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Date : 20100902

 

Dossiers : A-519-07

A-520-07

 

Référence : 2010 CAF 220

 

Dossier : A‑519 -07

 

ENTRE :

SHAW CABLESYSTEMS G.P.

demanderesse

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

défenderesse

et

 

CMRRA­SODRAC INC.

intervenante

 

 

A-520-07

ENTRE :

BELL CANADA, ROGERS COMMUNICATIONS INC.,

PURETRACKS INC. et SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

demanderesses

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

défenderesse

et

 

CMRRA‑SODRAC INC.

intervenante

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 3 mai 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2010.

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                       LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

 


Date : 20100902

 

Dossiers : A-519-07

A-520-07

 

Référence : 2010 CAF 220

 

Dossier : A-519-07

ENTRE :

 

SHAW CABLESYSTEMS G.P.

demanderesse

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

défenderesse

et

 

CMRRA‑SODRAC INC.

intervenante

 

A-520-07

ENTRE :

BELL CANADA, ROGERS COMMUNICATIONS INC.,

PURETRACKS INC. et SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

demanderesses

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

défenderesse

et

 

CMRRA‑SODRAC INC.

intervenante

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               Les présentes demandes s'inscrivent dans un ensemble de demandes de contrôle judiciaire découlant des décisions de la Commission du droit d’auteur (la Commission) concernant la demande d’homologation de tarif de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN) à l’égard, grosso modo, de l’exécution et de la communication d’œuvres musicales sur Internet ou au moyen d’Internet. La Cour est uniquement appelée en l’espèce à rechercher si la transmission d’une œuvre musicale à une personne au moyen d’un service de musique en ligne constitue une communication de cette œuvre au public par télécommunication au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42 (la Loi). La Commission a conclu par l’affirmative, ce qui est raisonnable selon moi et, par conséquent, je rejetterais chacune des demandes de contrôle judiciaire.

 

[2]               On a essentiellement avancé les mêmes arguments dans chacune des demandes quant à la question de savoir si les téléchargements ou les transmissions en continu constituent des communications au public. Les présents motifs vaudront pour chacune des demandes et copie en sera versée dans chacun des dossiers.

 

LES FAITS

[3]               Les demanderesses, Shaw Cablesystems G.P., Bell Canada, Rogers Communications Inc., et la Société TELUS Communications sont toutes des fournisseurs de services Internet; c’est-à-dire qu’elles fournissent aux consommateurs un moyen de faire partie du réseau des réseaux, c’est‑à‑dire Internet. Les personnes ayant un compte Internet avec les demanderesses peuvent accéder à des sites Web de services de musique en ligne à partir desquels elles peuvent télécharger des fichiers de musique (ou des transmissions en continu) vers leurs ordinateurs. Puretracks Inc., demanderesse, offre des services de téléchargement musical.

 

[4]               La SOCAN, défenderesse, est une société collective qui gère au Canada le droit d’exécution et de communication des œuvres musicales au public par télécommunication. L’intervenante, CMRRA‑SODRAC INC., est une société collective qui gère le droit de reproduction des œuvres musicales protégées au Canada. À tous égards, l’intervenante appuie la thèse avancée par la SOCAN. Par conséquent, en l'espèce, l’emploi de l’acronyme SOCAN constitue un renvoi à la défenderesse ainsi qu’à l’intervenante.

 

[5]               Les faits essentiels qui ont donné lieu à la présente controverse juridique sont constants. Il est bien établi que les services de musique en ligne exploitent des sites Web sur des serveurs accessibles par Internet à partir desquels les consommateurs peuvent télécharger des fichiers de musique ou des transmissions en continu vers leurs propres ordinateurs ou appareils portables. Le téléchargement consiste en la transmission d’un fichier qui est reproduit sur le disque dur de l’ordinateur du destinataire et qui peut ensuite être lu, alors que la transmission en continu consiste en un téléchargement conçu pour être lu tel qu’il est reçu et ensuite effacé du disque dur de l’ordinateur. La Cour suprême enseigne que ce genre de fichier est communiqué lorsqu’il est recréé sur l’ordinateur du destinataire et que ce genre de communication constitue une communication par télécommunication : voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427, (SOCAN c. ACFI), paragraphes 42 et 45. La seule question soulevée en l’espèce est celle de savoir si ce genre de communication constitue une communication de l’œuvre au public par télécommunication.

 

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[6]               La décision attaquée a été rendue le 18 octobre 2007 sous l'intitulé suivant: Motifs de la décision homologuant le tarif 22.A de la SOCAN (Internet – Services de musique en ligne) pour les années 1996 à 2006. Je l’appellerai la décision concernant le tarif 22.A.

 

[7]               La décision concernant le tarif 22.A constituait la deuxième partie d’un processus comportant deux étapes résultant de la demande d’homologation du tarif pour la communication d’œuvres musicales sur Internet présentée par la SOCAN. La Commission a décidé de rendre une première décision se limitant aux questions de droit et de compétence sur lesquelles elle était appelée à statuer par la demande de la SOCAN. Cette première décision a été rendue le 27 octobre 1999 (la décision concernant le tarif 22). Dans cette décision, la Commission a examiné en détail un certain nombre de questions, par exemple, celles de savoir si le téléchargement d’un fichier à partir d’Internet constituait une communication, si ce genre de communications constituait une communication par télécommunication et si ces communications équivalaient à des communications au public.

 

[8]               Bien que la décision concernant le tarif 22 ait été attaquée devant notre Cour (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet (SOCAN c. ACFI), 2002 CAF 166, [2002] 4 C.F. 3) et devant la Cour suprême (2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427), les questions soulevées en l’espèce n’ont pas été examinées dans le cadre de ces procédures même si bon nombre des demanderesses dans la présente demande, ou leurs mandataires, étaient parties à celles-ci.

 

[9]               Dans sa décision concernant le tarif 22.A, la Commission est revenue sur certaines questions examinées dans la décision concernant le tarif 22 lorsqu’elle a décidé qu’elle était appelée à se prononcer en premier lieu sur la question suivante :

La transmission d’un téléchargement est‑elle une communication au public par télécommunication au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi [sur le droit d’auteur]?

 

Décision concernant le tarif 22.A, page 25.

Pour se prononcer sur cette question, la Commission a formulé un certain nombre de principes puisés dans la jurisprudence. Premièrement, elle a dit que la transmission d’un téléchargement sur Internet communique le contenu du téléchargement, et le contenu est communiqué même s’il n’est pas utilisé ou écouté au moment de la transmission : voir la décision concernant le tarif 22.A, paragraphe 94.

 

[10]           La Commission a ensuite dit que, en ce qui concerne cette question, on ne peut opérer de distinction entre le téléchargement et la transmission en continu. Ainsi, télécharger une transmission en continu revient à communiquer le contenu de cette transmission : voir la décision concernant le tarif 22.A, paragraphe 96.

 

[11]           Deuxièmement, la Commission a conclu que la transmission d’un téléchargement à un membre du public constitue une communication au public. La conclusion de la Commission est formulée en ces termes : « Une ou plusieurs transmissions de la même œuvre, sur Internet, par télécopieur ou autrement, à un ou plusieurs membres d’un public constituent chacune une communication au public » : voir la décision concernant le tarif 22.A, paragraphe 97. La Commission a signalé que les téléchargements sont « destiné[s] à un groupe de personnes », citation provenant du paragraphe 100 de l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2002 CAF 187, [2004] 4 C.F. 213 (CCH (CAF)). La Commission a ensuite cité les observations de notre Cour et de la Cour suprême selon lesquels « la transmission répétée d’une copie d’une même œuvre à de nombreux destinataires pourrait constituer une communication au public et violer le droit d’auteur » : voir le paragraphe 78 de l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 (CCH (CSC)), et le paragraphe 101 de l’arrêt CCH (CAF). La Commission s’est fondée sur ces observations pour conclure que télécharger un fichier à partir d’un service de musique en ligne revenait à le communiquer au public : voir la décision concernant le tarif 22.A, paragraphe 97.

 

[12]           La Commission a rejeté la thèse selon laquelle la communication au public exige un élément de simultanéité, c’est‑à‑dire que les destinataires de la communication doivent la recevoir en même temps. La Commission a conclu que l’exigence de simultanéité allait à l’encontre de la doctrine de la Cour suprême portant que la transmission répétée d’une œuvre à de nombreux destinataires pourrait constituer une communication au public.

 

[13]           Troisièmement, la Commission a rejeté la thèse selon laquelle la transmission sur Internet ne constitue qu’une autre forme de distribution, au motif que « l’alinéa 3(1)f) de la Loi vise expressément la communication par télécommunication » : voir la décision concernant le tarif 22.A, paragraphe 99. Ainsi, la « distribution » par télécommunication d’une œuvre musicale se distingue de la vente d’un CD de la même œuvre parce que la Loi opère une distinction entre les deux opérations.

 

[14]           Enfin, la Commission a rejeté la thèse selon laquelle l’imposition d’un tarif sur la communication d’une œuvre au public par télécommunication était assimilable à une double rémunération. Les droits de reproduction, d’exécution et de communication par télécommunication sont des droits distincts assujettis à des régimes distincts.

 

[15]           En résumé, la Commission a conclu que le téléchargement de fichiers de musique à partir d’un serveur Internet vers un ordinateur individuel était assimilable à la communication de ceux-ci au public par télécommunication et qu’il convenait donc d’assujettir ces téléchargements au tarif établissant les redevances payables pour ce genre de communications.

 

LES THÈSES DES PARTIES

[16]           En résumé, les demanderesses soutiennent que chaque téléchargement d’un fichier de musique constitue une communication privée entre l’exploitant du service de musique en ligne et le consommateur. Elles soutiennent qu’une telle communication privée ne peut être assimilée à une communication au public simplement parce que, par opération distincte, d’autres consommateurs téléchargent la même œuvre.

 

[17]           S’appuyant sur l’arrêt CCH (CSC), elles soutiennent que l’arrêt Association canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539 (ACTSF ou l’arrêt concernant les sonneries), de notre Cour est, en fin de compte, erronée.

 

[18]           L’affaire CCH portait sur diverses questions relevant du droit d’auteur découlant de l’exploitation du Barreau du Haut‑Canada, par l’intermédiaire de sa Grande bibliothèque, d’un « service de photocopie » dont le personnel remettait des copies d’ouvrages juridiques aux membres du Barreau et à d’autres destinataires admissibles. Parmi les œuvres reproduites figuraient des copies de décisions judiciaires enrichies de documents préparés par les éditeurs, p. ex. des sommaires. Dans certains cas, les documents reproduits étaient transmis par télécopieur à la partie qui en faisait la demande. Dans cette affaire, il fallait notamment rechercher si ces transmissions étaient assimilables à des communications au public par télécommunication, au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi, lequel, pour plus de commodité, est reproduit ci‑dessous :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

 

[…]

 

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

 

 

 

(f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

 

[19]           La Cour fédérale, au paragraphe 167 de ses motifs ([2000] 2 C.F. 451, [1999] A.C.F. no 1647), et notre Cour, au paragraphe 100 (le juge Linden) et au paragraphe 242 (le juge Rothstein) de ses motifs, ont conclu que la communication provenant d’un seul point et destinée à n’atteindre qu’un seul point n’était pas une communication au public. La Cour suprême, au paragraphe 78 de ses motifs, a retenu la thèse selon laquelle « [t]ransmettre une seule copie [d’une œuvre] à une seule personne par télécopieur n’équivaut pas à communiquer l’œuvre au public ».

 

[20]           Le raisonnement des demanderesses s'appuie entièrement sur cet enseignement de l’arrêt CCH. La SOCAN, se fondant également sur l’arrêt CCH, ainsi que sur l’arrêt ACTSF de notre Cour, soutient que le téléchargement d’une œuvre constitue la communication de cette œuvre au public.

 

[21]           La SOCAN s’appuie sur la mise en garde formulée par la Cour suprême à la suite de son observation concernant les communications point à point. Pour situer les faits dans leur contexte, je reproduis intégralement ce paragraphe et souligne la partie sur laquelle s’appuie la SOCAN :

78. Je souscris à ces conclusions. Transmettre une seule copie à une seule personne par télécopieur n’équivaut pas à communiquer l’œuvre au public. Cela dit, la transmission répétée d’une copie d’une même œuvre à de nombreux destinataires pourrait constituer une communication au public et violer le droit d’auteur. Toutefois, aucune preuve n’a établi que ce genre de transmission aurait eu lieu en l’espèce.

 

[22]           L'observation concernant la transmission répétée par télécopieur de la même œuvre à de nombreux destinataires a été suivie dans l’arrêt ACTSF. Dans cette affaire, il fallait rechercher si le téléchargement de sonneries à partir du serveur d’une entreprise de télécommunications sans fil vers le téléphone d’un consommateur constituait une communication au public qui, dès lors, était assujettie au tarif. Notre Cour a conclu que la transmission des sonneries au consommateur constituait une communication et que cette communication constituait une communication au public.

 

[23]           Examinant l’arrêt CCH (CSC) de la Cour suprême et en particulier le paragraphe précédemment cité, notre Cour a fait l'observation suivante au paragraphe 35 de ses motifs :

35                 Suivant ce raisonnement, il me semble que, pour déterminer si l’alinéa 3(1)f) s’applique à la transmission d’une œuvre musicale sous forme de fichier audionumérique, il ne suffit pas de se demander si l’on a affaire à une communication entre un expéditeur unique et un destinataire unique ou à une communication unique demandée par le destinataire. La réponse à l’une et l’autre de ces questions ne serait pas nécessairement déterminante parce qu’une série de transmissions de la même œuvre musicale à un grand nombre de destinataires différents peut constituer une communication au public si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public.

 

[24]           Notre Cour a ensuite adopté le raisonnement de la Commission dans la décision attaquée dans cette affaire :

Les entreprises de télécommunications sans fil tentent de vendre le plus grand nombre possible de copies de chaque sonnerie, afin de maximiser ventes et bénéfices. Leur intention, leur souhait même, est d’effectuer une série de transactions répétées concernant la même œuvre avec de nombreux destinataires. Cette situation, croyons-nous, constitue une communication au public.

 

ACTSF, paragraphe 36.

 

 

[25]           Notre Cour n’a pas suivi la jurisprudence CCH (CSC) en ce qui concerne les transmissions point à point en concluant qu’il n’y avait aucune raison de croire que la Cour avait à l'esprit une série de transmissions entre expéditeurs uniques et destinataires uniques, destinataires qui formeraient « un groupe qu’on pourrait légitimement considérer comme constituant le grand public, comme c’est le cas en l’espèce » : voir le paragraphe 39 de ACTSF.

 

[26]           La SOCAN, se fondant sur ce raisonnement, appuie la décision concernant le tarif 22.A rendue par la Commission.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[27]           La Commission est un tribunal spécialisé qui entend un grand nombre d'affaires de droit d’auteur. La Loi est sa loi habilitante. Il y a donc lieu de faire preuve de retenue à l’égard de son interprétation de ladite Loi : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 54. La question en cause en l’espèce est une question mixte de fait et de droit. S’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard des seules questions de droit ainsi que des conclusions de fait de la Commission, il y a forcément lieu de faire preuve de retenue à l’égard des questions mixtes de fait et de droit relatives à l’application de sa loi habilitante aux faits d’une affaire.

 

ANALYSE

[28]           Je ferai d’abord deux observations avant de commencer mon analyse.

 

[29]           Ma première observation concerne un petit nombre d'autorités jurisprudentielles portant sur la définition de la notion d'« exécution en public ». Certaines observations formulées dans ces décisions sont reprises dans des décisions portant sur la nature de la « communication au public ». À mon sens, on ne saurait utilement s'inspirer de cette jurisprudence.

 

[30]           On relève notamment les autorités suivantes: Composers Authors and Publishers Association of Canada Ltd. v. CTV Television Network Ltd, [1968] S.C.R. 676, [1968] S.C.J. No. 47 (CAPAC); l’arrêt Réseau de télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115, [1993] A.C.F. no 2 (C.A.F.) (CTV); et l’arrêt Association canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 138, [1993] A.C.F. no 3 (C.A.F.) (ACTC). Ces décisions ont été rendues à l'époque où la notion d'« œuvre musicale » était définie comme suit : « Toute combinaison de mélodie et d’harmonie, ou l’une ou l’autre, imprimée, manuscrite, ou d’autre façon produite ou reproduite graphiquement. » Le profane aurait dit que l'œuvre musicale était la partition dans laquelle elle était décrite en notes de musique. Par conséquent, la Cour suprême a décidé, par l'arrêt CAPAC, que la transmission par micro‑ondes d’une version sonore d’une œuvre musicale ne constituait pas une communication de l’œuvre au public par radio, mais plutôt une exécution de l’œuvre. Il a alors fallu rechercher si une telle exécution était une exécution en public. La Cour a répondu par la négative.

 

[31]           Ce courant jurisprudentiel a été suivi dans les affaires CTV et ACTC. Dans l'affaire CTV, il fallait rechercher si la communication par CTV d’émissions comportant des œuvres musicales à ses stations affiliées qui les radiodiffusaient ensuite au public équivalait à une communication au public. La Loi a été modifiée suivant la reddition de l'arrêt CAPAC : l’expression « par radiocommunication » fut remplacée par l'expression « communiquer une œuvre au public par télécommunication »; la SOCAN a donc soutenu que la jurisprudence CAPAC n'était plus d'actualité. Notre Cour ne fut pas de cet avis puisque, la définition des mots « œuvre musicale » n’ayant pas changé, il fallait toujours rechercher si la transmission constituait une exécution en public. Notre Cour a suivi l'enseignement de l’arrêt CAPAC rendu par la Cour suprême et s'est prononcée par la négative.

[32]           Dans l'affaire ACTC, la question était de savoir si la transmission de services autres que de radiodiffusion comportant de la musique (c.-à‑d. les émissions dont le point d’origine n’est pas une station ordinaire de télévision) aux abonnés du câble constituait une communication de l’émission au public. Suivant l'enseignement de l'arrêt CTV, notre Cour a conclu que la transmission de la musique diffusée dans l’émission ne constituait pas une communication de l’œuvre musicale au public parce que la définition des mots « œuvre musicale » était demeurée inchangée. Ainsi, il restait alors à rechercher si ces transmissions constituaient l'exécution en public de ces œuvres.

 

[33]           La distinction entre les faits de l'affaire CTV et ceux de l'affaire ACTC est la suivante: dans la première, comme dans l'affaire CAPAC, les transmissions en question étaient effectuées de CTV à ses stations affiliées, tandis que, dans la deuxième, les transmissions étaient effectuées du centre distributeur de l’entreprise de câblodistribution aux demeures de ses nombreux abonnés. Notre Cour a suivi l'enseignement de la jurisprudence étrangère, laquelle s'est prononcée « de manière réaliste quant aux effets de l’essor technologique ». Notre Cour a conclu que la transmission d’émissions effectuée directement aux demeures des abonnés correspondait au sens courant de l’expression « en public », c’est‑à‑dire « de manière ouverte, sans dissimulation et au su de tous » : voir ACTC, p. 153.

 

[34]           Comme je l’ai signalé, même si cette jurisprudence porte sur le sens de l’expression « exécution en public » plutôt que sur l’expression « communication au public », elle a été citée, par la Commission et d’autres organes juridictionnels, dans des affaires visant les communications au public. Deux notions reviennent plus ou moins régulièrement. La première est celle de la simultanéité, laquelle signifie qu’une communication ne peut équivaloir à une communication au public sauf si tous les destinataires la reçoivent plus ou moins en même temps, comme c’est le cas en radiodiffusion classique. Cette notion découle, par analogie, de la nature de l’exécution en public où tous les auditeurs écoutent l’œuvre en même temps. La deuxième notion qui s’est dégagée est que la communication au public doit être effectuée « de manière ouverte, sans dissimulation et au su de tous ».

 

[35]           On ne peut utilement transposer les caractéristiques de l’exécution en public à la communication au public. Dans ses deux séries de motifs dans l’arrêt CCH, notre Cour s’est prononcée sur l’utilité limitée de la jurisprudence antérieure. Au paragraphe 99, le juge Linden a fait les observations suivantes :

99.        Bien que la version actuelle de l’alinéa 3(1)f) ait été interprétée dans deux arrêts de la présente Cour, les motifs de ces décisions ne renferment qu’une brève analyse du droit de communication puisque la définition d’« œuvre musicale » réglait les points en litige […] Les affaires ACTC et CTV 1993 portaient toutes deux essentiellement sur le droit d’exécuter une œuvre en public, et l’on y dit seulement que l’expression « au public » a un sens plus large que « en public » (CTV 1993, page 131; ACTC, pages 148 et 149; voir aussi Telstra Corporation Ltd. v. Australasian Performing Right Association Ltd. (1997), 146 ALR 649 (Aust. H.C.)). Le juge de première instance a accepté cette proposition (paragraphes 165 à 167); toutefois, l’expression « en public » n’est pas en cause en l’espèce. Le fait qu’une communication faite « en public » est probablement aussi une communication faite « au public » ne permet pas de dire si le Barreau communique au public ou non.

 

Au paragraphe 243, le juge Rothstein a abondé dans le même sens :

243.      Les versions antérieures de l’alinéa 3(1)f) ont été examinées par les tribunaux canadiens, mais ces décisions nous aident peu parce que des modifications importantes ont été apportées à la disposition par le chapitre 65 des L.C. 1988, entré en vigueur le 13 février 1989, TR/89-70. Avant ces modifications, le droit exclusif énoncé à l’alinéa 3(1)f) était celui de reproduire l’œuvre « en public » et était limité à la communication par radio. La disposition s’applique maintenant aux communications au public par télécommunication. Dans les quelques affaires qui ont été tranchées depuis 1989, les juges se sont bornés à conclure que l’expression « au public » était une notion plus vaste que l’expression précédente « en public » […] Ainsi, la jurisprudence, tant avant 1989 qu’après cette date, n’est pas d’un grand secours pour interpréter le sens actuel du terme « en public » à l’alinéa 3(1)f).

[36]           Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de s’attarder sur les notions tirées de cette jurisprudence qui reviennent toujours dans les analyses de la nature d’une communication au public.

 

[37]           Ma deuxième observation est que ni la Cour d’appel fédérale, ni la Cour suprême n’ont décidé dans l'affaire CCH que « la transmission répétée d’une copie d’une même œuvre à de nombreux destinataires », en soi, est assimilable à une communication au public. La Cour suprême a simplement laissé cette possibilité en suspens et notre Cour s'est explicitement abstenue de se prononcer sur la question parce qu’elle n’avait pas été mise en jeu par les preuves : voir CCH (CAF), paragraphes 101 et 253. Par conséquent, on ne saurait soutenir que la jurisprudence est bien fixée dans le sens que la transmission d’une seule œuvre à des destinataires multiples est assimilable, en soi, à une communication au public.

 

[38]           Avant d’examiner l’arrêt CCH de la Cour suprême, il est peut­‑être utile de tenter d’établir un cadre facilitant l’analyse de la jurisprudence citée par les parties.

 

[39]           À mon avis, certaines décisions enseignent que deux facteurs permettent de décider si une communication est une communication au public : l’intention de la personne qui communique et la réception de la communication par au moins un membre du public. Si ces deux conditions sont réunies, il y a donc communication au public.

 

[40]           La Commission a reconnu le rôle de l’intention de la personne qui communique dans sa décision concernant le tarif 22 lorsqu’elle a fait les observations suivantes :

En conséquence, une communication destinée à être captée par les abonnés individuellement dans leur foyer est une communication au public.

 

Décision concernant le tarif 22, page 29 (non souligné dans l’original).

 

Communiquer est faire connaître un renseignement, qu’il y ait simultanéité ou non. Le caractère privé ou public de la communication doit être apprécié par rapport aux destinataires ciblés.

 

Décision concernant le tarif 22, page 30 (non souligné dans l’original).

 

 

[41]           Le facteur de l’intention a également été consacré par la jurisprudence de notre Cour. Dans l’arrêt CCH, le juge Linden s’est ainsi exprimé au paragraphe 100 de ses motifs :

Le juge de première instance a estimé (paragraphe 167) qu’une seule télécommunication provenant d’un seul point et destinée à n’atteindre qu’un seul point ne constitue pas habituellement une communication au public. Je suis d’accord. À mon avis, le sens courant de l’expression « au public » indique que la communication doit viser ou cibler les « personnes en général » ou la « collectivité » (voir le New Oxford Dictionary of English, sous « public » (Oxford: Clarendon Press, 1998) […] Ainsi, pour être faite « au public », une communication doit être destinée à un groupe de personnes, ce qui est plus qu’une personne mais pas nécessairement tout le public en général.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           La communication est faite « au public » lorsque la personne qui communique veut que la communication soit captée par le public. Le nombre exact de personnes qui reçoivent la communication n’est pas pertinent pourvu qu’un membre du public la reçoive. Sans au moins un destinataire, la personne qui communique n’a pas communiqué au public; elle a simplement eu l’intention de le faire. Mais dès lors qu’il y en a un, le nombre de destinataires n’est pas pertinent lorsqu'il s'agit de décider si la communication est faite au public, bien qu’il puisse être très pertinent pour établir la structure de redevances adéquate.

 

[43]           Ces réflexions m’amènent au point suivant. Bien que la Cour suprême ait conclu, selon les faits établis dans l'affaire CCH, qu’une communication point à point ne constituait pas une communication au public, je ne crois pas que cette conclusion exclue la possibilité que l’on puisse communiquer au public en s'adressant à une personne à la fois. Voici une analogie pour mieux comprendre mes observations. Généralement, la notion de vente au public signifie que le vendeur vendra son produit à toute personne intéressée à l’acheter. Mais chaque vente constitue une vente à une personne, impliquant un contrat de vente entre le vendeur et l’acheteur. Si l’on met trop l’accent sur les ventes individuelles, la notion de vente au public perd son sens. Mais si l’on considère les ventes dans leur ensemble, il devient plus clair que le vendeur vend au public en vendant son produit à chacun des membres du public qui désire l’acheter.

 

[44]           Cette analogie est également utile pour comprendre le rapport entre le volume des ventes et l’intention de vendre au public. Nul ne dirait qu’un vendeur n'a pas vendu ses produits au public simplement parce que, malgré tous ses efforts, un seul membre du public a choisi de les acheter. Autrement dit, le volume des ventes établit une différence uniquement entre les vendeurs qui vendent leurs produits au public et ceux qui vendent leurs produits au public avec succès. La nature de l’entreprise reste la même.

 

[45]           De même, rien n’empêche une personne de communiquer une œuvre au public par télécommunication une transmission à la fois, chaque transmission constituant une transaction distincte qui survient dans un cadre fondé sur son intention de communiquer au public.

 

[46]           L’idée de communiquer au public au moyen d’une série de communications privées n’est pas nouvelle. Dans l'affaire ACTC, [1991] A.C.F. n24, 34 C.P.R. (3rd) 521, le juge Strayer de la Cour fédérale de première instance était appelé à se prononcer sur la thèse voulant que les transmissions par câble aux demeures individuelles ne sont pas des communications au public. Voici comment il a initialement répondu à cette thèse :

J’estime qu’il est tout à fait concevable que l’on puisse communiquer au public au moyen d’une série de communications individuelles simultanées à de nombreuses personnes dans des sites différents. Les 6,3 millions d’abonnés aux systèmes de câble des membres de l’ACTC (ou du moins cette partie d’entre eux qui reçoivent des services autres que de radiodiffusion), ainsi que leur famille, leurs invités et leurs amis qui se trouvent à proximité de leur téléviseur font nécessairement partie « du public ». On ne peut ignorer la réalité contemporaine.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[47]           La décision ACTC a été rendue par d’autres motifs, mais l'observation précédemment citée enseigne qu’une série de communications individuelles peut néanmoins constituer une communication au public. Je suis d'avis que la référence aux communications individuelles « simultanées » ne fait pas de la simultanéité une condition de la communication au public. En faisant référence aux communications individuelles simultanées, le juge Strayer a alors tout simplement exposé les faits en cause; il s'agissait de transmissions par câble dirigées vers des demeures individuelles.

 

[48]           Dans l'arrêt Telstra Corporation Ltd. c. Australasian Performing Right Association Ltd., (1997), 38 I.P.R. 294 (H.C. Aust.), la majorité de la Cour a abondé dans le même sens :

[traduction] L'on pourrait plutôt dire que l’expression « au public » véhicule un concept plus large que l’expression « en public », puisqu’elle indique clairement que l’endroit où la communication en question se produit est sans importance. Ce qui revient à dire qu’une communication peut être faite à des membres du public en particulier dans un endroit privé ou chez quelqu’un et constituer tout de même une communication faite au public.

 

 

[49]           Par conséquent, la jurisprudence enseigne que la personne qui fait une communication privée peut avoir l’intention de communiquer au public.

 

[50]           Avec ces considérations à l’esprit, je me pencherai maintenant sur l’arrêt CCH de la Cour suprême.

 

[51]           La Cour suprême a décidé par celui-ci que, dans le contexte de la transmission par télécopieur par le personnel de la Grande bibliothèque de copies de certains documents aux personnes qui les avaient demandées, la transmission par télécopieur d’une seule copie à une seule personne ne constituait pas une communication au public. Dans le paragraphe précédent de ses motifs, la Cour suprême a cité les observations du juge de première instance selon lesquelles les communications par télécopieur « provenaient d’un seul point et étaient destinées à n’atteindre qu’un seul point » : voir CCH (CSC), paragraphe 77 (non souligné dans l’original). Comme je l’ai déjà signalé, cela ne veut pas dire que le personnel n’avait pas l’intention de communiquer au public. Or, le juge de première instance n’a pas conclu à l’existence d’une telle intention. C’est ce qui ressort de son analyse de la question au paragraphe 167 de ses motifs, reproduit ci‑dessous :

 

167. D’après les faits dans ces deux affaires, la personne qui transmettait la télécommunication pouvait raisonnablement avoir voulu que cette communication soit reçue par de multiples personnes à différents endroits. Ces affaires visaient des télécommunications adressées à un public relativement étendu, même s’il ne s’agissait pas du public en général. Les télécommunications en question pouvaient être décrites comme partant d’un seul point, pour, comme dans le cas de la télévision payante par exemple, être reçues ou pouvoir être reçues à de multiples endroits. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, les télécommunications, par télécopieur, provenaient d’un seul point et étaient destinées à n’atteindre qu’un seul point. On pourrait même aller jusqu’à dire, si j’ai bien compris cette technologie, que chacune d’elles ne pouvait être reçue qu’à un seul point, à moins d’une défaillance ou de quelque autre forme d’interception imprévue. Je suis convaincu que les télécommunications en question en l’espèce n’étaient pas des télécommunications faites « au public ».

 

 

[52]           Ces observations de la Cour suprême ne contredisent pas la conclusion, implicite sinon explicite, du juge de première instance selon laquelle il n’y avait aucune intention de communiquer l’œuvre au public. En l’absence d’une telle intention, il ne peut y avoir communication au public. À cet égard, j’estime que la doctrine de cet arrêt de la Cour suprême a une portée plus restreinte que ce qui a été soutenu lors des débats.

 

[53]           Lorsqu'il ressort des éléments de preuve que les transmissions sont effectuées une à la fois, il ne s’ensuit pas forcément qu’il y a absence d'intention de communiquer au public. Comme je l’ai indiqué plus tôt lorsque j’ai parlé de l’analogie de la vente au public, mettre l’accent sur les transactions individuelles tend à minimiser l’intention du vendeur à l’égard du public. Si la Cour avait mis l’accent sur la communication au public dans l'affaire CCH, celle-ci aurait pu connaître une issue différente.

 

[54]           En fait, lorsque fait sa mise en garde la Cour suprême à l’égard des transmissions multiples d’une œuvre à des destinataires multiples, il faut bien comprendre par là que de telles transmissions peuvent prouver l’intention de communiquer au public. Cela ne signifie pas que la quantité à elle seule permet de décider si une communication constitue une communication au public, mais la quantité de transmissions peut constituer un élément de preuve quant à l’intention de la personne qui communique.

 

[55]           Cela dit, la thèse selon laquelle la quantité de transmissions, en soi, peut faire d’une communication privée une communication au public est fondamentalement défectueuse. La SOCAN a invoqué la mise en garde de la Cour suprême dans CCH (CSC) et la doctrine de l’arrêt ACTSF rendu par notre Cour relativement à cet argument.

 

[56]           Si la nature privée d’une communication point à point l'empêche de constituer une communication au public, il est difficile de voir comment d’autres communications privées, entre la personne qui a initialement communiqué et d’autres parties, pourraient modifier la nature de la communication privée initiale.

 

[57]           L’approche fondée uniquement sur la quantité de communications soulève également l’épineuse question de savoir à quel moment la communication privée devient une communication au public. Pour reprendre l’exemple de la Grande bibliothèque, si la première transmission d’une copie de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême est une communication privée, à quel moment les transmissions subséquentes deviendraient‑elles des communications au public? À la 25e transmission? À la 50e? À la 200e? Comment la Grande bibliothèque est‑elle censée savoir, puisqu’elle répond à des demandes individuelles, à quel moment elle est sur le point de porter atteinte aux droits protégés par l’alinéa 3(1)f)? Une fois que le seuil est franchi, les communications précédentes cessent‑elles d’être privées?

 

[58]           À première vue, par l’arrêt ACTSF, sur lequel la SOCAN s’est fondée, notre Cour adopte un critère numérique pour déterminer à quel moment une communication est une communication au public. Dans son analyse de l’arrêt CCH de la Cour suprême, notre Cour a fait les observations suivantes au paragraphe 35 :

…il ne suffit pas de se demander si l’on a affaire à une communication entre un expéditeur unique et un destinataire unique ou à une communication unique demandée par le destinataire. La réponse à l’une et l’autre de ces questions ne serait pas nécessairement déterminante parce qu’une série de transmissions de la même œuvre musicale à un grand nombre de destinataires différents peut constituer une communication au public si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public.

 

 

[59]           La question est de savoir si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public, cela implique que la réponse dépend du nombre de personnes qui reçoivent la communication, et non de l’intention de la personne qui communique. Comme je l’ai déjà signalé, cette formulation pose problème. Cela dit, les observations précédemment citées sont justes si l’on considère qu’elles font référence aux destinataires visés de la communication. Il est raisonnable de croire que c’est ainsi que la Cour a considéré ces observations lorsqu’on examine la partie des motifs de la Commission qu’elle a estimée convaincante :

Les entreprises de télécommunications sans fil tentent de vendre le plus grand nombre possible de copies de chaque sonnerie, afin de maximiser ventes et bénéfices. Leur intention, leur souhait même, est d’effectuer une série de transactions répétées concernant la même œuvre avec de nombreux destinataires. Cette situation, croyons-nous, constitue une communication au public.

 

ACTSF, paragraphe 36.

 

 

[60]           Il ressort clairement de ce passage que la Commission a mis l’accent sur l’intention des entreprises de télécommunications sans fil de permettre le téléchargement de sonneries. Le recours, par la Commission aux mots « transactions répétées concernant la même œuvre avec de nombreux destinataires », bien qu’ils évoquent un critère quantitatif, démontre que les ventes aux multiples destinataires peuvent constituer un élément de preuve tendant à prouver l’intention de communiquer l’œuvre au public. Toutefois, l’intention à elle seule ne suffit pas puisque l’alinéa 3(1)f) fait référence aux communications et non simplement à l’intention de communiquer.

 

[61]           Je signale, au passage, que le fait que les communications ont lieu dans un contexte commercial, tout comme la quantité des communications, ne permet pas de prouver l’intention de la personne qui communique. Certaines activités supposant sans aucun doute une intention de communiquer au public, comme le partage de fichiers poste à poste, ne sont pas des activités commerciales et consistent pourtant à mettre des œuvres musicales sur le disque dur d’un utilisateur à la disposition de tous les autres utilisateurs qui utilisent le même logiciel de partage de fichiers.

 

[62]           Je résumerai mes conclusions comme suit. Par l’arrêt CCH, la Cour suprême a décidé qu’une seule transmission d’une seule copie à une seule personne n’est pas une communication au public dans un contexte où rien n’indique que la personne qui a communiqué avait l’intention de communiquer au public. Par conséquent, cet arrêt n’enseigne pas qu’aucune communication « point à point » ne peut équivaloir à une communication au public. Il convient mieux d’interpréter la mise en garde de la Cour suprême selon laquelle la transmission répétée de la même œuvre à de nombreux destinataires différents pourrait constituer une communication au public comme une reconnaissance que les transmissions multiples de la même œuvre pourraient prouver l’intention de communiquer au public et, le cas échéant, elles constitueraient effectivement une communication au public. La doctrine de l’arrêt ACTSF, rendu par notre Cour, ne va pas à l’encontre de cet enseignement parce qu'alors, la Cour semble avoir conclu que les preuves établissaient l’intention de communiquer les œuvres musicales au public. Ainsi, il me semble que la jurisprudence CCH (CSC) peut se concilier avec la jurisprudence ACTSF de notre Cour. Enfin, si l’intention de communiquer une œuvre au public est prouvée, chaque communication de l’œuvre, commençant par la première, constitue une communication au public.

 

[63]           Pour revenir à la décision attaquée, le raisonnement de la Commission sur la question dans cette demande se trouve au paragraphe 97 de sa décision; en voici le texte :

 

[97]   Deuxièmement, la transmission d’un téléchargement à un membre d’un public est une communication au public. Les téléchargements sont « destiné[s] à un groupe de personnes » [renvoi omis]. Ils sont offerts à quiconque possède l’appareil approprié et est disposé à remplir les conditions dictées par la personne qui fournit les téléchargements. Une ou plusieurs transmissions de la même œuvre, sur Internet, par télécopieur ou autrement, à un ou plusieurs membres d’un public constituent chacune une communication au public. Tout fichier iTunes offert aux clients est communiqué au public dès qu’un client « tire » le fichier.

 

 

[64]           Ce passage démontre clairement que la Commission a indiqué à juste titre que l’intention est un facteur critique en indiquant que les téléchargements sont destinés au public, défini comme « un groupe de personnes ». Pour statuer sur la présente demande, il n’est pas nécessaire de définir plus en détail « le public ». De plus, compte tenu du marché visé des services de musique en ligne, il ne fait aucun doute que chaque transmission, en commençant par la première, constitue une communication au public. Le problème délicat que pose la tentative de définir quantitativement les limites entre les communications privées et les communications au public n’est donc pas en jeu en l'espèce.

 

[65]           Par conséquent, je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle le téléchargement d’un fichier musical à partir d’un service de musique en ligne vers un seul utilisateur est une communication de l’œuvre musicale au public par télécommunication est raisonnable. Les motifs de la Commission sont transparents et intelligibles et les conclusions qu'elle a tirées s'inscrivent légitimement dans les faits et le droit pertinent : voir Dunsmuir, paragraphe 47.

 

[66]           Il ne reste donc plus qu’à examiner la thèse des demanderesses selon laquelle la Commission a commis une erreur en n'opérant pas de distinction entre le fait pour les services de musique en ligne de mettre les œuvres à la disposition du public et le fait de communiquer ces œuvres au public. Je retiens la thèse de SOCAN voulant que le raisonnement des demanderesses est fondé sur une lecture erronée des motifs de la Commission. La conclusion portant qu’une transmission doit nécessairement être terminée pour constituer une communication au public répond entièrement à cet argument. La conclusion tirée par la Commission à cet égard se trouve au paragraphe 97 de sa décision, précédemment cité.

 

CONCLUSION

[67]           Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire en accordant aux défenderesses un seul mémoire de dépens dans chacun des dossiers, payable conjointement par la ou les demanderesses, le cas échéant, dans chacun des dossiers. L’intervenante assumera ses propres dépens.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

   Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

   M. Nadon, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-519-07

 

INTITULÉ :                                                   SHAW CABLESYSTEMS G.P. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE et CMRRA-SODRAC INC. à titre d’intervenante

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge Pelletier

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     Le juge Létourneau

                                                                        Le juge Nadon

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 septembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Gerald L. Kerr-Wilson

Anne Ko

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gilles Daigle

D. Lynne Watt

 

POUR LA DÉFENDERSSE

 

Casey M. Chisick

Tim Pinos

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Cassels Brock & Blackwell, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-520-07

 

INTITULÉ :                                                                           BELL CANADA, ROGERS COMMUNICATIONS INC., PURETRACKS INC. et SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS, et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE et CMRRA-SODRAC INC. à titre d’intervenante

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 3 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Pelletier

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Létourneau

                                                                                                Le juge Nadon

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 2 septembre 2010

 

COMPARUTIONS :

Gerald L. Kerr-Wilson

Anne Ko

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Gilles Daigle

D. Lynne Watt

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Casey M. Chisick

Tim Pinos

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Cassels Brock & Blackwell, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

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