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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 


Date : 20101209

Dossier : A-105-10

Référence : 2010 CAF 335

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        le juge Evans

                        le juge Pelletier

 

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

DAN TRINH

 

défenderesse

                                                                                     

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 décembre 2010

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 9 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE EVANS                        le juge Pelletier

 



Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20101209

Dossier : A-105-10

Référence : 2010 CAF 335

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        le juge Evans

                        le juge Pelletier

 

 

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

DAN TRINH

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE SEXTON

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision CUB 74050 du juge-arbitre Durocher. Le conseil arbitral et le juge‑arbitre ont tous deux conclu qu’il existait un motif valable pour le retard mis par la défenderesse à soumettre sa demande de prestations sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

 

[2]               Je suis d’avis d’accueillir la demande. La conclusion du juge‑arbitre selon laquelle le retard de la défenderesse était justifié par un motif valable est déraisonnable compte tenu des faits au dossier et de la jurisprudence de notre Cour statuant qu’on attend généralement de celui qui demande une prestation qu’il prenne des mesures raisonnables pour vérifier les obligations que la Loi lui impose.

 

[3]               Le dernier jour de travail de la défenderesse a été le 15 août 2008, date à laquelle elle est retournée aux études. Sa demande initiale de prestations a été présentée le 5 mai 2009, et elle prenait effet le 3 mai 2009. La défenderesse y a expliqué la présentation tardive en indiquant simplement qu’elle était [traduction] « retournée aux études ». Dans l’avis d’appel au conseil arbitral, elle a ajouté : [traduction] « [j]e ne pensais pas que je devais faire la demande tout de suite après mon dernier jour de travail ». Dans son témoignage devant le conseil arbitral, elle a déclaré qu’elle n’avait pas été bien informée au sujet de la demande de prestations, mais elle ne semble pas avoir indiqué qui l’avait renseignée.

 

[4]               Le paragraphe 10(4) de la Loi permet de donner effet rétroactivement à une demande de prestations s’il existait un « motif valable » justifiant le retard mis à la présenter pendant toute la durée de celui‑ci :

 

 

Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

 

 

An initial claim for benefits made after the day when the claimant was first qualified to make the claim shall be regarded as having been made on an earlier day if the claimant shows that the claimant qualified to receive benefits on the earlier day and that there was good cause for the delay throughout the period beginning on the earlier day and ending on the day when the initial claim was made.

 

[5]               La Commission de l’assurance-emploi du Canada a refusé de faire rétroagir la demande estimant que la défenderesse n’avait pas démontré l’existence d’une cause valable justifiant le retard. En appel, le conseil arbitral a accepté le témoignage de la défenderesse selon lequel elle avait été mal informée, et il a accueilli l’appel, concluant que le fait de recevoir des renseignements erronés pouvait constituer un motif valable justifiant une demande tardive. Le juge-arbitre a rejeté l’appel formé par la Commission contre cette décision, statuant qu’elle était étayée par la jurisprudence et que les conclusions de fait du conseil appelaient la déférence.

 

[6]               Le seul motif qu’a fait valoir la défenderesse pour justifier son retard est qu’elle ignorait la loi parce qu’elle avait été mal informée. Il s’agit donc de déterminer si l’auteur d’une demande peut se contenter d’invoquer l’existence de tels renseignements non vérifiés comme « motif valable » au sens du paragraphe 10(4).

 

[7]               Dans Canada c. Carry, 2005 CAF 367, le juge Linden a clairement indiqué, aux paragraphes 4 et 5 de l’arrêt, que celui qui demande des prestations assume l’obligation concrète de vérifier quelles obligations lui impose la Loi :

 

Le juge-arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral au motif qu’il n’était pas déraisonnable de considérer qu’un motif valable existait en l’espèce. Or, la jurisprudence de la Cour interdit clairement une telle conclusion en l’espèce car l’on s’attend à ce qu’une personne raisonnable vérifie assez rapidement si elle a droit à des prestations d’assurance-emploi. La Cour a déjà statué que l’ignorance de la loi et la bonne foi, qui ont été invoquées en l’espèce pour justifier le délai de neuf mois, ne constituent pas des motifs valables. (Je souligne.)

 

 

[8]               Le juge Létourneau a tiré une conclusion analogue dans Canada c. Brace, 2008 CAF 118, aux paragraphes 12 et 13 :

 

Vu l’ensemble des faits de l’espèce, nous sommes d’avis qu’il n’était pas raisonnablement loisible au juge-arbitre de conclure comme il l’a fait. En appliquant comme il se doit le critère prévu par la loi aux faits de l’espèce, force est de conclure qu’une personne se trouvant dans la situation du défendeur se serait renseignée au sujet de ses droits et obligations et qu’elle aurait entrepris des démarches pour protéger sa demande de prestations. Et il aurait été normal de s’adresser pour ce faire à la Commission.

Nous sommes d’accord avec l’avocat de l’appelant pour dire que le juge-arbitre a effectivement accepté comme un motif valable justifiant le retard le manque d’expérience du défendeur avec le système et le fait qu’il s’était fié à l’avis que son employeur lui avait donné alors qu’il n’était plus justifié de s’y fier. (Je souligne.)

 

 

[9]               La règle générale a été formulée par le juge Marceau in Canada (Procureur général) c. Caron (1986), 69 N.R. 132, au paragraphe 5 (C.A.) :

 

Ce qu’affirme la décision [du juge-arbitre] est tout simplement que l’erreur de l’intimée sur sa situation et son droit d’obtenir des prestations d’assurance-chômage jointe à sa bonne foi constituait le motif justificatif requis C’est justement cette façon de voir qu’on ne peut accepter si on ne veut pas que la volonté du Parlement ne soit frustrée et qu’ont rejeté déjà les arrêts Pirotte [Pirotte c.Commission d’assurancechômage, [1977] 1 C.F. 314] et Albrecht [Canada (Procureur général) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.)]. Et il convient de répéter ce que ce dernier arrêt affirmait comme étant l’idée à retenir : c’est en principe uniquement en démontrant qu’il a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances, soit pour faire clarifier sa situation par rapport à son emploi, soit pour s’enquérir de ses droits et obligations en vertu des dispositions de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, qu’un réclamant, qui omet de faire sa réclamation au moment où il cesse d’exercer son emploi et ne touche plus de rémunération, pourra obtenir que son retard soit excusé et que sa demande soit considérée rétroactivement. Il peut arriver, je suppose, des cas où l’inaction et l’attente pourraient être compréhensibles malgré tout, mais il faudrait, je pense, des circonstances fort exceptionnelles … (Je souligne.)

 

 

 

[10]           Il est donc établi en droit que, sauf circonstances exceptionnelles, on attend d’une personne dans la situation de la défenderesse, qui demande des prestations, qu’elle « vérifie assez rapidement » les obligations que lui impose la Loi. Cette obligation comportait l’exigence, pour la défenderesse, d’effectuer les démarches nécessaires pour vérifier l’information qu’elle avait reçue. Comme elle ne l’a pas fait, il était déraisonnable pour le juge‑arbitre de conclure que l’information erronée constituait un motif valable justifiant la demande tardive. On ne saurait dire que les circonstances de l’espèce sont « exceptionnelles ».


 

[11]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans frais. La décision du juge-arbitre sera infirmée et l’affaire sera renvoyée au juge-arbitre en chef ou à la personne qu’il aura désignée, pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l’appel interjeté contre la décision du conseil arbitral doit être accueilli.

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-105-10

 

(DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION RENDUE LE 25 FÉVRIER 2010 PAR MONSIEUR LE JUGE DUROCHER, EN QUALITÉ DE JUGE‑ARBITRE, DANS LE DOSSIER CUB 74050)

 

INTITULÉ :                                                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DAN TRINH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 7 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE SEXTON    

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EVANS

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 9 décembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Derek Edwards

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Dan Trinh (sans comparution)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Non représentée par avocat

Waterloo (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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