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Date : 20110208

Dossier : A-127-09

Référence : 2011 CAF 47

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

EMILY JANE BUNGAY

demanderesse

et

LA PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

Audience tenue par vidéoconférence entre Ottawa (Ontario) et Grand Bank (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 5 novembre 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                          LA JUGE DAWSON


 

 

 

Date : 20110208

Dossier : A-127-09

Référence : 2011 CAF 47

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

EMILY JANE BUNGAY

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’appel des pensions, datée du 20 janvier 2009.  Pour les motifs qui suivent, j’annulerais la décision de la Commission et renverrais l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

A.        La décision de la Commission

 

[2]               La Commission a rejeté la demande de prestations d’invalidité présentée par la demanderesse en vertu de l’article 42 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8. Elle a conclu que l’invalidité de la demanderesse n’était pas « grave », comme l’exige l’article 42.

 

[3]               La décision de la Commission était une décision partagée. Le juge Platana, avec l’appui du juge Riordon, a écrit pour la majorité. Un membre du comité composé de trois personnes, la juge Chapnik, a exprimé sa dissidence, estimant que l’invalidité de la demanderesse était grave. 

 

B.        La norme de contrôle

 

[4]               Devant notre Cour, les parties conviennent que notre Cour doit examiner la décision de la Commission selon la norme déférente de la « raisonnabilité ».

 

[5]               Suivant cette norme, je n’ai pas à recueillir les faits, soupeser la preuve ou substituer ma décision à celle de la Commission. Ma tâche consiste plutôt à me poser cette question : la décision de la Commission appartient-elle aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit?  (Voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[6]               Plus précisément en l’espèce, ma tâche consiste à examiner la décision de la majorité selon laquelle l’invalidité de la demanderesse n’était pas « grave ». Il s’agit de savoir si la majorité a adopté une définition de « grave » qui pouvait se justifier au regard du droit, si elle a appliqué cette définition à la preuve dont elle disposait et si elle a, dans l’ensemble, tiré des conclusions qui se situaient dans la gamme des solutions rationnelles.

 

C.        La définition d’une invalidité « grave » dans la Loi

 

[7]               Suivant l’alinéa 42(2)a) de la Loi, on entend d’une invalidité « grave » une invalidité qui a une incidence sur l’aptitude au travail du demandeur : le demandeur doit être « incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».

 

[8]               L’arrêt de principe sur l’interprétation de « grave » est Villani c. Canada (PG), 2001 CAF 248, [2002] 1 C.F. 130. Cet arrêt, aux paragraphes 32 et 38, appuie l’assertion selon laquelle en évaluant la gravité d’une invalidité, la Commission doit adopter une analyse « réaliste ». Cette analyse l’oblige à déterminer si un requérant, dans sa situation particulière et selon ses antécédents médicaux, peut travailler, c.-à-d. qu’il est régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à toutes les « circonstances ». Les circonstances appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories suivantes :

 

(a)                La « situation » particulière du demandeur. Des éléments comme « son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie » sont pertinents ici (Villani, précité, au paragraphe 38).

 

(b)               Les « antécédents médicaux » de demandeur. Il s’agit d’un examen approfondi dans le cadre duquel l’état du demandeur est évalué dans son ensemble. Toutes les détériorations du demandeur ayant une incidence sur son employabilité sont examinées, pas seulement les détériorations les plus importantes ou la détérioration principale. L’approche qu’il convient d’adopter pour évaluer l’état du demandeur dans son ensemble est compatible avec le paragraphe 68(1) du Règlement concernant l’application du Régime des pensions du Canada, lequel oblige le demandeur à fournir des renseignements très particuliers sur « toute détérioration physique ou mentale », pas seulement ce que le demandeur estime être la détérioration dominante.

 

D.        Analyse de la décision de la majorité de la Commission

 

[9]               À mon avis, en examinant la demande de prestations d’invalidité présentée par la demanderesse, la décision de la majorité de la Commission ne pouvait être justifiée au regard du droit ainsi qu’il est indiqué ci-dessus. L’état de la demanderesse n’a pas été évalué selon l’approche « réaliste ». Toutes ses détériorations n’ont pas été prises en considération.  

 

[10]           La décision de la majorité portait principalement sur l’ostéoporose grave de la demanderesse (voir paragraphe 37 de ses motifs) : « [d]ans le présent cas, une ostéoporose grave est présentée comme la cause de l’invalidité grave et prolongée ». Après avoir décidé qu’il s’agissait de la détérioration aux fins de l’analyse, il s’agit de savoir si, à la lumière de cette détérioration, « elle était invalide au sens de l’article 42 de la Loi » (au paragraphe 37).

 

[11]           Les quatre paragraphes suivants portent sur l’analyse de divers diagnostics d’ostéoporose, mais seulement d’ostéoporose et aucun autre problème de santé. Il est indiqué dans les motifs que d’autres problèmes de santé ne sont pas mentionnés parce qu’ils n’avaient rien à voir avec la perte de son emploi (au paragraphe 39). De plus, hormis la brève mention des antécédents de travail de la demanderesse, il n’est pas fait état de son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, son expérience de vie comme l’exige l’arrêt Villani, précité.

 

[12]           En outre, à un endroit clé de l’analyse effectuée dans les motifs, une question de crédibilité n’est pas examinée. Il est précisé dans les motifs que la demanderesse a rempli une demande de prestations d’assurance-emploi et qu’elle a indiqué qu’elle était apte au travail. Cela devient une partie très importante de l’analyse de la majorité (au paragraphe 41) – il ressort de sa déclaration qu’elle était en fait apte à travailler et que, par conséquent, elle n’était pas gravement invalide. Dans ce contexte, il est brièvement mentionné que, dans son témoignage, la demanderesse a expliqué que l’infirmière traitante lui avait conseillé de faire cette déclaration. Cependant, son explication est rejetée seulement parce que l’infirmière traitante n’a pas été appelée à témoigner. À mon avis, dans ces circonstances, le poids qu’il convient d’attribuer au témoignage de la demanderesse aurait dû être évalué et toute observation nécessaire à propos de la crédibilité de la demanderesse aurait dû être faite. Quoi qu’il en soit, même si l’explication de la demanderesse concernant sa déclaration contenue dans la demande n’a pas été crue, son invalidité doit tout de même être évaluée conformément aux critères énoncés dans Villani.

 

[13]           Le membre dissident a conclu que la demanderesse souffrait de plusieurs problèmes médicaux, y compris l’hyperparathyroïdie, l’adénomatose pluriendocrinienne, la polydipsie et la dépression (voir paragraphe 2 de ses motifs). Un examen du dossier révèle que cette conclusion relative aux multiples problèmes de santé est amplement étayée.

 

[14]           Le membre dissident a bien appliqué les directives énoncées dans Villani (au paragraphe 14) au sujet du droit :

 

Le critère établi dans l’arrêt Villani ([2002] 1 F.C 130) et la jurisprudence exigent que le tribunal et la Commission examinent l’état physique général de la personne.

 

 

Le membre dissident a ensuite appliqué cette approche et a examiné en détail l’état physique général « réel » de la demanderesse, en s’appuyant fréquemment sur la preuve.

 

[15]           En ce qui concerne la déclaration de la demanderesse dans le formulaire de demande, le membre dissident a conclu que le témoignage de la demanderesse sur la raison pour laquelle elle a rempli le formulaire comme elle l’a fait était crédible. Dans l’ensemble, elle a conclu que la demanderesse avait « témoigné de façon directe, mais sans exagération » (au paragraphe 14). Elle a ajouté que « [l]e fait que l’appelante ait produit des formulaires de demande de prestations d’assurance-emploi indiquant qu’elle était disposée à travailler ne change pas en soi le fait de son invalidité » (au paragraphe 15). Son analyse portait principalement sur l’état « réel » de la demanderesse, prenant en considération son état général, et non seulement l’ostéoporose sévère. Suivant son analyse, elle a conclu que la demanderesse « s’est acquittée de son obligation de démontrer que son invalidité était grave et prolongée et que celle-ci l’avait rendu incapable de détenir régulièrement un emploi de quelque genre que ce soit avant décembre 2004 et par la suite ». Par conséquent, elle a conclu que son invalidité était grave et prolongée au sens de l’alinéa 42(2)a) de la Loi.

 

[16]           Il n’appartient pas à la Cour de déterminer le droit de la demanderesse aux prestations en vertu de l’alinéa 42(2)a) de la Loi. Il n’appartient pas non plus à la Cour de choisir entre la conclusion des membres majoritaires et celle du membre dissident de la Commission. Au contraire, la Cour doit seulement examiner ce que la Commission a fait en fonction de la norme déférente de la raisonnabilité.

 

[17]           En examinant ce que la Commission a fait en fonction de la norme déférente de la raisonnabilité, pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la majorité est déraisonnable et devrait être annulée. Un tribunal différemment constitué de la Commission doit réexaminer la présente affaire en appliquant le critère établi dans Villani. Plus particulièrement, ce tribunal doit examiner l’état « réel » de la demanderesse, prenant en considération son état général, et non seulement l’ostéoporose sévère.

 

[18]           Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, annulerais la décision de la Commission et renverrais l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission, le tout avec dépens à la demanderesse.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

« Je suis du même avis.

     Pierre Blais, j.c. »

 

« Je suis d’accord.

     Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 

 


 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-127-09

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DE LA COMMISSION D’APPEL DES PENSIONS DATÉE DU 20 JANVIER 2009.

 

INTITULÉ :                                                               EMILY JANE BUNGAY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

ENTRE :                                                                    Ottawa (Ontario) et Grand Bank (Terre‑Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 5 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                    LA JUGE DAWSON 

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 8 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Glen W. Picco

POUR LA DEMANDERESSE

 

Allan Matte

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Picco & White Law Office

Marystone (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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