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Cour d’appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100722

 

Dossier : A-260-10

 

Référence : 2010 CAF 199

 

En présence de monsieur le juge en chef Blais

 

 

ENTRE :

                                                              

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

 

appelants (défendeurs)

 

-et-

 

 

OMAR AHMED KHADR

intimé (demandeur)

 

ET ENTRE :

 

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

appelants (défendeurs)

-et-

 

 

OMAR AHMED KHADR

intimé (demandeur)

 

 

Audience tenue par téléconférence le 16 juillet 2010.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario) le 22 juillet 2010.

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS


Cour d’appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100722

 

Dossier : A-260-10

 

Référence : 2010 CAF 199

En présence de monsieur le juge en chef Blais

 

 

ENTRE :

 

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

 

appelants (défendeurs)

-et-

 

OMAR AHMED KHADR

intimé (demandeur)

ET ENTRE :

 

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

appelants (défendeurs)

-et-

 

OMAR AHMED KHADR

intimé (demandeur)

 

 

motifs de l’Ordonnance

 

LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

[1]                Il s’agit d’une demande présentée par le premier ministre du Canada, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Justice (les appelants) en vue d’obtenir un sursis à l’exécution du jugement du juge Zinn, daté du 5 juillet 2010 (2010 CF 715), en attendant l’issue de l’appel.

[2]                Les appelants ont déposé et signifié un avis d’appel à l’égard du jugement du juge Zinn le 12 juillet 2010.

 

faIts PERTINENTS

 

[3]                Le contexte factuel n’était pas contesté devant le juge de première instance et ne l’est pas non plus devant la Cour d’appel. M. Khadr (l’intimé) a adopté le résumé des faits figurant dans les motifs du jugement du juge de première instance (paragraphes 2 à 34), et moi aussi.

 

[4]                Pour avoir gain de cause, les appelants doivent satisfaire au critère à trois volets établi dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 [RJR-MacDonald], à la page 334 :

 

L’arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire.  Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger.  Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée.  Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.  Il peut être utile d’examiner chaque aspect du critère et de l’appliquer ensuite aux faits en l’espèce.

 

[5]                Avant d’appliquer le critère à trois volets à l’espèce, il est utile de passer rapidement en revue les mesures les plus récentes prises dans le présent dossier depuis janvier 2010.

 

[6]                En examinant le jugement rendu par le juge O’Reilly (Khadr c. Canada (Premier ministre), 2009 CF 405, [2010] 1 R.C.F. 34) qui a ordonné au gouvernement canadien de « demander le plus tôt possible aux États‑Unis de rapatrier M. Khadr », la Cour suprême du Canada (Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44 [Khadr II]) a statué ceci, aux paragraphes 39, 44 et 47 :

[39]    Nous estimons tout d’abord que la réparation ordonnée par les juridictions d’instances inférieures accorde un poids insuffisant à la responsabilité constitutionnelle de l’exécutif de prendre des décisions concernant les affaires étrangères dans le contexte de circonstances complexes et en fluctuation constante, en tenant compte des intérêts nationaux plus larges du Canada.  Pour les motifs suivants, nous concluons que la réparation appropriée consiste, d’une part, à déclarer que, selon le dossier dont la Cour est saisie, le Canada a porté atteinte aux droits garantis à M. Khadr par l’art. 7, et, d’autre part, à laisser au gouvernement le soin de décider de quelle manière il convient de répondre au présent arrêt à la lumière de l’information dont il dispose actuellement et de sa responsabilité en matière d’affaires étrangères et ce, en conformité avec la Charte.

 

[…]

 

[44]    Cela nous amène à notre deuxième objection : le caractère inadéquat du dossier.  Celui dont nous disposons nous donne une image forcément incomplète de l’ensemble des considérations auxquelles le gouvernement fait actuellement face pour juger de la demande de M. Khadr.  Nous ne savons pas quelles négociations ont pu avoir lieu, ou auront lieu, entre les gouvernements des États‑Unis et du Canada sur le sort de M. Khadr.  Comme l’a observé le juge en chef Chaskalson dans Kaunda c. President of the Republic of South Africa, [2004] ZACC 5, 136 I.L.R. 452, par. 77 : [traduction] « Le moment choisi pour présenter des observations, s’il y a lieu d’en présenter, les termes dans lesquels elles devraient être formulées, et les sanctions qui (le cas échéant) devraient suivre si lesdites observations sont rejetées, sont des questions que les tribunaux ne sont pas véritablement en mesure de trancher. »  Dans les circonstances, il ne serait donc pas opportun que la Cour donne des directives quant aux mesures diplomatiques qu’il faudrait prendre pour remédier aux violations des droits de l’intimé garantis par la Charte. [Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

[47]    La solution à la fois prudente pour l’instant et respectueuse des responsabilités de l’exécutif et des tribunaux consiste à ce que la Cour fasse droit en partie à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Khadr et prononce un jugement déclaratoire en sa faveur informant le gouvernement de son opinion sur le dossier dont elle est saisie, opinion qui fournira, pour sa part, à l’exécutif, le cadre juridique en vertu duquel il devra exercer ses fonctions et examiner les mesures qu’il conviendra de prendre à l’égard de M. Khadr, en conformité avec la Charte.

 

[7]                À la suite de ce jugement de la Cour suprême du Canada rendu le 29 janvier 2010, le gouvernement canadien, le 16 février 2010, a envoyé au gouvernement des États‑Unis une note diplomatique lui demandant de ne pas utiliser les renseignements qui lui ont été fournis par le Canada dans sa poursuite contre M. Khadr.

[8]                Le gouvernement des États‑Unis a répondu à la note canadienne par une note diplomatique datée du 27 avril 2010 :

[traduction] Le Département d’État a fourni la note diplomatique évoquée au Bureau des procureurs des commissions militaires du département de la Défense concernant l’affaire de M. Khadr. Lorsqu’ils présenteront leur preuve, ces procureurs seront régis par la Military Commissions Act of 2009 (la MCA), plus précisément par la règle 948, qui prévoit des garanties contre l’admission d’éléments de preuve obtenus par des moyens irréguliers dans les instances tenues devant une commission militaire.

 

Les garanties visées incluent l’exclusion de toutes les déclarations obtenues par la torture, ou par des traitements cruels, inhumains ou dégradants, « sauf contre une personne accusée de torture ou d’avoir infligé de tel traitement en tant que preuve que la déclaration a été faite ». MCA, alinéa 948a). Les autres déclarations de l’accusé peuvent être admises en preuve seulement si le juge militaire conclut « que l’ensemble des circonstances fait en sorte que la déclaration est fiable et a une valeur probante suffisante; et que – (A) la déclaration découle indirectement d’une conduite licite dans le cadre d’opérations militaires au moment de la capture, ou dans le cadre d’une bataille étroitement liée à la déclaration, et que l’intérêt de la justice serait mieux servi par l’admission de la déclaration en preuve; ou (B) la déclaration a été faite de manière volontaire ». MCA, alinéa 948c).

 

[9]                Enfin, pour remettre la situation dans son contexte, je reproduis le jugement du juge Zinn daté du 5 juillet 2010 :

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.              Les présentes demandes sont accueillies.

 

2.              La Cour déclare que M. Khadr a droit à l’équité procédurale et à la justice naturelle dans le cadre de la démarque prises Canada [sic] afin de choisir une mesure de réparation pour sa violation des droits garantis à M. Khadr par l’article 7 de la Charte, en ce sens où a) il a le droit de savoir quelles autres mesures de réparation le Canada envisage, le cas échéant, et b) il a le droit de présenter des observations écrites au Canada concernant d’autres mesures de réparation possibles, ainsi que son avis sur la question de savoir si les mesures de réparation envisagée [sic] par le Canada permettraient de corriger ou de pallier la violation.

 

3.              Les défendeurs doivent aviser le demandeur, dans les 7 jours de la date du présent jugement, des mesures de réparation qui, à leur avis, pourraient corriger ou pallier la violation des droits de M. Khadr garantis par la Charte, selon ce qu’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Premier Ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3.

 

4.              Le demandeur a 7 jours, à compter de la réception de l’avis des défendeurs au sujet des mesures de réparations éventuelles, pour leur fournir ses observations écrites concernant d’autres mesures de réparations qui pourraient corriger ou pallier la violation de ses droits garantis par la Charte, ainsi que son avis sur la question de savoir si les mesures de réparation envisagées par le Canada pourraient éventuellement corriger ou pallier la violation.

 

5.              Je reste compétent pour modifier, en tout temps, le délai prévu aux présentes pour la prise de toute mesure, si je suis convaincu que le délai accordé est trop court pour qu’une partie puisse pleinement et correctement fournir l’information ou prendre les mesures nécessaires.

 

6.              À la suite du processus concernant l’équité procédurale décrit ci-dessus, le Canada doit proposer une mesure de réparation correctrice dès que les circonstances le permettent, et continuer de proposer des mesures de réparation correctrices jusqu’à ce que la violation ait été corrigée, ou que de telles possibles mesures de réparation aient été épuisées, à la suite de quoi il proposera des mesures de réparation visant à pallier la violation, jusqu’à ce que celle-ci ait été suffisamment atténuée ou que de telles mesures aient toutes été épuisées.

 

7.              Je reste compétent pour déterminer si une mesure de redressement proposée pourrait être efficace, au cas où les parties n’arrivaient [sic] pas à s’entendre sur cette question.

 

8.              Je reste compétent pour imposer une mesure de réparation si, après le processus décrit ci-dessus, le Canada n’a pas mis en œuvre une mesure de réparation efficace en temps utile.

 

9.              Le demandeur a droit à ses dépens pour deux avocats, selon l’échelon supérieur de la colonne IV.

 

« Russel W. Zinn »

                                                                                                               Juge

 

AnalysE

 

Question sérieuse

[10]            La Cour suprême du Canada a statué ceci à la page 337 de l’arrêt RJR-MacDonald :

Quels sont les indicateurs d’une « question sérieuse à juger »?  Il n’existe pas d’exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère.  Les exigences minimales ne sont pas élevées.  Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l’affaire.

 

[11]            Il n’y a aucun doute dans mon esprit que la présente affaire satisfait au premier volet du critère. Comme le mentionnent les appelants au paragraphe 24 de leurs observations écrites [traduction] « [l]e présent appel soulève plusieurs questions de droit et de compétence importantes dont celles de l’interaction entre les réparations fondées sur le droit administratif et les réparations fondées sur la Charte et de la capacité de la Cour de superviser la réponse du gouvernement à un jugement déclaratoire rendu par la CSC à titre de réparation fondée sur le paragraphe 24(1) à l’encontre du gouvernement » (voir également l’avis d’appel émis le 12 juillet 2010).

 

[12]            L’intimé soutient au contraire que les arguments des appelants [traduction] « se limitent strictement au bien‑fondé de la réparation discrétionnaire accordée par le juge Zinn en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte » (paragraphe 21 de la réponse de l’intimé). Je ne pense pas que ce soit le cas. La question qui se pose en l’espèce est beaucoup plus complexe et la qualification des appelants citée ci‑dessus est beaucoup plus juste.

 

[13]            À mon avis, la présente affaire soulève effectivement plusieurs questions sérieuses, dont celle de savoir quel genre d’examen (le cas échéant) doit être effectué par un juge de la Cour fédérale saisi du contrôle judiciaire de la réponse discrétionnaire du gouvernement à une réparation de nature déclaratoire accordée par la Cour suprême en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Les appelants ont raison de dire que l’ordonnance du juge Zinn donne lieu à une sorte de supervision judiciaire de toute action diplomatique que le Canada pourrait entreprendre à l’égard de l’intimé. Ce qui est encore plus surprenant, c’est que cette supervision des réparations choisies par la Couronne découle d’une demande de contrôle judiciaire en matière d’équité procédurale et de justice naturelle.

[14]            J’estime que le fait de déterminer si le juge Zinn a le pouvoir de « superviser » l’exercice de la prérogative de la Couronne, voire même de dicter une ligne de conduite précise dans les circonstances particulières de l’espèce, soulève une question sérieuse. En outre, compte tenu de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Khadr II (particulièrement aux paragraphes 36, 46 et 47), je ne suis pas du tout convaincu que le juge Zinn a effectivement le pouvoir d’« imposer une mesure de réparation » (voir paragraphe 8 de l’ordonnance du juge Zinn). Les arguments des appelants ne sont donc pas dénués de tout fondement. En d’autres termes, les demandes des appelants sont des questions sérieuses et ne sont « ni futile[s] ni vexatoire[s] » (RJR-MacDonald, à la page 337).

 

Préjudice irréparable

[15]            Le second volet du critère et plus complexe :

[…]  Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue.  C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre.

 

[…]  L’appréciation du préjudice irréparable dans le cas de demandes interlocutoires concernant des droits garantis par la Charte est une tâche qui sera habituellement plus difficile qu’une appréciation comparable dans le cas d’une demande en matière de droit privé.  Une des raisons en est que la notion de préjudice irréparable est étroitement liée à la réparation que sont les dommages‑intérêts, lesquels ne constituent pas la principale réparation dans les cas relevant de la Charte.  (RJR-MacDonald, à la page 341.)

 

 

[16]            Pour satisfaire au second volet du critère, les appelants doivent convaincre la Cour qu’ils subiront un préjudice irréparable si le redressement n’est pas accordé.

 

[17]            Le simple fait de fournir une liste des mesures de réparation possibles, comme l’a ordonné le juge Zinn au paragraphe 3 de son ordonnance, ne causerait probablement pas nécessairement un préjudice irréparable, mais la différence entre le fait de fournir à M. Khadr une liste de réparations et le fait de vraiment procéder à la mise en œuvre de ces réparations est légère. En pratique, le fait de fournir une liste de mesures de réparation qu’ils n’ont pas l’intention d’appliquer n’aurait aucune valeur pour M. Khadr. Si les appelants étaient disposés à envisager d’autres mesures de réparation utiles, ils les auraient fort probablement proposées à l’intimé ou aux États‑Unis plutôt que de demander un sursis. Il me semble que le présent appel et la présente demande de sursis indiquent clairement que les appelants pensent avoir fait, du moins pour l’instant, tout ce qui était indiqué. Demander aux appelants d’imaginer une liste de mesures de réparation qu’ils n’ont pas l’intention de mettre en œuvre ou ne pensent pas devoir être obligés de mettre en œuvre n’est pas raisonnable. Ce qui est peut‑être encore plus problématique, c’est l’idée qu’ils doivent demander au juge Zinn d’« imposer » la réparation qu’il juge appropriée avant de pouvoir demander un sursis.

 

[18]            Quant aux mesures de réparation possibles, il faut se rappeler l’énumération des mesures que le gouvernement du Canada a prises pour protéger M. Khadr à compter du moment où il a appris son arrestation en Afghanistan. Voir le paragraphe 87 des motifs dissidents du juge Nadon (Premier ministre du Canada et al. c. Omar Khadr, 2009 CAF 246) :

[87]           Je passe maintenant aux mesures qu’a prises le Canada pour protéger M. Khadr à partir du moment où il a été informé de son arrestation en Afghanistan. Aux paragraphes 59 et 60 de son mémoire, le Canada relate les diverses mesures qu’il a prises pour protéger M. Khadr. Comme les faits qui y sont exposés ne sont pas contestés par M. Khadr, il sera plus facile pour moi de les reproduire plutôt que de tenter de les résumer. Le Canada a relaté les démarches qui ont été entreprises en les regroupant par objet, à savoir, le jeune âge de M. Khadr, les soins médicaux dont il avait besoin, son manque d’instruction, le fait qu’il n’avait pas accès à des services consulaires ou à un avocat, son incapacité à contester sa détention ou ses conditions de détention à la prison de Guantánamo devant une cour de justice et, enfin, les mauvais traitements qu’il a subis de la part des autorités américaines :

 

[traduction]

59.   […]

a.   Le jeune âge de l’intimé [l’intimé est M. Khadr]

•           En 2002, le Canada a demandé aux États-Unis de ne pas transférer l’intimé à Guantánamo en raison de son âge.

•           Après que l’intimé eut été transféré à Guantánamo, le Canada a de nouveau exprimé ses préoccupations aux États-Unis, demandant que l’on tienne compte du jeune âge de l’intimé lors de sa détention, et demandant que l’on envisage de toute urgence de le transférer dans un établissement pour jeunes combattants ennemis.

b.   Les soins médicaux dont l’intimé a besoin :

•           Les représentants canadiens qui ont interrogé l’intimé ont demandé en février 2003 qu’il soit vu par un médecin.

•           Plus tard en 2003, le Canada a réclamé des assurances que l’intimé recevait des soins médicaux adéquats.

•           À plusieurs reprises en 2005 et en 2006, le Canada a demandé que l’intimé fasse l’objet d’une évaluation médicale indépendante. Les communications constantes échangées avec les autorités américaines par le biais des visites effectuées pour s’assurer du bien-être de l’intimé ont permis aux responsables canadiens d’assurer un suivi en ce qui concerne les problèmes médicaux et dentaires de l’intimé.

c.   Le manque d’instruction de l’intimé :

•         Lors des visites effectuées pour s’assurer de son bien-être, les représentants canadiens ont remis à l’intimé des ouvrages éducatifs, des livres et des magazines et ont tenté, dans leurs communications avec les autorités américaines, de faciliter les possibilités pour l’intimé de poursuivre ses études.

d.   Le fait que l’intimé n’a pas accès à des services consulaires :

•           Bien que les États-Unis refusent à l’intimé l’accès à des services consulaires depuis 2002, le Canada a obtenu la permission, depuis mars 2005, de se rendre auprès de l’intimé pour s’assurer de son bien-être et a procédé depuis à une dizaine de visites à cette fin.

e.   Le fait que l’intimé n’a pas accès aux services d’un avocat :

•           Le Canada a exprimé aux États-Unis ses préoccupations au sujet de la justesse du choix de l’avocat de l’intimé en 2005 et a aidé son avocat canadien à finalement avoir accès à l’intimé.

f.   L’incapacité de l’intimé de contester en justice sa détention ou ses conditions de détention :

a)      Le 9 juillet 2004, le Canada a informé les États-Unis qu’il souhaitait que M. Khadr puisse faire contrôler la légalité de sa détention par un tribunal régulièrement constitué lui assurant toutes les garanties judiciaires d’une procédure régulière et toutes les garanties prévues par le droit international.

b)     En 2007, les États-Unis ont adopté une nouvelle loi sur les commissions militaires en réponse aux préoccupations exprimées dans l’arrêt Hamdan c. Rumsfeld [126 S.Ct. 2749(2006)].

c)      En 2008, la Cour suprême des États-Unis a confirmé, dans l’arrêt Boumediene c. Bush [553 U.S. ___ (2008) S.Ct. 2229] que la Constitution reconnaissait aux détenus le droit à l’habeas corpus.

g.   La présence de l’intimé dans une prison éloignée, sans contact avec sa famille :

•         Le Canada a facilité les communications de l’intimé avec les membres de sa famille.

 

 

60.   Par ailleurs, en ce qui concerne les mauvais traitements que l’intimé a subis de la part des autorités américaines, le Canada a entrepris plusieurs démarches :

a.      Le Canada a réclamé et obtenu en 2003 des assurances que l’intimé était traité avec humanité et d’une manière compatible avec les principes énoncés dans la Troisième Convention de Genève de 1949.

b.      Le 7 juin 2004, le Canada a envoyé une note diplomatique réclamant des États-Unis des assurances que les détenus de la prison de Guantánamo seraient traités conformément au droit humanitaire international et au droit international des droits de la personne.

c.      En janvier 2005, le Canada a envoyé une autre note diplomatique réitérant sa position que les allégations de mauvais traitements devaient faire l’objet d’une enquête et que leurs auteurs devaient être traduits en justice.

d.     Le Canada a renouvelé ces démarches en envoyant en février 2005 une nouvelle note dans laquelle il se disait extrêmement préoccupé après avoir été mis au courant d’allégations de mauvais traitements de l’intimé. Dans cette note, il réclamait aussi des renseignements au sujet des allégations en question et l’assurance que l’intimé était traité avec humanité.

e.                  La première fois qu’ils se sont rendus auprès de l’intimé pour s’assurer de son bien-être, en mars 2005, les représentants du MAECI ont posé aux autorités américaines des questions précises relativement au respect de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme. Les visites effectuées de 2005 à 2008 ont permis de constater que l’intimé était en général en bonne santé.

 

 

[19]            À mon avis, le fait qu’un membre de la magistrature se donne à lui‑même le pouvoir de « superviser » l’exercice de la prérogative de la Couronne dans un contexte où la Cour suprême a reconnu son rôle limité pourrait être perçu en soi comme un affront au partage des compétences qui causerait un préjudice irréparable. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’on considère que toute mesure susceptible de remédier à la violation de la Charte obligerait les appelants à entreprendre une action diplomatique quelconque.

 

[20]            Les appelants affirment que, s’ils se conforment au jugement de la Cour fédérale, l’équilibre entre le pouvoir exécutif et les tribunaux décrit par la Cour suprême du Canada dans son jugement donnera lieu à une ingérence indue de la Cour dans la conduite des relations étrangères, et que ce préjudice ne pourra être renversé si les appelants ont gain de cause en appel ni réparé par voie de dommages‑intérêts; je suis d’accord.

 

[21]            Je conclus sans hésitation que si un sursis n’est pas accordé, les appelants subiront un préjudice irréparable.

 

Balance des inconvénients

[22]            La Cour suprême du Canada a dit ceci à la page 346 de l’arrêt RJR-MacDonald :

À notre avis, le concept d’inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte.  Dans le cas d’un organisme public, le fardeau d’établir le préjudice irréparable à l’intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l’organisme public et, en partie, de l’action qu’on veut faire interdire.  On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et en indiquant que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l’activité contestés.  Si l’on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public.

 

En règle générale, un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si l’interdiction demandée entraînerait un préjudice réel.  Le faire amènerait en réalité le tribunal à examiner si le gouvernement gouverne bien, puisque l’on se trouverait implicitement à laisser entendre que l’action gouvernementale n’a pas pour effet de favoriser l’intérêt public et que l’interdiction ne causerait donc aucun préjudice à l’intérêt public.  La Charte autorise les tribunaux non pas à évaluer l’efficacité des mesures prises par le gouvernement, mais seulement à empêcher celui‑ci d’empiéter sur les garanties fondamentales.

 

[23]            Dans l’arrêt Toth c. Canada (M.C.I.) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), la Cour a indiqué que, selon le critère de la balance des inconvénients, il faut se demander « quelle partie subirait le plus grand préjudice en fonction de l’octroi ou du non‑octroi du sursis » (plus récemment cité par le juge Nadon dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fox, 2009 CAF 346, au paragraphe 19, 397 N.R. 222).

[24]            Nous avons déjà décrit de façon détaillée le préjudice irréparable que subiraient les appelants en cas d’octroi du sursis dans la partie précédente. Nous allons donc maintenant examiner le préjudice que pourrait subir l’intimé. Même si les parties en ont discuté sous la rubrique « préjudice irréparable » de leurs observations, la page 341 de l’arrêt RJR-MacDonald m’amène à croire qu’il vaut mieux en traiter dans la présente partie de l’analyse.

 

[25]            Le procès de l’intimé est prévu pour le 10 août 2010. Si le sursis était accordé, cela voudrait dire que le procès commencerait sans que les appelants aient pris d’autres mesures. En fait, le procès commencerait, et pourrait même se terminer, avant que la Cour ait eu la possibilité de décider quelles autres mesures (le cas échéant) devraient être prises par les appelants. Le caractère particulier et en constante évolution de la présente affaire figure parmi les raisons qui ont amené la Cour suprême à statuer expressément qu’il revenait aux appelants de façonner la réparation appropriée.

 

[26]            Je comprends que la perspective d’une condamnation devant une commission militaire fondée, du moins partiellement, sur des renseignements obtenus inconstitutionnellement ne doit pas être prise à la légère. Toutefois, il est trop difficile, à ce moment‑ci, de même déterminer comment la preuve canadienne pourrait être utilisée (le cas échéant) dans le procès américain et si des réparations pourraient être disponibles plus tard dans le processus.

 

[27]            Certains éléments de preuve recueillis par les autorités canadiennes semblent effectivement avoir été analysés dans le cadre d’une requête préliminaire présentée par la partie défenderesse en vue d’écarter des déclarations que l’intimé a faites aux autorités américaines. J’ai examiné attentivement les documents faisant état de l’utilisation des vidéos à l’audience préparatoire. Je n’ai qu’une connaissance partielle de ce qui s’est passé à l’audience relative à cette requête, et j’estime que je dois faire preuve d’une grande prudence quant à savoir comment et par qui l’élément de preuve a été soumis au tribunal américain. Je ne connais pas l’issue de cette requête, particulièrement sur la question cruciale de savoir si les interrogatoires canadiens pourraient éventuellement être utilisés au procès qui commencera le 10 août 2010.

 

[28]            Il faut aussi garder à l’esprit que ce n’est pas le préjudice résultant de l’ensemble de la poursuite et de la détention de l’intimé aux É.‑U. qui doit être pris en compte, mais seulement le préjudice résultant des actions inconstitutionnelles antérieures du Canada. En outre, même si les É.‑U. n’ont pas donné au Canada la pleine assurance que la preuve ne serait pas utilisée, ils ont quand même expliqué que la note diplomatique serait remise aux poursuivants et que la Military Commissions Act of 2009 (la MCA) prévoit des garanties contre l’admission d’éléments de preuve obtenus par des moyens irréguliers dans les instances tenues devant une commission militaire.

 

[29]            Le préjudice des appelants, par contre, serait sans équivoque si le pouvoir discrétionnaire de la Couronne en matière d’affaires étrangères et de sécurité nationale devait être usurpé par les tribunaux. Les appelants font également valoir que, parce que, selon eux, le juge Zinn usurpe, en fin de compte, le droit du pouvoir exécutif de prendre des décisions comme celle en cause en l’espèce (qui soulève des questions d’intérêt national), on [traduction] « doit donc tenir pour acquis qu’elle est contraire à l’intérêt public » (observations écrites des appelants, par. 40). Cela ne veut pas dire que les appelants auront nécessairement gain de cause dans leur appel, mais que si c’est le cas et que le sursis leur a été refusé, leur victoire ne sera que théorique puisque l’action diplomatique aura déjà été prise.

 

[30]            Dans sa réponse, l’intimé prétend que, comme l’ordonnance du juge Zinn est présumée valide et demeure en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit infirmée, [traduction] « la balance des inconvénients penche en faveur de M. Khadr » (paragraphe 37). Cet argument n’a pas beaucoup de poids en soi. Cela signifierait que, dans toute demande de sursis, la balance des inconvénients pencherait automatiquement en faveur de l’intimé.

 

[31]            Avant de tirer une conclusion définitive sur la question de la balance des inconvénients, il convient de jeter un second regard au paragraphe 39 du jugement de la Cour suprême dans l’affaire Khadr II :

Nous estimons tout d’abord que la réparation ordonnée par les juridictions d’instances inférieures accorde un poids insuffisant à la responsabilité constitutionnelle de l’exécutif de prendre des décisions concernant les affaires étrangères dans le contexte de circonstances complexes et en fluctuation constante, en tenant compte des intérêts nationaux plus larges du Canada…

 

[32]            L’ordonnance de la Cour fédérale ne semble pas cadrer avec les directives qui ressortent de la décision de la Cour suprême. Je conviens avec les appelants que si nous devions exécuter la décision de la Cour fédérale, le droit du pouvoir exécutif de décider et d’exécuter les fonctions diplomatiques et internationales du Canada serait restreint, et en quelque sorte usurpé, par le pouvoir de surveillance du tribunal.

[33]            Quand je soupèse l’intérêt de la justice et la responsabilité constitutionnelle du pouvoir exécutif de prendre des décisions en matière d’affaires étrangères et le préjudice que pourrait subir l’intimé, M. Khadr, si le jugement de la Cour fédérale n’était pas exécuté, je conclus sans hésitation que la balance des inconvénients et l’intérêt de la justice favorisent les appelants.

 

CONCLUSION

[34]            Je conclus donc que la présente requête en sursis doit être accueillie.

 

[35]            L’exécution du jugement de la Cour fédérale daté du 5 juillet 2010 doit être suspendue en attendant l’issue de l’appel.

 

[36]            Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

« Pierre Blais »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B, D.É.S.S. en trad., trad. a.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                             A-260-10

 

INTITULÉ :                           LE PREMIER MINISTRE DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES et LE MINISTRE DE LA JUSTICE

appelants (défendeurs)

 

-et-

 

 

OMAR AHMED KHADR

intimé (demandeur)

 

ET ENTRE :

 

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

appelants (défendeurs)

 

-et-

 

OMAR AHMED KHADR

intimé (demandeur)

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE AVEC COMPARUTION DES PARTIES

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                    Le 16 juillet 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                        LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 22 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Doreen Mueller

POUR LES APPELANTS

 

Nathan J. Whitling

Dennis Edney

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LES APPELANTS

 

 

Parlee McLaws s.r.l.

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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