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Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100719

Dossier : A‑150‑09

Référence : 2010 CAF 190

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SHMUEL HERSHKOVITZ,

SYSTÈMES DE SÉCURITÉ PARADOX LTÉE – PARADOX SECURITY SYSTEMS LTD. et PINHAS SHPATER

 

appelants

et

TYCO SAFETY PRODUCTS CANADA LTD

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 3 février 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE EVANS

                                                                                                    LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 


Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100719

Dossier : A‑150‑09

Référence : 2010 CAF 190

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SHMUEL HERSHKOVITZ,

SYSTÈMES DE SÉCURITÉ PARADOX LTÉE – PARADOX SECURITY SYSTEMS LTD. et PINHAS SHPATER

 

appelants

et

TYCO SAFETY PRODUCTS CANADA LTD

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il s’agit d’un appel d’un jugement rendu par le juge Martineau de la Cour fédérale : 2009 CF 256. La Cour fédérale a rejeté l’action en contrefaçon de brevet intentée par les appelants contre l’intimée et a conclu que les brevets des appelants, qui auraient été contrefaits par l’intimée, étaient en fait invalides.

 

[2]               La Cour fédérale a identifié plusieurs motifs d’invalidité des brevets. Le présent appel vise uniquement à se prononcer sur l’examen qu’a fait la Cour fédérale de certains actes de renonciation déposés par les appelants.

 

[3]               Une renonciation peut uniquement restreindre la portée des revendications d’un brevet, et non l’élargir. La Cour fédérale a conclu que les renonciations des appelants ajoutaient des éléments inventifs additionnels aux revendications des brevets, élargissant ainsi leur portée. Les renonciations étaient donc invalides. De plus, les renonciations ne provenaient pas d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance, comme l’exige l’article 48 de la Loi sur les brevets, L.R. 1985, ch. P‑4 (la Loi). En déposant leurs actes de renonciation, les appelants ont effectivement reconnu que les revendications originales de leurs brevets avaient une portée trop large. Les renonciations ayant été jugées invalides, les revendications originales des brevets sont donc restées sous leur forme initiale, soit des revendications ayant une portée trop large. La Cour fédérale a donc conclu que les brevets étaient invalides pour cause de portée excessive.

 

[4]               À mon avis, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en tranchant ces questions; je rejetterais donc l’appel, avec dépens.

 

A.        Observations préliminaires

 

[5]               Afin de comprendre les questions en l’espèce ainsi que la décision de la Cour fédérale, il est nécessaire d’examiner brièvement quelques questions de base. Qu’est‑ce qu’un brevet et quand est‑il invalide? Qu’est‑ce qu’une renonciation et quand est‑elle invalide? Quel est le lien entre une renonciation et un brevet?

 

Les fondements du régime des brevets

 

[6]               Essentiellement, le régime des brevets se fonde sur la notion d’un marché conclu entre l’inventeur et le public : Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66, au paragraphe 13. La Loi et la common law définissent ce marché en détail.

 

[7]               Les grandes lignes de ce marché peuvent être décrites de la façon suivante. Un inventeur peut obtenir un brevet à l’égard de « [t]oute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières » : article 2 de la Loi (définition d’« invention »). Le brevet donne à son titulaire, le breveté, le droit exclusif de fabriquer, de construire, d’exploiter et de vendre l’invention pendant une période déterminée : article 42 de la Loi. En contrepartie, l’inventeur doit décrire l’invention de façon suffisamment détaillée afin qu’une personne versée dans l’art – c.‑à‑d. qu’une personne dépourvue d’esprit inventif ayant des connaissances dans le domaine de l’invention – puisse la recréer. Toute autre personne, à l’aide des renseignements précédemment divulgués, pourra fabriquer, exploiter et vendre l’invention à l’expiration du brevet. Les renseignements divulgués peuvent également donner naissance à des inventions de tiers. Ce marché est socialement utile parce qu’il favorise la recherche et le développement et encourage l’activité économique : Free World Trust, précité, paragraphe 42.

 

[8]               La portée de l’objet protégé par le brevet est importante puisqu’elle peut avoir une incidence considérable sur ce marché. Si la portée est trop large, l’inventeur bénéficiera d’une trop grande protection.

 

[9]               La portée de l’objet protégé par le brevet est déterminée en fonction des « revendications » qui forment le brevet. Les revendications « sont souvent comparées à des "clôtures" et à des "frontières" » : Free World Trust, précité, paragraphe 14.

 

[10]           Les tribunaux qui tentent de déterminer la portée de l’objet protégé par le brevet – c.‑à‑d. déterminer les clôtures et les frontières – se livrent à ce qu’on appelle « l’interprétation des revendications ». Les tribunaux doivent ainsi interpréter les revendications du point de vue de la personne versée dans l’art et entendre leurs témoignages.

 

[11]           L’inventeur peut défendre son droit exclusif de fabriquer et d’exploiter l’invention dans les limites de la portée du brevet en intentant une action en contrefaçon de brevet. Une personne contrefait un brevet lorsqu’elle reprend tous les éléments essentiels des revendications qui composent le brevet. Les éléments essentiels d’une revendication sont les éléments nécessaires au fonctionnement de l’invention, tel que l’a conçue l’inventeur. Autrement dit, les éléments non essentiels sont les éléments qui peuvent être substitués ou omis sans que le fonctionnement de l’invention n’en soit substantiellement modifié. Ajouter des éléments essentiels à une revendication a clairement pour effet de restreindre celle‑ci.

 

[12]           Lors d’une action en contrefaçon, il est commun d’alléguer l’invalidité du brevet. L’invalidité peut être démontrée en établissant qu’un brevet n’est pas nouveau, qu’il n’est pas utile ou qu’il n’est pas inventif : article 2 (définition d’« invention ») et articles 28.2 et 28.3 de la Loi. En d’autres mots, pour qu’un brevet soit valide, il doit être nouveau, utile et inventif. La jurisprudence définit ces exigences en détail, mais puisqu’il s’agit en l’espèce de dresser un portrait général, quelques commentaires généraux suffiront.

 

[13]           Pour qu’une invention soit nouvelle, elle ne doit pas avoir été précédemment connue du public. Les renseignements connus du public sont appelés des « antériorités ».

 

[14]           Pour qu’une invention soit utile, elle doit avoir une utilité pratique. De plus, les détails publiés par l’inventeur dans la divulgation doivent permettre à une personne versée dans l’art de recréer l’invention telle qu’elle est revendiquée.

 

[15]           Pour qu’une invention soit inventive, elle doit, de façon générale, être le fruit de l’ingéniosité; elle ne doit pas être évidente compte tenu des connaissances antérieures.

 

[16]           Cependant, un inventeur peut seulement revendiquer ce qu’il a inventé. Si un inventeur revendique davantage que son invention, l’objet du brevet sera trop large. Cette situation rendrait le marché inéquitable puisque l’inventeur obtiendrait ainsi le droit exclusif d’exploiter des objets non inventés et non divulgués au public. En termes simples, un brevet ne peut avoir une portée excessive.

 

            Le rôle du Bureau des brevets

 

[17]           Un inventeur peut déposer une demande de brevet auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. Cette demande comprend les revendications et la divulgation. Le Bureau des brevets examine la demande de l’inventeur afin de déterminer si elle respecte toutes les conditions en vertu de la Loi : article 27 de la Loi. À ce titre, le Bureau des brevets régit le marché entre le public et l’inventeur. Son rôle consiste entre autres à examiner l’invention en fonction des trois critères de brevetabilité : la nouveauté, l’utilité et l’inventivité.

 

[18]           L’inventeur peut tenter de corriger les lacunes identifiées par le Bureau des brevets durant l’examen de la demande. Par exemple, l’inventeur peut modifier la divulgation ou les revendications. Si le Bureau est éventuellement satisfait, il délivrera un brevet relatif à l’invention.

 

Renonciation et redélivrance

 

[19]           Une fois le brevet délivré, le titulaire du brevet, le breveté, peut poursuivre ceux dont les actions sont visées par les revendications au moyen d’une action en contrefaçon, comme il a été décrit précédemment. Une fois délivré, le brevet est présumé valide : paragraphe 43(2) de la Loi.

 

[20]           Toutefois, le breveté peut ensuite découvrir qu’une partie de l’invention ne respecte pas l’une des trois conditions de brevetabilité.

 

[21]           Si le breveté ne corrige pas ce problème, l’invention brevetée continuera de ne pas satisfaire à l’une des conditions de brevetabilité, ce qui risque de nuire à la cause du breveté dans le cadre d’une éventuelle action en contrefaçon, si une telle action devenait nécessaire. En effet, le défendeur dans le cadre d’une telle action pourrait alors alléguer l’invalidité des revendications du brevet et s’il avait gain de cause, ces revendications deviendraient complètement inopérantes. L’inventeur perdrait non seulement la protection assurée par les parties présentant des lacunes, mais il perdrait la protection entière accordée par ces revendications.

 

[22]           Il peut arriver que le breveté corrige une lacune lorsqu’il découvre qu’une partie d’une invention ne satisfait pas à l’une des conditions de brevetabilité. Lorsque la lacune résulte d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance, le breveté peut renoncer à cette partie de l’invention qui fait défaut. En revanche, aucune renonciation n’est possible lorsque la lacune résulte d’une intention de tromper le public. Le breveté peut renoncer à certains éléments en déposant un document appelé un « acte de renonciation » auprès du Bureau des brevets : article 48 de la Loi. L’article 48 est rédigé comme suit :

Cas de renonciation

 

 

48. (1) Le breveté peut, en acquittant la taxe réglementaire, renoncer à tel des éléments qu’il ne prétend pas retenir au titre du brevet, ou d’une cession de celui‑ci, si, par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public, dans l’un ou l’autre des cas suivants:

 

a) il a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif, en revendiquant plus que la chose dont lui‑même, ou son mandataire, est l’inventeur;

 

 

 

 

b) il s’est représenté dans le mémoire descriptif, ou a représenté son mandataire, comme étant l’inventeur d’un élément matériel ou substantiel de l’invention brevetée, alors qu’il n’en était pas l’inventeur et qu’il n’y avait aucun droit.

 

[…]

Patentee may disclaim anything included in patent by mistake

 

48. (1) Whenever, by any mistake, accident or inadvertence, and without any wilful intent to defraud or mislead the public, a patentee has

 

 

 

 

 

 

(a) made a specification [i.e. the claims and disclosure found in the patentee’s patent application] too broad, claiming more than that of which the patentee or the person through whom the patentee claims was the inventor, or

 

(b) in the specification, claimed that the patentee or the person through whom the patentee claims was the inventor of any material or substantial part of the invention patented of which the patentee was not the inventor, and to which the patentee had no lawful right,

 

the patentee may, on payment of a prescribed fee, make a disclaimer of such parts as the patentee does not claim to hold by virtue of the patent or the assignment thereof.

 

 

[23]           Le dépôt d’un acte de renonciation a pour effet de restreindre la portée du brevet. Dès le dépôt de l’acte de renonciation, la portée du brevet est automatiquement réduite; le Bureau des brevets n’a pas à examiner ni à approuver la renonciation. Tant que la renonciation est déposée selon les modalités prescrites, le Bureau des brevets l’enregistre : Monsanto Co. c. Canada (Commissaire des brevets), [1976] 2 C.F. 476 (C.A.); Distrimedic Inc. c. Richards Packaging Inc., 2008 CAF 4, 371 N.R. 377. Dans ce contexte, il est logique que le Bureau des brevets adopte un rôle passif puisqu’une renonciation peut uniquement restreindre la portée d’un brevet. Lorsqu’un breveté dépose une renonciation, la portée du brevet, à l’égard duquel l’inventeur détient les droits exclusifs, est donc réduite. Les concurrents sont avisés qu’ils peuvent alors exploiter les champs visés par la renonciation. Le public profite donc davantage du marché.

 

[24]           Le breveté peut modifier la portée de son brevet d’une autre façon, soit en redélivrant le brevet conformément à l’article 47 de la Loi. Or, contrairement à la renonciation, la redélivrance peut être utilisée pour élargir la portée du brevet. Comme l’a déclaré M. R. G. McClenahan dans son ouvrage, [traduction] « alors que la redélivrance est un ajustement visant à restreindre ou à élargir le contenu initialement élaboré, un acte de renonciation vise à renoncer à une partie du contenu initialement élaboré » (« Thoughts on Reissue and Disclaimer » (1968), 7 C.P.R. (2d) 251, p. 260). Puisque la redélivrance permet d’élargir la portée d’un brevet – la portée des droits exclusifs du breveté peut augmenter, ce qui pourrait avoir une incidence sur le marché conclu avec le public – le Bureau des brevets doit examiner et approuver toute demande de redélivrance.

 

[25]           Une renonciation qui élargit la portée d’un brevet est invalide. L’article 48 de la Loi prévoit, entre autres, qu’une renonciation est possible lorsque le breveté « a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif », et non lorsqu’il a trop restreint la portée de celui‑ci. Encore une fois, cela est logique et conforme au marché prévu par la Loi. Autrement, si une renonciation permettait d’élargir la portée d’un brevet, le breveté pourrait ajouter unilatéralement des éléments à son avantage aux dépens du public, tout en contournant le rôle de réglementation du Bureau des brevets.

 

B.        Décision de la Cour fédérale

 

[26]           La Cour fédérale a examiné, entre autres, la validité de deux brevets, soit les brevets no 2,169,670 et no 2,273,148. Elle a conclu que les deux brevets étaient invalides.

 

[27]           Devant notre cour, les appelants ont renoncé à interjeter appel de la décision de la Cour fédérale portant que le brevet 148 était invalide. Pour cette raison, et en raison du caractère restreint des questions que la Cour doit trancher dans le cadre du présent appel, il est seulement nécessaire d’examiner les faits entourant le brevet 670 des appelants.

 

[28]           Le brevet 670 se rapporte à un circuit électronique de couplage de ligne téléphonique. On utilise un coupleur de ligne téléphonique pour relier du matériel électronique, comme relier un système téléphonique ou un système d’alarme à une ligne téléphonique, tout en assurant l’isolement électrique. L’isolement électrique, qui est nécessaire pour protéger le matériel des surtensions et des signaux indésirables, nécessite l’utilisation de dispositifs optoélectroniques appelés « optocoupleurs ».

 

[29]           Peu de temps après la délivrance du brevet 670 aux appelants, qui a eu lieu le 5 octobre 1999, l’appelante, Systèmes de Sécurité Paradox Ltée – Paradox Security Systems Ltd, a envoyé une mise en demeure à l’intimée dans laquelle elle alléguait la contrefaçon. L’intimée a nié toutes les allégations de contrefaçon. Elle a également fait valoir que le brevet 670 des appelants était invalide.

 

[30]           Le 6 octobre 2003, Paradox a déposé un acte de renonciation. La partie de la renonciation pertinente en l’espèce vise les revendications 1 et 2 du brevet 670, sauf pour un élément. Il s’agissait d’un coupleur de ligne téléphonique initialement revendiqué « où ledit dispositif de réception de signal comprend un optocoupleur de réception connecté en série audit optocoupleur d’émission du côté ligne d’un téléphone pour appeler un minimum de courant afin de rendre une diode électroluminescente dudit optocoupleur de réception opérationnelle ».

 

[31]           La question visant à déterminer si la présente renonciation ajoutait en effet de nouveaux éléments inventifs aux revendications du brevet et était donc invalide a occupé une bonne partie du procès devant la Cour fédérale, lequel a duré vingt‑trois jours. La Cour fédérale a conclu que la renonciation ajoutait de nouveaux éléments inventifs et qu’elle était donc invalide. De plus, les appelants n’ont pas établi que la renonciation résultait d’une « erreur, [d’un] accident ou [d’une] inadvertance » conformément au paragraphe 48(1) de la Loi; la renonciation était donc invalide pour ce motif également. Or, lorsque les appelants ont déposé l’acte de renonciation pour corriger la portée excessive du brevet 670, tel qu’il était initialement revendiqué, ils ont admis que les revendications étaient trop larges. Il s’agissait d’un motif pour invalider les revendications. Par conséquent, la Cour fédérale a rejeté l’action en contrefaçon de brevet intentée par les appelants et a accueilli la demande reconventionnelle visant à obtenir une déclaration d’invalidité à l’égard des renonciations et des brevets en cause.

 

C.        Analyse

 

La renonciation était‑elle invalide parce qu’elle ajoutait de nouveaux éléments inventifs à l’invention?

 

[32]           La Cour fédérale a conclu que l’acte de renonciation des appelants élargissait la portée du brevet en ajoutant de nouveaux éléments inventifs et que la renonciation était donc invalide. Elle a tiré cette conclusion en interprétant les revendications du brevet original et les revendications modifiées en vertu de la renonciation, et en les comparant. Il s’agissait de la bonne méthode.

 

[33]           Suivant cette méthode, la Cour fédérale a conclu (au paragraphe 81) que le breveté ne revendiquait initialement aucune sorte de connexion entre les optocoupleurs. Toutefois, la Cour fédérale était d’avis que l’acte de renonciation ajoutait un nouvel élément inventif servant à « tirer un minimum de courant pour rendre opérationnelle la diode électroluminescente de l’optocoupleur de réception ». En fait, la Cour fédérale a conclu que l’acte de renonciation comprenait neuf nouveaux éléments inventifs (au paragraphe 82) :

Les éléments inventifs additionnels sont : (1) un optocoupleur de réception (2) connecté (3) en série (4) avec le [dispositif] optocoupleur d’émission (5) du côté ligne (6) pour appeler un minimum de courant (7) pour amener la diode électroluminescente (8) de l’optocoupleur de réception (9) à sa plage de fonctionnement. La Cour signale que ces éléments nouvellement ajoutés sont considérés par l’inventeur lui‑même comme étant (1) des éléments inventifs et (2) donnant lieu à de nouvelles combinaisons […]

 

 

Selon la Cour fédérale, il s’agit d’un élargissement invalide de la portée du brevet au moyen d’une renonciation.

 

[34]           Devant notre Cour, les appelants ont choisi de contester la décision de la Cour fédérale sur cette question de façon très restreinte. Ils ont contesté la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’acte de renonciation comprenait un nouvel élément inventif, soit une connexion en série entre l’optocoupleur de réception et l’optocoupleur d’émission. Toutefois, même si la Cour fédérale avait tort sur ce point, sa conclusion portant que l’acte de renonciation a introduit d’autres nouveaux éléments inventifs subsistait. Par exemple, devant notre Cour, les appelants n’ont pas contesté la conclusion selon laquelle les optocoupleur sont connectés « pour tirer un minimum de courant pour rendre opérationnelle la diode électroluminescente de l’optocoupleur de réception », élargissant ainsi la portée du brevet. Ils n’ont contesté aucun autre élément que la Cour fédérale a décrit dans l’extrait ci‑dessus qui, selon elle, élargissait la portée du brevet. Le fait que la prétention restreinte des appelants soit correcte ou non n’a pas d’incidence sur l’issue du litige : la Cour fédérale a conclu que l’acte de renonciation était invalide parce qu’il élargissait la portée des revendications originales du brevet. Autrement, un breveté pourrait se servir d’une renonciation pour élargir la portée de son brevet et obtenir ainsi des droits exclusifs plus importants à l’égard des éléments protégés, ce qui aurait pour effet de changer le marché dans son intégralité et de contourner le rôle de surveillance du Bureau des brevets.

 

[35]           Compte tenu de l’objet restreint des arguments des appelants relativement à l’extrait précédent, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’examiner chacun des neuf éléments inventifs identifiés par la Cour fédérale et de déterminer s’ils sont réellement des éléments inventifs. Bien que dans certains cas, un tel exercice peut être nécessaire. Il y a une distinction entre les éléments inventifs et les éléments essentiels. Dans un acte de renonciation, un breveté ne peut pas ajouter des éléments inventifs, étant donné qu’un tel ajout élargirait la portée du brevet. Par contre, l’ajout d’éléments essentiels peut avoir pour effet de restreindre la portée du brevet, tel qu’il a été souligné au paragraphe 11 ci‑dessus, puisque plus les revendications du brevet contiennent des éléments essentiels, plus la portée de ces revendications devient étroite.

 

La renonciation était‑elle invalide parce que les appelants n’ont pas établi l’existence d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance conformément au paragraphe 48(1) de la Loi?

 

 

[36]           Comme il a été mentionné précédemment, le paragraphe 48(1) de la Loi prévoit que le breveté peut renoncer à certains éléments s’ils ont été inclus « par erreur, accident ou inadvertance et sans intention de frauder ou tromper le public ». La Cour fédérale a conclu que les actes de renonciations des appelants ne résultaient pas d’une « erreur, [d’un] accident ou [d’une] inadvertance ».

 

[37]           La Cour fédérale résume d’abord l’état du droit concernant les éléments inclus « par erreur, accident ou inadvertance » (paragraphe 79) :

Enfin, lorsque la validité d’une renonciation est contestée, c’est au breveté qu’il incombe de montrer qu’il y a eu « erreur, accident ou inadvertance », et le bien‑fondé ou la validité de cette renonciation peut être contrôlé par la Cour si le brevet fait l’objet d’un litige. En outre, d’après la jurisprudence, la validité de la renonciation dépend de l’« état d’esprit » du breveté à l’époque où ce dernier a établi son mémoire descriptif. Le breveté doit être capable de montrer à la Cour que la renonciation est faite de bonne foi et non pour une raison irrégulière. S’il ne s’acquitte pas de ce fardeau, il sera conclu que la renonciation est invalide. Le fait que le Bureau des brevets ait accepté une renonciation n’est pas déterminant. Voir Pfizer Canada Inc. c. Apotex, 2007 CF 971, 2007 CF 971, 61 C.P.R. (4th) 305, aux paragraphes 37 et 38; Trubenizing Process Corp. c. John Forsyth Ltd. (1941), 1 C.P.R. 89, 2 Fox Pat. C. 11 (H.C.J. Ont.), confirmé par (1942), 2 C.P.R. 89, [1942] 2 D.L.R. 539 (C.A. Ont.), infirmé pour d’autres motifs par (1943), 3 C.P.R. 1, [1943] 4 D.L.R. 577 (C.S.C.).

 

 

[38]           Devant notre Cour, l’objet des arguments des appelants est également restreint sur ce point. Les appelants ne contestent pas le résumé du droit fait par la Cour fédérale, mais font plutôt valoir qu’ils ont présenté suffisamment d’éléments de preuve lors du procès pour s’acquitter du fardeau qui leur incombait de prouver qu’ils avaient agi « par erreur, accident ou inadvertance » conformément au paragraphe 48(1) de la Loi.

 

[39]           Cette conclusion tirée par la Cour fédérale reposait sur une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle applicable en appel à cet égard est celle de l’« erreur manifeste et dominante » : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, au paragraphe 10. Essentiellement, les appelants demandent à la Cour de réévaluer les éléments de preuve dont a été saisie la Cour fédérale et de tirer une conclusion différente. Or, selon la norme de l’« erreur manifeste et dominante », la Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve et tirer une conclusion différente que celle de la Cour fédérale. Si la Cour fédérale a étayé sa décision à l’aide d’éléments de preuve et que cette décision n’est pas entachée d’une erreur fondamentale, rien ne justifie une intervention de notre Cour.

 

[40]           La Cour fédérale n’a commis aucune « erreur manifeste et dominante » à l’égard de cette question. Elle a conclu que les appelants n’ont pas démontré que leur acte de renonciation résultait d’une « erreur, [d’un] accident ou [d’une] inadvertance ». La Cour fédérale avait plusieurs motifs à l’appui de sa décision :

 

a)         M. Shmuel Hershkovitz, l’un des fondateurs de Paradox, n’a identifié aucune erreur, aucun accident ni aucune inadvertance.

 

b)         M. Pinhas Shpater, l’autre fondateur de Paradox, qui possédait une expertise technique approfondie à l’égard de l’invention, n’a rien dit au sujet d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance.

 

c)         Au moment, du procès, M. Shpater a continué de faire valoir que certaines réalisations antérieures n’étaient pas pertinentes à l’égard du brevet 670, prétention que le juge de première instance a jugé non crédible.

 

d)         On a accordé peu de poids aux explications fournies par M. James Anglehart, un agent de brevets, parce qu’elles étaient laborieuses et qu’elles semblaient provenir d’un souvenir confus.

 

[41]           Devant notre Cour, les appelants ont tenté de réfuter ces conclusions en soulignant certaines parties des témoignages que M. Shpater et M. Anglehart ont livrés lors du procès. À mon avis, ces témoignages étayent plutôt la conclusion générale de la Cour fédérale selon laquelle les appelants ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver l’existence d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance. Les parties du témoignage de M. Shpater n’établissent pas l’existence d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance. Le témoignage de M. Anglehart était suffisamment vague et général pour permettre à la Cour de lui accorder peu de poids.

 

[42]           Les appelants ont exhorté la Cour à reconnaître que le seuil permettant de conclure qu’une renonciation résultait d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance n’était pas élevé. Selon leurs prétentions, ce seuil peut être atteint en s’appuyant sur tout élément de preuve au dossier établissant l’existence d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance. Pour étayer cette position, les appelants citent la décision rendue par le juge Mosley de la Cour fédérale dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, 61 C.P.R. (4th) 305, en alléguant que [traduction] « le seuil pour étayer une renonciation n’est pas élevé ».

 

[43]           Je ne suis pas d’accord. Il est vrai que dans Pfizer, la Cour fédérale a constaté l’existence d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance en se fondant sur une preuve dite « minimale ». Toutefois, la Cour fédérale dans cette affaire a appliqué la norme habituelle de la prépondérance des probabilités (paragraphe 43). Il s’agit de la norme appropriée. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, une seule norme de preuve s’applique dans une instance civile, soit la norme de la prépondérance des probabilités, et « [d]ans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu » : F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, 2008 CSC 53, au paragraphe 49.

 

[44]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la conclusion tirée par la Cour fédérale portant que l’acte de renonciation est invalide ne doit pas être modifiée.

 

Le brevet des appelants était‑il invalide?

 

[45]           Les appelants allèguent que lorsqu’une renonciation est jugée invalide, le brevet n’est pas automatiquement invalide. Les appelants font valoir que la décision Pfizer, précitée, étaye cette prétention. Ils s’appuient plus particulièrement sur l’extrait suivant (paragraphe 38) :

Je suis d’accord avec les conclusions de la Haute Cour de justice de l’Ontario dans l’arrêt Trubenizing Process Corp.c. John Forsyth, Ltd., [1942] O.R. 271‑300, 2 C.P.R. 89, arrêt infirmé pour d’autres motifs, [1943] R.C.S. 422, [1943] A.C.S. no 35, où le juge Chevrier a statué que la validité de la renonciation dépend seulement de l’état d’esprit du breveté au moment où il rédige son mémoire descriptif. Le juge Chevrier a établi clairement qu’il incombe à la partie qui dépose la renonciation d’en établir la nécessité en raison d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance, sans qu’il y ait eu intention de frauder ou de tromper le public. Lorsque la partie qui dépose la renonciation ne s’acquitte pas de ce fardeau, la renonciation est jugée invalide et le brevet conserve sa forme originale. [Je souligne.]

 

Selon moi, ceci n’aide pas la thèse des appelants. Une déclaration portant qu’une renonciation invalide permet au brevet de garder sa forme originale ne dit rien à propos de la validité ou de l’invalidité du brevet dans sa forme originale.

 

[46]           Ce qui est pertinent en l’espèce est le dépôt de l’acte de renonciation par les appelants. En déposant l’acte de renonciation auprès du Bureau des brevets – un acte important, formel et public – les appelants ont reconnu que la portée de leur brevet original était trop large : Règles sur les brevets (1996), DORS/96‑423, Annexe I, Formule 2.

 

[47]           Le juge Hughes de la Cour fédérale s’est exprimé brièvement et adéquatement sur ce point dans Bristol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, 74 C.P.R. (4th) 85, au paragraphe 47 :

[…] Les demanderesses ont déposé un document au Bureau des brevets, avec l’intention que le Bureau y réagisse, en sachant que ce document serait consulté par le public qui pourrait s’y fier. Ce document établit de façon non équivoque que le titulaire du brevet a donné trop d’étendue aux revendications initiales. Les demanderesses ne peuvent revenir sur de telles déclarations publiques en invoquant les réserves exprimées en privé par leur avocat interne ou en recourant à des tactiques.

 

À mon avis, en alléguant que les revendications du brevet original, c’est‑à‑dire avant l’acte de renonciation, étaient trop larges, les brevetés ne peuvent plus s’appuyer sur celles‑ci dans le cadre d’une action en contrefaçon. Les revendications sont trop larges et donc invalides : Harold G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th éd. (Toronto; Carswell, 1969), à la page 199; Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, Ltd., [1947] Ex. C.R. 306, 12 C.P.R. 99, à la page 111.

 

[48]           Je tiens à formuler certaines observations au sujet de l’analyse au début des présents motifs portant sur notre régime de brevets et sur le marché conclu entre l’inventeur et le public. Permettre aux appelants de retourner aux revendications originales du brevet et considérer ces revendications comme étant valides, malgré l’acte de renonciation déposé par les appelants en raison de la portée excessive des revendications, créerait une situation incompatible avec le marché qui est au cœur du régime de la Loi. La fonction d’avis public que remplissent les brevets faisant l’objet d’une renonciation serait compromise et il serait ainsi difficile pour les concurrents d’identifier les domaines où l’innovation reste possible : Free World Trust, précité, aux paragraphes 41 et 42.

 

[49]           Voici un cas hypothétique qui illustre ce problème. Supposons qu’un breveté a déposé un acte de renonciation il y a un certain temps, avisant le public que son brevet n’était pas aussi large qu’il le croyait. En effet, le breveté a avisé le public qu’il déplaçait les « clôtures », retirant ainsi son monopole à l’égard de certains éléments. Supposons que d’autres inventeurs commencent à travailler sur les éléments visés par la renonciation. Si les arguments des appelants étaient acceptés, les « clôtures » reviendraient à leur position originale une fois la renonciation jugée invalide. Un tel résultat semble injuste, contraire au bon fonctionnement de la Loi et incompatible avec le marché qui est au cœur de notre régime de brevets.

 

Autres questions soulevées devant la Cour fédérale

 

[50]           Dans ses longs motifs de jugement, la Cour fédérale s’est également penchée sur la question de savoir si les revendications des brevets en cause étaient invalides pour cause d’antériorité, d’évidence et de simple juxtaposition ou combinaison de composants déjà connus non brevetable. La Cour fédérale a également formulé plusieurs autres remarques. Ces conclusions et remarques ont été débattues en détail devant notre Cour. Selon moi, il n’est pas nécessaire d’examiner ces conclusions et remarques puisqu’elles n’ont aucune incidence à l’égard de l’issue du présent appel.

 

D.        Dispositif proposé

 

[51]           Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord,

     John M. Evans, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord,

     Carolyn Layden‑Stevenson, j.c.a »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑351‑09

 

 

INTITULÉ :                                                   SAMUEL HERSHKOVITZ, SYSTÈMES DE SÉCURITÉ PARADOX LTÉE – PARADOX SECURITY SYSTEMS LTD. et PINHAS SHPATER c.

                                                                        TYTCO SAFETY PRODUCTS CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EVANS

                                                                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 19 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

George R. Locke

Daniel A. Artola

 

POUR LES APPELANTS

 

Marek Nitoslawski

David Turgeon

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES APPELANTS

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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