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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110228

Dossier : A‑456‑09

Référence : 2011 CAF 69

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

SAPUTO INC. et KRAFT CANADA INC.

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

et

 

ST-ALBERT CHEESE COOPERATIVE INC.

et

INTERNATIONAL CHEESE COMPANY LTD.

intervenantes

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 février 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                            LE JUGE NADON

 


 

Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110228

Dossier : A‑456‑09

Référence : 2011 CAF 69

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

SAPUTO INC. et KRAFT CANADA INC.

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

et

 

ST-ALBERT CHEESE COOPERATIVE INC.

et

INTERNATIONAL CHEESE COMPANY LTD.

intervenantes

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               La Cour statue sur l’appel du jugement (2009 CF 1016) (les motifs) par lequel le juge Martineau a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelantes en vue d’obtenir un jugement déclaratoire et contestant pour divers motifs constitutionnels et administratifs les paragraphes et sous‑alinéas B.08.033(1)a)(i.1) et (i.2), B.08.033(1.2), B.08.034(1)a)(i), (i.1) et (i.2), B.08.034(1)c)(i) et B.08.034(1.2) du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, ainsi que les paragraphes, alinéa et sous‑alinéas 6(3)c), 6(3)d)(i), 6(5), 28(1)a)(i.1) et (i.2) et 28(4) du Règlement sur les produits laitiers, DORS/79‑840, (les règlements contestés).

 

[2]               Ces dispositions ont été adoptées conformément au Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers, DORS/2007‑302, qui a été publié le 26 décembre 2007 dans la Gazette du Canada, partie II, vol. 141, no 26, aux pages 2778 et suivantes, et sont entrées en vigueur le 14 décembre 2008.

 

[3]               Aux termes des règlements contestés, le fromage qui est importé ou produit au Canada et qui est destiné au commerce international ou interprovincial doit :

a.       avoir une teneur en caséine dérivée des laits liquides, mais d’aucun autre produit du lait comme la crème de petit-lait ou le lait en poudre, au moins équivalente à un certain pourcentage (les rapports de caséine);

b.      avoir un rapport protéines de lactosérum à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait (le rapport protéines de lactosérum/caséine).

 

[4]               Les appelantes affirment que l’objet essentiel ou dominant des règlements contestés est de conférer un avantage économique aux producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers en exigeant l’utilisation d’une plus grande quantité de lait liquide dans la production du fromage, ce qui entraîne de lourdes conséquences sur les coûts d’approvisionnement en lait que doivent supporter les transformateurs de produits laitiers. En conséquence, les règlements contestés n’ont, selon les appelantes, peu ou rien à voir avec le commerce international ou interprovincial et ils ont été pris par le gouverneur en conseil dans un but économique illégitime, de sorte qu’ils excèdent la compétence constitutionnelle et législative du gouvernement fédéral. Les appelantes ajoutent que les règlements contestés visent à contrôler la production du fromage, question qui relève de la compétence des provinces, qu’ils outrepassent les pouvoirs conférés par leurs lois habilitantes et qu’ils n’établissent pas de normes objectives et uniformes.

 

[5]               L’intimé affirme, avec l’appui des intervenantes, que, de par leur caractère véritable, les règlements contestés visent le commerce interprovincial et international, relèvent du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce et ont été régulièrement pris en vertu du pouvoir de réglementation prévu par la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27 et par la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. 1985, ch. 20 (4e suppl.).

 

[6]               Le juge de première instance a correctement défini les questions en litige au paragraphe 9 de ses motifs. Pour les besoins du présent appel, je reformule ces questions de la manière suivante :

a.       Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant que la prise des règlements contestés constituait un exercice légitime du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867?

b.      Si la réponse à la première question est négative, le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant que la prise des règlements contestés constituait un exercice légitime du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur les produits agricoles canadiens et par la Loi sur les aliments et drogues?

 

[7]               Pour les motifs ci‑après exposés, je répondrais par la négative à ces deux questions, je conclurais que le juge de première instance n’a commis, dans ses conclusions, aucune erreur susceptible de révision, et je rejetterais en conséquence le présent appel.

 

Norme de contrôle

[8]               L’introduction d’une demande de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, constitue la procédure appropriée pour contester la validité d’un règlement pris par le gouverneur en conseil : Novopharm Limited c. Eli Lilly Canada inc., 2009 CAF 138, 393 N.R. 38, au paragraphe 10; Canada c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 229, [2009] 3 R.C.F. 136, aux paragraphes 55 à 63 (autorisation d’appel refusée) (Conseil canadien pour les réfugiés); Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 341, au paragraphe 4 (C.A.F.). En conséquence, les appelantes ont introduit une demande de contrôle judiciaire par laquelle elles ont demandé à la Cour fédérale de rendre un jugement déclaratoire (Avis de demande, dossier d’appel, vol. 1, aux pages 69 à 89).

 

[9]               Il est utile de comprendre ce qui est en litige pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique : Conseil canadien pour les réfugiés, au paragraphe 57. Tout comme dans l’affaire Conseil canadien pour les réfugiés, il s’agit en l’espèce d’une attaque portée contre les règlements contestés en soi et non contre la « décision » du gouverneur en conseil de les promulguer. Par conséquent, la Cour n’est pas appelée à procéder au contrôle judiciaire d’une mesure administrative, auquel cas les principes établis dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, s’appliquent, mais au contrôle en appel de la décision par laquelle un juge de première instance s’est prononcé tant sur la contestation de la constitutionnalité de mesures législatives subordonnées que sur la contestation, par voie de demande, de la validité d’un règlement en droit administratif. Dans ces conditions, il convient d’appliquer les principes du contrôle en appel posés dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

 

[10]           L’interprétation de la portée et de l’étendue des pouvoirs que la Loi constitutionnelle de 1867 confère au législateur fédéral est assujettie à la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, précité, aux paragraphes 8 et 9; Dunsmuir c. New Brunswick, précité, au paragraphe 58. De même, la détermination de la validité d’un règlement en droit administratif est également assujettie à la norme de la décision correcte : United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5; Parks Canada c. Sunshine Village Corp., 2004 CAF 166, [2004] 3 R.C.F. 600, au paragraphe 10; Canada (Procureur général) c. Mercier, 2010 CAF 167, 404 N.R. 275, aux paragraphes 78 et 79.

 

[11]           Cependant, lorsque l’analyse constitutionnelle peut être dissociée des conclusions de fait qui la sous‑tendent, la Cour devrait faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des conclusions factuelles initiales : Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, au paragraphe 26; CHC Global Operations (2008) Inc. c. Global Helicopter Pilots Association, 2010 CAF 89, 401 N.R. 37, au paragraphe 22.

 

Première question : Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant que la prise des règlements contestés constituait un exercice légitime du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867?

 

[12]           Pour répondre à cette question, il faut déterminer si les règlements contestés, « de par leur caractère véritable », relèvent du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce. Cette analyse du « caractère véritable » nous amène à nous poser deux questions. Premièrement, quel est le caractère essentiel des règlements contestés ? Deuxièmement, ce caractère peut‑il être rattaché à l’un des chefs de compétence attribués au législateur fédéral? (Ward c. Canada (P.G.), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569, au paragraphe 16 (Ward); Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, aux paragraphes 25 à 27; Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19, [2009] 1 R.C.S. 657, aux paragraphes 16 à 23).

 

Le caractère essentiel des règlements contestés

[13]           Pour déterminer le caractère essentiel des règlements contestés, il faut en définir le sens véritable ou la caractéristique dominante et, pour cela, il faut examiner l’objet et l’effet juridique des règlements en cause. Dans l’arrêt Ward, aux paragraphes 17 et 18, la Cour suprême du Canada suggère de tenir compte des facteurs suivants :

17        La première étape de l’analyse du caractère véritable consiste à déterminer le caractère véritable ou essentiel de la loi. Quel est le sens véritable ou la caractéristique dominante de la mesure législative attaquée? Pour répondre à cette question, il faut examiner l’objet et l’effet juridique du règlement ou de la loi en cause : voir le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 16. L’objet désigne ce que le législateur a voulu accomplir. Il est pertinent pour déterminer si, en l’espèce, le Parlement réglementait les pêcheries ou s’il s’aventurait dans le domaine de compétence provinciale de la propriété et des droits civils. L’effet juridique désigne la façon dont la loi influe sur des droits et des obligations, et il est également utile pour comprendre le sens premier de la loi : voir le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 17‑18, et l’arrêt Morgentaler, précité, p. 482‑483. Les effets peuvent également indiquer si une loi comporte un « motif déguisé », c’est‑à‑dire montrer que même si, de par sa forme, la loi paraît porter sur un sujet relevant de la compétence du législateur, elle porte, au fond, sur un sujet qui ne relève pas de cette compétence : voir l’arrêt Morgentaler, précité, p. 496. Dans sa plaidoirie, M. Ward a précisé clairement que sa contestation de la loi n’était pas fondée sur l’existence d’un motif déguisé.

 

18        L’analyse du caractère véritable n’est ni technique, ni formaliste : voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 15‑12. Il s’agit essentiellement d’une question d’interprétation. Les tribunaux examinent les termes employés dans la mesure législative attaquée, de même que le contexte et les circonstances dans lesquels cette mesure a été adoptée : voir l’arrêt Morgentaler, précité, p. 483, et le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 17. Lorsqu’il procède à cette analyse, le tribunal ne devrait pas se préoccuper de l’efficacité de la loi ou de la question de savoir si elle permet de réaliser les objectifs du législateur : voir RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 44, le juge La Forest; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 18.

 

 

[14]           Dans un cas comme le présent, où la contestation porte sur des modifications précises à un régime législatif et réglementaire exhaustif, l’analyse doit tenir compte du régime dans son ensemble et être éclairée par celui‑ci, à défaut de quoi on risque de perdre de vue le caractère essentiel des modifications si on ne les situe pas comme il se doit dans le contexte du régime complet dans le cadre duquel elles s’inscrivent : Ward, aux paragraphes 19 à 23; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, aux paragraphes 16 à 18.

 

[15]           Avant l’entrée en vigueur des règlements contestés, les produits fromagers destinés à l’importation, à l’exportation ou au commerce interprovincial faisaient déjà l’objet d’une réglementation détaillée sous le régime du Règlement sur les produits laitiers et du Règlement sur les aliments et drogues pour ce qui était des normes de composition, notamment en ce qui concerne le pourcentage maximal d’humidité et le pourcentage minimal de matière grasse du lait pour divers produits fromagers, ainsi que les normes relatives aux autres ingrédients pouvant entrer dans la composition de divers types de fromages. Ces normes, qui n’ont pas été contestées dans le passé, ne sont toujours pas attaquées par les appelantes dans la présente instance. Les règlements contestés viennent compléter les normes de composition déjà existantes en exigeant que le fromage ait une teneur minimum en protéines laitières dérivées du lait liquide (les rapports de caséine) et en exigeant aussi que le rapport protéines de lactosérum à la caséine du fromage ne dépasse pas celui du lait (le rapport protéines de lactosérum/caséine).

 

[16]           Les rapports de caséine varient selon le type de fromage. Ainsi, par exemple, le fromage Pizza mozzarella doit avoir une teneur minimum en caséine dérivée de produits à base de lait liquide de 63 pour cent. Dans le cas du fromage cheddar, du Brick et d’autres types de fromages désignés, ce pourcentage passe à 83 pour cent, et il passe à 95 pour cent pour la plupart des autres fromages désignés, tels que l’Asiago, le Bleu et le Camembert, et à 100 pour cent pour le fromage cheddar « vieilli ».

 

[17]           Les appelantes affirment que le principal objectif des règlements contestés, voire leur seul objectif, est de favoriser les producteurs laitiers canadiens en garantissant une demande accrue pour les produits à base de lait liquide au détriment d’autres produits comme la crème de petit-lait et le lait en poudre. La preuve présentée par les appelantes à ce propos repose en grande partie sur l’affidavit souscrit par M. Kempton L. Matte le 17 octobre 2008 (l’affidavit de M. Matte), lequel est un lobbyiste pour l’industrie canadienne de la transformation du lait au service de l’appelante Saputo Inc.

 

[18]           On peut résumer comme suit la position des appelantes telle qu’elle est exposée dans l’affidavit de M. Matte :

a.       La décision défavorable aux exportations de lait liquide du Canada rendue par l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2002 et qui a été suivie par une décision, en mars 2005, par laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur a réduit les droits exigés sur certains produits du lait, ont eu dans l’ensemble un effet préjudiciable sur les producteurs laitiers canadiens;

b.      Par suite de ces décisions, certaines mesures fédérales ont été prises pour répondre aux préoccupations des producteurs laitiers, notamment la création du Groupe de travail sur l’industrie laitière, composé de producteurs laitiers et de transformateurs canadiens, en vue de répondre aux préoccupations immédiates des producteurs laitiers au sujet de l’utilisation de divers ingrédients, en particulier de concentrés protéiques de lait, dans la fabrication de produits laitiers;

c.       Le Groupe de travail sur l’industrie laitière n’est pas parvenu à un consensus; son modérateur a toutefois soumis le 11 octobre 2006 au ministre fédéral compétent un rapport dans lequel il recommandait que des modifications soient apportées à la réglementation pour fixer des pourcentages minimaux de caséine provenant du lait liquide dans la production de divers fromages (le rapport du modérateur);

d.      les recommandations formulées dans le rapport du modérateur visaient uniquement à accorder un avantage économique unilatéral aux producteurs laitiers canadiens au détriment des transformateurs de produits laitiers;

e.       les règlements contestés ont été promulgués à la suite du rapport du modérateur et ils s’inspiraient largement des recommandations contenues dans ce rapport;

f.       la teneur en caséine dérivée du lait liquide prévue par les règlements contestés et proposée dans le rapport du modérateur n’a été retenue que pour des raisons d’ordre économique d’après ce que le modérateur estimait être les ratios les plus élevés que les transformateurs de produits laitiers canadiens pouvaient techniquement obtenir;

g.      les règlements contestés ne sont pas nécessaires pour assurer l’uniformité avec les normes alimentaires internationales, ne permettront pas d’avancées techniques en matière de production fromagère, ne contribueront pas à améliorer les propriétés organoleptiques et physiques du fromage et entraîneront des conséquences financières néfastes pour les transformateurs de produits laitiers canadiens.

 

 

[19]           Les appelantes affirment donc que les activités du Groupe de travail sur l’industrie laitière (le Groupe de travail) et le rapport du modérateur faisant suite aux activités du Groupe de travail en question démontrent clairement que les règlements contestés visent à conférer un avantage économique aux producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers.

 

[20]           Les conclusions de fait tirées par le juge de première instance minent sérieusement les affirmations des appelantes. En fait, le juge de première instance a écarté les éléments de preuve soumis par les appelantes, y compris l’affidavit de M. Matte, au motif qu’ils n’étaient pas convaincants (Motifs, aux paragraphes 28, 42 et 57 à 79). Le juge de première instance a plutôt conclu que, de par leur caractère véritable, les règlements contestés visaient à fixer des normes de composition dans le cas des fromages destinés au commerce interprovincial ou international (Motifs, aux paragraphes 27 et 85). Il a également conclu que l’objet des règlements contestés était : a) de protéger les intérêts des consommateurs et de répondre à leurs attentes à l’égard des fromages (Motifs, au paragraphe 46); b) d’assurer l’harmonisation de la réglementation fédérale relative aux produits fromagers (Motifs, aux paragraphes 51 à 53); c) d’assurer une plus grande uniformité avec les normes alimentaires internationales (Motifs, aux paragraphes 54 à 56). Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en tirant ces conclusions?

 

L’argument du transfert économique

[21]           Le juge de première instance a écarté les éléments de preuve des appelantes au motif qu’ils n’étaient pas convaincants et a adopté un point de vue différent sur la façon dont les règlements contestés avaient été élaborés puis promulgués et sur les raisons pour lesquelles ils l’avaient été. Les appelantes soutiennent qu’en rejetant les éléments de preuve qu’elles avaient présentés pour démontrer que l’objet essentiel des règlements contestés était d’effectuer un transfert économique vers les producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers (Motifs, aux paragraphes 42 et 57 à 79), le juge de première instance a commis des erreurs susceptibles de révision en rejetant ce qu’elles appellent « un dossier de preuve incontesté ». Pour les motifs qui suivent, j’estime que le juge de première instance n’a pas commis de telles erreurs.

 

[22]           Les appelantes demandaient au juge de première instance – et nous demandent maintenant – de confondre le caractère véritable des règlements contestés avec les conséquences économiques accessoires de ces règlements. Le juge de première instance a, à juste titre, établi une distinction entre l’objet des règlements contestés et les incidences accessoires découlant de leur mise en œuvre. Les règlements contestés se traduiront par une utilisation plus grande de produits composés de lait liquide dans la fabrication du fromage, ce qui aura des répercussions économiques sur certains transformateurs de produits laitiers, en particulier sur ceux qui se sont fondés sur l’ancien Règlement sur les produits laitiers plutôt que sur l’ancien Règlement sur les aliments et drogues. Toutefois, sauf exception, les répercussions économiques d’une loi ou d’un règlement ont habituellement peu d’incidences sur leur constitutionnalité, étant donné que c’est [traduction] « la nature et le caractère véritables de la législation – non pas ses conséquences économiques – qui importent » : Renvoi : Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, à la page 389, reprenant les propos tenus par le Conseil privé dans l’arrêt Attorney‑General of Saskatchewan c. Attorney‑General of Canada, [1949] A.C. 110; voir aussi R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, aux pages 485 à 487.

 

[23]           Bien qu’on puisse tenir compte des effets pratiques d’un texte législatif pour se prononcer sur sa constitutionnalité, ce n’est que lorsque celui‑ci a des effets qui empiètent si directement sur un autre domaine qu’il doit avoir un objet dissimulé que lesdits effets prennent eux‑mêmes de l’importance aux fins de l’analyse (A.‑G. for Alberta c. A.‑G. for Canada, [1939] A.C. 117; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 358; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, à la page 487; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 44. En l’espèce, ainsi que le juge de première instance l’a conclu, la preuve n’appuie tout simplement pas la prétention des appelantes suivant laquelle l’objet principal ou la raison d’être des règlements contestés est d’effectuer un transfert économique en faveur des producteurs laitiers.

 

[24]           Bien que les décisions de l’Organisation mondiale du commerce et du Tribunal canadien du commerce extérieur aient pu être une source d’inquiétudes pour les producteurs laitiers, le dossier n’indique pas qu’elles ont joué un rôle important ou essentiel en ce qui concerne l’élaboration et la promulgation des règlements contestés. Ainsi que le juge de première instance l’a conclu, le dossier montre plutôt que d’autres préoccupations étaient en cause.

 

[25]           Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) situe l’adoption des règlements contestés dans le contexte de l’élaboration, au fil du temps, de normes nationales en matière de production de produits laitiers (REIR, aux pages 2791 et 2792) ainsi que dans le contexte des progrès technologiques dans la fabrication du fromage qui ont permis l’utilisation de plus grandes quantités de produits à base de lait en poudre avec des conséquences sur les propriétés organoleptiques, chimiques et physiques typiques ou traditionnelles de divers fromages :

Les progrès technologiques dans la fabrication du fromage ont permis l’utilisation de plus grandes quantités d’autres solides du lait dans la fabrication du fromage et ont assuré ainsi une flexibilité qui permet d’obtenir de meilleurs rendements et de réaliser des économies. De plus, les normes du RPL [Règlement sur les produits laitiers] [étaient] très générales et le nom de la variété de fromage risquait de perdre les propriétés organoleptiques, chimiques et physiques typiques qui lui étaient associées.

 

(REIR, à la page 2790)

 

 

[26]           M. Matte a lui‑même reconnu ces améliorations technologiques dans le témoignage qu’il a donné le 17 octobre 2008 devant le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, annexé à son affidavit sous la cote KM‑3 (page 301 du dossier d’appel) : « Grâce à la technologie, nous avons donc réussi à réutiliser les concentrés protéiques du lait pour fabriquer du fromage, dans l’intérêt de l’industrie. Cette opération réduit les coûts et améliore l’efficacité, notamment ».

 

[27]           Outre leurs répercussions économiques, les progrès technologiques qui ont permis d’incorporer dans le fromage des protéines « issues de nouvelles technologies » soulèvent deux questions fondamentales : premièrement, quelles sont les incidences de ces nouvelles technologies sur les propriétés organoleptiques, chimiques et physiques du fromage et, deuxièmement, le cadre réglementaire fédéral actuel permet‑il d’incorporer effectivement ces produits dans le fromage? En ce qui concerne cette dernière question, il est utile de signaler qu’avant la mise sur pied du Groupe de travail, les producteurs laitiers se fondaient sur le Règlement sur les aliments et drogues pour affirmer que les produits protéiques « issus des nouvelles technologies » n’étaient pas visés par le régime réglementaire en vigueur et qu’ils ne pouvaient donc pas être incorporés au fromage, alors que, pour leur part, les transformateurs de produits laitiers invoquaient le Règlement sur les produits laitiers pour affirmer exactement le contraire.

 

[28]           Le Groupe de travail a été créé par le ministre fédéral compétent pour encourager les intervenants du secteur laitier à dégager un consensus. Le mandat du Groupe de travail était très large et ne portait pas simplement sur des questions de fixation des prix et de rentabilité. Ainsi qu’il est précisé dans le communiqué de presse publié par le bureau du ministre Strahl le 15 avril 2005 pour annoncer la formation du Groupe de travail (Recueil de documents, à la page 318), le mandat confié au Groupe de travail portait non seulement sur l’élaboration d’une stratégie de croissance de l’industrie, mais aussi sur l’élaboration de « positions communes sur les normes de composition pour les classes d’utilisation du lait et les ingrédients », dans l’industrie du lait, notamment dans le but de résoudre les contradictions que l’on trouvait dans la règlementation.

 

[29]           Le rapport du modérateur reconnaissait également que le mandat du Groupe de travail était [traduction] « très large, portant sur les moyens de résoudre le problème immédiat des ingrédients utilisés pour les produits laitiers et s’étendant même à l’élaboration, en collaboration, d’une stratégie à long terme qui serait avantageuse pour les producteurs laitiers, les transformateurs de produits laitiers et leurs clients » (Dossier d’appel, à la page 321).

 

[30]           De plus, le rapport du modérateur indiquait que le principal obstacle qui empêchait d’arriver à un consensus au sein du Groupe de travail était la divergence d’opinions qui existait au sujet des utilisations actuelles et prévisibles des ingrédients entrant dans la fabrication du fromage, une question étroitement liée aux progrès techniques : [traduction] « Le principal obstacle au consensus sur le fromage était la divergence considérable entre, d’une part, ce que les producteurs estimaient être les usages actuel et prévisible des ingrédients dans la fabrication de fromages, et d’autre part, les usages actuel et prévisible déclarés par les transformateurs » (Dossier d’appel, à la page 322).

 

[31]           Compte tenu de l’impossibilité pour les membres du Groupe de travail d’arriver à un consensus au sujet des normes de composition du fromage, le modérateur a recommandé de [traduction] « modifier la réglementation pour harmoniser les règlements pris en application de la Loi [sur les produits agricoles au Canada] et de la Loi sur les aliments et drogues » (Dossier d’appel p. 322). Pour harmoniser les règlements existants, il a proposé que l’on permette que la teneur en caséine du fromage provienne du lait liquide et d’autres produits dérivés du lait en recourant à un système de pourcentages de caséine provenant du lait liquide. Le système recommandé proposé par le modérateur était censé correspondre à l’usage courant de lait liquide et de dérivés du lait au sein de l’industrie.

 

[32]           Il ressort donc clairement du dossier que la preuve soumise par les appelantes, y compris l’affidavit de M. Matte, ne relatait pas correctement les faits ayant conduit à la promulgation des règlements contestés ou leurs véritables objets. L’affidavit de M. Matte rend plutôt compte des opinions et convictions particulières d’un lobbyiste. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en estimant que ces éléments de preuve n’étaient pas convaincants.

Attentes et intérêts des consommateurs

[33]           Au nombre des facteurs qui ont joué lors de l’adoption des nouvelles normes fédérales harmonisées relatives à la composition du fromage, le REIR mentionne expressément les attentes et les intérêts des consommateurs. Ainsi que le REIR l’explique, les normes relatives au fromage visent à décrire les exigences de base en matière de composition des fromages pour faire en sorte que les fromages offerts aux consommateurs aient une composition et des caractéristiques uniformes. Les normes alimentaires permettent ainsi de protéger les intérêts des consommateurs et de répondre à leurs attentes à l’égard des aliments (REIR, aux pages 2787 et 2788, Motifs, au paragraphe 46). Comme nous l’avons déjà signalé, le REIR précise également qu’en raison des progrès technologiques dans la fabrication du fromage, qui avaient permis l’utilisation de plus grandes quantités d’autres solides du lait dans la fabrication du fromage, et des normes très générales du Règlement sur les produits laitiers, le nom de la variété de fromage risquait de perdre les propriétés organoleptiques, chimiques et physiques typiques qui lui étaient associées (REIR, à la page 2790, Motifs, au paragraphe 47).

 

[34]           Les appelantes ne sont pas d’accord pour dire que les attentes et les intérêts des consommateurs sont en cause; elles font valoir que l’incorporation dans le fromage de protéines obtenues grâce aux nouvelles technologies n’a en fait aucune incidence sur les propriétés organoleptiques des produits du fromage. Là encore, les éléments de preuve que le juge de première instance a retenus n’appuient pas les assertions des appelantes.

 

[35]           D’ailleurs, après avoir examiné les témoignages des experts qui lui ont été soumis, le juge de première instance a conclu que l’utilisation de substituts aux produits de lait liquide, même en petites quantités, pouvait modifier l’odeur, le goût et la texture du fromage. Il a accepté les témoignages abondants soumis par les intervenantes à ce propos, et notamment le témoignage de M. Wathier, qui possédait une vaste expérience comme maître fromager et comme membre de jurys de concours de fromage (Motifs, au paragraphe 49) :

M. Wathier, maître fromager à la fromagerie St‑Albert pourvu de quatre décennies d’expérience dans l’industrie, y compris comme membre de jurys de concours de fromage et comme consultant de la demanderesse Parmalat, a déposé au sujet de l’effet de l’utilisation de dérivés du lait sur la qualité du fromage. Selon son témoignage, même de petites quantités de dérivés du lait (inférieures à 5 pour cent) peuvent modifier le goût, la texture et la consistance du fromage, en comparaison du lait frais. La transformation du lait liquide frais en dérivé du lait en poudre a un effet immédiat sur le goût, ce qui explique entre autres pourquoi, par exemple, les consommateurs se montrent peu friands de lait écrémé en poudre. 

 

 

[36]           Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en tirant cette conclusion.

 

Harmonisation du cadre réglementaire fédéral régissant les produits fromagers

[37]           Le REIR explique que l’adoption des règlements contestés était principalement motivée par le désir de supprimer les contradictions qui existaient entre le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers. Le juge de première instance a convenu qu’il s’agissait effectivement d’un des principaux objets des règlements en question (Motifs, aux paragraphes 51 à 53). Les appelantes contestent cette conclusion en affirmant que les règlements contestés « n’harmonisent rien » étant donné que les rapports de caséine et le rapport protéines de lactosérum/caséine qu’ils prévoient sont nouveaux (Mémoire des appelantes, au paragraphe 44). Là encore, je ne puis accepter les prétentions des appelantes, qui vont à l’encontre de la preuve qui a été soumise au juge de première instance et que celui‑ci a acceptée, et du libellé du Règlement sur les aliments et drogues et du Règlement sur les produits laitiers dans leur rédaction en vigueur avant la promulgation des règlements contestés.

 

[38]           Par exemple, avant l’entrée en vigueur des règlements contestés, le Règlement sur les produits laitiers permettait l’utilisation d’« autres solides du lait » comme ingrédient entrant dans la fabrication du fromage, tandis que le Règlement sur les aliments et drogues disposait que le fromage ne pouvait être fabriqué qu’avec du lait, du lait écrémé, du lait partiellement écrémé, du babeurre, de la crème de petit-lait ou de la crème, ou avec ces ingrédients sous leur forme concentrée, en poudre ou reconstituée; il ne faisait aucune mention de « solides du lait ». Comme nous l’avons déjà mentionné, les transformateurs de produits laitiers favorisaient la définition prévue par le Règlement sur les produits laitiers qu’ils interprétaient comme leur permettant d’utiliser tous les solides du lait, y compris ceux obtenus grâce aux progrès les plus récents de la technologie, alors que les producteurs laitiers favorisaient la définition du Règlement sur les aliments et drogues, qui prévoyait une liste d’ingrédients autorisés plus restreinte.

 

[39]           L’industrie laitière reconnaissait l’existence de ces divergences entre les règlements, qui étaient par ailleurs reconnues dans des documents de recherche parlementaires (Normes de composition des fromages au Canada – 26 décembre 2007 – Service d’information et de recherche parlementaires, pages 680 et suivantes du dossier d’appel). Ces divergences étaient une des principales raisons qui avaient conduit à la création du Groupe de travail, qui était expressément chargé de les résoudre, et elles étaient reconnues aussi par le gouverneur en conseil (REIR, à la page 2789).

 

[40]           Le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers a non seulement eu pour effet d’introduire les dispositions réglementaires contestées, mais il a également proposé de nouvelles définitions. L’article 1 du règlement modifié remplaçait la définition de « produit du lait » que l’on trouvait à l’article B.08.001.1 du Règlement sur les aliments et drogues, tandis que l’article 5 remplaçait les définitions de « produit du lait » et « solides du lait » à l’article 2 du Règlement sur les produits laitiers. Ces modifications ont supprimé les divergences qui existaient jusqu’alors entre les deux règlements en permettant que le fromage soit constitué de tout composant du lait – sauf l’eau –, pris seul ou en combinaison avec d’autres composants du lait.

 

[41]           En conséquence, l’argument des appelantes suivant lequel le nouveau règlement ne visait pas à harmoniser la réglementation fédérale concernant la composition du fromage est tout simplement indéfendable, et le juge de première instance n’a commis aucune erreur susceptible de révision en le rejetant.

 

Plus grande uniformité avec certaines normes alimentaires internationales

[42]           Le juge de première instance a également conclu qu’un des objectifs importants des règlements contestés était, comme il était précisé dans le REIR, d’assurer une plus grande uniformité avec certaines normes alimentaires internationales. Les appelantes contestent cette conclusion. Encore une fois, j’estime que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en tirant cette conclusion.

 

[43]           Les appelantes contestent deux des nouvelles normes de composition du fromage qui sont énoncées dans les règlements contestés : i) celle exigeant que le fromage ait une certaine teneur en caséine dérivée du lait liquide, mais d’aucune autre source de protéine laitière comme la crème de petit-lait ou le lait en poudre, au moins équivalente à un certain pourcentage (les rapports de caséine); (ii) celle exigeant que le rapport protéines de lactosérum à la caséine ne dépasse pas celui du lait (le rapport protéines de lactosérum/caséine).

 

[44]           La Commission du Codex Alimentarius a été créée en 1962 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et par l’Organisation mondiale de la Santé pour élaborer des normes alimentaires internationales, de même que des recommandations et des lignes directrices en vue de protéger la santé des consommateurs, d’assurer des méthodes commerciales équitables et de faciliter le commerce international : Raymond O’Rourke, European Food Law, 3e éd. (London, Sweet and Maxwell, 2005) à la page 14‑019. Cette Commission est notamment l’auteur de la Norme générale Codex pour le fromage (Stan A‑6‑1978, Rev.1‑1999, modifiée en 2006, reproduite aux pages 372 et suivantes du dossier d’appel). Voici ce que prévoit cette norme internationale en ce qui concerne le ratio de petit-lait (lactosérum) du fromage :

2.1       Le fromage est le produit affiné ou non affiné, de consistance molle ou semi‑dure, dure ou extra dure qui peut être enrobé et dans lequel le rapport protéines de lactosérum/caséine ne dépasse pas celui du lait […] [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[45]           C’est précisément le nouveau rapport protéines de lactosérum/caséine qui est prévu par les règlements contestés par les appelantes. D’ailleurs, les paragraphes 3(1), 6(1) et 11(1) du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers ont ajouté au Règlement sur les aliments et drogues (sous‑alinéa B.08.033(1)a)(i.2)) et au Règlement sur les produits laitiers (sous‑alinéas 6(3)c)(ii) et 28(1)a)(i.2)) de nouvelles dispositions qui prévoient que le fromage doit « avoir un rapport protéines de lactosérum à la caséine qui ne dépasse pas celui du lait ».

 

[46]           Il est donc évident que les règlements contestés cherchent effectivement à assurer une plus grande uniformité avec certaines normes alimentaires internationales et le juge de première instance n’a donc commis aucune erreur susceptible de révision dans ses conclusions à cet égard.

 

[47]           De plus, ainsi que le juge de première instance l’a fait observer au sujet des rapports de caséine, les normes diffèrent considérablement d’un pays à l’autre, et bien que les rapports de caséine prévus par les règlements contestés puissent être plus strict que ceux qui existent dans certains pays, les normes canadiennes se révèlent plus souples relativement à l’utilisation des dérivés du lait que celles de nombreux autres pays (Motifs, au paragraphe 56; REIR, à la page 2788 et à la page 2790 in fine).

 

Conclusion sur le caractère véritable

[48]           Je conclus donc que, compte tenu des progrès technologiques qui permettent d’augmenter la teneur en protéines des dérivés du lait dans le fromage, les règlements contestés visent à trouver un juste milieu entre les protéines « issues de nouvelles technologies » et les protéines laitières liquides traditionnelles contenues dans le fromage destiné à l’importation, l’exportation ou le commerce interprovincial. Je conclus que les règlements visent : a) à harmoniser les règlements fédéraux existants au sujet de l’utilisation des produits protéiques; b) à mieux protéger les intérêts des consommateurs en protégeant les caractéristiques organoleptiques, chimiques et physiques traditionnelles du fromage; c) à permettre des progrès technologiques dans la production du fromage par le biais de normes de composition qui permettent jusqu’à un certain point d’utiliser des protéines issues de nouvelles technologies pour la fabrication du fromage; d) à assurer l’uniformité avec certaines normes alimentaires internationales.

 

De par leur caractère véritable, les règlements contestés relèvent‑ils du pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce?

 

[49]           Après avoir cerné le caractère véritable des règlements contestés, il nous faut maintenant nous demander si ces règlements relèvent ou non du pouvoir fédéral en matière de réglementation des échanges et du commerce. Les appelantes affirment qu’il faut répondre par la négative à cette question étant donné que les règlements contestés portent, à leur avis, sur la réglementation de la production du fromage, question qui relève de la compétence des provinces. Il y a lieu de signaler ici que seul le premier volet (le volet international et interprovincial, par opposition au second volet, qui est plus général) du pouvoir fédéral sur les échanges et le commerce est en litige dans le présent appel.

 

[50]           Une de raisons d’être de la fédération canadienne était – et est toujours – de faciliter les échanges et le commerce entre les provinces et les territoires et d’assurer aux entreprises canadiennes un accès constant et toujours meilleur aux marchés internationaux. Cet objectif fondamental est reflété à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit le libre échange entre les provinces de tous les articles du crû ou des articles qui sont produits ou fabriqués dans les provinces. Cet objectif fondamental est également repris au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confie au législateur fédéral l’importante mission de réglementer les échanges et le commerce international et interprovincial.

 

[51]           En conséquence, l’article 121 et le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 constituent deux facettes interreliées de la Constitution canadienne, et ils visent tous les deux à faciliter l’union économique et la prospérité du Canada au moyen d’un marché commun efficient et efficace à l’échelle du Canada pour tous les articles du crû ou qui sont produits ou fabriqués : Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591, aux pages 608 et 609.

 

[52]           L’existence d’un marché commun canadien exige que la réglementation du commerce interprovincial et international qui l’encadre relève du palier fédéral. Je n’ai aucun doute que ce pouvoir de réglementation comprend celui de formuler des normes pour les produits, y compris afin de préciser les caractéristiques de composition des produits alimentaires destinés au commerce international ou interprovincial.

 

[53]           La réglementation des caractéristiques de composition des produits destinés au commerce peut d’ailleurs apporter des avantages économiques non négligeables, puisqu’elle permet aux producteurs, aux fabricants et aux consommateurs de pouvoir compter sur des normes de qualité uniformes, ce qui améliore la confiance des consommateurs et assure une concurrence juste et efficace entre les acteurs industriels, tout en assurant de nouveaux débouchés. Ainsi, un consommateur de Vancouver peut se procurer un produit alimentaire transformé au Québec tout en sachant que ce produit respecte les mêmes caractéristiques et les mêmes normes de composition qu’un produit concurrent transformé en Ontario. De même, les transformateurs de l’Alberta peuvent fabriquer un produit alimentaire semblable qui respecte des normes uniformes afin de livrer concurrence à des rivaux d’autres provinces sur un pied d’égalité. De plus, les règlements sur la composition et la qualité sont susceptibles de stimuler les exportations canadiennes en assurant les acheteurs étrangers qu’on leur livre des produits achetés ou n’importe au Canada qui répondent à des normes minimales de qualité et d’uniformité. Ce ne sont là que quelques‑uns des importants avantages économiques découlant de l’adoption de normes en matière de composition et de qualité par une autorité de réglementation économique et politique centrale.

 

[54]           Bien que la jurisprudence portant sur le pouvoir de réglementer les échanges et le commerce au Canada ait été élaborée de manière peu méthodique, il semble maintenant incontestable que le législateur fédéral peut valablement réglementer les caractéristiques de la composition des produits alimentaires destinés au commerce international ou interprovincial : Procureur général du Manitoba c. Manitoba Egg and Poultry Association et al., [1971] R.C.S. 689; Les Supermarchés Dominion Ltd. c. R., [1980] 1 R.C.S. 844, aux pages 865 et 866 (confirmant la validité des aspects interprovinciaux et internationaux d’un système de classification tout en en invalidant ses aspects purement intraprovinciaux). Déjà à l’époque de l’arrêt The King c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434, le juge Duff avait reconnu que le législateur fédéral avait un pouvoir prépondérant en matière de réglementation des normes applicables aux produits alimentaires afin de protéger le commerce extérieur. Le juge Duff déclarait, à la page 446 :

[traduction] Il est incontestable que l’un des principaux objets de cette loi est de protéger le commerce extérieur du grain, particulièrement celui du blé, en assurant l’intégrité des certificats délivrés par la Commission des grains sur la qualité du grain, particulièrement du blé; et personne ne conteste l’effet bénéfique et la valeur du système établi par la législation dans son ensemble. Je crois que nul ne contesterait non plus qu’il est de la compétence législative du Dominion de réglementer le transport […] les poids et mesures, les échanges et le commerce, selon l’interprétation qui a été donnée à ces mots, en élaborant des lois bien conçues à ces fins qui lui permettent effectivement de réglementer cet aspect du commerce extérieur afin de le protéger, en s’assurant de l’exactitude du classement et de l’absence de falsification, et en fournissant des garanties publiques valables et sûres en ce qui concerne la qualité.

 

 

[55]           Les tribunaux canadiens ont peiné avec la difficile interrelation qui existe entre le pouvoir que le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au législateur fédéral en ce qui concerne la réglementation des échanges et du commerce et les pouvoirs que possèdent les législatures provinciales sur la propriété et les droits civils ainsi sur les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province au sens des paragraphes 92(13) et 92(16). La solution, qui a résisté à l’épreuve du temps, a consisté à reconnaître que la compétence du Parlement fédéral en ce qui concerne le premier volet du pouvoir en matière d’échanges et de commerce se limite aux échanges et au commerce internationaux et interprovinciaux : Citizens’ Insurance Co. c. Parsons, (1881), 7 App. Cas. 96; The King c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434; Carnation Company Limited c. Quebec Agricultural Marketing Board et al., [1968] R.C.S. 238; Caloil Inc. c. Procureur général du Canada, [1971] R.C.S. 543; Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914, aux pages 942 et 943 (Brasseries Labatt). Cette solution a encouragé la collaboration fédérale‑provinciale dans le domaine des échanges et du commerce, tout en reconnaissent le rôle de chef de file joué par le gouvernement fédéral en matière de réglementation à la fois d’un marché commun canadien (échanges et commerce interprovinciaux) et du flux des produits canadiens vers l’étranger et des produits étrangers vers le Canada (échanges et commerce internationaux).

 

[56]           Cette collaboration fédérale‑provinciale a été particulièrement fructueuse dans le domaine des normes régissant les produits alimentaires, notamment les produits laitiers. Un Code national sur les produits laitiers (le CNPL), qui établit des normes nationales pour la production laitière et la transformation de produits laitiers au Canada, a été élaboré par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Cette collaboration fédérale‑provinciale est également attestée par les nombreux régimes réglementaires provinciaux qui renvoient au Règlement sur les aliments et drogues et au Règlement sur les produits laitiers pour ce qui est des principales normes applicables aux produits laitiers, notamment au Québec, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta : Règlement sur les aliments, R.R.Q. 1981, ch. P‑29, r.1, art. 11.8.6; Règlement sur les produits laitiers, Règl. Man. 203/87 R, art. 58 à 62; Dairy Manufacturing Plant Regulations, Sask. Reg. 53 79, articles 22 à 27; Dairy Industry Regulation, Alta. Reg. 139/1999, articles 43 et 63.

 

[57]           Les appelantes affirment avec raison que la réglementation de la production, y compris dans le cas où des produits agricoles primaires sont transformés en d’autres produits alimentaires, constitue de prime abord une question locale, de compétence provinciale : Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198, aux pages 1293 et 1294 (Renvoi sur les œufs). Le point de vue adopté dans le Renvoi sur les œufs a toutefois été nuancé par le juge Pigeon, qui, écrivant au nom de la majorité dans cet arrêt, a fait observer que le contrôle du commerce interprovincial relève de la compétence fédérale et que la collaboration fédérale‑provinciale était souvent importante pour s’assurer que l’on promulgue des règlements appropriés en matière de commerce (à la page 1296) :

Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un pouvoir illimité car, comme on l’a déclaré dans le Renvoi sur les œufs du Manitoba [[1971] R.C.S. 689] et dans l’arrêt Burns Foods [[1975] 1 R.C.S. 494], une province ne peut réglementer le commerce extra‑provincial. Mais la commercialisation ne comprend pas la production et, en conséquence, la réglementation provinciale de la production est de prime abord valide. En l’espèce, la réglementation provinciale ne vise pas le commerce extra‑provincial. Dans la mesure où elle l’atteint, elle vient compléter la réglementation établie sous l’autorité fédérale. A mon avis, cela est parfaitement légitime. Le contraire signifierait que notre Constitution empêche toute entente fédérale‑provinciale de coopération en vue d’établir un régime pratique de production et de commercialisation ordonnées et efficaces d’une denrée dont le commerce tant intra‑provincial qu’extra‑provincial a besoin d’être réglementé, comme en conviennent tous les gouvernements en cause.

 

 

[58]           La constitutionnalité d’une loi ou d’un règlement portant sur le commerce dépend de la réponse à la question de savoir si, de par son caractère véritable ou son objectif premier, la loi ou le règlement se rattache aux chefs de compétence du pouvoir législatif en cause. Pour répondre à cette question, le juge Estey a déclaré, dans l’arrêt Brasseries Labatt, aux pages 942 et 943, que les effets accessoires sur les pouvoirs de l’autre ordre de gouvernement n’amèneront pas nécessairement à conclure à l’inconstitutionnalité de la loi ou du règlement en cause :

En ce qui concerne la législation sur le soutien, le contrôle ou la réglementation des différents paliers ou constituants du cycle de commercialisation des produits naturels, le provincial est de prime abord habilité à légiférer sur la production (voir le juge Pigeon dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, précité, à la p. 1296) et le fédéral, à légiférer sur la commercialisation au niveau international et interprovincial. Entre les deux, le succès ou l’échec du législateur est subordonné à la question de savoir si de par son caractère véritable ou son objectif premier, la loi ou le règlement se rattache aux chefs de compétence du pouvoir législatif en cause. Plusieurs indices quant aux critères à appliquer ont été élaborés. Par exemple, la province est compétente lorsque la réglementation proposée vise des droits contractuels dans les limites de la province. Par contre, la loi fédérale est valide si elle vise la réglementation des mouvements commerciaux dans les réseaux extra‑provinciaux. Entre ces deux extrêmes, les zones grises sont telles qu’on ne peut prétendre énoncer une formule constitutionnelle.

 

 

[59]           Dans l’arrêt Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, 2005 CSC 20, [2005] 1 R.C.S. 292, au paragraphe 31, la juge Abella, qui écrivait au nom d’une Cour suprême unanime, a repris ce raisonnement à son compte en concluant qu’une cour de révision doit se concentrer sur le caractère fondamental de la loi en cause, surtout lorsque des lois relevant de la compétence d’un ordre de gouvernement débordent sur celle d’un autre ordre ou ont des répercussions indirectes sur elle.

 

[60]           Si, de par son caractère essentiel, la loi contestée relève de la compétence législative du Parlement fédéral, de simples effets accessoires sur des compétences provinciales ne la rendent pas inconstitutionnelle : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, précité, aux paragraphes 28 à 30; Chatterjee c. Ontario (Procureur général), précité, aux paragraphes 2, 29 et 30; Caloil Inc. c. Procureur général du Canada, [1971] R.C.S. 543, aux pages 549 et 550; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, précité, aux paragraphes 28 et 29.

 

[61]           Le caractère essentiel des règlements contestés est de fixer des normes de composition pour le fromage destiné à l’importation, à l’exportation ou au commerce interprovincial, et les règlements ne visent pas à première vue à contrôler la production ou la fabrication de produits laitiers comme le fromage. Les règlements contestés ont été pris en application de la Loi sur les produits agricoles au Canada et de la Loi sur les aliments et drogues en vertu de dispositions législatives dont la portée se limite de toute évidence au commerce interprovincial et international.

 

[62]           L’article 17 de la Loi sur les produits agricoles au Canada se limite strictement à l’importation, à l’exportation et à commercialisation interprovinciale :

17. Sont interdites, relativement à un produit agricole, toute commercialisation – soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation – effectuée en contravention avec la présente loi ou ses règlements de même que la possession à ces fins ou la possession résultant d’une telle commercialisation.

[Non souligné dans l’original.]

17. No person shall, except in accordance with this Act or the regulations,

(a) market an agricultural product in import, export or interprovincial trade;

(b) possess an agricultural product for the purpose of marketing it in import, export or interprovincial trade; or

(c) possess an agricultural product that has been marketed in contravention of this Act or the regulations.

[Emphasis added]

 

 

 

[63]           Le gouverneur en conseil a pris le Règlement sur les produits laitiers en vertu de la Loi sur les produits agricoles au Canada dans le but de réglementer les produits laitiers, y compris le fromage, dans le cadre très strict du commerce international et interprovincial. Les articles 2.1 et 2.2 de ce règlement sont instructifs à cet égard :

2.1 Dans le cas où une catégorie ou une norme est établie par le présent règlement pour un produit laitier, est interdite la commercialisation – soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation – d’un produit de telle manière qu’il puisse être confondu avec le produit laitier.

 

2.2 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), est interdite la commercialisation – soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation – d’un produit laitier en tant qu’aliment, sauf s’il :

a) [Abrogé, DORS/2004‑80, art. 6]

b) n’est pas contaminé;

c) est comestible;

d) est conditionné hygiéniquement;

 

 

e) satisfait aux autres exigences de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement sur les aliments et drogues applicables à ce produit.

 

[Non souligné dans l’original.]

2.1 Where a grade or standard is established under these Regulations for a dairy product, no person shall market any product in import, export or interprovincial trade in such a manner that the product is likely to be mistaken for the dairy product.

 

 

2.2 (1) Subject to subsections (2) and (3), no person shall market a dairy product in import, export or interprovincial trade as food unless the dairy product

 

 

(a) [Repealed, SOR/2004‑80, s. 6]

(b) is not contaminated;

(c) is edible;

(d) is prepared in a sanitary manner; and

 

(e) meets all other requirements of the Food and Drugs Act and the Food and Drug Regulations with respect to the dairy product.

 

[Emphasis added]

 

 

[64]           Les paragraphes 6(1) et 6(3) de la Loi sur les aliments et drogues emploient un langage similaire en limitant la portée des normes adoptées pour les aliments à l’importation et au commerce interprovincial :

6. (1) En cas d’établissement – par règlement – d’une norme à l’égard d’un aliment et de non‑conformité à celle‑ci d’un article destiné à la vente et susceptible d’être confondu avec cet aliment, sont interdites, relativement à cet article, les opérations suivantes :

a) son importation;

b) son expédition, son transport ou son acceptation en vue de son transport interprovincial;

c) sa possession en vue de son expédition ou de son transport interprovincial.

 

(3) En cas d’établissement d’une norme réglementaire à l’égard d’un aliment, il est interdit d’étiqueter, d’emballer ou de vendre un aliment – ou d’en faire la publicité – de manière qu’il puisse être confondu avec l’aliment visé par la norme, à moins qu’il ne soit conforme à celle‑ci, s’il entre dans l’une ou l’autre des catégories suivantes :

a) il a été importé;

b) il a été expédié ou transporté d’une province à une autre;

c) il est destiné à être expédié ou transporté d’une province à une autre.

[Non souligné dans l’original.]

6. (1) Where a standard for a food has been prescribed, no person shall

(a) import into Canada,

(b) send, convey or receive for conveyance from one province to another, or

(c) have in possession for the purpose of sending or conveying from one province to another any article that is intended for sale and that is likely to be mistaken for that food unless the article complies with the prescribed standard.

 

 

(3) Where a standard for a food has been prescribed, no person shall label, package, sell or advertise any article that

(a) has been imported into Canada,

(b) has been sent or conveyed from one province to another, or

(c) is intended to be sent or conveyed from one province to another in such a manner that it is likely to be mistaken for that food unless the article complies with the prescribed standard.

 

 

 

[Emphasis added]

 

 

 

[65]           Il vaut la peine de signaler que l’article 6 a été modifié par le législateur fédéral pour s’assurer que le régime réglementaire applicable aux normes de composition des aliments qui est prévu par la Loi sur les aliments et drogues et par ses règlements d’application ne vaut que pour les produits alimentaires qui relèvent des pouvoirs restreints conférés au Parlement fédéral par la Constitution, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Brasseries Labatt : Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues, L.R. 1985, ch. 27 (3e suppl.), art. 1; Patrick J. Monahan, Constitutional Law, 2e éd. (Toronto, Irwin Law, 2002), à la page 283.

 

[66]           En conséquence, les effets des règlements contestés se limitent strictement aux produits fromagers destinés à l’exportation, à l’importation ou au commerce interprovincial. Les règlements contestés peuvent accessoirement avoir des incidences sur la production, mais pas plus que toute autre norme relative à la composition. Les normes relatives aux produits ont presque invariablement une incidence sur la façon dont le produit concerné est fabriqué, mais il ne s’ensuit pas pour autant que la norme concerne la production plutôt que les échanges et le commerce. Décider autrement reviendrait à prétendre – ce qui serait absurde – qu’aucune norme de composition fédérale ne peut être adoptée dans le cas des produits alimentaires destinés à l’importation, à l’exportation ou au commerce interprovincial, étant donné que la presque totalité de ces normes ont accessoirement des incidences sur la production des produits alimentaires. En conséquence, la compétence du législateur fédéral d’établir des normes concernant les produits alimentaires destinés à l’exportation, à l’importation ou au commerce interprovincial ne devient pas invalide pour la seule raison qu’elle a des effets accessoires sur la production locale.

 

 

Seconde question : Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant que la prise des règlements contestés constituait un exercice légitime du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur les produits agricoles canadiens et par la Loi sur les aliments et drogues?

 

[67]           Bien qu’il ne s’agisse clairement pas d’un aspect primordial de leur appel, outre leurs arguments constitutionnels, les appelantes attaquent aussi les règlements en question en faisant valoir divers moyens fondés sur le droit administratif. En premier lieu, elles affirment que les règlements outrepassent le cadre législatif de leurs lois habilitantes. En second lieu, elles soutiennent que les règlements sont dénués de sens étant donné qu’ils n’énoncent pas de normes objectives et uniformes.

 

[68]           L’argument des appelantes au sujet du fait que les règlements n’entrent pas dans le cadre législatif des leurs lois habilitantes soulève des questions qui ressemblent à celles qu’elles ont formulées dans leur contestation constitutionnelle : puisque, selon les appelantes, les règlements contestés ont, de par leur caractère véritable, pour effet de conférer un avantage économique aux producteurs laitiers aux dépens des transformateurs de produits laitiers et que la Loi sur les aliments et drogues et la Loi sur les produits agricoles au Canada ne renferment aucune disposition qui est censée réglementer les profits ou avantager économiquement un secteur de l’industrie aux dépens d’un autre, les règlements contestés ne relèvent pas du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil aux termes des lois en question (mémoire des appelantes, aux paragraphes 120 à 122).

 

[69]           Cet argument peut être écarté pour les mêmes raisons que celles qui ont conduit au rejet des arguments constitutionnels des appelantes. Les règlements contestés visent, de par leur caractère véritable, à établir des normes de composition pour les produits fromagers destinés à l’importation, à l’exportation et au commerce interprovincial. De plus, ces règlements ont été régulièrement pris en vertu du pouvoir de réglementation conféré notamment par les alinéas 32f) et 32k) de la Loi sur les produits agricoles au Canada (qui habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements et notamment à établir les classifications et les normes visant les produits agricoles et à régir la commercialisation – soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation – des produits agricoles) et par les alinéas 30(1)b), c) et d) de la Loi sur les aliments et drogues, qui prévoient un pouvoir de réglementation semblable en ce qui concerne les aliments. Par souci de commodité, ces dispositions législatives sont reproduites ci‑après :

Loi sur les produits agricoles au Canada

 

32. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre toute mesure d’application de la présente loi, et notamment :

 

 

 

 

f) établir les classifications et les normes, y compris de salubrité, visant les produits agricoles et les normes des contenants;

 

 

k) régir ou interdire, relativement aux produits agricoles autres que ceux visés à l’alinéa l), la commercialisation – soit interprovinciale, soit liée à l’importation ou l’exportation – , et fixer toutes conditions et modalités liées à cette activité;

 

Loi sur les aliments et drogues

 

30. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre les mesures nécessaires à l’application de la présente loi et, notamment :

[…]

 

 

 

b) régir, afin d’empêcher que l’acheteur ou le consommateur d’un article ne soit trompé sur sa conception, sa fabrication, son efficacité, l’usage auquel il est destiné, son nombre, sa nature, sa valeur, sa composition, ses avantages ou sa sûreté ou de prévenir des risques pour la santé de ces personnes, les questions suivantes :

[…]

 

(iv) l’emploi de toute substance comme ingrédient entrant dans la fabrication d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument;

 

 

 

 

 

 

 

 

c) établir des normes de composition, de force, d’activité, de pureté, de qualité ou d’autres propriétés d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument;

 

d) régir l’importation d’aliments, de drogues, de cosmétiques et d’instruments, afin d’assurer le respect de la présente loi et de ses règlements;

Canada Agricultural Products Act

 

 

32. The Governor in Council may make regulations for carrying out the purposes and provisions of this Act and prescribing anything that is to be prescribed under this Act and, without limiting the generality of the foregoing, may make regulations

 

(f) establishing grades and standards, including standards of wholesomeness, for agricultural products and establishing standards for containers;

 

(k) regulating or prohibiting the marketing of any agricultural product, other than a fresh or processed fruit or vegetable, in import, export or interprovincial trade and establishing terms and conditions governing that marketing;

 

 

Food and Drugs Act

 

30. (1) The Governor in Council may make regulations for carrying the purposes and provisions of this Act into effect, and, in particular, but without restricting the generality of the foregoing, may make regulations

[…]

 

(b) respecting

[…]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(iv) the use of any substance as an ingredient in any food, drug, cosmetic or device,

 

to prevent the purchaser or consumer thereof from being deceived or misled in respect of the design, construction, performance, intended use, quantity, character, value, composition, merit or safety thereof, or to prevent injury to the health of the purchaser or consumer;

 

(c) prescribing standards of composition, strength, potency, purity, quality or other property of any article of food, drug, cosmetic or device;

 

 

(d) respecting the importation of foods, drugs, cosmetics and devices in order to ensure compliance with this Act and the regulations;

 

 

 

[70]           Dans leur plaidoirie devant notre Cour, les appelantes ont ajouté de nouveaux éléments à leur mémoire en faisant valoir que, comme les règlements contestés ne portent pas sur la santé publique ou la sécurité publique, leurs dispositions débordent le cadre législatif prévu par la Loi sur les aliments et drogues. Je constate d’entrée de jeu que, même si cet argument était fondé, ce qui n’est pas le cas, il serait de peu d’utilité pour les appelantes, qui auraient quand même à se conformer aux modalités du Règlement sur les produits laitiers, modifié par les règlements contestés, qui a été adopté en vertu de la Loi sur les produits agricoles au Canada.

 

[71]           En tout état de cause, je reconnais que la Loi sur les aliments et drogues vise principalement la protection de la santé publique et de la sécurité publique en ce qui concerne les produits alimentaires et les drogues, et que sa constitutionnalité dépend surtout du pouvoir que le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au législateur fédéral en matière de droit criminel : Standard Sausage Co. c. Lee, [1934] 1 W.W.R. 81 bCCA); R. c. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284; C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général) (1987), 12 F.T.R. 167, 46 D.L.R. (4th) 582; Apotex c. Canada (Santé), 2010 CAF 334.

 

[72]           Néanmoins, bien que son objectif principal concerne la santé publique et la sécurité publique, la Loi sur les aliments et drogues comporte également d’importants aspects accessoires qui ont trait aux échanges et au commerce. Comme le juge en chef Laskin l’a indiqué dans l’arrêt R. c. Wetmore, précité, à la page 288, la Loi comporte trois catégories de dispositions et l’une d’entre elles, à savoir celle relative aux normes de commercialisation énoncées par la Loi, emporte l’application de la compétence en matière d’échanges et de commerce :

Il ressort d’un examen des différentes dispositions de la Loi des aliments et drogues que cette loi va au delà de la simple prohibition et qu’elle fixe des normes notamment en ce qui concerne l’étiquetage, l’empaquetage et la fabrication, de sorte qu’elle ne relève pas exclusivement du par. 91(27). Les ramifications de la Loi, qui porte sur les aliments, les drogues, les cosmétiques et les instruments, et l’accent qu’elle met sur les normes de commercialisation me semblent lui prêter un aspect commercial qui transcende le simple droit criminel. La Loi des aliments et drogues semble comprendre trois catégories de dispositions. Celles de l’art. 8 visent à protéger la santé et la sécurité physiques du public. Les dispositions de l’art. 9 portent sur la commercialisation et celles relatives aux drogues contrôlées, qui figurent dans la partie III de la Loi, ont pour objet la protection de la santé morale du public. Les première et troisième catégories peuvent à juste titre être considérées comme relevant de la compétence en matière de droit criminel, mais la seconde emporte certainement l’application de la compétence en matière d’échanges et de commerce.

 

 

 

[73]           Les paragraphes 6(1) et 6(3) et les alinéas 30(1)b), c) et d) de la Loi sur les aliments et drogues prévoient notamment que le gouverneur en conseil peut adopter des normes réglementaires, y compris des normes de composition, au sujet des aliments. En l’espèce, nul ne prétend que les règlements contestés visent des questions de santé publique ou de sécurité publique. Les modifications qui ont été apportées au Règlement sur les aliments et drogues par les règlements contestés visent plutôt à assurer au premier chef leur cohérence avec les modifications apportées au Règlement sur les produits laitiers. En conséquence, le pouvoir constitutionnel de prendre les règlements contestés réside ailleurs que dans le pouvoir de légiférer en matière criminelle. La constitutionnalité des règlements contestés repose plutôt sur le pouvoir fédéral de réglementation des échanges et du commerce. De par leur libellé, les alinéas 30(1)b), c) et d) de la Loi sur les aliments et drogues habilitent le gouverneur en conseil à prendre les règlements contestés pour des raisons se rapportant à la réglementation du commerce international et interprovincial, et ce, indépendamment de toute préoccupation ayant trait à la santé ou à la sécurité publiques.

 

[74]           Enfin, je rejette l’argument subsidiaire formulé par les appelantes aux paragraphes 124 à 127 de leur mémoire, selon lequel les règlements contestés sont dénués de sens, confèrent un pouvoir discrétionnaire indu à l’Agence canadienne d’inspection des aliments et constituent une délégation non autorisée du pouvoir de réglementation étant donné qu’ils n’énoncent pas des normes objectives et uniformes. Je rejette ces prétentions pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels le juge de première instance les a rejetées aux paragraphes 34 à 37 de ses motifs : les normes énoncées dans les règlements contestés sont claires et ne comportent pas d’ambigüité, et les assertions des appelantes quant à la délégation non autorisée ne sont fondées ni en droit ni en fait.

 

[75]           Dans la mesure où le moyen subsidiaire des appelantes se rapporte à l’applicabilité et au contrôle de l’application des règlements contestés, je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que la Cour fédérale n’était pas valablement saisie de cette contestation (Motifs, au paragraphe 37) et que nous ne le sommes pas non plus dans le présent appel. Néanmoins, dans la mesure où cela peut être utile pour répondre à cet argument, je conclus que l’on peut objectivement assurer le respect des rapports de caséine et du rapport protéines de lactosérum/caséine, le rapport d’expert du docteur Goulet ayant clairement conclu qu’il existait plusieurs moyens objectifs d’assurer la conformité (Dossier d’appel, aux pages 202 et suivantes).

 

 

Conclusion

[76]           Pour tous les motifs qui ont été exposés, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de l’intimé.

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑456‑09

 

INTITULÉ :                                                  SAPUTO INC. et KRAFT CANADA INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et ST-ALBERT CHEESE COOPERATIVE INC. et INTERNATIONAL CHEESE COMPANY LTD. (intervenantes)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Girard

 

POUR L’APPELANTE SAPUTO INC.

 

Timothy M. Lowman

Patrick J. Cotter

 

POUR L’APPELANTE KRAFT CANADA INC.

 

Alexander Gay

Brian Harvey

 

POUR L’INTIMÉ

 

David K. Wilson

Adam Huff

 

POUR LES INTERVENANTES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE SAPUTO INC.

 

Sim Lowman Ashton & McKay s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE KRAFT CANADA INC.

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

Fasken Martineau LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES INTERVENANTES

 

 

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