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Cour d'appel fédérale

 

emblem

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20110113

Dossier : A-66-10

Référence : 2011 CAF 4

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

Sylvie Laperrière, en sa qualité d’analyste principale,
Conduite professionnelle, du Bureau du surintendant des faillites

 

appelante

et

 

Allen W. MacLeod

et

D. & A. MacLeod Company Ltd.

intimés

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                    LE JUGE EN CHEF BLAIS

Y A SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE NADON

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                                   LE JUGE NOËL


Cour d'appel fédérale

 

emblem

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20110113

Dossier : A-66-10

Référence : 2011 CAF 4

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

Sylvie Laperrière, en sa qualité d’analyste principale,
Conduite professionnelle, du Bureau du surintendant des faillites

 

appelante

et

 

Allen W. MacLeod

et

D. & A. MacLeod Company Ltd.

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF BLAIS

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision, datée du 28 janvier 2010 (la décision), par laquelle le juge Mainville (le juge) de la Cour fédérale (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a accueilli, en partie seulement, la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant des décisions connexes rendues par l’honorable James B. Chadwick en sa qualité de délégué du surintendant des faillites (le délégué). Plus particulièrement, l’appel concerne la conclusion du délégué selon laquelle les intimés avaient établi les éléments d’une défense de diligence raisonnable à l’égard de certaines infractions aux dispositions relatives à la conduite professionnelle énoncées dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3 (la LFI), les Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C. 1978, ch. 368 (les Règles), et les instructions du surintendant (les instructions).

 

I. Contexte

[2]               Les intimés poursuivent des activités de syndics en matière de faillite en vertu de licences délivrées par le surintendant des faillites (le surintendant) conformément à la LFI.

 

[3]               En 2005, l’appelante, en sa capacité d’analyste principale (conduite professionnelle) auprès du Bureau du surintendant des faillites (BSF) a reçu le mandat d’effectuer une investigation sur la conduite professionnelle des intimés dans l’administration d’actifs de faillite. Il en est résulté un rapport daté du 27 février 2007 (le rapport), qui faisait état de plus de quarante infractions aux dispositions relatives à la conduite professionnelle énoncées dans la LFI, les Règles et les instructions.

 

[4]               Par suite de la réception du rapport de l’appelante, le surintendant a chargé le délégué de tenir une audience afin de déterminer si les intimés avaient commis les contraventions reprochées et s’il y avait lieu de leur imposer toute mesure disciplinaire prévue au paragraphe 14.01(1) de la LFI.

 

[5]               Le délégué a exposé les contraventions reprochées sous douze titres :

A.        Soldes bancaires de dossiers d’actif et d’insolvabilité déposés dans un compte appelé « Intérêt ».

B.         Demandes de libération du syndic alors qu’il y avait un solde bancaire dans le compte de l’actif.

C.         Surplus provenant du compte en fiducie consolidé des administrations sommaires déposé dans le compte « Intérêt ».

D.        Argent retiré à diverses fins d’un compte « Intérêt ».

E.         États des recettes et des débours.

F.         Retrait non autorisé d’honoraires dans une proposition de consommateur.

G.         « Compte provisoire » utilisé pour reporter des transactions relatives à l’actif.

H.        Mélange de fonds dans les comptes en fiducie consolidés.

I.          Débours réclamés pour des services rendus par une personne liée.

J.          Utilisation du « compte des dépôts de tierces parties » pour reporter des transactions relatives à l’actif.

K.        Fonds non déposés sans délai.

L.         Retard dans l’administration d’actifs.

 

[6]               Dans sa décision datée du 1er décembre 2008, le délégué a d’abord rejeté une requête en sursis d’instance, présentée par les intimés, lesquels invoquaient le retard, la partialité et d’autres irrégularités ayant trait à la conduite de l’enquête par l’appelante. En ce qui concerne la nature des allégations, le délégué a conclu que les contraventions reprochées étaient des infractions de responsabilité stricte qui, selon la décision de la Cour suprême dans R. c. Sault Ste. Marie (Ville), [1978] 2 R.C.S. 1299, permettaient une défense de diligence raisonnable.

 

[7]               Le délégué a rejeté les allégations formulées sous les titres A et D pour le motif que le compte appelé « Intérêt » utilisé par les intimés avait été autorisé par le BSF et qu’il avait été par la suite fermé lorsque le BSF en avait requis la fermeture. Les allégations formulées sous les titres C, F, G et I ont été rejetées pour le motif qu’aucune contravention à la LFI, aux Règles ou aux instructions n'avait été commise.

 

[8]               En ce qui concerne les titres B, E, H, J et K, le délégué a conclu que les intimés ne s’étaient pas conformés entièrement aux dispositions législatives et réglementaires pertinentes. Cependant, ayant accepté les observations écrites des intimés selon lesquelles les actifs en cause représentaient seulement une petite fraction du total de leurs affaires et que les infractions résultaient d’erreurs administratives qui n’avaient pas causé de préjudice aux actifs ou aux créanciers, le délégué a conclu que les éléments d’une défense de diligence raisonnable avaient été démontrés. Le délégué a finalement conclu que les intimés n’étaient responsables que des contraventions reprochées sous le titre L, pour lesquelles il a conclu dans une décision distincte datée du 5 février 2009 que la mesure disciplinaire appropriée était un blâme.

 

[9]               L’appelante a présenté une demande de contrôle judiciaire visant la décision du délégué relativement aux titres A, B, D, E, H, J et K, ainsi que la décision sur les sanctions.

 

II. La décision de la Cour fédérale

[10]           Procédant à l’analyse de la norme de contrôle, comme cela a été établi dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, le juge a déterminé que les questions soumises au délégué avaient été principalement des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, pour lesquelles la norme de contrôle applicable était celle de la raisonnabilité. (Décision, paragraphes 52 à 59.) Cependant, le juge a relevé deux questions de droit soulevées par la décision du délégué, soit celle de savoir si les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K pouvaient être considérées comme des infractions de responsabilité stricte et celle de savoir s’il était possible d’imposer un blâme comme sanction en vertu du paragraphe 14.01(1) de la LFI, décisions auxquelles il a appliqué la norme de la décision correcte. (Décision, paragraphe 60.)

 

[11]           Le juge a déterminé que la première question dans la demande consistait à savoir si le délégué avait commis une erreur susceptible de révision en statuant, en tant que conclusion de fait, que l’utilisation du compte « Intérêt » dont il était fait état sous les titres A et D avait été autorisée par le BSF. Le juge a déclaré que le dossier contenait une preuve abondante pour étayer la conclusion du délégué sur cette question, qui reposait dans une grande mesure sur l’appréciation de la crédibilité des divers témoins. (Décision, paragraphes 70 à 82.)

 

[12]           Le juge a déterminé que la deuxième question en litige consistait à savoir si le délégué avait commis une erreur de droit en concluant que les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K étaient susceptibles d’une défense de diligence raisonnable. En s’appuyant sur Gordon Capital Corp. c. Ontario (Securities Commission), [1991] O.J. No. 934, 50 O.A.C. 258 (C. div.), Carruthers c. College of Nurses of Ontario (1996), 31 O.R. (3d) 377 (C. div.) et Canada (Procureur général) c. Roy, 2007 CAF 410, le juge a indiqué qu’une approche contextuelle ou sui generis était appropriée pour déterminer si les allégations d’inconduite professionnelle étaient susceptibles d’une défense de diligence raisonnable : « S’il ressort de la disposition législative ou réglementaire en cause qu’un élément de diligence raisonnable entre en jeu, alors il est généralement possible d’invoquer la défense de diligence raisonnable […] ». (Décision, paragraphe 91) En ce qui concerne les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K, le juge a déterminé que, lues dans leur intégralité, les dispositions de la LFI et des Règles révélaient des mots tels que « prudence » et « diligence » ou « devrait raisonnablement savoir » et il a statué que le délégué avait conclu à bon droit qu’il était loisible aux intimés d’invoquer la défense de diligence raisonnable. (Décision, paragraphes 83 à 106)

 

[13]           Le juge a déterminé que la troisième question en litige était celle de savoir si le délégué avait commis une erreur en concluant que les intimés avaient établi les éléments d’une défense fondée sur la diligence raisonnable pour contrer les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K, question qu’il a considérée comme une question mixte de fait et de droit, susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité. (Décision, paragraphe 107)

 

[14]           Les conclusions du juge en ce qui a trait aux titres B, E et H sont tout particulièrement importantes pour le présent appel. Le juge a noté que le délégué avait accepté la preuve des intimés selon laquelle les irrégularités (i) concernaient un petit pourcentage de leurs activités totales, (ii) avaient été involontaires, (iii) avaient résulté d’erreurs administratives mineures commises par leur personnel, (iv) n’avaient pas causé de préjudice aux actifs ou aux créanciers et (v) n’avaient procuré aucun avantage aux intimés. Le juge a indiqué que le délégué devait avoir inféré de ces conclusions que les intimés avaient invoqué avec succès la défense de diligence raisonnable. (Décision, paragraphes 111, 114 et 117) Le juge a refusé de modifier les conclusions du délégué et a déclaré qu’elles appartenaient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Décision, paragraphe 113). Cependant, le juge est parvenu à une conclusion différente relativement aux allégations formulées sous les titres J et K et a remarqué « l’absence de toute preuve des défendeurs relativement à une défense de diligence raisonnable et [...] l’absence de toute explication du délégué quant raisons de sa conclusion selon laquelle une défense de diligence raisonnable avait été présentée ». (Décision, paragraphe 121)

 

[15]           Le juge a déterminé que la quatrième question en litige était celle de savoir si le délégué, à la phase disciplinaire de l’instance, avait commis une erreur en imposant un blâme aux intimés relativement aux infractions reprochées sous le titre L. Le juge a statué que, bien que la détermination par le délégué de la mesure de réparation appropriée relevât de sa compétence et qu’elle était donc susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable, la détermination de l’éventail des mesures de réparation était une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. (Décision, paragraphe 129.) Le juge a noté que bien qu’un « blâme » ne fût pas une forme de sanction prévue au paragraphe 14.01(1) de la LFI, la décision d’imposer ou non une sanction relevait du pouvoir discrétionnaire du délégué (Jacques Roy c. Sylvie Lapperière, 2006 CF 1386, paragraphes 75 à 80). Le juge a interprété la décision du délégué d’imposer un blâme aux intimés comme signifiant qu’aucune mesure ou sanction précise prévue au paragraphe 14.01(1) n’était justifiée et il a statué que la décision était raisonnable dans les circonstances. (Décision, paragraphes 122 à 131.)

 

[16]           Le juge a accueilli la demande en partie et a renvoyé l’affaire au délégué afin qu’il détermine la mesure disciplinaire appropriée à imposer aux intimés relativement aux titres J, K et L, le cas échéant.

 

III. Les questions en litige et analyse

[17]           L’appel ne soulève qu’une seule question litigieuse, soit celle de savoir si le juge a commis une erreur en confirmant la conclusion du délégué que les intimés avaient établi les éléments d’une défense de diligence raisonnable relativement aux titres B, E et H.

 

A. Les positions des parties

[18]           L’appelante soutient que, dans le contexte du régime de la responsabilité stricte, on établit la diligence raisonnable en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter de commettre l’acte illégal ou qu’il croyait à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte innocent. (Sault Ste. Marie, précité, aux pages 1325 et 1326; Corp. de l'École Polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, paragraphe 28). L’appelante fait valoir que la Cour fédérale a soumis la preuve de la diligence raisonnable à un critère exigeant (Cata International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 663, paragraphe 22; Samson c. Canada (Revenu national.), 2007 CF 975, paragraphe 35) et que les principes suivants ont été établis dans la jurisprudence pertinente : (i) les erreurs commises de bonne foi n’équivalent pas à de la diligence raisonnable, car cette défense requiert une preuve positive que toutes les précautions raisonnables ont été prises pour s’assurer que les erreurs ne seraient pas faites, (ii) la preuve de la diligence raisonnable doit être faite relativement à la contravention particulière en question et la conformité générale au régime législatif ne suffit pas, (iii) l’employeur doit démontrer qu’un système a été mis en place pour empêcher que l’acte interdit se produise et que des mesures raisonnables ont été prises pour garantir le fonctionnement efficace de ce système et (iv) le fait que les contraventions n’avaient pas causé de préjudice à des tiers n’était pas pertinent pour trancher la question de savoir s'il y avait eu exercice d'une diligence raisonnable.

 

[19]           L’appelante fait valoir que le délégué a commis une erreur de droit en concluant que les intimés avaient invoqué avec succès la défense de diligence raisonnable relativement aux allégations formulées sous les titres B, E et H, en montrant notamment que les infractions résultaient d’erreurs administratives, qu’elles n’avaient pas causé de préjudice aux actifs ou aux créanciers et qu’elles représentaient un petit pourcentage du volume total de leurs affaires. De plus, l’appelante soutient que le juge a commis une erreur de droit en confirmant une décision à laquelle le délégué était arrivé sur le fondement d’une norme peu rigoureuse et inacceptable s'agissant de la défense de la diligence raisonnable.

 

[20]           Les intimés soutiennent que l’appel devrait être rejeté parce que l’appelante demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve relative à leur défense de diligence raisonnable. Ils font valoir que le juge a correctement déterminé que la question de savoir si la défense de diligence raisonnable avait été établie était une question mixte de droit et de fait susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité. Subsidiairement, les intimés font valoir que, selon Dunsmuir, précité, paragraphe 70, même s’il était possible de discerner une question de droit isolable, la décision du délégué devrait néanmoins être révisée selon la norme de la raisonnabilité, car elle ne revêt aucune importance pour le système juridique en général et qu’elle relevait bien de l’expertise du délégué en matière de discipline professionnelle.

 

[21]           Les intimés répètent que les infractions dénoncées dans le rapport n’ont entraîné aucun avantage pour eux-mêmes et aucun préjudice pour les actifs et les créanciers concernés et que la preuve selon laquelle les actifs et transactions en cause ne représentaient qu’un très petit pourcentage du total de leurs affaires démontrait qu’un système adéquat de surveillance avait été mis en place et, par voie de conséquence, que « toutes les précautions raisonnables » avaient été prises pour empêcher ces infractions. Subsidiairement, les intimés soutiennent que, selon Sault Ste. Marie, précité, la défense de diligence raisonnable était également établie du fait que les infractions avaient résulté de la croyance raisonnable en un état de faits inexistant.

 

B. La norme de contrôle

[22]           Le rôle de la Cour est de rechercher si le juge a choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a correctement appliquée à la décision du délégué : Telfer c. Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23, paragraphe 18; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, paragraphe 35; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, paragraphe 43. Le choix de la norme de contrôle appropriée est une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : Shneidman c. Canada (Procureur général du Canada), 2007 CAF 192, paragraphe 17; Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41, paragraphe 8; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, paragraphe 8. Si la norme de contrôle correcte a été choisie, l’application de cette norme constitue une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme de « l’erreur manifeste et dominante », sauf s’il est possible de discerner une erreur de droit isolable dans ses motifs : Housen, précité, paragraphes 26 et 37.

 

C. Analyse

[23]           Comme il a été dit plus haut, la Cour doit déterminer si le juge a commis une erreur en tranchant que le délégué pouvait raisonnablement conclure que les intimés s’étaient acquittés de leur obligation d’établir une défense de diligence raisonnable relativement aux infractions reprochées sous les titres B, E et H. La réponse à cette question requiert de la Cour qu’elle recherche d’abord si le juge a choisi la norme de contrôle appropriée : Telfer, précité, paragraphe 18; Mugesera, précité, paragraphe 35; Dr Q, précité, paragraphe 43. Le juge a énoncé comme suit sa position sur cette question :

107     Comme il était loisible aux défendeurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable relativement aux titres B, E, H, J et K, la demanderesse fait valoir que le délégué a commis des erreurs donnant droit à révision en concluant que les défendeurs avaient à bon droit invoqué avec succès une défense visant à contrer les allégations formulées sous ces titres. Cela soulève des questions mixtes de droit et de fait qui doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[24]           Le juge a correctement défini la question de savoir si les intimés avaient établi la défense de diligence raisonnable comme une question mixte de fait et de droit, car la question exigeait du délégué qu’il applique une norme juridique à un ensemble de faits : Démocratie en surveillance c. Campbell, 2009 CAF 79, paragraphe 21; Housen, précité, paragraphe 26; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragraphe 35. De plus, le juge a correctement conclu que de telles questions, dans une demande de contrôle judiciaire, sont généralement susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, paragraphe 53; Housen, précité, paragraphe 37.

 

[25]           Cependant, le contrôle judiciaire de questions mixtes de fait et de droit présente une difficulté additionnelle pour les juges qui procèdent à la révision. Si une question de droit isolable peut être discernée dans la question mixte de fait et de droit dont le décideur est saisi, la question doit être contrôlée sur le fondement approprié. Si la question de droit isolable est « d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre », elle doit être révisée selon la norme de la décision correcte : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, paragraphe 62; Dunsmuir, précité, paragraphe 55. Réciproquement, si la question de droit isolable requiert l’interprétation par le décideur d’une loi « dont il a une connaissance approfondie », elle appellera généralement l’application de la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir, précité, paragraphe 54.

 

[26]           La question de savoir si les intimés ont réussi à établir une défense de diligence raisonnable relativement aux titres B, E et H présente clairement une question de droit isolable, soit la norme juridique sur laquelle une telle défense doit être établie. De plus, je ne suis pas d’accord avec l’observation écrite des intimés selon laquelle l’interprétation de cette norme par le délégué est susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité parce que, dans ce que j’interprète comme une référence aux commentaires cités ci‑dessus de la Cour suprême dans SCFP et Dunsmuir, [traduction] « elle ne revêt aucune importance pour le système juridique en général » (Mémoire des intimés, paragraphe 77). La déclaration de la Cour suprême du Canada dans Sault Ste. Marie, à savoir que la défense de diligence raisonnable pouvait être invoquée dans le contexte de la « responsabilité stricte », a eu un impact sur notre système juridique à plusieurs égards, des instances quasi criminelles impliquant des violations à la sécurité professionnelle ou aux règlements en matière d’environnement (R. c. Rio Algom Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 674 (C.A.); R. c. Imperial Oil Ltd., 200 BCCA 553) au contexte de la discipline professionnelle (Re Ghilzon and Royal College of Dental Surgeons of Ontario (1979), 22 O.R. (2d) 756 (H.C.J.); Stuart c. British Columbia College of Teachers, 2005 BCSC 645). De plus, il ressort d’une simple lecture de la jurisprudence que l’évolution de l’interprétation de la « diligence raisonnable » dans un contexte, influence l’application de cette norme dans un autre contexte. L’interprétation par le délégué du critère requis pour établir une défense fondée sur la diligence raisonnable et, par extension, le traitement par la Cour fédérale de cette question dans une demande de contrôle judiciaire, transcendent les intérêts des parties et est importante pour le système juridique canadien dans son ensemble. De plus, quoique les tribunaux aient estimé que l’expertise relative du surintendant et de ses délégués en matière de surveillance des syndics justifiait l’application de la norme de la décision raisonnable aux décisions touchant à la responsabilité et aux sanctions en vertu de l’article 14.01 de la LIF (Roy c. Poitras, 2006 CF 1386, paragraphes 19 à 21; Sheriff c. Canada (Surintendant général), 2005 CF 305, paragraphes 30 et 31), le délégué ne possède aucune expertise comparative sur les critères requis pour établir la défense de diligence raisonnable. Le juge était par conséquent requis d’appliquer la norme de la décision correcte à cet élément de la décision du délégué : SCFP, précité, paragraphe 62, Dunsmuir, précité, paragraphe 55.

 

[27]           Quoique, dans son analyse de la norme de contrôle, le juge ait discerné deux questions de droit soulevées dans la décision du délégué, pour lesquelles il a appliqué la norme de la décision correcte (Décision, paragraphe 6), son examen de la décision du délégué relativement aux titres B, E et H ne distinguait pas entre le bien‑fondé de ses conclusions et la norme juridique sur le fondement de laquelle les conclusions ont été tirées. Le juge a simplement défini la question de savoir si les intimés avaient établi une défense de diligence raisonnable comme une question mixte de fait et de droit et a jugé opportun de faire généralement preuve de retenue à l’égard des conclusions du délégué sur ce point. (Décision, paragraphes 107 et 112). Le défaut du juge d’examiner séparément l’interprétation donnée par le délégué à la norme requise pour établir une défense de diligence raisonnable, selon la norme de la décision correcte, était une erreur de droit : Democracy Watch, précité, paragraphe 26.

 

[28]           De plus, l’examen de la décision du délégué relativement aux titres B, E et H montre qu’il a mal compris le fardeau qui incombe aux intimés en ce qui a trait à l’établissement de la défense de diligence raisonnable.

 

[29]           En ce qui concerne l’allégation B, le délégué a noté que les intimés avaient reconnu ne s’être pas conformés à l’article 154 de la LFI et paragraphe 64(2) des Règles [maintenant le paragraphe 61(2)] du fait qu’ils avaient demandé une libération avant de faire parvenir au surintendant la totalité des dividendes non réclamés et des fonds non distribués. L’article 154 prévoit notamment que, avant de procéder à sa libération, le syndic fait parvenir au surintendant, pour qu’ils soient déposés chez le receveur général du Canada, les dividendes non réclamés et les fonds non distribués. De manière à compléter l’article 154, le paragraphe 64(2) prévoit notamment que, au moment de sa libération, le syndic doit certifier à la Cour qu’il a fait parvenir tous les fonds non distribués au surintendant. Le délégué a accepté les observations écrites des intimés selon lesquelles les infractions (i) résultaient d’erreurs administratives, (ii) n’avaient pas entraîné de préjudice pour les créanciers ou d’avantage pour eux‑mêmes et (iii) que les montants en cause représentaient une petite fraction du total de leurs affaires. Le délégué a conclu son analyse par la déclaration suivante : « Techniquement parlant, il se peut qu'il y ait eu violation de [la Loi] et des Règles. Toutefois, ces violations étaient certainement involontaires ». (Dossier d’appel, vol. I, onglet 4, « Décision sur la responsabilité », pages 103 et 104). Pour sa part, le juge a indiqué que « [l]e délégué a évidemment conclu de cette preuve que les défendeurs avaient ainsi invoqué avec succès le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable […] » (Décision, paragraphe 111)

 

[30]           Les conclusions du délégué relativement aux titres E et H reflètent un processus de prise de décision similaire. Les intimés ont reconnu avoir soumis des états des recettes et des débours (ERD) inexacts en contravention aux articles 151 et 152 de la LFI. L’article 151 de la LFI impose aux syndics l’obligation de préparer un ERD une fois que le syndic a réalisé tous les biens du failli, alors que l’article 152 indique les renseignements obligatoires que l’ERD contient. Le délégué a accepté l’observation écrite des intimés selon laquelle ces infractions résultaient d’erreurs administratives et qu’elles n’avaient entraîné aucun avantage pour eux-mêmes et aucun préjudice pour les créanciers. Le délégué a adopté la même approche relativement à l’allégation H, qui concernait le défaut des intimés d’utiliser des comptes en fiducie ou en fidéicommis distincts pour les actifs passés d’une administration sommaire à une administration ordinaire en contravention de l’article 13 de l’instruction no 5. De nouveau, le délégué a accepté les observations écrites des intimés selon lesquelles les montants en cause représentaient une petite fraction du total de leurs affaires et que les infractions résultaient d’erreurs administratives qui n’avaient pas causé de préjudice aux créanciers. (Dossier d’appel, vol. I, onglet 4, « Décision sur la responsabilité », pages 110 et 111) Les commentaires du juge sur les conclusions du délégué reflètent la retenue générale dont il faisait preuve relativement à cet élément de la décision du délégué : « les conclusions de fait et les inférences auxquelles le délégué est parvenu sur le fondement de la preuve […] sont raisonnables, puisqu’elles appartiennent aux issues possibles acceptables ». (Décision, paragraphe 117)

 

[31]           Il appert d’une simple lecture de la décision du délégué que l’on a considéré que les facteurs suivants étayaient la défense de diligence raisonnable des intimés : (i) l’absence d’une faute intentionnelle de la part des intimés, (ii) l’absence d’un préjudice consécutif pour les créanciers ou d’un avantage pour les intimés et (iii) le fait que les infractions portaient sur une petite fraction du total des affaires des intimés. À mon avis, ces facteurs n’étaient pas pertinents pour établir les éléments d’une défense de diligence raisonnable telle qu’elle a été formulée dans Sault Ste. Marie et qu’elle a été développée ultérieurement dans la jurisprudence.

 

[32]           La défense de la diligence raisonnable a été formulée dans Sault Ste. Marie, aux pages 1325 et 1326, dans les termes suivants :

La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question.

 

 

[33]           Bien que le délégué ait considéré la diligence des intimés dans la conduite d’ensemble de leurs affaires comme un facteur pertinent pour évaluer la question de savoir si la diligence raisonnable avait été établie relativement aux titres B, E et H, il est bien établi dans la jurisprudence que, selon Sault Ste. Marie, la preuve présentée à l’appui de cette défense doit avoir trait à l’infraction précise en cause. (Ce principe a notamment été adopté par la Cour d’appel de l’Ontario (R. c. Raham, 2010 ONCA 206, paragraphe 48; R. c. Kurtzman (1991), 4 O.R. (3d) 417, paragraphe 37; Rio Algom Ltd., précité, paragraphe 31), la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (R. c. Emil K. Fishing Corp., 2008 BCCA 490, paragraphes 13, 19; Imperial Oil, précité, paragraphes 23, 28) et la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador (R. c. Alexander (1999), 171 Nfld. & P.E.I.R. 74, paragraphe 18 (C.A.)). La Cour d’appel de l’Ontario a récemment fait les commentaires suivants sur cet aspect particulier de la défense de la diligence raisonnable dans Raham, précité, paragraphe 48 :

[Traduction] La défense de la diligence raisonnable a trait à la perpétration de l’acte interdit dont le défendeur est accusé et non à la conduite du défendeur dans un sens large. Le défendeur doit démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour éviter de commettre l’infraction qui lui est reprochée, et non qu’il ou elle agissait dans le respect de la loi au sens large.

 

[34]           De même, en ce qui concerne le titre B, le délégué a accepté l’observation écrite des intimés selon laquelle la contravention à la LFI et aux Règles était « involontaire ». (Dossier d’appel, vol. I, onglet 4, « Décision sur la responsabilité », page 104) Cependant, l’absence d’une faute intentionnelle n’est d’aucun secours pour étayer une défense de diligence raisonnable dans le contexte des infractions de responsabilité stricte, lesquelles, comme il est dit dans Sault Ste. Marie, ont pour caractéristique essentielle de ne pas nécessiter de la poursuite qu’elle prouve l’existence d’une intention coupable. Dans Pillar Oilfield Projects Ltd. c. Canada, [1993] A.C.I. no 764, paragraphe 27, la Cour de l’impôt a indiqué « la bonne foi dans le contexte d'erreurs commises involontairement n'équivaut pas à la diligence raisonnable ». Plus récemment dans Samson, précité, paragraphe 35, la Cour fédérale a statué qu’« [i]l ne suffit pas d’invoquer un oubli ou une erreur de bonne foi ».

 

[35]           Le délégué a également pris en compte le fait qu’il était possible que les infractions aient résulté d’« erreurs administratives » de la part du personnel des intimés. Cependant, en ce qui a trait aux titres B et E, l’alinéa 7f) de l’instruction no 4R (Délégation des tâches) proscrivait expressément aux intimés de déléguer leurs responsabilités de garantir l’exactitude des états des recettes et des débours (titre E) et de s’assurer qu’aucune demande de libération ne fût présentée avant de faire parvenir au surintendant les dividendes non réclamés et les fonds non distribués (titre B). De plus, comme il est dit dans Sault Ste. Marrie à la page 1331, un employeur ne peut se soustraire à la « responsabilité stricte » pour le seul motif que l’infraction alléguée a été commise par un membre de son personnel :

Lorsqu’un employeur est poursuivi pour un acte commis par un employé dans le cours de son travail, il faut déterminer si l’acte incriminé a été accompli sans l’autorisation ni l’approbation de l’accusé, ce qui exclut toute participation intentionnelle de ce dernier, et si l’accusé a fait preuve de diligence raisonnable, savoir s’il a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives.

 

 

[36]           Enfin, bien que le délégué ait accepté les observations écrites des intimés selon lesquelles les infractions n’avaient entraîné aucun préjudice pour les créanciers concernés, la pertinence de telles considérations dans une analyse de la diligence raisonnable n’a pas été établie dans la jurisprudence. L’appelante renvoie la Cour aux commentaires de la Cour du Québec (chambre civile) dans Millette c. Le Comité de surveillance de l'Association des courtiers, [2004] J.Q. n8844, paragraphe 44 (chambre civile), conf. 2006 QCCA 711, selon lesquels la responsabilité déontologique ne dépend pas de la question de savoir si un préjudice a été causé à des tiers. Sur cette question, on a cité à la Cour le passage suivant de S. Poirier, La discipline professionnelle au Québec (Cowansville : Yvon Blais, 1998) à la page 39 :

Contrairement à la faute civile, la faute disciplinaire est sans égard aux conséquences de l'acte posé. La conclusion recherchée en matière disciplinaire sera la sanction de l'infraction et non la réparation du préjudice causé.

 

 

[37]           À la lumière de ces observations, il est clair que le délégué a déterminé sur le fondement de critères non pertinents que les intimés avaient invoqué avec succès le moyen de défense fondée sur la diligence raisonnable. Le délégué a omis de statuer qu’il incombait aux intimés de s’acquitter du fardeau de preuve correct, soit de l’obligation de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables pour éviter de commettre les infractions précises formulées sous les titres B, E et H. De plus, même si le délégué avait appliqué les critères appropriés pour évaluer la diligence raisonnable des intimés, aucun élément de preuve au dossier n’étaye la conclusion que toutes les précautions raisonnables avaient été prises pour empêcher que ces infractions précises se produisent. De l’aveu général, l’interprétation de la défense de la diligence raisonnable dans la jurisprudence impose un lourd fardeau aux intimés : Samson, précité, paragraphe 35; Cata International, précité, paragraphe 22. La Cour d’appel de l’Ontario a notamment fait un commentaire sur la nature « nébuleuse » de la notion de la diligence raisonnable : R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1989] O.J. No. 1971, paragraphe 70 (C.A.).

 

[38]           Les intimés font observer avec raison que, selon Sault Ste. Marie, une défense de diligence raisonnable est établie si l’accusé « croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent ». Cependant, quoique les intimés invoquent ce mode subsidiaire de défense, ils n’ont pas fait ressortir un « état de faits » précis sur lequel ils auraient appuyé leur croyance dans le caractère licite de leurs actions. L’argument des intimés sur ce point semble plutôt avoir trait à la croyance raisonnable que les mesures de contrôle existantes suffisaient pour empêcher que les infractions se produisent. À mon avis, étant donné la preuve qui nous a été présentée, l’argument ne peut pas constituer le fondement de la défense de diligence raisonnable.

 

IV. Dispositif

[39]           J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision du juge en ce qui a trait aux contraventions reprochées sous les titres B, E et H et j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire relativement à ces contraventions. Les décisions du délégué ayant trait aux titres B, E et H ainsi que sa décision sur la mesure de réparation ayant trait au titre L seraient ainsi annulées. Étant donné cette décision, l’affaire serait renvoyée au délégué pour qu’il détermine la mesure disciplinaire appropriée, le cas échéant, aux termes du paragraphe 14.01(1) de la LIF relativement à la contravention mentionnée sous le titre L ainsi qu’aux contraventions déterminées par le juge (J et K) et en appel (titres B, E et H) dans leur ensemble. Cependant, vu que l’appelante n’a pas réussi à obtenir un sursis à la décision du juge, et dans l’éventualité où le délégué a déjà rendu une nouvelle décision relativement aux mesures disciplinaires ayant trait aux titres J, K et L, je renverrais l’affaire au délégué relativement aux seuls titres B, E et H.

 

[40]           La Cour fédérale n’a pas adjugé de dépens et je ne modifierais par cette conclusion. J'adjugerais à l’appelante ses dépens pour le présent appel.

« Pierre Blais »

Juge en chef

 

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. » 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE JUGE NOËL (motifs concourants)

[41]           J’ai eu le bénéfice de lire les motifs du juge en chef. Comme lui, j’accueillerais l’appel. Cependant, je parviens à cette conclusion par une voie différente.

 

[42]           Le rôle de cette Cour siégeant en appel d’une décision rendue par la Cour fédérale relativement à une demande de contrôle judiciaire est d’identifier la bonne norme de contrôle et de déterminer si le juge l’a appliqué correctement (Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au paragraphe 84). En l’espèce, la décision du délégué a donné lieu à une question de droit isolable qui, de par sa nature, était susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Cette question est : quelles sont les paramètres juridiques de la défense de diligence raisonnable?

 

[43]           Si le juge avait évalué cette question au regard de la norme appropriée, il aurait dû accueillir la demande de contrôle judiciaire relativement aux contraventions reprochées sous les titres B, E et H parce qu’aucun des motifs exposés par le délégué pour disculper les intimés de ces contraventions ne relève de la défense raisonnable.

 

[44]           Plus particulièrement, en ce qui concerne la contravention reprochée sous le titre B, le délégué a écrit au paragraphe 68 de ses motifs :

 

J'accepte le témoignage de M. MacLeod selon lequel les irrégularités susmentionnées étaient le fruit d'erreurs administratives, aucun actif ou créancier n'a subi de préjudice et les syndics n'ont tiré aucun avantage des irrégularités. Techniquement parlant, il se peut qu'il y ait eu violation de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et des Règles. Toutefois, ces violations étaient certainement involontaires.

 

 

[45]           En ce qui concerne la contravention sous le titre E, le délégué a écrit au paragraphe 75 de ses motifs :

 

M. MacLeod a expliqué que les allégations 46 et 47 étaient des erreurs commises par son personnel et qu'il en prend l'entière responsabilité. […] Lorsqu'il a signé ERD, il pensait qu'ils étaient exacts et légitimes. Les syndics n'ont pas tiré avantage de ces erreurs administratives. […] Comme je l'ai mentionné, les syndics n'ont pas profité financièrement de ces erreurs. Ils ont peut-être utilisé certaines techniques de comptabilité créative pour rajuster les actifs, mais il semble également qu'aucun créancier ou débiteur n'ait subi de préjudice.

 

 

[46]           En ce qui a trait à l’allégation formulée sous le titre H, le délégué a noté au paragraphe 84 que :

 

En réponse à cette allégation, M. MacLeod a déclaré que cela représentait une très petite partie des actifs que [les intimés] avaient administrés.

 

 

[47]           Enfin, le délégué a ajouté ce qui suit au paragraphe 87 :

 

[M. McLeod] souligne que l'ouverture de ces actifs dans le compte bancaire consolidé était une erreur administrative, mais que cette erreur n'a porté aucun préjudice à l'administration de l'actif, n'a pas mis l'administration de l'actif en péril et n'a porté aucun préjudice au compte bancaire consolidé des propositions de consommateurs.

 

 

[48]           En résumé, le délégué a conclu que la défense de diligence raisonnable avait été établie parce que les contraventions avaient résulté d’erreurs administratives, qu’aucun préjudice n’avait été causé aux créanciers, que les intimés n'en avaient tiré aucun avantage et que les montants concernés représentaient une très petite fraction de la valeur totale des actifs administrés par eux.

 

[49]           Cependant, la jurisprudence établit que les erreurs faites de bonne foi n’équivalent pas à de la diligence raisonnable (Cata International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 663, au paragraphe 22; Samson c. Canada (Revenu national), 2007 CF 975; Pillar Oilfield Projects Ltd. c. Canada, [1993] A.C.I. no 764, aux paragraphes 24 et 27), que la preuve de la diligence raisonnable dans la conduite générale de ses affaires ne suffit pas pour se soustraire à la responsabilité (R. c. Alexander, (1999) 171 Nfld & P.E.I.R. 74 (C.A.); R. c. Imperial Oil Ltd., (2000) 144 B.C.A.C. 118; R. c. Kurtzman, (1991) 4 O.R. (3d) 417, 429 (C.A.); R. c. Emonts, [2007] O.J. no 1206; R. c. Pilen Construction of Canada Ltd., [1999] O.J. No 5650; R. c. Cooke, (1989) 78 Sask. R. 141), qu’il incombe à la personne qui fait valoir la diligence raisonnable de démontrer qu’un système a été mis en place pour empêcher l’acte interdit (R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, à la page 1331; Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922, aux paragraphes 88 à 91) et que le fait que les contraventions n’ont pas causé de préjudice à des tiers n’est pas pertinent (Millette c. Assoc. des Courtiers d’Assurances de la Province de Québec, 2004 CanLII 7074 (CQ), aux paragraphes 42 à 46; conf. à 2006 QCCA 711 (CanLII), au paragraphe 59; Chauvin c. Sheehan, 2010 QCCQ, 1512 (CanLII); Latulippe c. Médecins, 1998 QCTP 1687 (CanLII); Poirier, S., La Discipline professionnelle au Québec, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, aux pages 38 et 39).

[50]           Si l'on s'en tient à la défense de diligence raisonnable au sens où la définit la jurisprudence, il appert qu’aucun des facteurs sur lesquels s’est appuyé le délégué ne pouvait établir les éléments d’une telle défense.

 

[51]           En réponse aux questions de la Cour durant l’audience, l’avocat des intimés (M. Christian) n’a pas contesté mon exposé de l’état du droit. Cependant, il a soutenu que cette jurisprudence ne s’appliquait pas pour apprécier une défense de diligence raisonnable dans le contexte de la présente affaire.

 

[52]           En particulier, l’avocat a noté que la défense de diligence raisonnable telle qu’elle a été formulée dans Sault Ste. Marie (aux pages 1325 et 1326) comporte deux volets :

 

[...] La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. [...]

 

 

[53]           En insistant sur le premier volet de ce critère, l’avocat a soutenu que la norme jurisprudentielle de la diligence raisonnable stricte était appropriée relativement aux infractions à certaines lois qui reposent sur la conformité volontaire telle que la Loi de l’impôt sur le revenu. Cependant, elle est inappropriée dans le cas de la LFI.

 

[54]           Cette observation n'a à mon sens aucun fondement. Premièrement, bien qu'elle l'ait décomposé en deux éléments, la Cour suprême dans la citation précédente tirée de Sault Ste. Marie énonce un seul critère dans la mesure où l’accusé qui ne prend pas les mesures raisonnables pour éviter la commission d’une infraction ne peut invoquer le premier élément (soit la confiance accordée à d’autres) afin de se soustraire à la responsabilité (Sault Ste. Marie, à la page 1331).

 

[55]           Deuxièmement, la proposition selon laquelle la LFI appelle une interprétation plus souple est sans fondement. Les fiduciaires sont tenus d’agir en conformité avec leurs obligations législatives. De même que pour la Loi de l’impôt sur le revenu, des investigations fondées sur la LFI ont lieu de temps à autre afin de garantir le respect de la Loi. Ceci n’empêche pas que l’on s’attende à ce que les syndics respectent la loi de leur propre gré comme la plupart le font. Le système ne pourrait pas fonctionner autrement.

 

[56]           Je ne vois aucune raison de s'écarter de la norme de la diligence raisonnable qui a été établie dans la jurisprudence relativement aux contraventions à la LFI. Appliquant cette norme, le délégué ne pouvait, vu le dossier, statuer que les éléments d’une défense de diligence raisonnable avaient été établis. Il s’ensuit que le juge était tenu d’intervenir et qu’il a commis une erreur en ne le faisant pas.


[57]           J’accueillerais l’appel selon les termes proposés par le juge en chef.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-66-10

 

Appel d’une décision du juge Mainville de la Cour fédérale (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), datée du 28 janvier 2010.

 

INTITULÉ :                                                                           Sylvie Laperrière, en sa qualité d’analyste principale –Conduite professionnelle – du Bureau du surintendant des faillites et Allen W. MacLeod et D. & A. MacLeod Company Ltd.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 23 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

Y A SOUSCRIT :                                                                   LE JUGE NADON

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                               LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 13 janvier 2011

 

COMPARUTIONS :

Bernard Letarte

Benoît de Champlain

 

POUR L’APPELANTE

 

J. Alden Christian

Julia J. Martin

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Doucet McBride LLP/s.r.l.

100-85 rue Plymouth

Ottawa (Ontario), K1S 3E2

POUR LES INTIMÉS

 

 

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