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Date : 20100726

Dossier : A-345-08

Référence : 2010 CAF 201

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

                       

 

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 mars 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                                                       LE JUGE STRATAS

 

 


Date : 20100726

Dossier : A-345-08

Référence : 2010 CAF 201

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

                       

 

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Entre les années 1990 et 1993, l’appelante a acheté de la ranitidine, l’ingrédient pharmaceutique actif d’un médicament qu’elle commercialisait au Canada sous la marque nominale Zantac. Elle a acheté la ranitidine à Adechsa SA (Adechsa), une société affiliée étrangère, à un prix variant entre 1 512 $ et 1 651 $ le kilogramme (le kilo). Au cours de la même période, deux sociétés pharmaceutiques canadiennes qui fabriquaient des produits génériques, à savoir Apotex Inc. et Novopharm Ltd., se sont procuré leur ranitidine auprès de fournisseurs avec lesquels elles n’avaient pas de lien de dépendance à un prix variant entre 194 $ et 304 $ le kilo.

 

[2]               Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante pour ses années d’imposition 1990, 1991, 1992 et 1993. En premier lieu, en vertu de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR), le ministre a, notamment en application du paragraphe 69(2), augmenté le revenu de l’appelante de la différence entre le prix payé par Apotex et Novopharm pour leur ranitidine et celui que l’appelante avait payé pour la sienne. En second lieu, le ministre a établi des cotisations à l’égard de l’appelante en vertu de la partie XIII de la LIR pour des montants que l’appelante était réputée avoir versés au titre de dividendes au cours des années en question à Glaxo Group, une société du Royaume-Uni, conformément aux paragraphes 56(2), 212(2) et 214(3) de la LIR.

 

[3]               L’appelante a interjeté appel des nouvelles cotisations établies par le ministre à la Cour canadienne de l’impôt qui, mis à part un rajustement mineur à la hausse du prix payé par l’appelante pour sa ranitidine, a confirmé les nouvelles cotisations.

 

[4]               Il s’agit de l’appel de la décision (2008 CCI 324) par laquelle le juge en chef adjoint Rip (maintenant juge en chef) (le juge) a fait droit aux appels interjetés par l’appelante des cotisations établies en vertu de la partie I de la LIR pour les années d’imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 et des cotisations établies en vertu de la partie XIII de la LIR à la suite de l’omission de l’appelante d’effectuer une retenue d’impôt sur les dividendes réputés avoir été versés à un actionnaire non résidant en 1990, 1991, 1992 et 1993, et a renvoyé l’affaire au ministre pour qu’il la réexamine et qu’il établisse une nouvelle cotisation seulement pour diminuer de 25 $ le kilo l’excédent payé par l’appelante pour la ranitidine et pour rajuster en conséquence les montants de retenues d’impôt.

 

[5]               Dans le présent appel, nous sommes appelés à nous prononcer sur l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 69(2) de la LIR, qui dispose :

69. (2)  Lorsqu’un contribuable exploitant une entreprise au Canada a versé ou convenu de verser à une personne non résidante, avec laquelle il avait un lien de dépendance, à titre de prix, loyer, redevance ou autre paiement pour un bien ou pour l’usage ou la reproduction d’un bien, ou en contrepartie du transport de marchandises ou de voyageurs ou d’autres services, une somme plus élevée que la somme (ci-après appelée « la somme raisonnable ») qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si la personne non résidante et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance, la somme raisonnable est réputée, aux fins du calcul du revenu du contribuable provenant de l’entreprise, avoir été la somme payée ou payable dans ce cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

69. (2)  Where a taxpayer has paid or agreed to pay to a non-resident person with whom the taxpayer was not dealing at arm’s length as price, rental, royalty or other payment for or for the use or reproduction of any property, or as consideration for the carriage of goods or passengers or for other services, an amount greater than the amount (in this subsection referred to as “the reasonable amount”) that would have been reasonable in the circumstances if the non-resident person and the taxpayer had been dealing at arm’s length, the reasonable amount shall, for the purpose of computing the taxpayer’s income under this Part, be deemed to have been the amount that was paid or is payable therefor.

 

[Emphasis added]

 

 

 

[6]               Plus particulièrement, le présent appel nous oblige à déterminer si le juge a commis une erreur en appréciant les circonstances à prendre en compte pour calculer la somme qualifiée de « somme raisonnable » au paragraphe 69(2) de la LIR. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le juge a commis une erreur dans son interprétation de cette disposition et, en conséquence, que sa décision ne peut être confirmée.

 

LES FAITS

[7]               L’appelante, Glaxo Canada, est une filiale à cent pour cent de Glaxo Group, qui de son côté est une filiale à cent pour cent de Glaxo Holdings PLC, également une société du Royaume-Uni. Glaxo Holdings était la société mère originaire des sociétés du groupe Glaxo (les sociétés de Glaxo World).

 

[8]               Durant toute la période en cause dans le présent appel, les sociétés de Glaxo World s’occupaient de la recherche, du développement, de la fabrication et de la distribution de divers produits pharmaceutiques de marque. Ces produits étaient vendus par l’entremise de filiales comme l’appelante et de distributeurs sans lien de dépendance sur des marchés locaux un peu partout dans le monde.

 

[9]               À compter de 1982, et au cours des années d’imposition en litige, l’appelante emballait et vendait au Canada du Zantac, médicament breveté portant une marque de commerce prescrit pour traiter les ulcères d’estomac sans qu’il soit nécessaire de procéder à une opération chirurgicale. La marque de commerce Zantac et les brevets portant sur son ingrédient actif, la ranitidine, appartenaient à Glaxo Group, qui avait accordé à l’appelante une licence lui permettant de les utiliser au Canada.

 

[10]           Avant que la ranitidine ne soit découverte en 1976 par Glaxo Group et que sa vente ne soit approuvée au Canada en 1982, le médicament le plus efficace pour traiter les ulcères était le Tagamet. Avec le temps, mais avant les années en cause, le Zantac a supplanté le Tagamet comme médicament antiulcéreux le plus populaire, ce qui a permis à Glaxo World de vendre le Zantac à un prix beaucoup plus élevé que le Tagamet.

 

[11]           Deux sociétés de Glaxo World s’occupaient principalement de la fabrication de la ranitidine : Glaxochem (Pte) Ltd., une société de Singapour, et Glaxochem Ltd., une société du Royaume-Uni. Une fois achevé le processus de fabrication, la ranitidine était vendue à Adechsa S.A., une société suisse, ou à Glaxo Far East (Pte), une autre société de Singapour, deux sociétés de distribution de Glaxo World.

 

[12]           À leur tour, ces sociétés vendaient la ranitidine à des filiales de Glaxo World comme l’appelante ou à des distributeurs sans lien de dépendance situés un peu partout dans le monde. Les acheteurs soumettaient ensuite la ranitidine à un processus permettant son administration sous forme de comprimé, de liquide ou de gel, et ils se chargeaient de la commercialiser et de la vendre.

 

[13]           Le prix auquel les filiales et les distributeurs sans lien de dépendance de Glaxo World achetaient la ranitidine (le prix de transfert) était calculé à l’aide de ce qui est connu sous le nom de « méthode du prix de revente ». Au paragraphe 47 de ses motifs, le juge donne les explications suivantes à ce propos :

[47]     Glaxo World a utilisé ce qui est connu sous le nom de méthode du prix de revente en vue de fixer le prix de transfert de l’IPA [ingrédient pharmaceutique actif]. Glaxo World et ses distributeurs s’étaient entendus pour que les distributeurs conservent une marge brute de 60 p. 100 et ils avaient fixé le prix de la ranitidine en conséquence. Il est possible d’illustrer la chose au moyen d’un exemple fort simple : si le produit à base de ranitidine coûtait dix dollars en Italie, le prix de transfert était de quatre dollars; si le produit à base de ranitidine coûtait vingt dollars en France, le prix de transfert s’élevait à huit dollars. L’avocat de l’appelante a décrit le processus en ces termes :

 

                    [traduction]

 

                    le point de départ aux fins de la détermination du prix pour le distributeur était le prix de détail du produit à base de ranitidine fini;

 

                    à partir du prix de détail, les parties s’entendaient, à supposer que des conditions précises soient remplies, sur la marge bénéficiaire brute que le distributeur devait conserver (soit environ 60 p. 100);

 

                    le restant était remis à Glaxo Group sous la forme de prix de transfert, de redevances [ou des deux]. Lorsque le distributeur devait payer à la fois un prix de transfert et des redevances, il était tenu compte tant du prix que de la redevance pour déterminer la marge bénéficiaire brute du distributeur une fois la redevance payée.

 

 

[14]           Au cœur du présent appel se trouvent deux ententes contractuelles précises, à savoir un contrat de fourniture conclu entre l’appelante et Adechsa et un contrat de licence intervenu entre l’appelante et Glaxo Group.

 

[15]           En 1983, l’appelante a signé un contrat de fourniture avec Adechsa en vue de l’achat de ranitidine. Le prix était révisé et rajusté chaque année. Pour les années 1990, 1991, 1992 et 1993, le prix d’achat s’établissait respectivement à 1 512 $, 1572,45 $, 1 635,37 $ et 1 651,72 $ le kilo. Le contrat de fourniture accordait également à l’appelante une protection contre le risque de change de devises étrangères ainsi qu’une assurance indemnité, et il prévoyait la fourniture des droits de propriété intellectuelle [traduction] « dans la mesure où [l’appelante] ne les a pas déjà obtenus ou ne doit pas par ailleurs les recevoir directement de [Glaxo Group] ».

 

[16]           La seconde entente contractuelle qui est pertinente pour trancher le présent appel est le contrat de licence qui a été conclu entre l’appelante et Glaxo Group. Aux termes de ce contrat, qui s’appliquait à l’ensemble du portefeuille de médicaments de Glaxo Group, l’appelante s’engageait à verser une redevance de 6 p. 100 à Glaxo Group sur ses ventes nettes de Zantac et d’autres médicaments en contrepartie :

1.                  du droit de fabriquer, d’utiliser et de vendre des produits;

2.                  du droit d’utiliser les marques de commerce appartenant à Glaxo Group, dont le Zantac;

3.                  du droit d’obtenir de l’aide technique pour ses besoins touchant la fabrication secondaire;

4.                  de l’utilisation des documents d’enregistrement préparés par Glaxo Group, lesquels devaient être adaptés pour le Canada et soumis à la Direction générale de la protection de la santé (la DGPS);

5.                  de l’accès à de nouveaux produits, y compris des élargissements de la gamme de produits;

6.                  de l’accès aux améliorations apportées aux médicaments;

7.                  du droit à ce qu’une société de Glaxo World vende toute matière première à Glaxo Canada;

8.                  d’un soutien aux fins de la commercialisation;

9.                  d’une indemnisation des dommages découlant d’actions en contrefaçon de brevet.

 

[17]           Au cours des années en litige, Apotex et Novopharm, qui sont toutes les deux des sociétés pharmaceutiques canadiennes qui fabriquent des médicaments génériques, ont vendu de la ranitidine générique au Canada. Les deux sociétés se sont procuré leur ranitidine à un prix sensiblement inférieur à celui payé par l’appelante pour sa ranitidine, c’est-à-dire entre 194 $ et 304 $ le kilo, de fabricants avec lesquels elle n’avait pas de lien de dépendance et qui ne détenaient aucuns droits de brevet et qui n’étaient pas des sources approuvées par Glaxo Group.

 

[18]           Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante pour ses années d’imposition 1991, 1992 et 1993 en procédant comme suit : (i) en augmentant, notamment en vertu du paragraphe 69(2) de la LIR, le revenu de l’appelante pour chaque année au motif qu’elle avait surpayé Adechsa lorsqu’elle lui avait acheté de la ranitidine; (ii) en établissant des cotisations à l’égard de l’appelante en vertu de la partie XIII de la LIR pour des montants que l’appelante était réputée avoir versés au titre de dividendes à Glaxo Group, conformément aux paragraphes 56(2), 212(2) et 214(3) de la LIR.

 

[19]           L’appelante a interjeté appel de ces cotisations à la Cour de l’impôt qui, dans une décision datée du 30 mai 2008, a jugé que les sommes versées par l’appelante à Adechsa pour acquérir de la ranitidine excédaient la « juste valeur marchande » de la ranitidine et qu’en conséquence, le paragraphe 69(2) de la LIR s’appliquait. Plus particulièrement, la Cour de l’impôt a estimé que le prix qui aurait été raisonnable pour l’achat par l’appelante d’un kilo de ranitidine d’Adechsa était le prix le plus élevé payé par Apotex et Novopharm pour obtenir un kilo de ranitidine au cours des années en litige, sous réserve d’un rajustement à la hausse de 25 $ le kilo pour tenir compte du fait que la ranitidine achetée par l’appelante était granulée, alors que celle achetée par Apotex et Novopharm ne l’était pas.

 

[20]           La Cour de l’impôt a également estimé que le montant excédentaire que l’appelante avait payé à Adechsa pour la ranitidine par rapport à la somme jugée « raisonnable » constituait un avantage au sens du paragraphe 56(2) de la LIR que l’appelante désirait voir accorder à Adechsa, de sorte que ce montant était assujetti à la retenue d’impôt sur les dividendes versés à des non‑résidents prévue à la partie XIII de la LIR en tant que dividendes entre les mains de Glaxo Group.

 

La décision de la Cour de l’impôt

[21]           Comme je l’ai déjà mentionné, le juge a fait droit aux appels interjetés par l’appelante des nouvelles cotisations établies par le ministre, mais uniquement dans la mesure où l’excédent que le ministre affirmait que l’appelante avait payé pour sa ranitidine devait être augmenté de 25 $ le kilo pour tenir compte du fait que la ranitidine achetée par l’appelante était granulée.

 

[22]           Je passe maintenant à l’analyse que le juge a faite de la question relative à l’impôt de la partie I.

 

[23]           Le juge a commencé par expliquer que « la question qui se pose dans les présents appels est de savoir si les prix que Glaxo Canada a payés pour obtenir la ranitidine d’Adechsa auraient été raisonnables dans les circonstances si les deux sociétés n’avaient pas eu de lien de dépendance entre elles » (paragraphe 66 des motifs du juge). Il a ensuite exposé la thèse respective des parties sur la question aux paragraphes 67, 68 et 69. Le juge explique que la thèse de l’intimée était que les achats de ranitidine effectués par les fabricants de produits génériques constituaient des transactions comparables qui devaient servir à déterminer le prix « raisonnable dans les circonstances ». Ainsi, suivant l’intimée, le prix de pleine concurrence que l’appelante aurait dû payer à Adechsa était celui que les fabricants de produits génériques payaient pour leur ranitidine. Pour formuler son avis, l’intimée se fondait sur la méthode du prix de revient majoré.

 

[24]           S’agissant de l’appelante, le juge a expliqué que la thèse de celle-ci était qu’il ne convenait pas d’utiliser les achats effectués par les fabricants de produits génériques à des fins de comparaison, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, l’appelante affirmait que sa situation commerciale était tout à fait différente de celles des fabricants de produits génériques, de sorte que les opérations effectuées par ces derniers n’étaient pas comparables au sens du paragraphe 69(2) de la LIR et de la méthode du prix comparable sur le marché libre (la méthode du PCML). En second lieu, l’appelante soutenait que la ranitidine qu’elle avait achetée avait été fabriquée selon les normes des bonnes pratiques de fabrication de Glaxo World (les BPF), qu’elle avait été granulée de façon à respecter les normes de Glaxo World et qu’elle avait été produite conformément aux normes de Glaxo World en matière d’hygiène, de sécurité et d’environnement (les HSE).

 

[25]           Le juge a conclu cette partie de ses motifs en soulignant que la thèse de l’appelante était que les sociétés indépendantes détentrices de licence en Europe étaient celles avec qui la meilleure comparaison pouvait être faite, parce qu’elles achetaient la même ranitidine dans les mêmes conditions commerciales que l’appelante. Le juge a signalé que l’appelante se fondait sur la méthode du prix de revente pour confirmer l’analyse qu’elle faisait selon la méthode du PCML.

 

[26]           Le juge a ensuite signalé les points de divergence entre les parties, soit (i) la question de savoir s’il fallait tenir compte à la fois du contrat de fourniture et du contrat de licence pour déterminer un prix de transfert raisonnable, (ii) le sens de l’expression « raisonnable dans les circonstances » figurant au paragraphe 69(2) de la LIR, (iii) l’effet des différences liées aux normes des bonnes pratiques de fabrication et aux normes en matière d’hygiène, de sécurité et d’environnement sur la comparabilité de la ranitidine achetée par l’appelante avec celle achetée par les fabricants de produits génériques.

 

[27]           Le juge s’est dit d’avis que la méthode du PCML était la méthode privilégiée (ce qui semble être accepté par les parties) à utiliser pour établir le prix de transfert de pleine concurrence, signalant toutefois qu’avant de procéder à cette analyse, il fallait prendre en considération chacun des points de divergence susmentionnés.

 

[28]           Le juge s’est dit d’avis que, comme le contrat de fourniture conclu avec Adechsa et le contrat de licence signé avec Glaxo Group se rapportaient à des questions distinctes, il ne fallait pas tenir compte du contrat de licence pour déterminer le montant « qui aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non résidente et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance ». Pour arriver à cette conclusion, le juge s’est fondé sur l’arrêt Singleton c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1046, de la Cour suprême du Canada.

 

[29]           Au paragraphe 78 de ses motifs, le juge écrit : « Il se peut fort bien qu’un bénéfice global de 40 p. 100 pour Glaxo Group soit raisonnable; toutefois, la question dont je suis saisi est de savoir si le prix d’achat de la ranitidine était raisonnable. On ne peut pas combiner les deux transactions et ne pas tenir compte des traitements fiscaux distincts auxquels elles sont assujetties ». Le juge ajoute : « dans les appels ici en cause, les circonstances et stratégies commerciales qui, selon l’appelante, la distinguent des fabricants de produits génériques n’ont rien à voir avec la question de l’établissement des prix de transfert » (paragraphe 92 des motifs du juge).

 

[30]           Le juge est ensuite passé à l’examen du paragraphe 69(2) et du sens de l’expression « raisonnable dans les circonstances ». Voici ce qu’il a conclu :

89     Si le législateur voulait que l’expression « raisonnable dans les circonstances » figurant au paragraphe 69(2) vise toutes les modalités contractuelles, le paragraphe 69(2) n’aurait aucun objet; toute EMN [entreprise multinationale] pourrait alléguer que sa société mère ne l’autoriserait pas à acheter le produit d’un autre fournisseur. Les prix de transfert d’une EMN ne seraient jamais mesurés par rapport à des prix de pleine concurrence, parce que toutes les EMN allégueraient qu’elles peuvent uniquement acheter le produit de sources approuvées par la société mère. La société dominante dans une EMN organiserait ses relations avec ses sociétés liées, et entre ses sociétés liées, de cette manière ou d’une manière similaire. L’appelante était sans aucun doute tenue d’acheter la ranitidine approuvée par Glaxo. Il s’agit de savoir si une personne au Canada qui n’a aucun lien de dépendance avec son fournisseur aurait accepté les conditions qui s’appliquaient à l’appelante et aurait payé le prix que l’appelante payait.

90     Les circonstances énoncées aux alinéas f), g) et h) du paragraphe 80 [au paragraphe 80 de ses motifs, le juge explique la situation commerciale qui, selon l’appelante, permet d’établir une distinction entre ses opérations et celles des fabricants de produits génériques] se rapportent au fait que le prix du Zantac était supérieur à celui du Tagamet et que l’appelante cherchait à commercialiser le produit en le promouvant aux médecins. Encore une fois, il n’est pas contesté que les stratégies de commercialisation et d’établissement des prix de l’appelante étaient différentes des stratégies adoptées par la plupart, ou même l’ensemble, des fabricants de produits génériques. Toutefois, la question qui se pose se rapporte au prix raisonnable à payer pour l’achat de la ranitidine et non pour l’achat du Zantac. La preuve a établi que c’étaient les efforts de commercialisation de Glaxo Canada et la valeur du nom déposé Zantac qui entraînaient le prix supérieur du Zantac. Selon la preuve présentée par M. Bell et par M. Hasnain, le succès du Zantac reposait en grande partie sur la perception du consommateur. Il n’a pas été prouvé que le prix ou la valeur de l’IPA avait un effet sur le prix du produit fini. De fait, Glaxo World établissait ses prix dans le sens inverse, en commençant par le prix du produit fini et en déterminant le prix de l’IPA à partir de ce qu’elle obtiendrait en fin de compte pour le produit final. Toute différence de stratégie commerciale entre l’appelante et les fabricants de produits génériques était liée au prix de vente ultime du produit fini, et non au prix d’achat de l’IPA.

91     Enfin, aux alinéas d) et e) du paragraphe 80, l’appelante affirme qu’elle a obtenu de Glaxo Group de l’aide sur le plan de l’approbation réglementaire et de la commercialisation, et qu’elle vendait son produit à base de ranitidine sous des marques de commerce appartenant à Glaxo World. Cela n’est pas pertinent parce que la prestation des biens incorporels est prévue dans le contrat de licence, qu’il faut considérer séparément du contrat de fourniture.

92     Selon les Principes de 1995 [l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’ « OCDE ») émettait en 1979 des commentaires en matière de prix de transfert, « Principes en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales », un rapport du Comité des affaires fiscales de l’OCDE (les « Commentaires OCDE ») et une mise-à-jour en 1995 (les « Commentaires 1995 »)], il faut examiner les stratégies commerciales afin de juger de la comparabilité. Toutefois, dans les appels ici en cause, les circonstances et stratégies commerciales qui, selon l’appelante, la distinguent des fabricants de produits génériques n’ont rien à voir avec la question de l’établissement des prix de transfert.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[31]           En ce qui concerne les normes des bonnes pratiques de fabrication (les BPF) et les normes en matière d’hygiène, de sécurité et d’environnement (les HSE), le juge conclut :

118      L’avocat de l’appelante a soutenu que le fait que Glaxo se conformait aux BPF voulait dire que sa ranitidine n’était pas comparable à celle que les fabricants de produits génériques utilisaient. Je n’accepte pas cet argument. Les normes de Glaxo en ce qui concerne les BPF et les HSE ne changent pas la nature de la marchandise. Comme M. Winterborn l’a dit : [traduction] « De la ranitidine, c’est de la ranitidine. » Bernard Sherman, président d’Apotex, a affirmé avec insistance que la molécule de ranitidine de Glaxo et la molécule de ranitidine générique sont identiques. L’appelante a admis que la ranitidine générique était chimiquement équivalente et bioéquivalente comme l’exigeait la DGPS. Par conséquent, si ce n’était du contrat de licence et des normes que Glaxo World elle-même s’imposait, l’appelante aurait pu acheter la ranitidine des fournisseurs de produits génériques, elle aurait pu l’emballer en tant que Zantac et elle aurait pu la vendre au même prix que celui auquel elle vendait le Zantac qui contenait de la ranitidine fabriquée par Glaxo. Toutefois, j’accepte l’argument voulant que les BPF puissent conférer un certain degré d’assurance en ce qui concerne le fait que la marchandise renferme fort peu d’impuretés et qu’elle est fabriquée d’une façon responsable. À vrai dire, cela a une certaine valeur, mais cela n’influe pas sur sa comparabilité avec la ranitidine utilisée par les fabricants de produits génériques.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[32]           Plus loin dans ses motifs, le juge évalue les BPF et les HSE et conclut qu’ils n’ajoutent aucune valeur au prix de la ranitidine, mais que la granulation de la ranitidine ajoute 25 $ au prix le kilo.

 

[33]           Le juge cite ensuite les critères énoncés dans les commentaires publiés en 1979 et 1995 par l’OCDE pour procéder à une analyse selon la méthode du PCML. Il passe en revue chacun des critères : marchés comparables, marchandises comparables, stades comparables du marché, fonctions des entreprises comparables, clauses contractuelles comparables et stratégies commerciales comparables. Il s’est également demandé si l’on pouvait utiliser les détenteurs de licence européens à des fins de comparaison pour les besoins de la méthode du PCML, se demandant si la situation économique qui existait sur le marché canadien et sur le marché européen était comparable (répondant par la négative à la question) et si les modalités contractuelles convenues par l’appelante et Adechsa se comparaient à celles des détenteurs de licence européens au cours des années en question, et tenant compte d’autres différences constatées entre l’appelante et les détenteurs de licence européens. Il a conclu que, même si l’on acceptait la prétention de l’appelante selon laquelle les distributeurs européens étaient ceux qui se prêtaient le mieux à une comparaison, l’appelante n’avait pas établi quel était le prix de transfert qu’ils payaient.

 

[34]           L’appelante soutenait, à titre subsidiaire, que s’il n’y avait pas de cas comparable selon la méthode du PCML, il faudrait avoir recours à la méthode du prix de revente en utilisant les détenteurs de licence européens à des fins de comparaison. Les parties s’entendaient pour dire que la méthode du prix de revient majoré et la méthode du prix de revente étaient des méthodes secondaires à n’employer que si la méthode du PCML ne convenait pas, et que la méthode transactionnelle de la marge nette offrait une autre solution de rechange lorsque la méthode du prix de revient majoré et la méthode du prix de revente ne convenaient pas.

 

[35]           Le juge a conclu, essentiellement pour les mêmes raisons que celles qui l’avaient amené à conclure qu’ils ne constituaient pas de bons objets de comparaison pour l’analyse de la méthode du PCML, que les détenteurs de licence européens ne constituaient pas non plus de bons objets de comparaison pour les besoins de la méthode du prix de revente. Il a également conclu que la méthode du prix de revente ne convenait pas en l’espèce et il a signalé quelques divergences entre les témoins experts au sujet de la méthodologie qu’ils avaient utilisée pour calculer le prix de revente.

 

[36]           En ce qui concerne la méthode transactionnelle de la marge nette, le juge n’a pas accepté l’analyse de M. Ballentine (le témoin expert de l’appelante) sur ce point, qualifiant de déraisonnable le raisonnement qu’il avait suivi pour exclure les sociétés au sujet desquelles le rapport entre les travaux de recherche et de développement et les ventes était plus élevé. Le juge a ajouté qu’il ne disposait pas d’un nombre suffisant d’éléments de preuve au sujet des autres fonctions accomplies par les sociétés avec lesquelles la comparaison était faite.

 

[37]           En ce qui concerne le recours à la méthode du prix de revient majoré, le juge a conclu ce qui suit au paragraphe 160 de ses motifs :

160    L’appelante n’a pas cité de témoin pour réfuter les conclusions que M. Mintz avait tirées au sujet de la méthode du prix de revient majoré et, en général, les conclusions en question n’ont pas été contestées lors du contre-interrogatoire. L’appelante n’a jamais contesté les chiffres, les calculs ou les conclusions de M. Mintz sur ce point. L’appelante a plutôt axé son argument sur le fait que M. Mintz ne possédait pas d’expérience dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Elle a de fait établi que Glaxo Group n’avait pas utilisé la méthode du prix de revient majoré pour fixer le prix de la ranitidine. Comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, la méthode que Glaxo a utilisée pour fixer ses prix n’a rien à voir avec la question de savoir si le prix est raisonnable.

 

 

[38]           Le juge a finalement conclu que la méthode du PCML était la méthode privilégiée et qu’Apotex et Novopharm constituaient des objets de comparaison appropriés. Voici les conclusions qu’il a tirées au sujet de l’impôt dû par l’appelante au titre de la partie I :

161     La méthode du PCML est la méthode privilégiée, et les fabricants de produits génériques au Canada constituent des objets de comparaison appropriés lorsque la méthode du PCML est utilisée. L’appelante a acquis la ranitidine granulée d’Adechsa à un prix supérieur à la juste valeur marchande de la ranitidine, et conformément au paragraphe 69(2) de la Loi, l’appelante est réputée acquérir la ranitidine à un prix raisonnable. Le prix qui aurait été raisonnable dans les circonstances pour l’achat par Glaxo Canada d’un kilogramme de ranitidine d’Adechsa est le prix le plus élevé que les fabricants de produits génériques payaient pour obtenir un kilogramme de ranitidine. Toutefois, à ce montant, j’ajouterai 25 $ le kilogramme étant donné qu’il s’agissait du coût approximatif de la granulation pour Singapour. La ranitidine achetée par les fabricants de produits génériques n’était pas granulée. Les BPF suivies à Singapour ont peut-être eu pour effet d’augmenter la valeur de la ranitidine, mais uniquement dans la mesure où, comme il en a ci-dessus été fait mention, elles donnaient à l’appelante un certain degré d’assurance que le produit renfermait probablement moins d’impuretés et de contaminants que celui de ses concurrents génériques. Aucun argument n’a été soumis au sujet de la question de savoir à combien devrait s’élever cette contrepartie additionnelle. Je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de décider du montant que je pourrais ajouter au prix générique de la ranitidine, au kilogramme, en raison des BPF. Il semble que ce montant serait de toute façon modeste. La preuve ne donne pas à entendre que les normes de HSE suivies à Singapour puissent justifier une augmentation du prix de la ranitidine. Dans le calcul de son revenu pour une année donnée, l’appelante ne peut pas déduire le montant excédentaire qu’elle a versé à Adechsa. Ainsi, si l’appelante versait à Adechsa 1 300 $ le kilogramme pour la ranitidine et que le prix le plus élevé que les fabricants de produits génériques payaient pour obtenir la ranitidine était de 380 $ le kilogramme, l’appelante serait autorisée à déduire le montant de 380 $ le kilogramme, plus 25 $ le kilogramme pour la granulation, soit 405 $ en tout. Le montant excédentaire, 895 $, n’est pas déductible dans le calcul du revenu de l’appelante.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE L’APPELANTE

[39]           L’appelante formule comme suit les questions à trancher dans le présent appel :

1.                  Le juge de première instance s’est-il fondé sur une compréhension erronée du critère juridique prescrit par le paragraphe 69(2) de la LIR et de l’analyse que cette disposition l’obligeait à faire?

2.                  S’il avait interprété correctement le paragraphe 69(2) de la LIR, le juge de première instance aurait-t-il conclu que les sommes payées par l’appelante à Adechsa pour se procurer de la ranitidine au cours des années en litige auraient été raisonnables dans les circonstances si l’appelante et Adechsa n’avaient eu aucun lien de dépendance?

3.                  Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que toute partie des sommes payées par l’appelante à Adechsa pour se procurer de la ranitidine au cours des années d’imposition en litige était assujettie à la retenue d’impôt prévue à la partie XIII de la LIR?

 

[40]           L’appelante soutient que l’analyse prévue au paragraphe 69(2) oblige l’arbitre des faits à se demander si l’homme ou la femme d’affaires raisonnable se trouvant dans la situation de l’appelante mais n’ayant aucun lien de dépendance avec Adechsa aurait payé le même montant que celui payé à Adechsa par l’appelante. Suivant l’appelante, dans l’hypothèse où l’homme ou la femme d’affaires raisonnable aurait payé le prix payé par l’appelante, le paragraphe 69(2) ne s’appliquerait pas. À l’appui de cette proposition, l’appelante cite la décision de la Cour de l’Échiquier Gabco Limited c. Minister of National Revenue, (1968), 68 D.T.C. 5210 (R. C. de l’Éch.).

 

[41]           L’appelante affirme que le juge a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 69(2) en ne cherchant pas à savoir si la personne raisonnable se trouvant dans la même situation commerciale que l’appelante et qui n’aurait aucun lien de dépendance aurait payé le montant que l’appelante a payé à Adechsa, soulignant que le juge a plutôt estimé que les sommes que l’appelante avaient versées à Adechsa n’étaient pas raisonnables parce qu’elles excédaient la « juste valeur marchande » de la ranitidine.

 

[42]           L’appelante s’élève contre les conclusions dans lesquelles le juge ne tient pas compte du contrat de licence, étant donné qu’une appelante n’ayant aucun lien de dépendance n’aurait pas pu vendre des produits arborant la marque Zantac sans l’existence du contrat de licence, étant donné que Glaxo Group était propriétaire de la marque de commerce Zantac. Plus particulièrement, l’appelante affirme que le contrat de licence — et c’est aussi ce que le juge a conclu — obligeait l’appelante à acheter de la ranitidine à Adechsa en vue de la vente de Zantac, ajoutant qu’en cas de résiliation du contrat de licence, elle se serait retrouvée sans aucun produit. L’appelante affirme qu’en ne tenant pas compte du contrat de licence, le juge a fait abstraction d’une circonstance commerciale cruciale.

 

[43]           L’appelante affirme par ailleurs que le juge n’a pas tenu compte des circonstances économiques entourant les opérations qu’elle a effectuées parce qu’il se préoccupait des incidences de ces opérations sur l’assujettissement à l’impôt de l’appelante sur le plan international. L’appelante affirme que ce facteur n’est pas pertinent dans le cas de l’analyse prévue au paragraphe 69(9), qui ne concerne que l’assujettissement à l’impôt au Canada.

 

[44]           Au paragraphe 73 de son mémoire des faits et du droit, s’agissant de la question de savoir si les sommes qu’elle a versées à Adechsa étaient raisonnables dans les circonstances au sens du paragraphe 69(2), l’appelante explique ce qui suit :

[traduction]

73.     La question à laquelle le paragraphe 69(2) obligeait le juge de première instance de répondre était celle de savoir si une personne raisonnable se trouvant dans la même situation commerciale que Glaxo Canada paierait à un fournisseur avec lequel elle n’aurait pas de lien de dépendance un prix plus élevé pour acquérir un ingrédient pharmaceutique actif si cette façon de faire constituait le « prix à payer » pour pouvoir conditionner, emballer et vendre un médicament sous une marque de commerce qui commande un prix plus élevé que celui demandé par les fabricants de produits génériques concurrents, et pour préserver les droits de l’acheteur sur l’ensemble du portefeuille de produits pharmaceutiques de marque actuels et à venir. Si le juge de première instance s’était posé cette question, il aurait conclu que l’homme ou la femme d’affaires raisonnable se serait incontestablement comporté de cette manière.

 

 

[45]           Qui plus est, suivant l’appelante, acheter de la ranitidine des sociétés qui fournissaient de la ranitidine à des fabricants de produits génériques n’était pas une option dont elle disposait de façon réaliste, de sorte que l’achat de ranitidine par des fabricants de produits génériques ne se comparait pas à son achat de ranitidine à Adechsa.

 

[46]           En ce qui concerne l’impôt prévu à la partie XIII, l’appelante affirme que la retenue d’impôt des non-résidents ne vaut que pour les sommes réputées avoir été reçues par Glaxo Group en tant que dividendes (selon le paragraphe 56(2) et l’alinéa 214(3)a) de la LIR) – sommes que l’appelante avait versées à Adechsa pour de la ranitidine qui excédaient la « somme raisonnable » mentionnée au paragraphe 69(2). Si le montant payé n’excédait pas la « somme raisonnable », le paragraphe 56(2) et l’alinéa 214(3)a) de la LIR ne s’appliquent pas.

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE L’INTIMÉE

[47]           L’intimée affirme que les objets de comparaison appropriés sont les opérations ne portant que sur la vente de ranitidine et que, s’il convenait de tenir compte à la fois du contrat de licence et du contrat de fourniture pour déterminer si le prix de transfert était raisonnable dans les circonstances, l’appelante n’a pas présenté d’éléments de preuve crédibles au sujet du montant qu’une personne sans lien de dépendance paierait dans une situation semblable à celle de l’appelante, compte tenu des fonctions et des risques qu’elle assumait et du marché dans lequel elle exerçait ses activités.

 

[48]           L’intimée affirme que la question à examiner donne lieu à l’application de la norme de la décision correcte, étant donné que l’appelante n’allègue pas que le juge a commis une erreur manifeste et dominante dans les conclusions ou inférences de fait qu’il a tirées.

 

[49]           L’intimée soutient également que la contrepartie que l’appelante a versée à Adechsa aux termes du contrat de fourniture et celle qu’elle a payée à Glaxo Group aux termes du contrat de licence ne devraient pas être considérées comme le prix à payer pour acquérir le droit de vendre du Zantac, car une telle prétention ne repose sur aucun fondement juridique et la preuve ne permet pas d’établir un lien entre les deux opérations.

 

[50]           L’intimée fait par ailleurs valoir que le critère de ce qui est « raisonnable dans les circonstances » incorpore la norme de l’« absence de lien de dépendance » et celle de l’« exercice raisonnable d’appréciation d’une situation commerciale » et qu’il doit être examiné en fonction du critère de l’absence de lien de dépendance.

 

[51]           Quant à la question du prix de pleine concurrence, l’intimée affirme que, même si l’appelante avait raison de soutenir que l’on doit examiner à la fois le contrat de fourniture et le contrat de licence, elle n’a pas réussi à démontrer qu’une personne n’ayant aucun lien de dépendance aurait payé le même prix pour acquérir le droit de vendre du Zantac au Canada.

 

[52]           Quant à la question de l’impôt prévu à la partie XIII, l’intimée se contente de signaler que [traduction] « [l]es parties s’entendent pour dire que la question de la partie XIII dépend entièrement de la réponse qui sera donnée au sujet de la question de l’impôt de la partie I » (Mémoire des faits et du droit de l’intimée, au paragraphe 62).

 

ANALYSE

a)         La question de la partie XIII

[53]           Le juge a conclu que le montant que l’appelante avait payé pour sa ranitidine qui excédait la « somme raisonnable » était réputé être un dividende versé à Adechsa, une non-résidente. Bien que le paragraphe 212(2) de la LIR impose une retenue d’impôt de 25 p. 100 sur les dividendes versés à des non-résidents, ce montant était ramené à 10 p. 100 en vertu de l’alinéa 10(1)a) de la Convention fiscale Canada-Royaume-Uni (1978). L’appelante devait donc retenir les 10 p. 100 en vertu du paragraphe 215(1) de la LIR, et elle était tenue de payer l’impôt, en vertu du paragraphe 215(6), parce qu’elle avait omis de retenir les montants en cause.

 

[54]           L’appelante ne prétend pas que le juge a commis une erreur au sujet de l’impôt prévu à la partie XIII, hormis le fait qu’il s’est mépris en ce qui concerne la détermination de la « somme raisonnable » au sens du paragraphe 69(2). En conséquence, si le juge a commis une erreur en ce qui concerne la détermination de cette somme, la détermination qu’il a faite de l’impôt exigible en vertu de la partie XIII est également erronée.

 

[55]           La réponse à la question relative à la partie XIII dépend de celle que l’on donne à la question relative à la partie I. Ainsi, si nous ne pouvons souscrire à l’opinion de l’appelante suivant laquelle le juge a commis une erreur en ce qui concerne le paragraphe 69(2), il s’ensuit que les conclusions que le juge a tirées au sujet de l’impôt prévu à la partie XIII doivent être confirmées.

 

b)         La question de la partie I

[56]           Je commence en citant de nouveau le paragraphe 69(2) par souci de commodité :

69. (2)  Lorsqu’un contribuable exploitant une entreprise au Canada a versé ou convenu de verser à une personne non résidante, avec laquelle il avait un lien de dépendance, à titre de prix, loyer, redevance ou autre paiement pour un bien ou pour l’usage ou la reproduction d’un bien, ou en contrepartie du transport de marchandises ou de voyageurs ou d’autres services, une somme plus élevée que la somme (ci-après appelée « la somme raisonnable ») qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si la personne non résidante et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance, la somme raisonnable est réputée, aux fins du calcul du revenu du contribuable provenant de l’entreprise, avoir été la somme payée ou payable dans ce cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

69. (2)  Where a taxpayer has paid or agreed to pay to a non-resident person with whom the taxpayer was not dealing at arm’s length as price, rental, royalty or other payment for or for the use or reproduction of any property, or as consideration for the carriage of goods or passengers or for other services, an amount greater than the amount (in this subsection referred to as “the reasonable amount”) that would have been reasonable in the circumstances if the non-resident person and the taxpayer had been dealing at arm’s length, the reasonable amount shall, for the purpose of computing the taxpayer’s income under this Part, be deemed to have been the amount that was paid or is payable therefor.

 

[Emphasis added]

 

 

[57]           Le libellé de la loi est clair. Pour que cette disposition s’applique, les conditions suivantes doivent être réunies :

1.         Il doit y avoir un contribuable (au sens du paragraphe 248(1);

2.         qui a payé ou convenu de payer;

3.         à une personne non résidante;

4.         avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance;

5.         une somme à titre de prix, de loyer, de redevance ou autre paiement pour un bien ou pour l’usage ou la reproduction d’un bien, ou en contrepartie du transport de marchandises ou de voyageurs ou d’autres services;

6.         la somme doit être « plus élevée que la somme qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si la personne non résidante et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance ».

 

[58]           Les cinq premières conditions sont remplies et il n’y a pas de différend à ce sujet. La question à laquelle nous devons répondre a trait à la sixième condition qui, selon l’appelante, suppose une situation hypothétique, c’est-à-dire que les parties à une opération avec lien de dépendance n’ont entre elles aucun lien de dépendance. Selon cette hypothèse, le juge devait décider si la somme payée par l’appelante à Adechsa pour sa ranitidine excédait la « somme raisonnable », c’est-à-dire, la somme que, si les parties n’avaient pas eu de lien de dépendance, il aurait été « raisonnable dans les circonstances » que l’appelante paie pour sa ranitidine.

 

[59]           Il semble que, devant la Cour de l’impôt, les parties étaient d’accord pour dire que les méthodes employées pour déterminer le prix qui aurait été raisonnable dans les circonstances, si les parties n’avaient pas eu de lien de dépendance, étaient fondées sur les commentaires de l’OCDE. Les parties ne sont pas non plus en désaccord sur ce point dans le présent appel.

 

[60]           Le principal reproche que l’appelante adresse au juge de première instance dans le présent appel est qu’il n’a pas tenu compte des circonstances pertinentes pour déterminer le prix qui aurait été raisonnable dans les circonstances si les parties n’avaient pas eu de lien de dépendance. Plus particulièrement, l’appelante affirme que le juge a commis une erreur en ne tenant pas compte du contrat de licence qu’elle avait conclu avec Glaxo Group. L’appelante ajoute que, si le juge avait tenu compte du contrat de licence, il n’aurait pas fait abstraction des circonstances qui, selon elle, étaient très pertinentes pour déterminer le prix qu’elle aurait été prête à payer pour sa ranitidine si elle n’avait pas eu de lien de dépendance avec Adechsa. Plus précisément, l’appelante affirme que les circonstances suivantes étaient cruciales et que le juge aurait dû en tenir compte : le fait que Glaxo Group était propriétaire de la marque de commerce Zantac, le prix plus élevé que le Zantac commandait par rapport aux médicaments contenant de la ranitidine qui étaient offerts sur le marché par des fabricants de produits génériques, le fait que Glaxo Group était propriétaire du brevet relatif à la ranitidine, l’incapacité pour l’appelante de livrer concurrence aux fabricants de produits génériques si elle ne disposait pas de la marque de commerce Zantac et du portefeuille constitué d’autres produits brevetés et faisant l’objet d’une marque de commerce auxquels l’appelante avait accès en vertu du contrat de licence.

 

[61]           Avant d’aborder les arguments de l’appelante, je vais examiner brièvement les motifs donnés par le juge pour conclure qu’il ne devait pas tenir compte du contrat de licence pour tenter de déterminer si le prix payé par l’appelante pour sa ranitidine était « raisonnable dans les circonstances ».

 

[62]           Comme je l’ai déjà précisé, le juge a relevé que les parties étaient en désaccord sur trois points. Le premier portait sur la question de savoir s’il fallait tenir compte à la fois du contrat de fourniture et du contrat de licence pour déterminer le prix de transfert raisonnable. Suivant le juge, il ne fallait pas tenir compte du contrat de licence pour tirer la conclusion requise.

 

[63]           Après avoir exposé les arguments respectifs des parties en ce qui concerne la pertinence du contrat de licence, le juge a conclu, au paragraphe 78 of ses motifs, qu’il souscrivait à l’avis de l’intimée lorsqu’elle disait que, comme les deux contrats se rapportaient à des questions distinctes, ils devaient « être considérés d’une façon indépendante comme l’exige l’arrêt Singleton [précité] ». Le juge a tenté d’étayer sa conclusion en rappelant que la Cour américaine de l’impôt était arrivée a une conclusion similaire dans une affaire d’établissement du prix de transfert, Bausch & Lomb, Inc. c. Commissioner, 92 T.C. 525, 1989 U.S. Tax Court.

 

[64]           Au paragraphe 78 de ses motifs, le juge écrit :

Je souscris à l’avis de l’intimée lorsqu’elle dit que le contrat de fourniture qui a été conclu avec Adechsa et le contrat de licence qui a été conclu avec Glaxo Group se rapportent à des questions distinctes et qu’ils doivent être considérés d’une façon indépendante comme l’exige l’arrêt Singleton. La Cour américaine de l’impôt est arrivée à une conclusion similaire dans une affaire d’établissement du prix de transfert, Bausch & Lomb, Inc. v. Commissioner. Il se peut fort bien qu’un bénéfice global de 40 p. 100 pour Glaxo Group soit raisonnable; toutefois, la question dont je suis saisi est de savoir si le prix d’achat de la ranitidine était raisonnable. On ne peut pas combiner les deux transactions et ne pas tenir compte des traitements fiscaux distincts auxquels elles sont assujetties.

 

 

[65]           À mon avis, le juge a commis une erreur en concluant, sur le fondement de l’arrêt Singleton, précité, que le contrat de licence n’était pas un facteur pertinent. Pour commencer, je suis d’avis que l’arrêt Singleton, précité, de la Cour suprême n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit de rendre une décision en vertu du paragraphe 69(2) de la LIR. Les faits de cette affaire étaient les suivants : le contribuable avait retiré la participation qu’il détenait dans le cabinet d’avocats dont il faisait partie pour acheter une maison et il avait ensuite refinancé sa participation dans le cabinet au moyen d’un emprunt. La question soumise aux tribunaux était celle de savoir si l’opération pouvait être qualifiée différemment de manière à présumer que le contribuable avait utilisé l’argent emprunté pour acheter la maison plutôt que pour faire un apport en capital dans le cabinet d’avocats dont il faisait partie. La Cour suprême a jugé qu’il convenait de considérer les opérations en question comme des opérations distinctes, et non comme une seule et même opération. En d’autres termes, il fallait respecter ce que le contribuable avait fait au lieu de qualifier différemment les opérations qu’il avait faites pour les faire correspondre à la « réalité économique ». Dans ces conditions, la Cour suprême a estimé qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte des autres opérations conclues par le contribuable dans le cadre de l’emprunt pour déterminer l’usage que le contribuable avait fait des fonds empruntés.

 

[66]           Dans l’affaire Singleton, le débat portait sur le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la LIR, qui n’appelait pas la Cour à examiner les circonstances entourant l’emprunt, mais l’obligeait à déterminer si l’argent emprunté avait été « utilisé en vue de tirer un revenu ».

 

[67]           La Cour suprême a conclu que le juge de la Cour de l’impôt avait commis une erreur en s’interrogeant sur la « véritable fin économique » des fonds parce que ce n’était pas le critère juridique approprié pour l’application du sous‑al. 20(1)c)(i), qui pose essentiellement la suivante : « de quelle façon l’argent emprunté a‑t‑il été utilisé? » Les opérations en cause dans l’affaire Singleton, précitée, s’imbriquaient les unes dans les autres : elles s’inscrivaient dans le cadre d’une série d’opérations visant à amener le contribuable du point A au point B. La Cour suprême a par conséquent estimé que l’on ne pouvait faire abstraction de « l’échange de chèques », parce que celui-ci définissait « les rapports juridiques auxquels il faut donner effet » (paragraphe 32 des motifs de la Cour suprême).

 

[68]           En toute déférence, j’ai du mal à concevoir comment l’affaire Singleton, précitée, pourrait nous aider à trancher les questions qui nous sont soumises dans le présent appel. Le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la LIR et le paragraphe 69(2) ne présentent aucune ressemblance ou lien possible. La conclusion tirée en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) doit répondre à la question suivante : « de quelle façon l’argent emprunté a‑t‑il été utilisé? », alors que la conclusion tirée en vertu du paragraphe 69(2) porte sur la « somme raisonnable », c’est‑à‑dire sur la « somme qui aurait été raisonnable dans les circonstances » si les parties à l’opération n’avaient eu aucun lien de dépendance.

 

[69]           Ensuite, j’estime que le juge a commis une erreur parce qu’il a mal compris le critère qui figure au paragraphe 69(2), soit celui de savoir si le prix payé par l’appelante pour sa ranitidine aurait été « raisonnable dans les circonstances » si elle n’avait eu aucun lien de dépendance avec Adechsa. À mon humble avis, pour répondre à cette question, le juge devait tenir compte de l’ensemble des circonstances pertinentes dont un acheteur n’ayant aucun lien de dépendance aurait tenu compte. À ce propos, l’appelante affirme que la formulation classique du critère prévu au paragraphe 69(2) est celle que le juge Cattanach, de la Cour de l’Échiquier, a énoncée dans la décision Gabco, précitée, à la page 5216 :

[traduction] Il s’agit non pas que le ministre ou notre cour substitue son jugement à celui du contribuable lorsqu’il s’agit de déterminer ce qu’est un paiement raisonnable, mais plutôt que le ministre ou la Cour arrive à la conclusion qu’aucun homme d’affaires raisonnable ne se serait engagé par contrat à verser une telle somme en n’ayant à l’esprit que les intérêts commerciaux de l’appelante.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[70]           Se fondant sur la décision Gabco, précitée, l’appelante soutient que la question à laquelle le juge était appelé à répondre était celle de savoir si un homme ou une femme d’affaires raisonnable qui n’aurait eu aucun lien de dépendance avec Adechsa aurait payé le prix que l’appelante a payé pour sa ranitidine.

 

[71]           Bien que l’affaire Gabco, précitée, porte sur l’article 67 de la LIR et, plus particulièrement, sur la partie de cet article qui limite le montant des dépenses déductibles à celui qui est « raisonnable dans les circonstances », je suis d’avis que l’opinion du juge Cattanach est tout à fait à propos pour ce qui est de la question qui nous est soumise. Dans la décision Safety Boss Limited c. La Reine, 2000 D.T.C. 1767, le juge en chef Bowman de la Cour de l’impôt a jugé que le critère de l’« homme d’affaires raisonnable » énoncé dans la décision Gabco s’appliquait aux questions relevant du paragraphe 69(2). Aux paragraphes 27 et 28 de ses motifs, le juge en chef Bowman tient les propos suivants :

[27] Le mot « raisonnable » figurant à l’article 67 véhicule un concept un peu vague faisant appel au jugement et au bon sens d’un observateur objectif et bien informé. Le « montant raisonnable » mentionné au paragraphe 69(2) est essentiellement défini comme étant un montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non résidante et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance.

[28] S’il y a une différence entre les concepts exprimés dans les deux dispositions, elle n’est pas évidente.

 

[72]           Il vaut la peine de noter que le critère énoncé dans la décision Gabco a récemment été cité et approuvé par notre Cour dans l’arrêt Petro-Canada c. La Reine, 2004 D.T.C. 6329, 2004 CAF 158, dans lequel la juge Sharlow, qui écrivait au nom de la Cour, déclare au paragraphe 62 que Gabco est la décision de principe sur l’article qui a précédé l’article 67.

 

[73]           À mon avis, le critère posé dans la décision Gabco, précitée, nous oblige à vérifier les circonstances qu’un acheteur sans lien de dépendance se trouvant dans la situation de l’appelante jugerait pertinentes pour décider s’il serait prêt à payer le prix que l’appelante a payé à Adechsa pour sa ranitidine.

 

[74]           En conséquence, je suis d’avis que le juge devait tenir compte des circonstances dont l’acheteur sans lien de dépendance aurait nécessairement eu à tenir compte. En d’autres termes, le critère prévu au paragraphe 69(2) ne s’applique pas indépendamment de la réalité du monde des affaires dans lequel l’opération conclue par les parties s’inscrit.

 

[75]           Ce n’est pas ce que le juge a fait en l’espèce. Il a plutôt déterminé la « juste valeur marchande » de la ranitidine qui correspondait, selon lui, au prix payé par Apotex et par Novopharm, pour ensuite conclure que tout montant excédant ce prix payé par l’appelante, exception faite du rajustement à la hausse de 25 $ le kilo, excédait « la somme raisonnable ».

 

[76]           De toute évidence, vu les circonstances de la présente affaire, le raisonnement suivi par le juge était erroné. Dans le véritable monde des affaires, l’acheteur sans lien de dépendance pourrait vraisemblablement toujours se procurer de la ranitidine au prix du marché auprès d’un vendeur disposé à lui vendre. La question qui se pose est toutefois celle de savoir si cet acheteur sans lien de dépendance serait en mesure de vendre sa ranitidine sous la marque de commerce Zantac. À mon avis, en raison de la méthode qu’il a retenue, le juge n’a pas tenu compte de la réalité commerciale dont l’acheteur sans lien de dépendance serait obligé de tenir compte s’il souhaitait vendre du Zantac.

 

[77]           Je passe maintenant à l’examen des circonstances dont, à mon avis, le juge aurait dû tenir compte pour déterminer si le prix payé par l’appelante pour sa ranitidine était supérieur à « la somme raisonnable ».

 

[78]           Comme il occupait une place centrale dans la réalité commerciale de l’appelante et qu’il en serait ainsi si l’appelante n’avait pas de lien de dépendance avec Adechsa, le contrat de licence conclu avec Glaxo Group était une « circonstance » dont le juge devait tenir compte. À mon humble avis, en ne tenant pas compte de ce contrat, le juge a rendu sa décision en fonction d’un univers commercial fictif dans lequel un acheteur est en mesure de se procurer de la ranitidine à un prix qui ne tient pas compte des circonstances qui permettent à cet acheteur d’obtenir le droit de fabriquer et de vendre du Zantac. Ainsi que l’appelante le fait valoir au paragraphe 54 de son mémoire du droit :

[traduction]

54.     […] En conséquence, le juge de première instance a omis de tenir compte des circonstances commerciales essentielles entourant l’achat, par Glaxo Canada, de ranitidine à Adechsa, et il a tenu compte d’un ensemble de circonstances qui n’existaient pas en réalité et qui n’existeraient pas dans le cas d’une opération sans lien de dépendance […]

 

 

[79]           À mon avis, il existe en l’espèce plusieurs « circonstances » qui me convainquent que le contrat de licence constituait un facteur crucial pour déterminer la « somme qui aurait été raisonnable dans les circonstances » si l’appelante et Adechsa n’avaient pas eu de lien de dépendance :

1.                  Glaxo Group était propriétaire de la marque de commerce Zantac et le serait même dans l’hypothèse où l’appelante serait un titulaire de licence sans lien de dépendance.

2.                  Le Zantac commandait un prix plus élevé que celui demandé pour les médicaments génériques contenant de la ranitidine.

3.                  Glaxo Group était propriétaire du brevet portant sur la ranitidine et l’aurait été même dans l’hypothèse où l’appelante n’aurait pas eu de lien de dépendance.

4.                  Sans le contrat de licence, l’appelante n’aurait pas été mesure d’utiliser le brevet relatif à la ranitidine et la marque de commerce Zantac. En conséquence, dans ces conditions, la seule possibilité qui s’offrait à l’appelante aurait été de se lancer sur le marché des médicaments génériques, dans lequel les coûts d’accès à ce marché auraient probablement été élevés, compte tenu du fait qu’Apotex et Novopharm étaient déjà bien en place et bien positionnées.

5.                  Sans le contrat de licence, l’appelante n’aurait pas eu accès au portefeuille constitué d’autres produits brevetés et faisant l’objet d’une marque de commerce auxquels elle avait accès en vertu du contrat de licence.

 

[80]           L’appelante affirme — et j’abonde dans son sens — que les circonstances en question ne découlent pas de ses liens de dépendance avec Adechsa ou avec Glaxo Group. Au contraire, ces circonstances, et je cite l’appelante, [traduction] « s’expliquent par la position dominante sur le marché qu’occupait Glaxo Group parce qu’elle était titulaire des droits de propriété intellectuelle associés à la ranitidine, à la marque de commerce Zantac et aux autres produits visés par le contrat de licence qu’elle avait signé avec Glaxo Canada ». Ainsi que le tribunal d’appel administratif d’Australie le déclare dans la décision Roche Product Pty Limited and Commissioner of Taxation, [2008] AATA 639 (22 juillet 2008), au paragraphe 153 :

[traduction] En réalité, c’est la propriété intellectuelle et non le comprimé ou la capsule par lesquels il est administré, qui constitue le produit. La propriété intellectuelle comprend les droits de brevet. La propriété intellectuelle découle des dépenses considérables engagées pour la recherche et le développement, dont une grande partie n’aurait donné aucun résultat. Le profit découlant de l’exploitation des droits de propriété intellectuelle était quelque chose sur lequel la société mère qui avait inventé le produit avait une revendication spéciale même si le profit était perçu par la filiale australienne à la suite des ventes réalisées en Australie.

 

 

[81]           Je reviens au paragraphe 69(2) de la LIR et au critère qui y est posé. Ce critère obligeait le juge à déterminer si un distributeur canadien sans lien de dépendance de Zantac serait disposé, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, à payer le prix payé par l’appelante à Adechsa. En toute déférence, j’estime que le juge n’a tenu compte d’aucune de ces circonstances parce qu’il croyait que l’arrêt Singleton, précité, l’obligeait à ne pas tenir compte du contrat de licence. Je tiens une fois de plus à souligner que les circonstances susmentionnées auraient existé même si l’appelante n’avait eu aucun lien de dépendance avec Adechsa ou avec Glaxo Group. En conséquence, une appelante sans lien de dépendance aurait nécessairement été obligée de tenir compte de ces circonstances pour décider si elle était prête à payer le prix demandé par Adechsa pour vendre de la ranitidine de marque Zantac.

 

[82]           Je conclus donc que le juge a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère pour déterminer « la somme qui aurait été raisonnable dans les circonstances » si l’appelante et Adechsa n’avaient pas eu de lien de dépendance. L’avocat de l’appelante a fait valoir que, pour le cas où nous serions d’accord avec lui pour dire que le juge a commis une erreur en ne tenant pas compte du contrat de licence, nous devrions ensuite déterminer ce qui constitue « la somme raisonnable ». À mon avis, il incombait non pas à nous mais au juge, qui a entendu les parties pendant plus d’une quarantaine de jours, de tirer cette conclusion.

 

[83]           Il ne nous revient pas de dire si le fait de tenir compte du contrat de licence en tant que circonstance pertinente pour déterminer « la somme raisonnable » conduira le juge à tirer la conclusion réclamée par l’appelante. Ainsi, le juge peut conclure que les fabricants de produits génériques ne constituent plus un bon facteur de comparaison et qu’un autre groupe convient mieux. Par ailleurs, il peut décider qu’il n’a besoin d’aucun facteur de comparaison pour tirer une conclusion finale. En conséquence, je ne suis pas disposé à tirer la conclusion finale que réclame l’appelante, et je préfère laisser au juge de première instance le soin de tirer cette conclusion ou toute autre conclusion qu’il estime justifiée à la lumière de l’ensemble du dossier sur la question. Je ne suis pas en mesure de dire si le dossier actuel est suffisant pour permettre au juge de s’acquitter de cette tâche. Il se peut que le juge soit convaincu que le dossier est suffisant ou encore qu’il demande aux parties de présenter des éléments de preuve et des arguments supplémentaires par suite de la décision de notre Cour.

 

 

Dispositif

[84]           Je suis par conséquent d’avis de faire droit à l’appel avec dépens, d’annuler la décision de la Cour de l’impôt et de renvoyer l’affaire au juge pour qu’il procède à une nouvelle audience et qu’il réexamine l’affaire à la lumière des présents motifs.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            La juge Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Le juge Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-345-08

 

INTITULÉ :                                                   GLAXOSMITHKLINE INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

 

DATE DES MOTIFS ET DU

JUGEMENT :                                                Le 26 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph Steiner

Al Meghji

Kevin O’Brien

McShane D. Jones

 

POUR L’APPELANTE

 

 

Naomi Goldstein

Karen Janke

Myra Yuzak

Marla McKitrick

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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