier le brevet comme si les revendications faisant l’objet de la cession n’avaient jamais existé, l’argument que Sandoz tirait du double brevet était sans fondement. La juge a conclu, au paragraphe 200 de ses motifs, que « [si] l’avis de cession avait été signé avant la signification de l’[avis d’allégation], Sandoz n’aurait pas eu de motif d’alléguer que le brevet 395 fait double brevet ». Cette conclusion reposait sur une décision antérieure de la Cour fédérale, G. D. Searle & Co. c. Merck & Co. (2002), 219 F.T.R. 64, dans laquelle la Cour a conclu, au paragraphe 96, que la cession de certaines revendications au domaine public met fin au monopole du titulaire de brevet dans l’objet que décrivent ces revendications et que lorsqu’il y a cession des revendications, « le brevet doit être interprété comme si ces revendications n’avaient jamais existé ».

 

[34]      Je ne suis pas d’accord avec Sandoz lorsqu’elle affirme qu’aux paragraphes 197 et 205 de ses motifs, la juge a rejeté l’argument d’Abbott suivant lequel, en raison de la cession, le brevet devrait être interprété comme si les revendications cédées n’avaient jamais existé. Je fonde ma conclusion sur le fait que la juge a dit qu’il n’y aurait pas eu de motif d’alléguer l’existence d’un double brevet si l’avis de cession avait été signé avant que l’avis d’allégation soit signifié (motifs, au paragraphe 200). Le fait que la juge écarte plus loin, au paragraphe 205 de ses motifs, l’effet de cette cession s’explique par la date à laquelle celle‑ci a eu lieu et par le fait que la juge s’est fondée, par analogie, sur la décision rendue précédemment par la Cour fédérale dans l’affaire Bristol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., (2009), 342 F.T.R. 161. Nous reviendrons plus loin sur cette décision.

 

[35]      Sandoz cherche à attaquer le bien‑fondé de la décision G. D. Searle de la Cour fédérale, faisant valoir que la Cour y applique un raisonnement qui a par la suite été infirmé par notre Cour dans Parke‑Davis Division c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 2 C.F. 514 (C.A.).

 

[36]      La décision G. D. Searle n’a cependant pas été portée en appel. Comme la Cour le signale au paragraphe 92 de G. D. Searle, s’agissant des motifs exposés antérieurement par la Cour fédérale dans Parke‑Davis, « la Cour […] n’a pas défini clairement les conséquences juridiques d’une cession non plus que la façon dont la cession de certaines revendications pouvait affecter les revendications non cédées ».

 

[37]      De plus, dans l’affaire Parke‑Davis, il s’agissait notamment de savoir si les allégations formulées en vertu du Règlement étaient fondées. La Cour fédérale a estimé qu’elles ne l’étaient pas parce que les demandeurs n’avaient pas proposé d’analyse satisfaisante au sujet de la nature juridique de la cession d’un brevet et, plus particulièrement, au sujet de la possibilité de révoquer la cession ([2002] 1 C.F. 517, au paragraphe 97). La Cour fédérale n’a pas examiné l’effet de la cession sur les revendications non visées par la cession, ni la question de savoir si la cession pouvait s’avérer pertinente lors de l’examen de la question du double brevet.

 

[38]      Sandoz n’a pas réussi à démontrer que la décision G. D. Searle était fondée sur un principe de droit que notre Cour aurait par la suite infirmé.

 

[39]      Cela dit, pour les besoins du présent appel, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de se demander si, à la suite de la cession des revendications d’un brevet, celui‑ci doit être interprété comme si les revendications en question n’avaient jamais existé. Il suffit, pour trancher le présent appel, de conclure qu’après la cession des revendications, le brevet doit être interprété sans tenir compte des revendications qui ont été cédées.

 

[40]      Il nous reste à examiner la question des conséquences du moment où a eu lieu la cession du brevet 541.

 

[41]      La juge a expliqué que « [c]’est en se fondant sur le contenu de l’[avis d’allégation] que les demanderesses ont décidé d’engager la présente instance, de sorte que la situation, quant au brevet 541, doit être examinée à la date de délivrance de l’[avis d’allégation ] » (motifs, au paragraphe 201). Sa conclusion était fondée sur le raisonnement suivi par la Cour fédérale dans la décision Bristol‑Myers, précitée.

 

[42]      Dans l’affaire Bristol‑Myers, l’innovateur avait renoncé à certaines des revendications de son brevet après que l’avis d’allégation eut été signifié, mais avant de déposer son avis de demande visant à obtenir une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement. La Cour a  conclu que, comme le fabricant de médicaments génériques ne pouvait revoir son avis d’allégation, le brevet visé par la renonciation devait être interprété à une date antérieure à la renonciation. La Cour a interprété le brevet à la date à laquelle l’avis d’allégation avait été signifié.

 

[43]      Pas plus dans la présente espèce que dans l’affaire Bristol‑Myers la Cour fédérale n’a examiné l’arrêt de la Cour suprême du Canada Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193 (Merck).

 

[44]      Dans l’affaire Merck, l’innovateur soutenait que l’avis d’allégation déposé par Apotex était prématuré. La Cour suprême a jugé que la date à retenir pour apprécier la justification de l’avis d’allégation était celle de l’instruction de l’instance en interdiction.

 

[45]      Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a examiné plusieurs décisions rendues par la Cour fédérale et par notre Cour dans le cadre d’instances introduites en vertu du Règlement. Trois de ces décisions sont utiles en l’espèce.

 

[46]      La première est la décision de la Cour fédérale Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1997), 132 F.T.R. 60 (Merck no 2). Dans cette affaire, le fabricant du médicament générique soutenait que son produit ne contreferait pas le produit de la partie adverse en raison de l’existence d’une licence obligatoire. Il ne pouvait y avoir d’activités n’emportant pas contrefaçon au moment où l’avis d’allégation avait été déposé. Il ne pouvait y avoir d’activités n’emportant pas contrefaçon qu’au moment de l’audience. Se fondant sur le libellé du paragraphe 6(2) du Règlement, suivant lequel la Cour rend une ordonnance d’interdiction « si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée », la Cour a conclu que la date à retenir pour évaluer l’allégation était celle de l’audience [non souligné dans l’original].

 

[47]      Dans l’affaire Glaxo Wellcome Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1997), 75 C.P.R. (3d) 129, la Cour fédérale était saisie d’une demande d’interdiction portant sur un brevet qui avait expiré après que l’avis d’allégation avait été signifié. La Cour a rejeté l’argument que la date à retenir pour évaluer la validité de l’allégation d’absence de contrefaçon était celle de l’envoi de l’avis d’allégation. La date pertinente était, selon la Cour, la date de l’audience.

 

[48]      Sous la plume du juge Iacobucci, la Cour suprême a, dans l’arrêt Merck, mentionné explicitement la décision Merck no 2 rendue par le juge Muldoon ainsi que la décision Glaxo Wellcome. Voici ce que le juge Iacobucci écrit, au paragraphe 27 :

Le juge Muldoon a fait remarquer, à la p. 73, que, aux termes du par. 6(2) du Règlement, la cour doit rendre une ordonnance d’interdiction « si elle conclut qu’aucune des allégations [c.‑à‑d. celles contenues dans l’ADA] n’est fondée » (je souligne). Il ajoute, à la p. 73 :

 

À quelle date la cour arrive‑t‑elle ou peut‑elle arriver à une telle conclusion?  Pas avant l’audition de la demande d’interdiction, telle est cette date. Il y a lieu de noter que le règlement ne dit pas : « elle conclut qu’aucune des allégations n’était fondée », c.‑à‑d. « à la date de l’avis d’allégation et à la date à laquelle un ADC aurait pu être délivré sur le fondement de l’avis d’allégation » […] Il est clair toutefois que si le temps est l’élément crucial à considérer, la date relative au caractère « prématuré » ou à la « maturité » des allégations est celle où la cour « conclut qu’aucune des allégations n’est fondée », ce qui correspond au plus tôt à la date de l’audition de la demande d’interdiction et, au plus tard, à celle de l’ordonnance du tribunal et de ses motifs, si tant est qu’il y en ait. Après tout, n’est‑ce pas là précisément la date que prévoit textuellement le paragraphe 6(2) et non une date antérieure quelconque? Comme on l’a montré ci‑dessus, ce paragraphe du règlement aurait pu exiger ce que la distinguée juge a conclu au sujet du caractère « prématuré », mais il ne l’a pas fait. [Souligné dans l’original.]

 

Ce point de vue a été adopté dans les décisions Smithkline Beecham Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1997), 138 F.T.R. 310, et Glaxo Wellcome Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1997), 75 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.). J’estime qu’il s’agit d’un énoncé correct du droit applicable.

 

[49]      En confirmant la justesse du raisonnement suivi par la Cour dans la décision Glaxo Wellcome, la Cour suprême a souscrit au principe qu’un tribunal ne devrait pas rendre d’ordonnance d’interdiction lorsque le brevet est expiré au moment de l’instance.

 

[50]      Le juge Iacobucci a ensuite examiné l’arrêt de notre Cour Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100. Il a cité le passage suivant de l’arrêt rendu par notre Cour :

Comme principe général, il n’est pas difficile d’accepter une règle qui vise à éliminer les demandes prématurées de mandamus. Une personne intimée peut certes chercher à obtenir le rejet d’une demande lorsque l’obligation d’agir n’est pas encore née. Toutefois, le fait qu’elle ait été présentée trop tôt ne devrait pas faire échouer une demande d’ordonnance de mandamus à moins que des raisons sérieuses ne soient données. La demande devrait être appréciée quant au fond pourvu que les conditions préalables à l’exercice de l’obligation aient été satisfaites au moment de l’audience.

 

 

[51]      Tout en expliquant qu’il serait incorrect de prétendre que cet énoncé établissait « une règle générale concernant la date d’évaluation dans toutes les affaires de contrôle judiciaire », le juge Iacobucci a poursuivi en affirmant ce qui suit :

30.       Toutefois, la logique qui sous‑tend cette conclusion fournit certaines indications. Il s’agit selon moi d’une simple question de bon sens. Certes, il ne serait pas opportun que notre Cour ou une autre cour autorise la délivrance prématurée d’un ADC lorsque les conditions prévues par la loi n’ont pas été remplies. Par contre, j’ai du mal à concevoir que, lorsque la cour est convaincue que ces conditions sont remplies à la date de l’audition, elle doit néanmoins interdire au Ministre de délivrer un ADC. Le Règlement vise simplement à empêcher la contrefaçon en retardant la délivrance de l’ADC jusqu’à ce qu’aucune contrefaçon ne puisse en résulter. Il n’a pas pour objet, selon moi, de punir le fabricant de médicaments génériques qui fait valoir ses droits prématurément. Lorsque le fabricant de génériques peut prévoir exactement à quelle date l’exercice des droits conférés par un ADC n’emportera pas violation des brevets en cause et choisit le moment de présenter sa demande d’ADC en conséquence, je ne vois pas pourquoi cette demande devrait être rejetée seulement parce que l’allégation présentée à son appui n’était pas fondée au moment où l’ADA a été produit, même s’il n’y avait aucune possibilité que l’ADC soit délivré à cette date. [Non souligné dans l’original.]

 

[52]      Je conclus, à la lecture de l’arrêt Merck de la Cour suprême, qu’il convient d’examiner le bien‑fondé des allégations contenues dans l’avis d’allégation à la date de l’audience, du moins lorsqu’une appréciation à la date de l’audience favorise l’atteinte des objectifs du Règlement.

 

[53]      Le Règlement a pour objet de maintenir un équilibre entre les avantages que représente la protection efficace des brevets portant sur des médicaments nouveaux et innovateurs et ceux que comporte l’accès en temps opportun au marché des produits génériques fabriqués par des concurrents et vendus à prix moins élevé (Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 14 et 15; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, aux paragraphes 11 et 50).

 

[54]      L’inscription anticipée a été facilitée par l’édiction, en 1993, de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2. Le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, modifiée, a mis en vigueur l’exception relative à la « fabrication anticipée » qui permet aux fabricants de produits génériques de mettre au point une invention brevetée incorporée dans un médicament avant l’expiration du brevet dans la mesure nécessaire pour permettre au médicament générique d’obtenir un avis de conformité qui prendra effet au moment de l’expiration du brevet.

 

[55]      Le Règlement a été pris pour faire en sorte que l’exception relative à la « fabrication anticipée » ne donne lieu à aucun abus. Pour ce faire, le Règlement établit un lien entre la délivrance d’un avis de conformité portant sur un médicament générique et l’état du brevet du produit innovateur équivalant que le fabricant de produits génériques cherche à copier.

 

[56]      À mon avis, on ne respecte pas en l’espèce l’objectif visé par le Règlement en examinant l’allégation de double brevet à la date à laquelle l’avis d’allégation a été signifié. En agissant ainsi, on méconnaît la réalité et les conséquences de la cession du brevet 541. Il s’ensuit que le ministre de la Santé peut délivrer un avis de conformité à Sandoz, alors qu’au moment où il le délivre, l’allégation de double brevet de Sandoz n’est pas fondée.

 

[57]      On respecte en l’espèce l’objectif visé par le Règlement en examinant les conséquences de la cession à la date de l’audience. Cette solution cadre avec le libellé du paragraphe 6(2) du Règlement, qui permet à la Cour de rendre une ordonnance d’interdiction si elle conclut qu’aucune des allégations formulées par le fabricant de produits génériques n’est « fondée ». Elle est également compatible avec des décisions comme Glaxo Wellcome que la Cour suprême du Canada a citées et approuvées dans l’arrêt Merck. Il s’ensuit, à mon humble avis, que la juge a commis une erreur en examinant l’état du brevet 541 à la date à laquelle l’avis d’allégation a été envoyé. L’état des brevets 541 et 395 devrait être examiné à la date de l’audience.

 

[58]      Comme nous l’avons déjà signalé, la juge a accepté que, si la cession avait eu lieu avant la signification de l’avis d’allégation, elle aurait eu pour effet de supprimer les preuves sur lesquelles reposait l’allégation de double brevet. Si elle avait pris connaissance de la cession en tenant compte du brevet 541 à la date de l’audience, elle aurait conclu que l’allégation de double brevet n’était pas fondée. À mon avis, c’est la conclusion à laquelle il fallait parvenir.

[59]      Il convient de formuler quelques observations sur un dernier point. Sandoz soutient que, si la Cour accepte que la juge a commis une erreur en concluant que son allégation de double brevet était fondée, elle devrait également conclure que la juge a commis une erreur en estimant que l’allégation de Sandoz suivant laquelle le brevet 395 était invalide pour cause d’évidence n’était pas fondée.

 

[60]      La juge a interprété le brevet 395 « comme révélant qu’il s’agit essentiellement de la même invention que celle qui est revendiquée dans le brevet 266, avec la restriction supplémentaire mentionnée dans la revendication 22, à savoir que la composition doit présenter un profil de goût amélioré » comparativement à la composition à libération immédiate équivalente de clarithromycine (motifs, au paragraphe 106). Personne ne conteste l’interprétation que la juge fait du brevet 395.

 

[61]      Sandoz affirme qu’il était évident que la composition à libération prolongée présenterait un profil de goût amélioré. La juge a conclu ce qui suit :

Le profil de goût amélioré

155      Les parties ne s’entendent pas non plus sur la question de savoir si l’on savait que la perversion du goût était fonction de la dose et s’il était évident en soi que la prolongation de la libération de la formulation annulerait cet effet indésirable. Les parties ont fourni une preuve à l’appui de deux conclusions diamétralement opposées.

156      La défenderesse a fourni à la Cour un certain nombre de références d’antériorités à l’appui de son argument, notamment le brevet états‑unien 3,065,143 (le brevet 143), soit le document 1 de Sandoz, et l’article de Robert E. Notari, étiqueté document 24 de Sandoz, lesquels étayent chacun la conclusion selon laquelle les niveaux plus élevés de la C‑max peuvent entraîner une augmentation des effets indésirables, et que les effets secondaires sont fonction de la dose. En outre, l’article de J. K. Aronson (Ph.D.) et de C.J. Van Boxtel (Ph.D.) postule que la perversion du goût décrite par les patients qui prennent de la clarithromycine semble être fonction de la dose.

157      Les demanderesses ont signalé la preuve soumise par M. Banker, qui conteste la conclusion tirée par la défenderesse, en disant qu’à ce jour, on ne sait pas exactement ce qui cause le goût métallique amer associé à la clarithromycine après ingestion.

158      De plus, les demanderesses signalent les déclarations que M. Thiessen et M. Einarson ont faites dans leurs contre‑interrogatoires. M. Thiessen a déclaré croire que ce serait faire un acte de foi de conclure qu’un inventeur pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les formulations à LP entraînent une diminution de l’effet indésirable. En outre, M. Einarson a déclaré qu’il n’est pas exact de dire qu’il existe une corrélation entre l’exposition accrue à un médicament et l’augmentation des effets indésirables associés à ce médicament, et qu’il ne croit pas que la perversion du goût soit nécessairement fonction de la dose.

159      Même si je reconnaissais que les effets indésirables sont fonction de la dose, que les niveaux plus élevés de C‑max pourraient entraîner une augmentation des effets indésirables et qu’il est évident en soi que la réduction de la C‑max d’un médicament peut servir de méthode permettant de réduire les effets indésirables, je ne crois pas qu’il était évident en soi que la C‑max pouvait être réduite simplement en prolongeant le temps de libération d’un médicament.

160      La réduction de la C‑max du médicament, lorsqu’elle est comparée à celle de la formulation à LI, faisait partie des p‑cinétiques favorables divulguées dans les compositions revendiquées. J’ai ci‑dessus conclu que les p‑cinétiques favorables divulguées dans les compositions n’étaient pas inhérentes à toute formulation à LP. Cela étant, la prolongation de la libération d’un médicament ne pouvait pas intrinsèquement entraîner une baisse de la C‑max du médicament.

161      S’il n’était pas évident en soi qu’il est possible de réduire la C‑max d’un médicament simplement en prolongeant la libération du médicament, il s’ensuit qu’il ne pouvait pas non plus être évident en soi qu’un avantage découlant de la réduction de la C‑max d’un médicament serait obtenu simplement au moyen de la prolongation de la libération du médicament.

162      En somme, je conclus qu’il n’était pas évident en soi pour la personne versée dans l’art que la prolongation de la libération du médicament entraînerait une réduction de l’incidence de la perversion du goût et une amélioration du profil de goût du médicament.

 

[62]      Sandoz soutient qu’en tirant cette conclusion, la juge a commis une erreur :

i)                    en faisant abstraction du fait que la perversion du goût comprenait le goût dans la bouche;

ii)                   en faisant abstraction du témoignage de M. Banker suivant lequel il est bien connu que les comprimés à libération prolongée réduisent le mauvais goût dans la bouche;

iii)                 en se fondant sur le témoignage de ses experts qui n’ont pas été appelés à témoigner sur les questions relatives à l’évidence.

 

[63]      Les erreurs reprochées sont des erreurs de fait. La Cour ne peut donc intervenir que si Sandoz démontre que la juge a commis une erreur manifeste et dominante. Or, pour les motifs qui suivent, ce n’est pas le cas.

 

[64]      Premièrement, il est faux de prétendre que la juge n’a pas tenu compte de la question du goût laissé dans la bouche par la formulation à libération prolongée. Abbott avait fait témoigner Daniel Weiner au sujet de la question de savoir si, en comparaison de la formulation à libération immédiate, la formulation à libération prolongée présentait :

 

            a)         un profil de goût amélioré;

b)         une diminution statistiquement significative de la gravité des effets indésirables sur l’appareil digestif.

 

[65]      M. Weiner (Ph.D.) a témoigné que, dans le cas de la clarithromycine, la perversion du goût se manifeste par la perception d’un goût métallique amer un certain temps après l’ingestion de la formulation. Il a conclu que la formulation à libération prolongée indiquait une incidence beaucoup plus faible de la perversion du goût (c.‑à‑d. un profil de goût amélioré). La juge a préféré ce témoignage au témoignage contradictoire de l’expert de Sandoz, M. Thiessen (Ph.D.). Elle n’a pas omis de tenir compte du fait que la perversion du goût comprenait le goût dans la bouche.

 

[66]      En second lieu, s’agissant de la question de l’évidence, M. Banker a expliqué :

[traduction]  238.           Comme je l’ai déjà expliqué, on sait bien peu de choses au sujet du phénomène de la perversion du goût et la personne moyennement versée dans l’art ne disposait que de très peu d’information sur le sujet. Encore de nos jours, on ne sait pas avec exactitude ce qui cause la perception de goût métallique amer après l’ingestion de la clarithromycine. La personne moyennement versée dans l’art ne sera pas en mesure d’établir un lien entre ce phénomène et les pharmacocinétiques. Il en de même en ce qui concerne la gravité des effets indésirables sur l’appareil digestif.

 

[67]      En contre‑interrogatoire, M. Thiessen a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

513.     Q.        Bon, parlons maintenant de la pharmacocinétique des formulations à libération prolongée. Je crois comprendre que la pharmacocinétique est un domaine dans lequel vous êtes un expert?

 

            A.        Oui.

 

514.     Q.        C’est une spécialité?

 

            A.        Oui.

 

515.     Q.        Bon, dites‑moi ce que vous pensez de ceci. Parce que les compositions à libération prolongée entraînent, dans le sang, une C‑max plus faible, les inventeurs pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que les formulations à libération prolongée se traduisent par une réduction des effets indésirables, y compris la perversion du goût.

 

            A.        C’est un acte de foi qui n’est pas nécessairement justifié.

 

516.     Q.        Je vous propose qu’on peut en dire autant de la réduction de la gravité des effets indésirables sur l’appareil digestif.

 

            A.        Ces extrapolations ne sont pas logiques. On recourt souvent à des extrapolations d’ordre général, mais dans un cas particulier, tant qu’on ne connait pas le rapport de cause à effet, on ne sait pas si, en fait, la mise au point d’un produit à libération prolongée est sans danger par rapport au produit à libération immédiate.

 

517.     Q.        Vous dites donc qu’il faut procéder à des expériences?

 

A.                 Il faut effectivement faire certains travaux expérimentaux.

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[68]      J’ai lu les extraits pertinents du contre‑interrogatoire de M. Banker. À mon avis, les admissions sur lesquelles Sandoz se fonde étaient suffisamment nuancées pour permettre à la juge de se fonder sur le témoignage de M. Banker en ce qui concerne le caractère non évident de la revendication 22 du brevet 395, et ce, plus particulièrement à la lumière des propos précités que M. Thiessen a tenus lors de son contre‑interrogatoire. Ce dernier a d’ailleurs confirmé que ces questions relevaient carrément de son champ de compétence.

 

[69]      Pour ces motifs, il n’a pas été démontré que la conclusion de la juge suivant laquelle Sandoz n’avait pas établi le bien‑fondé de son allégation suivant laquelle le brevet 395 était évident était entachée d’une erreur manifeste et dominante.

 

 

 

 

Dispositif

[70]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel et ferais droit à l’appel incident avec dépens. Prononçant le jugement que la Cour fédérale aurait dû prononcer, j’accueillerais la demande d’ordonnance d’interdiction relative au brevet 395 et j’adjugerais les dépens à Abbott.

 

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑369‑09

 

INTITULÉ :                                                   SANDOZ CANADA INC. c. ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED et MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 27 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Edward Hore

Kevin Zive

 

POUR L’APPELANTE

 

Steve Mason

Andrew J. Reddon

David Tait

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hazzard & Hore

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

McCarthy Tetrault s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

 

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