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Cour d’appel fédérale

emblem

Federal Court of Appeal

 Date : 20100708

Dossier : A-483-09

 

Référence : 2010 CAF 182

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER                    

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

ZORA S. GILL

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 juin 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                                                           

 

 


Cour d’appel fédérale

emblem

Federal Court of Appeal

 Date : 20100708

Dossier : A-483-09

 

Référence : 2010 CAF 182

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER                    

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

ZORA S. GILL

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi), les prestataires d’assurance-emploi qui ont une conduite répréhensible, par exemple qui présentent de faux renseignements à l’appui de leur demande de prestations, peuvent avoir à subir des conséquences. La Commission de l’assurance-emploi du Canada peut leur infliger une pénalité; ils peuvent aussi être poursuivis en vertu de la Loi ou du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, et se voir déclarer coupables.

 

[2]               La question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire en est une d’interprétation législative. Lorsqu’elle inflige une pénalité à un prestataire ou lorsqu’un prestataire a fait l’objet d’une poursuite et a été déclaré coupable d’une infraction, la Commission doit-elle aussi donner un « avis de violation » au prestataire, ou a-t-elle le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner d’avis?

 

[3]               Cette question revêt une grande importance. L’orientation générale de la Loi est que le prestataire doit avoir travaillé un certain nombre d’heures pour être admissible au bénéfice des prestations. Toutefois, le prestataire qui s’est vu donner un avis de violation « s’est rendu coupable d’une violation » aux termes de la Loi, et les personnes ayant fait l’objet d’un avis de violation au cours des cinq dernières années doivent travailler davantage d’heures pour pouvoir recevoir des prestations. En clair, donc, la réception d’un avis de violation inflige au prestataire une sanction qui s’ajoute à la pénalité ou à la déclaration de culpabilité pour une infraction. Cette sanction consiste en la majoration du nombre d’heures que le prestataire doit accumuler pour pouvoir recevoir des prestations » (les heures requises). Cette sanction additionnelle peut être particulièrement sévère : une personne sans travail pourrait se voir refuser des prestations en raison de la majoration des heures requises.

 

[4]               Sept arrêts de la Cour, expliqués plus loin, traitent de cette question. Malheureusement, ces décisions ne peuvent pas être conciliées. La plus importante d’entre elles est Canada (Procureur général) c. Savard, 2006 CAF 327, [2007] 2 R.C.F. 429, dans laquelle mon collègue, le juge Létourneau, rédigeant les motifs de la Cour, a examiné quatre décisions antérieures et a tenté de résoudre la question une fois pour toutes. Dans Savard, la Cour a statué que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de donner ou non un avis de violation. Cependant, selon le défendeur, deux décisions ultérieures de la Cour, ayant trait à la même question, sont en conflit avec Savard, et les propos de la Cour à cet égard dans Savard constituaient une remarque incidente. À la lumière de ce fait, le défendeur affirme que la question n’est pas encore réglée. Les parties conviennent que la question se pose clairement en l’espèce et qu’elle doit être tranchée.

 

[5]               À mon avis, Savard énonce le droit correctement. Lorsqu’un prestataire se voit infliger une pénalité ou déclarer coupable d’une infraction, la Commission a le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner un avis de violation. Aux termes du paragraphe 7.1(4), le prestataire ne se rend pas automatiquement responsable d’une violation et les heures requises ne sont donc pas automatiquement majorées. Pour qu’il en soit autrement, la Loi devrait être libellée en termes plus clairs.

 

A.        Les faits

(1)        L’emploi du demandeur

[6]               Le demandeur était un immigrant originaire de l’Inde. Analphabète, il n’avait jamais été véritablement scolarisé. Peu après son arrivée au Canada, il a travaillé dans des fermes dans les basses‑terres continentales de la Colombie-Britannique, où il cueillait des baies et des légumes. Son employeur était S&S Harvesting Ltd.

 

(2)        La demande de prestations d’assurance-emploi du demandeur

[7]               Le 12 novembre 1997, après la cessation de son emploi, le demandeur a déposé une demande de prestations d’assurance-emploi auprès de la Commission. À l’appui de sa demande, il a remis un relevé d’emploi de S&S Harvesting Ltd. Il y était déclaré que le demandeur avait travaillé 954 heures d’emploi assurable et que sa rémunération assurable était de 7 183,62 $. Le demandeur a également fait une déclaration lors d’une entrevue avec un employé de la Commission ainsi que d’autres déclarations dans les 14 cartes bimensuelles de déclaration du prestataire qu’il a remises à l’appui de sa demande. Comme nous le verrons plus loin, on a par la suite découvert que ces déclarations (16 déclarations en tout) étaient fausses et trompeuses.

 

(3)        La Loi : les sanctions infligées pour inconduite

[8]               La Loi prévoit des sanctions pour les diverses formes d’inconduite. Selon les dispositions de la partie I de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, les prestataires qui se livrent à certaines formes d’inconduite, notamment en fournissant des renseignements faux ou trompeurs à l’appui de leur demande, peuvent se voir infliger des sanctions :

 

a)                  Des avertissements ou sanctions pécuniaires sont prévus : articles 38 ainsi que 40 à 41.1. Aux termes de la Loi, il s’agit de « pénalités ».

 

b)                  Une autre sanction consiste à majorer, pendant une période de cinq ans, le nombre d’heures pendant lesquelles le prestataire doit avoir exercé un emploi assurable pour être admissible au bénéfice des prestations d’invalidité. Cette sanction de majoration du nombre d’heures requises est imposée en cas de « violations » dans certaines circonstances : voir article 7.1.

 

(4)        Les déclarations fausses ou trompeuses

[9]               Dans le cadre d’une enquête de S&S Harvesting Ltd., on a découvert que le demandeur n’avait occupé un emploi assurable que pendant 676 heures et que sa rémunération assurable s’élevait à 5 090,28 $.

 

[10]           Suite à cela, trois choses se sont produites. Premièrement, le 20 avril 2000, la Commission a rejeté la demande de prestations d’assurance-emploi du demandeur au motif qu’il n’avait pas travaillé le nombre d’heures minimal de 910 heures d’emploi assurable. Il avait travaillé 676 heures d’emploi assurable, et non 954. Deuxièmement, le demandeur avait reçu des prestations; le rejet de la demande du demandeur signifiait que celui-ci avait reçu un paiement en trop de 5 352 $. Troisièmement, conformément au cadre législatif des sanctions susmentionné, la Commission a infligé au demandeur 16 pénalités totalisant 2 189 $ pour avoir donné des renseignements faux ou trompeurs dans ses déclarations. Elle lui a aussi donné un avis de violation.

 

(5)        L’appel du demandeur

[11]           Le demandeur a interjeté appel devant le Conseil arbitral, qui a confirmé que le demandeur n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi. Il a également rejeté son appel relativement à la pénalité, mais il a réduit le montant de celle-ci à 1 $. Il a accueilli son appel relativement à l’avis de violation, qu’il a annulé.

 

[12]           La forte réduction de la pénalité et l’annulation de l’avis de violation étaient attribuables à l’établissement de nouvelles circonstances atténuantes. Le demandeur souffrait de plusieurs troubles de santé, dont la démence. Une pénalité importante aurait eu des conséquences graves pour sa famille. Le Conseil arbitral a également accepté la preuve du demandeur sur les actions répréhensibles de son employeur et sur la vulnérabilité des travailleurs agricoles dans cette relation d’emploi.

 

(6)        L’appel ultérieur de la Commission

[13]           La Commission a interjeté appel de la décision devant le juge-arbitre. Devant celui-ci, la Commission n’a contesté ni l’existence de motifs humanitaires et atténuants, ni la réduction de la pénalité à 1 $. L’appel de la Commission ne portait que sur la question de savoir si le Conseil arbitral pouvait annuler l’avis de violation. Cette question reposait sur celle de savoir s’il était obligatoire ou automatique de donner un avis de violation aux termes de la disposition liminaire du paragraphe 71(4) de la Loi, lequel est rédigé comme suit :

 

 

Violations

 

7.1.  (4) Il y a violation lorsque le prestataire se voit donner un avis de violation parce que, selon le cas :

 

 

 

a) il a perpétré un ou plusieurs actes délictueux prévus à l’article 38, 39 ou 65.1 pour lesquels des pénalités lui ont été infligées au titre de l’un ou l’autre de ces articles, ou de l’article 41.1;

 

b) il a été trouvé coupable d’une ou plusieurs infractions prévues à l’article 135 ou 136;

 

 

 

c) il a été trouvé coupable d’une ou plusieurs infractions au Code criminel pour tout acte ou omission ayant trait à l’application de la présente loi.

Violations

 

7.1.  (4) An insured person accumulates a violation if in any of the following circumstances the Commission issues a notice of violation to the person:

 

(a) one or more penalties are imposed on the person under section 38, 39, 41.1 or 65.1, as a result of acts or omissions mentioned in section 38, 39 or 65.1;

 

 

(b) the person is found guilty of one or more offences under section 135 or 136 as a result of acts or omissions mentioned in those sections; or

 

(c) the person is found guilty of one or more offences under the Criminal Code as a result of acts or omissions relating to the application of this Act.

 

 

[14]           Si aux termes du paragraphe 7.1(4), il est obligatoire ou automatique de donner un avis de violation chaque fois que les faits visés aux alinéas a), b) ou c) se produisent, le Conseil arbitral n’avait pas en l’espèce compétence pour annuler l’avis de violation; l’avis de violation devait être donné et, dès qu’il l’a été, le demandeur s’est rendu responsable d’une violation et devait supporter le fardeau d’une majoration des heures requises. Si, par contre, aux termes du paragraphe 7.1(4), la décision de donner un avis de violation est discrétionnaire et relève de la Commission, le Conseil arbitral avait compétence pour annuler l’avis de violation. Il en résulterait que le demandeur ne se serait rendu responsable d’aucune violation; le nombre d’heures requises serait demeuré le même.

 

[15]           Le juge-arbitre a accueilli l’appel de la Commission. Il a conclu qu’en vertu du paragraphe 7.1(4), l’avis de violation est obligatoire ou automatique et que le Conseil arbitral n’avait pas donc pas compétence pour l’annuler. En fin de compte, le demandeur devait payer une pénalité nominale de 1 $ en raison de sa situation difficile, mais pour les cinq années suivantes, le nombre d’heures dont il aurait besoin pour avoir droit aux prestations serait plus élevé. Aux termes de la Loi, sa violation a été qualifiée de « grave » et la majoration du nombre d’heures a donc été importante.

 

[16]           Le demandeur a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre.

B.        Analyse

 

[17]           Aux termes du paragraphe 7.1(4) de la Loi, est‑il obligatoire et automatique de donner un avis de violation, ou la Commission a-t-elle un pouvoir discrétionnaire à cet égard?

 

(1)        Jurisprudence de la Cour

[18]           Comme nous le disions plus haut, ce n’est pas la première fois que la Cour est saisie de cette question. Sept décisions en ont déjà traité. Pour les motifs que nous exposerons, Savard est la plus importante de ces sept décisions. Par conséquent, pour les analyser, je les diviserai en trois catégories : les quatre décisions antérieures à Savard, l’arrêt Savard et les deux décisions postérieures à Savard.

 

a)         Les quatre décisions antérieures à Savard

[19]           Quatre décisions ont traité de cette question avant Savard. Dans aucune d’elles, il n’y avait un contexte réellement contradictoire : un prestataire, qui n’était pas représenté par un avocat, faisait face à la Couronne, laquelle était représentée par un avocat. Dans trois de ces décisions, Geoffroy, Limosi et Piovesan qui ont toutes trois été ensuite corrigées par Savard – la Cour a traité de cette question très brièvement et incidemment, sans procéder à un examen exhaustif du cadre législatif et de l’objet de la Loi. Voici les quatre décisions :

 

a)         Canada (Procureure générale) c. Geoffroy, 2001 CAF 105, 272 N.R. 372. En bref, au terme de ses motifs exposés en huit paragraphes dans lesquels le contexte législatif n’est pas examiné de manière exhaustive, la Cour a décidé qu’une « violation » était automatique.

 

b)         Canada (Procureure générale) c. Limosi, 2003 CAF 215, [2003] 4 C.F. 481. Dans cette affaire, le demandeur soutenait qu’il ne s’était pas rendu responsable d’une « violation » parce que l’avis de violation ne lui avait pas été remis. Alors qu’elle rejetait les arguments du demandeur, la Cour a indiqué qu’une « violation » était automatique. Cette observation a été faite de manière incidente et n’était pas nécessaire à l’issue de l’appel.

 

c)         Canada (Procureur général) c. Szczech, 2004 CAF 366. La question dont la Cour était saisie était celle de savoir si la période de cinq ans applicable à une « violation » commençait à courir à partir de la date de la commission de la « violation » ou de celle de l’avis de violation par la Commission. La Cour a statué que la période commençait à courir à partir de la date à laquelle un avis de violation lui a été donné par la Commission. Quoique cela n’est pas explicitement dit dans Szczech, cette décision serait compatible avec l’opinion selon laquelle une « violation » n’est pas automatique : elle ne se produit que si la Commission décide de donner un avis de violation – autrement dit, la Commission a le pouvoir discrétionnaire de donner ou non un avis de violation.

 

d)         Canada (Procureur général) c. Piovesan, 2006 CAF 245. La question dont la Cour était saisie était celle de savoir si le fait de donner un avertissement, au lieu d’imposer une pénalité pécuniaire, entraînait la majoration du nombre d’heures requises. La Cour a répondu par l’affirmative. Dans ses brefs motifs contenus en cinq paragraphes, la Cour a indiqué (au paragraphe 4) qu’« il y a violation lorsque la Commission émet un avis de violation ».

 

b)         L’arrêt Savard

[20]           Dans Canada (Procureur général) c. Savard, 2006 CAF 327, [2007] 2 R.C.F. 429, la Cour s’est penchée sur la question de savoir s’il était nécessaire de signifier l’avis de violation au prestataire, plutôt que seulement l’émettre, pour que la sanction de majoration des heures requises s’applique. La Cour a répondu à cette question par la négative.

 

[21]           La Cour est allée plus loin dans Savard. Bénéficiant de la présence de parties adverses représentées par des avocats, elle a examiné de manière systématique et exhaustive les quatre affaires précédentes à la lumière de la structure des dispositions de la Loi ayant trait aux pénalités et aux violations. Elle s’est demandé si la jurisprudence antérieure était « manifestement erronée » au regard du critère énoncé dans Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4th) 149, et devait être rectifiée. Dans Savard, la Cour a répondu à la question par l’affirmative – après avoir enfin bénéficié d’observations et d’informations exhaustives (au paragraphe 4, par le juge Létourneau), et a conclu que les décisions Geoffroy, Limosi et Piovesan devaient être corrigées.

 

Des cinq contestations entreprises, je dois dire que celle‑ci est la première où, grâce à l’Aide juridique du Québec, le prestataire est représenté par avocat, en l’occurrence MJean‑Pierre Marcotte. Nous avons donc pu bénéficier d’un éclairage qui jusqu’à présent, en l’absence de débats contradictoires, était manquant. Des arguments nouveaux présentés à la Cour et de la documentation nouvelle produite par le procureur du défendeur m’ont convaincu de la nécessité de revisiter les quatre autres décisions antérieures. Je suis satisfait que trois de ces décisions, sous certains aspects, n’auraient pas été les mêmes si cette information additionnelle dont nous avons pu bénéficier avait pu être portée à la connaissance des membres des diverses formations qui les ont entendues. Il s’agit d’une situation qui rencontre le test de l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370 et où nous sommes justifiés d’apporter à ces décisions les rectifications requises.

 

 

[22]           De manière fortuite, la majorité des membres du tribunal dans Savard, formé par les juges Décary, Létourneau et Nadon, avaient une connaissance personnelle des causes qu’ils corrigeaient. Le juge Décary était l’auteur des motifs unanimes de la Cour dans Geoffroy et Piovesan. Dans Limosi, le juge Létourneau a rédigé les motifs unanimes de la Cour et le juge Décary faisait également partie du tribunal. Dans Savard, la majorité des membres du tribunal révisaient leurs propres décisions antérieures – en bénéficiant, pour la première fois sur cette question, de l’aide des avocats des deux parties adverses et de nouvelles informations.

 

[23]           Le juge Létourneau, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour dans Savard, a examiné les termes du paragraphe 7.1(4), le régime pertinent de la Loi (soit les articles 7.1, 38, 40, 41.1, 125 et 135) et l’objet de la Loi. Cette méthode d’interprétation était conforme à ce que la Cour suprême du Canada a prescrit dans Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 26 et 27. Au terme de son examen, la Cour a conclu que la Commission a effectivement le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu ou non d’émettre un avis de violation. Autrement dit, la Commission peut donner un avis de violation à titre de sanction additionnelle, mais ce n’est pas obligatoire. La Cour s’est exprimée dans les termes suivants dans Savard (au paragraphe 25) :

 

Devant la gravité des actes délictueux posés, la Commission peut décider qu’il y a lieu d’imposer une sanction additionnelle et de tenir l’auteur des actes responsable d’une violation au sens de l’article 7.1. Cette sanction se concrétise par l’émission (issue) d’un avis de violation selon le paragraphe 7.1(4).

 

Plus loin dans ses motifs, la Cour ajoute (aux paragraphes 37 et 38) :

 

La Commission possède un pouvoir discrétionnaire d’imposer des sanctions lorsqu’un ou des actes délictueux prévus au paragraphe 38(1) ont été commis. Elle possède également, dans les limites prévues par la Loi, la discrétion de choisir la ou les mesures dissuasives appropriées dans les circonstances, si plus d’une mesure de sanction s’avère nécessaire pour rencontrer les objectifs de la Loi. Plutôt que d’imposer une peine pécuniaire, elle peut choisir, comme le lui permet le paragraphe 41.1, de donner au prestataire un avertissement, qu’elle peut faire suivre d’un avis de violation tel que défini à l’article 7.1.

[…]

 

Par contre, si les circonstances de la perpétration des actes délictueux requièrent, de l’avis de la Commission, plus qu’une sanction pécuniaire, celle‑ci peut renforcer ou bonifier la sanction pécuniaire en émettant un avis de violation conformément au paragraphe 7.1(4). La violation prend alors naissance du jour où l’avis est émis et la date de cette violation est celle à laquelle l’avis est émis. [Non souligné dans l’original.]

 

 

c)         Les décisions postérieures à Savard

[24]           Immédiatement après Savard, la Cour a tranché deux autres affaires et a fait des commentaires compatibles avec Geoffroy, Limosi et Piovesan, et incompatibles avec Savard. Ces décisions ne mentionnaient pas Savard; la décision Savard n’a pas été citée dans les plaidoiries. Comme dans Geoffroy, Limosi et Piovesan, l’analyse de la question dans ces deux affaires était brève, incidente et ne reposait pas sur un examen exhaustif du cadre législatif et de l’objet de la Loi. Également, comme dans ces trois mêmes affaires, il n’y avait pas un contexte réellement contradictoire : un prestataire, qui n’était pas représenté par un avocat, faisait face à la Couronne, laquelle était représentée par un avocat. Ces deux décisions postérieures à Savard sont :

 

a)            Canada (Procureur général) c. Kaur, 2007 CAF 287. La question en litige consistait à savoir si le juge-arbitre pouvait infirmer la décision de la Commission d’infliger une pénalité pour donner plutôt un avertissement, et annuler l’avis de violation. La Cour a statué qu’il n’était pas loisible au juge-arbitre de substituer sa propre décision à celle de la Commission. Dans ses motifs, au paragraphe 34, la Cour a fait observer de manière incidente qu’aux termes du paragraphe 7.1(1) de la Loi, « un avis de violation est donné lorsque est infligée une pénalité pour une infraction prévue au paragraphe 7.1(4) de la Loi » et « [n]i la Commission ni le juge‑arbitre ne dispose d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard ». Les prestataires n’étaient pas représentés par un avocat.

 

b)      Patry c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 301. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision d’un juge-arbitre rendue en vertu de la Loi, la Cour a fait observer de manière incidente (au paragraphe 9) qu’un « avis de violation [...] était une conséquence obligatoire de la pénalité imposée en application du paragraphe 38(1) de la Loi ». La question de savoir si l’avis de violation était obligatoire ne semble pas avoir été le point principal de la procédure de contrôle judiciaire du demandeur.

 

(2)        Les observations des parties dans la présente affaire

[25]           Le demandeur a fait valoir que l’arrêt Savard de la Cour est la décision faisant autorité et que les quatre décisions qui lui sont antérieures ainsi que les deux autres qui lui sont postérieures ne devraient pas être suivies. À son avis, le paragraphe 7.1(4) de la Loi, interprété convenablement, donne à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner d’avis de violation.

 

[26]           La Couronne défenderesse a quant à elle fait valoir que les commentaires de la Cour dans Savard en ce qui a trait à cette question étaient incidents. En conséquence, la Cour devrait revoir les questions soulevées dans Savard. Selon le défendeur, la Commission n’a pas le pouvoir discrétionnaire de donner ou non un avis de violation. Ce résultat, à ses dires, est conforme à l’objet de la Loi de [traduction] « dissuader les violations au régime d’assurance-emploi en imposant une sanction additionnelle aux prestataires qui tentent d’abuser du système ». Le défendeur n’a présenté à la Cour aucun document, tel que le Hansard ou l’historique de la loi, qui aurait pu démontrer l’objet qu’il faisait valoir. De tels documents ont déjà été utiles pour interpréter la législation en matière de prestations sociales : Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] 1 R.C.S. 1080, aux pages 1105 à 1113.

 

(3)        La conclusion dans Savard est-elle un obiter dictum?

[27]           Il est vrai que la question soulevée dans Savard, interprétée de manière étroite, consistait à savoir si un avis de violation devait être signifié au prestataire pour que la sanction de majoration des heures requises s’applique. Pour conclure que la signification n’était pas requise, la Cour n’avait pas à trancher la question de savoir si l’émission d’un avis de violation était obligatoire ou automatique. Je conviens avec le défendeur que cette conclusion dans Savard n’était pas juridiquement nécessaire pour la décision. Au sens strictement juridique, il s’agissait d’une remarque incidente. Je ne suis toutefois pas d’accord avec le défendeur pour dire qu’il ne doit pas être tenu compte des commentaires de la Cour dans Savard. Loin de là.

 

[28]           La doctrine de l’« obiter dictum » était auparavant appliquée dans la jurisprudence anglo-canadienne. En vertu de cette doctrine, les cours n’étaient pas liées dans leurs décisions ultérieures par les conclusions et observations qui, au sens strict, n’étaient pas nécessaires pour trancher l’affaire, et en fait elles pouvaient même omettre d’en tenir compte. Toutefois, cette doctrine n’a pas été appliquée rigoureusement les dernières décennies. Par exemple, dans Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.), la demanderesse prétendait que la banque défenderesse avait été négligente lorsqu’elle avait donné une opinion sur la solvabilité. Or, la banque échappait à toute responsabilité grâce à une clause d’exonération. À strictement parler, la Chambre des lords n’avait pas à décider si des déclarations inexactes faites de manière négligente pouvaient engager la responsabilité de la banque, mais elle l’a fait et a confirmé que la banque pouvait effectivement être tenue responsable. Depuis ce temps, les tribunaux anglo-canadiens ont suivi cette décision, qui constituait incontestablement un obiter dictum.

 

[29]           Aujourd’hui, plusieurs arrêts de notre Cour suprême comportent des propositions qui, bien qu’elles ne soient pas strictement nécessaires pour statuer sur l’affaire, sont souvent citées avec l’autorité appropriée dans des affaires subséquentes.

 

[30]           La question véritable est de savoir dans quelle mesure une cour doit se considérer comme liée par un obiter dictum antérieur. Certaines remarques incidentes sont tout à fait gratuites dans les circonstances et ne sont pas fondées sur les observations exhaustives des parties adverses. Néanmoins, certaines autres découlent de considérations importantes sur le plan pratique et de la justice et font suite aux observations exhaustives de parties adverses représentées par des avocats.

 

[31]           À mon avis, nous devrions nous considérer comme liés par l’obiter dictum de Savard. La Cour l’a prononcé eu égard à des considérations importantes sur le plan pratique et de la justice et elle bénéficiait, ce qui est rare dans ce contexte, d’observations exhaustives de parties adverses représentées par des avocats. Pour la première fois, elle était « en mesure enfin de décrire avec […] une certaine cohérence le système [d’assurance-emploi] adopté par le législateur et son fonctionnement » (au paragraphe 18). Cela lui permettait d’examiner la jurisprudence antérieure qui n’avait pas été éclairée par les observations d’avocats de parties adverses et de la corriger si elle se révélait « manifestement erronée » : arrêt Miller, précité, au paragraphe 10. Rater cette occasion aurait pu avoir pour effet de laisser les défauts de la jurisprudence antérieure s’appliquer encore dans les causes futures, ce qui aurait été néfaste. De plus, comme nous le notions précédemment, la majorité des membres du tribunal dans Savard avaient siégé dans les causes antérieures et considéraient qu’il était nécessaire de corriger leurs décisions antérieures. À mon avis, dans ces circonstances, Savard règle véritablement cette question en pratique.

 

(4)        La conclusion dans Savard était-elle bien fondée?

[32]           La Couronne défenderesse soutient que la conclusion dans Savard était mal fondée et qu’elle ne devrait pas être suivie. Pour me prononcer sur cette prétention, j’ai étudié le raisonnement et l’issue de Savard à la lumière du libellé du paragraphe 7.1(4) ainsi que du régime et de l’objet de la Loi.

 

[33]           À mon avis, la conclusion dans Savard est bien fondée, pour les motifs qui y sont exposés. Par conséquent, j’adopte le raisonnement et l’issue de Savard et je les applique à la présente espèce. À mon avis, la Commission a le pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 7.1(4) de donner ou non un avis de violation, selon les circonstances.

 

[34]           J’ai adopté le raisonnement et l’issue de Savard, mais comme j’ai bénéficié des observations exhaustives présentées à la Cour par les parties, lesquelles étaient toutes deux représentées par des avocats, je donnerai quatre autres raisons pour expliquer pourquoi j’estime que la conclusion dans Savard était bien fondée et que la Commission a un pouvoir discrétionnaire concernant l’avis en vertu du paragraphe 7.1(4).

 

I

[35]           Le législateur aurait pu rédiger le texte de loi de manière à prescrire à la Commission de donner un avis de violation lorsque se produit l’une des circonstances mentionnées à l’article 7.1. Or, il ne l’a pas fait. Le paragraphe 7.1(4) prévoit qu’il y a violation « lorsque le prestataire se voit donner un avis de violation » [non souligné dans l’original].

 

II

[36]           Interpréter le paragraphe 7.1(4) comme s’il imposait une sanction obligatoire ou automatique contredirait de façon manifeste le reste du régime administratif. Il s’agit d’un régime administratif qui, de manière constante, confère un pouvoir discrétionnaire le plus large possible à la Commission. Celle-ci a le pouvoir discrétionnaire d’intenter une poursuite pénale ou une poursuite administrative : article 40 et paragraphe 135(2) de la Loi. Si elle choisit la poursuite pénale, la Commission a le pouvoir discrétionnaire de procéder à cette poursuite en vertu du paragraphe 135(1) de la Loi ou en vertu du Code criminel. Si elle choisit la poursuite administrative, la Commission a le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 41.1, de la Loi d’imposer une sanction pécuniaire ou seulement un avertissement. Si elle choisit la sanction pécuniaire, la Commission a le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 38, d’imposer un montant pouvant aller jusqu’à la sanction maximale prévue par la Loi. En pleine mer discrétionnaire, le législateur avait-il vraiment l’intention de créer une île solitaire où serait infligée une sanction obligatoire et automatique, et qui plus est une sanction sévère? À mon avis, étant donné le cadre du régime administratif, seuls des termes extrêmement clairs auraient pu justifier une telle interprétation.

 

III

[37]           L’objet général de la Loi est de « d’établir un régime d’assurance sociale aux fins d’indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d’assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps et les aider ainsi à retourner sur le marché du travail » : Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, à la page 41. Dans le cas d’une loi prévoyant des prestations sociales comme en l’espèce, « tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire » : Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la page 10; voir aussi Finlay c. Canada (Ministre des Finances), précité, aux pages 1113 à 1115. Dans la mesure où le paragraphe 7.1(4) est ambigu sur la question de savoir si la Commission a le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner un avis de violation, cette ambiguïté devrait se résoudre en faveur du prestataire.

 

[38]           À cet égard, comme nous l’avons noté précédemment, la Couronne défenderesse a fait valoir que l’objet de l’article 7.1 était de [traduction] « dissuader les violations au régime d’assurance-emploi en imposant une sanction additionnelle aux prestataires qui tentent d’abuser du système ». Je conviens qu’il s’agit de l’objet de l’article 7.1, mais il s’agit également de l’objet sous‑jacent des autres sanctions prévues par la Loi. Comme nous l’avons vu, les sanctions prévues par la Loi sont tributaires d’un régime prévoyant de vastes pouvoirs discrétionnaires administratifs. L’objet que la Couronne considère être celui de l’article 7.1 ne conduit pas nécessairement à la conclusion que, lorsque l’un des faits visés au paragraphe 7.1(4) se produit, un avis de violation est, contrairement à toutes les autres sanctions dans ce régime de sanctions, automatique.

 

IV

[39]           Il importe d’éviter les interprétations qui entraînent des conséquences sévères ou inéquitables, sauf lorsque cela est clairement requis par le libellé, la structure et l’objet de la Loi : Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 27. Dans un article de doctrine utile en l’espèce, « Les sanctions administratives de l’assurance-emploi : entre solidarité, assurance et répression », (2009) 50 Les Cahiers de Droit 825, le professeur Pierre Issalys estime que l’interprétation rigoureuse du paragraphe 7.1(4) comme imposant une « sur‑sanction » ajoute une sanction sévère à une autre sanction.

 

[40]           À mon avis, l’interprétation donnée par la Couronne au paragraphe 7.1(4) entraînerait une conséquence exagérément sévère ou inéquitable. Supposons que, comme c’est le cas en l’espèce, la Commission impose la pénalité la plus légère à l’encontre d’un prestataire (1 $) en raison de circonstances atténuantes et de considérations d’ordre humanitaire. L’interprétation donnée par la Couronne au paragraphe 7.1(4) obligerait le prestataire à accumuler un plus grand nombre d’heures avant d’être admissible au bénéfice des prestations et, pour de nombreuses personnes, cela pourrait constituer une sanction extrêmement sévère. Une telle interprétation aurait une incidence particulièrement sévère sur ceux qui doivent demander des prestations périodiquement en raison de la nature de leur emploi, comme les travailleurs saisonniers. À mon avis, pour atteindre à un tel résultat, le libellé du paragraphe 7.1(4) aurait dû être plus clair.

 

(5)        Application des conclusions aux faits de l’espèce

[41]           Il découle de ce qui précède que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 7.1(4) de la Loi, de donner ou non un avis de violation. Un avis de violation n’est ni obligatoire, ni automatique aux termes du paragraphe 7.1(4). Dans la mesure où les décisions de la Cour dans les affaires Geoffroy, Limosi, Piovesan, Kaur et Patry ne vont pas dans ce sens, elles ne devraient pas être suivies.

 

[42]           Je conclus que le Conseil arbitral avait compétence pour annuler l’avis de violation. Le juge-arbitre a commis une erreur en concluant le contraire.

 

C.        Dispositif proposé

 

[43]           Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge-arbitre et je rétablirais la décision du Conseil arbitral.

 

« David Stratas »

j.c.a

 

 

« Je suis d’accord

     Gilles Létourneau, j.c.a. »

« Je suis d’accord

     J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-483-09

 

 

INTITULÉ :                                                                           Zora S. Gill c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 2 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Stratas

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Létourneau

                                                                                                Le juge Pelletier

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 8 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Love

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Molloy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Community Legal Assistance Society

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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