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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110301

Dossier : A‑371‑10

Référence : 2011 CAF 77

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 février 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT                                                                                   LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                  LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                                                                                                                           LE JUGE STRATAS

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110301

Dossier : A‑371‑10

Référence : 2011 CAF 77

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               Il s’agit d’un appel de l’ordonnance par laquelle le juge Hugues (le juge des requêtes) a accueilli en partie la requête d’Apotex visant à faire radier certaines allégations de la défense de Pfizer Ireland (cette société et son titulaire de licence canadien sont conjointement désignés sous le nom de Pfizer) dans le cadre de la présente action en invalidation. Apotex demande maintenant la radiation de certains moyens de défense que le juge des requêtes a maintenus, y compris la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la préclusion accessoire, la courtoisie et l’abus de procédure.

 

[2]               Je suis d’avis que l’appel devrait être accueilli en partie. En résumé, les moyens de défense visant à empêcher la remise en cause de la question de la validité du brevet en question devraient être radiés, mais les autres moyens de défense contestés liés à des questions incidentes devraient être maintenus en vue d’être tranchés par le juge de première instance dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

Historique des procédures

[3]               La décision frappée d’appel résulte d’un litige en instance dans lequel Apotex demande l’autorisation de mettre sur le marché une version générique du médicament de Pfizer connu sous le nom de VIAGRA (citrate de sildénafil). L’action vise le brevet canadien no 2 163 446 (le brevet 446); la demande de brevet a été déposée par Pfizer le 13 mai 1994 et le brevet a été délivré le 7 juillet 1998. Il expirera le 13 mai 2014.

 

[4]               Apotex a déjà cherché à contester le brevet 446 en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133. Par un avis d’allégation daté du 15 juin 2005, elle a cherché à obtenir un avis de conformité lui permettant de mettre sur le marché une version générique du citrate de sildénafil. Apotex a fait valoir que sa version générique du citrate de sildénafil ne contreferait pas le brevet 446 et que ce brevet était invalide. Le 27 septembre 2007, le juge Mosley a accueilli la demande par laquelle Pfizer sollicitait une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité tant que le brevet 446 ne serait pas expiré (l’instance relative à l’avis de conformité). Dans sa décision, le juge Mosley a rejeté l’argument d’Apotex sur l’invalidité du brevet (Pfizer Canada c. Apotex, 2007 CF 971). L’appel de cette décision a été rejeté (2009 CAF 8).

 

[5]               Apotex a introduit la présente action en déposant une déclaration datée du 13 mai 2009. Elle cherche à obtenir un jugement déclaratoire disant que le brevet 446 est invalide et que sa version générique de citrate de sildénafil ne contreferait aucune revendication valide du brevet 446.

 

[6]               Dans sa défense, Pfizer a décrit l’instance relative à l’avis de conformité dans le contexte factuel de la présente action. Elle a à maintes reprises affirmé qu’Apotex ne peut plaider à nouveau certaines questions en raison [traduction] « des principes de l’autorité de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion accessoire, de la courtoisie et de l’abus de procédure », par suite de l’instance relative à l’avis de conformité.

 

[7]               Apotex a ensuite présenté une requête devant la Cour fédérale en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue de faire radier certains paragraphes de la défense de Pfizer renvoyant à l’instance relative à l’avis de conformité au motif qu’ils ne révélaient aucune cause de défense valable.

 

[8]               La requête a été rejetée par le protonotaire Aalto, qui a déclaré qu’il devrait être loisible au juge de première instance de décider si les principes de la chose jugée peuvent s’appliquer lorsque la même preuve est présentée dans une instance relative à un avis de conformité et dans une action en invalidité subséquente. Le juge des requêtes a examiné de novo la décision du protonotaire. Il a radié le moyen de défense de l’autorité de la chose jugée avec le consentement de Pfizer, mais il a refusé de radier quoi que ce soit d’autre. S’appuyant sur les décisions Merck & Co. c. Apotex, [2004] 2 R.C.F. 459, 2003 CAF 488 (Merck) et Connaught Laboratories c. Medeva Pharma (1999), 179 F.T.R. 200 (1re inst.), il a statué qu’Apotex n’avait pas satisfait à la norme rigoureuse requise pour faire radier des actes de procédure.

 

ANALYSE

[9]               Les parties ne contestent pas que le juge des requêtes a eu raison d’examiner l’affaire de novo. Ainsi, la Cour va examiner la décision du juge des requêtes plutôt que celle du protonotaire. La Cour ne peut modifier la décision que si « le juge des requêtes n’avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l’existence d’un tel motif, si la décision du juge des requêtes était mal fondée ou manifestement erronée » (Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, 2003 CSC 27, au paragraphe 18; Merck, au paragraphe 20). Dans la présente affaire, ce qu’Apotex allègue peut être assimilé à une pure erreur de droit, à savoir que la décision du juge des requêtes était « mal fondée » et que la norme de contrôle est effectivement celle de la décision correcte.

 

[10]           Selon la Cour suprême, le pouvoir de radier un acte de procédure devrait être exercé avec retenue. Un acte de procédure ne devrait être radié qu’au motif qu’il ne révèle aucune cause de défense valable s’il est « évident et manifeste » qu’il est voué à l’échec (Hunt c. Carey Canada, [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980; Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International, 2005 CF 1310, au paragraphe 31, décision confirmée à 2006 CAF 60).

 

[11]           Apotex allègue que la jurisprudence de la Cour établit clairement qu’aucune conclusion tirée dans une instance relative à un avis de conformité ne peut empêcher la remise en cause dans une action subséquente en contrefaçon et en invalidité. Pfizer réplique que cette jurisprudence est fondée sur le fait que les parties ont plus de possibilités pour rassembler et présenter de la preuve dans des actions que dans une instance relative à un avis de conformité. Dans une instance relative à un avis de conformité, il n’y a pas d’interrogatoire préalable et les parties n’ont pas la possibilité de présenter des témoignages de vive voix. Selon Pfizer, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et les autres principes connexes peuvent s’appliquer si une partie cherche à remettre en cause une question qui a été tranchée dans une instance relative à un avis de conformité en s’appuyant sur la même preuve et en avançant les mêmes arguments. Elle fait valoir qu’il serait inapproprié de radier les moyens de défense du moins tant qu’Apotex n’a pas présenté une nouvelle preuve ou de nouveaux arguments.

 

[12]           Apotex a raison d’affirmer que notre Cour a vu d’un mauvais œil les tentatives visant à empêcher la remise en cause, dans des actions subséquentes, de questions qui avaient été tranchées dans une instance relative à un avis de conformité. Compte tenu du fait qu’Apotex s’appuie considérablement sur la jurisprudence antérieure, il convient de l’analyser d’une façon assez détaillée.

 

[13]           Notre Cour s’est penchée sur la question dans deux premières décisions. Dans Merck & Frosst Canada c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.) (Merck 1994), le juge Hugessen a tenu les propos suivants :

La procédure engagée n’est pas une action et ne vise qu’à faire interdire la délivrance d’un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas « une action en contrefaçon de brevet ».

 

[…]

 

À ce sujet, il y a lieu de noter que si l’alinéa 7(2)b) semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n’est pas valide ou qu’il n’est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l’article 6 elle‑même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu’elle revêt la forme d’un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu’elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l’intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L’invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n’est pas une question relevant d’une procédure de ce genre. La seule explication est, à mon avis, que le rédacteur avait à l’esprit la possibilité de procédures parallèles intentées par la seconde personne et qui donneraient lieu à pareil jugement déclaratoire, exécutoire pour les parties. [paragraphes 23 et 25]

 

 

[14]           La question a encore été soulevée plus tard cette année‑là dans Pharmacia c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.). Le juge Strayer a cité longuement la décision Merck 1994 et a ajouté ce qui suit :

Si, en prenant ce règlement, le gouverneur en conseil avait eu l’intention de prévoir le prononcé d’une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d’un brevet, qui lierait toutes les parties privées et empêcherait tout litige ultérieur visant les mêmes questions, il l’aurait sûrement exprimée. Le tribunal n’est pas disposé à accepter l’hypothèse voulant que les brevetés et les sociétés génériques soient forcés de faire valoir leurs droits privés uniquement au moyen de la procédure sommaire de demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Règlement dispose que les questions qui peuvent être tranchées à cette étape seront examinées dans le cadre d’une telle procédure, il est donc assez clair que ces questions sont obligatoirement de nature limitée ou préliminaire. Si l’instruction complète des questions de validité et de contrefaçon est nécessaire, on peut procéder de la façon habituelle en intentant une action. [paragraphe 15]

 

 

[15]           Dans Pfizer Canada c. Apotex (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.), la question a été soulevée dans le contexte d’une décision portant sur la question de savoir si l’appel d’une ordonnance rejetant une demande présentée en vue de l’obtention d’une ordonnance d’interdiction était théorique après la délivrance d’un avis de conformité. Le juge Isaac a écrit ce qui suit :

Il convient de souligner qu’une décision de la présente Cour portant que les appels sont théoriques ne signifie pas que les appelantes n’ont pas de recours. Elles peuvent engager des actions en contrefaçon, si elles sont conseillées en ce sens et que les faits justifient ce recours. La Cour d’appel fédérale a indiqué très clairement que les demandes fondées sur l’article 6 n’ont pas pour effet de trancher les droits du titulaire de brevet. […] Dans ces circonstances, il est inutile de mentionner que toute décision que la présente Cour rendra en l’espèce pourrait servir à contester accessoirement un jugement prononcé dans une action en contrefaçon. [paragraphe 25]

 

 

[16]           Le juge Strayer s’est penché encore une fois sur la question dans Novartis c. Apotex (2002), 22 C.P.R. (4th) 450 (C.A.). Il a écrit ce qui suit :

Le principe fondamental est que la procédure extraordinaire prévue par le Règlement vise un objectif d’ordre public, celui de permettre à la Section de première instance d’empêcher un fonctionnaire de délivrer un avis de conformité, conçu pour la protection de la santé du public, si le breveté réussit à démontrer que les brevets qu’énumère un fabriquant de médicaments génériques dans l’avis d’allégation qu’il présente en vue d’obtenir un avis de conformité, appartiennent à la « première personne » demanderesse et que les revendications pertinentes ne sont pas invalides et qu’elles seraient contrefaites. Il s’agit là d’une conclusion que la Cour est appelée à tirer dans le but bien précis de décider si le ministre peut ou non délivrer un avis de conformité : personne ne songerait qu’il s’agit là d’un mécanisme permettant à la Cour de rendre des décisions ayant l’autorité de la chose jugée au sujet de la portée ou de la validité des brevets. [paragraphe 9]

 

 

[17]           Dans Sanofi‑Aventis Canada c. Novopharm, [2008] 1 R.C.F. 174, 2007 CAF 163 (Sanofi‑Aventis), notre Cour a souligné que « les tribunaux ont énoncé à maintes reprises le principe selon lequel les décisions rendues en vertu du Règlement n’ont pas force obligatoire pour les actions en contrefaçon de brevet ou pour déclarer qu’un brevet est invalide » (paragraphe 36). Dans Eli Lilly Canada c. Novopharm, [2008] 3 R.C.F. 449, 2007 CAF 359, une autre affaire traitant du caractère théorique, la Cour a déclaré ceci :

Il est bien établi en droit que les décisions rendues sous le régime du Règlement ne peuvent être considérées comme des décisions in rem sur la validité des brevets :

 

[…]

 

L’instance relative à un AC n’a jamais été destinée à remplacer une action en contrefaçon […], [paragraphes 40 et 41]

 

 

[18]           Chacune de ces affaires portait sur la question de savoir si les décisions concernant la validité ou la contrefaçon rendues dans une instance relative à un avis de conformité avaient force exécutoire dans une action subséquente. Lorsqu’ils ont rejeté l’application du principe de la chose jugée dans ces affaires, les tribunaux sous‑entendaient la préclusion pour même cause d’action, à savoir le principe suivant lequel une partie ne peut plaider à nouveau une cause d’action déjà tranchée. C’est ce que Pfizer a initialement plaidé en défense dans la présente affaire, mais elle a reconnu l’inapplicabilité du principe de la chose jugée devant le protonotaire et le moyen de défense de l’autorité de la chose jugée a été radié par le juge Hughes avec consentement.

 

[19]           Le principe de la chose jugée au sens de la préclusion pour même cause d’action ne s’applique pas parce que l’objet d’une action en contrefaçon ou en invalidité est très différent de celui d’une instance relative à un avis de conformité. Dans une instance relative à un avis de conformité, le juge doit simplement déterminer si les allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon contenues dans un avis d’allégation sont justifiées. Cette décision bien précise n’est pertinente que pour savoir si le tribunal devrait interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité. Elle ne peut être considérée comme une réponse définitive à la question très différente de savoir si le brevet en cause est valide ou contrefait. Pour la même raison, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, l’abus de procédure et les autres moyens de défense plaidés par Merck ne peuvent pas non plus s’appliquer à la question de la validité d’un brevet. En clair, le tribunal n’est tout simplement pas saisi des questions de validité et de contrefaçon dans une instance relative à un avis de conformité. Toutefois, ce principe n’est pas aussi étendu qu’Apotex le laisse entendre. Même si une instance ultérieure touche des questions bien différentes de celles d’une instance antérieure, il peut être loisible à un juge d’appliquer les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure dans une instance ultérieure pour empêcher une partie de remettre en cause certaines questions factuelles ou juridiques tranchées dans une instance antérieure : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44 (Danyluk) (concernant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée) et Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63 (S.C.F.P.) (concernant l’abus de procédure). Les arrêts Danyluk et S.C.F.P. rappellent que l’interdiction de la remise en cause est une décision discrétionnaire et que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé en tenant compte d’une grande variété de circonstances. Normalement, comme c’est le cas en l’espèce, ces circonstances ne sont pas portées à la connaissance de la Cour dans le cadre de requêtes portant sur un acte de procédure.

 

[20]           Dans S.C.F.P., la Cour suprême du Canada a analysé les raisons justifiant les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure. Selon la juge Arbour, qui s’exprimait au nom de la majorité, la remise en cause d’une question peut miner l’intégrité du processus décisionnel judiciaire. À ce propos, elle a déclaré ce qui suit :

Les raisons de principes étayant la doctrine de l’abus de procédure pour remise en cause sont identiques à celles de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (Lange, op. cit., p. 347‑348) :

 

[traduction] Les deux raisons de principe, savoir qu’un litige puisse avoir une fin et que personne ne puisse être tracassé deux fois par la même cause d’action, ont été invoquées comme principes fondant l’application de la doctrine de l’abus de procédure pour remise en cause. D’autres principes ont également été invoqués : la préservation des ressources des tribunaux et des parties, le maintien de l’intégrité du système judiciaire afin d’éviter les résultats contradictoires et la protection du principe du caractère définitif des instances si important pour la bonne administration de la justice. [S.C.F.P., paragraphe 38]

 

 

[21]           La juge Arbour a également souligné que la remise en cause peut être autorisée dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une nouvelle preuve devient disponible. Par ailleurs, elle a souligné que l’application du principe de l’abus de procédure ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans chaque affaire pour interdire la remise en cause relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Elle a poursuivi comme suit :

La révision de jugements par la voie normale de l’appel, en revanche, accroît la confiance dans le résultat final et confirme l’autorité du processus ainsi que l’irrévocabilité de son résultat. D’un point de vue systémique, il est donc évident que la remise en cause s’accompagne de graves effets préjudiciables et qu’il faut s’en garder à moins que des circonstances n’établissent qu’elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l’efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble. Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple : (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. C’est ce que notre Cour a dit sans équivoque dans l’arrêt Danyluk, précité, par. 80.

 

Les facteurs discrétionnaires qui visent à empêcher que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne produise des effets injustes, jouent également en matière d’abus de procédure pour éviter de pareils résultats indésirables. Il existe de nombreuses circonstances où l’interdiction de la remise en cause, qu’elle découle de l’autorité de la chose jugée ou de la doctrine de l’abus de procédure, serait source d’iniquité. Par exemple, lorsque les enjeux de l’instance initiale ne sont pas assez importants pour susciter une réaction vigoureuse et complète alors que ceux de l’instance subséquente sont considérables, l’équité commande de conclure que l’autorisation de poursuivre la deuxième instance servirait davantage l’administration de la justice que le maintien à tout prix du principe de l’irrévocabilité. Une incitation insuffisante à opposer une défense, la découverte de nouveaux éléments de preuve dans des circonstances appropriées, ou la présence d’irrégularités dans le processus initial, tous ces facteurs peuvent l’emporter sur l’intérêt qu’il y a à maintenir l’irrévocabilité de la décision initiale […]. [S.C.F.P., paragraphes 52 et 53]

 

 

[22]           Dans Sanofi‑Aventis, notre Cour a reconnu qu’un abus de procédure pouvait survenir à la suite d’une instance relative à un avis de conformité. Même si la question qui se posait dans cette affaire était de savoir si le fait, pour un innovateur, de débattre à nouveau, dans une instance relative à un avis de conformité, de questions qui avaient été tranchées dans une instance antérieure du même type constituait un abus de procédure, les mêmes principes s’appliquent en l’espèce. En appliquant l’arrêt S.C.F.P., notre Cour a déclaré ceci :

Sanofi‑Aventis et Schering soulignent aussi que les instances engagées en vertu du Règlement sont de nature préliminaire et assorties de mesures de protection procédurales limitées. Bien que cet argument suffise pour établir que les décisions prises dans le contexte du Règlement ne devraient pas lier les juges chargés de statuer sur une action en contrefaçon de brevet ou une déclaration d’invalidité de brevet, il n’en demeure pas moins qu’il n’est généralement pas permis à une première personne de débattre à nouveau une question qui a déjà été tranchée en sa défaveur dans le contexte du Règlement. Comme je l’ai déjà dit, la possibilité que des juges différents saisis d’instances équivalentes portant sur une même question arrivent à des résultats différents menace l’intégrité du processus décisionnel judiciaire. Il s’agit là d’une réalité que la nature de l’instance ne change pas. [paragraphe 49]

 

 

[23]           Notre Cour a statué une seule fois sur une cause traitant précisément de la question de savoir si les conclusions incidentes d’une instance relative à un avis de conformité peuvent avoir force obligatoire dans une action subséquente. Dans Ratiopharm c. Pfizer, 87 C.P.R. (4th) 185, 2010 CAF 204 (Ratiopharm), Pfizer a avancé qu’une conclusion factuelle tirée dans une instance relative à un avis de conformité devrait lier le tribunal chargé d’instruire une action en invalidité subséquente. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Layden‑Stevenson a rejeté cet argument :

Or notre Cour a déclaré à plusieurs reprises que les décisions prononcées à l’issue de ce que j’appellerai les « procédures AC » n’ont pas l’autorité de la chose jugée. Si Pfizer peut avoir raison de soutenir que le fondement factuel de Pfizer AC est le même que celui de l’action qui nous occupe, il ne s’ensuit pas que le fondement probatoire soit le même. Le tribunal tire ses conclusions de fait de la preuve produite devant lui dans l’affaire particulière dont il est saisi.

 

Le juge de première instance connaissait les procédures AC antérieures relatives au brevet 393 et estimait qu’elles pouvaient présenter un intérêt (paragraphe 18 de ses motifs). Cependant, il n’était ni ne pouvait être lié par les conclusions de fait d’une procédure AC antérieure. Il lui incombait plutôt de fonder ses conclusions sur la preuve produite devant lui. [paragraphes 25 et 26] [Non souligné dans l’original.]

 

 

Implicitement, la juge Layden‑Stevenson n’a pas écarté la possibilité d’appliquer le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure pour empêcher la remise en cause de la question factuelle si le dossier de la preuve à l’instruction était identique à celui de l’instance relative à l’avis de conformité. Il convient également de signaler qu’elle a examiné l’applicabilité de ces moyens de défense après l’instruction et sur le fondement d’un dossier factuel complet, plutôt qu’à un stade préliminaire.

 

[24]           La Cour a affirmé à maintes reprises que les instances relatives à un avis de conformité sont très différentes des actions en contrefaçon ou en invalidité subséquentes. À mon avis, il est possible d’appliquer les interdictions de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure dans des procédures ultérieures pour empêcher la remise en cause de questions factuelles et juridiques incidentes afin d’économiser les ressources judiciaires, de maintenir l’intégrité du système de justice et d’éviter des conclusions incohérentes et les abus. La différence entre l’instance relative à l’avis de conformité et les instances ultérieures est un aspect important à prendre en considération par le juge de l’instance subséquente, avec toutes les autres considérations discrétionnaires dont il a été question dans Danyluk et S.C.F.P. Autrement dit, les arrêts Danyluk et S.C.F.P. peuvent s’appliquer dans des instances telles que la présente.

 

[25]           Compte tenu de l’analyse précédente qui indique que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas à la décision concernant la validité et la contrefaçon, il demeure loisible aux parties de lancer d’autres procédures sur ces questions dans d’autres forums. Lorsqu’une partie présente de nouveaux éléments de preuve importants ou soulève de nouveaux arguments importants dans l’action subséquente, le juge de première instance devrait réexaminer la question à la lumière du dossier complet dont il est saisi (Ratiopharm, aux paragraphes 25 et 26). En appliquant la règle selon laquelle la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche de façon générale les parties de soulever des arguments ou des questions qui auraient pu être soulevés à l’audience initiale, les tribunaux devraient être conscients de la nature sommaire des instances relatives à un avis de conformité et du fait qu’aucun interrogatoire préalable ni témoignage de vive voix n’y est autorisé.

 

[26]           L’application particulière des principes énoncés dans Danyluk et S.C.F.P. devrait être réservée aux instances ultérieures. Par souci de clarté, je donne un exemple. Si un témoin fournit exactement la même preuve dans les deux procédures et si, dans l’instance relative à l’avis de conformité, le juge a conclu que le témoin n’était pas crédible, il est alors loisible au juge de première instance chargé d’instruire l’action d’interdire la remise en cause de la crédibilité du témoin au moyen du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou celui de l’abus de procédure. Par contre, si le témoin fournit une preuve différente ou additionnelle dans l’action, le juge de première instance peut être justifié de réexaminer la question de la crédibilité du témoin. Il se peut bien entendu qu’il existe également d’autres aspects à prendre en considération. De toute évidence, il s’agit d’une question discrétionnaire. Il suffit de dire que les faits qui seront à la base de la décision discrétionnaire ne sont pas connus dans une requête portant sur un acte de procédure.

 

[27]           Je reconnais qu’il a un risque que les parties soient tentées de présenter des observations concernant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure, témoin par témoin, document par document, ce qui a pour effet de prolonger l’instance. Il ne faut pas oublier que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et le principe de l’abus de procédure constituent essentiellement des règles pragmatiques visant à encourager l’économie et l’efficacité des ressources judiciaires. Ceux qui agissent de manière à entraver ce pragmatisme ainsi que l’économie et l’efficacité des ressources judiciaires pourront comprendre que le juge exerce son pouvoir discrétionnaire pour empêcher pareil comportement. Les arrêts Danyluk et S.C.F.P. autorisent le juge à empêcher les abus. Par conséquent, la manière dont les parties plaident les questions de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure ainsi que les autres facteurs énoncés dans les arrêts Danyluk et S.C.F.P. pourraient bien avoir une incidence sur la décision discrétionnaire du juge concernant la question de savoir si la remise en cause devrait être permise.

 

[28]           Quoi qu’il en soit, il est évident que, à cette étape‑ci, dans la présente requête portant sur un acte de procédure, il n’est pas possible de déterminer d’une façon ou d’une autre si les interdictions discrétionnaires de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure s’appliquent.

 

CONCLUSION

[29]           Pour ces motifs, l’appel est accueilli en partie. Il est manifeste que les moyens de défense de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion accessoire, de la courtoisie et de l’abus de procédure qui ont été invoqués par Pfizer ne peuvent être appliqués pour interdire la remise en cause de la question de la validité. Les paragraphes 11, 14 et 44, la troisième phrase du paragraphe 37 et les mots [traduction] « et la conclusion dans l’instance T‑1314‑05 » au paragraphe 45 seront radiés de la défense. Les autres paragraphes en cause, qui ont trait à différentes conclusions incidentes du juge Mosley, seront toutefois maintenus puisque le juge de première instance conserve le pouvoir discrétionnaire d’évaluer si ces conclusions peuvent être remises en cause compte tenu de la preuve et des arguments présentés à l’instruction. Étant donné qu’elle a en grande partie obtenu gain de cause, Pfizer a droit à ses dépens.

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden‑Stevenson, j.c.a.»

 

« Je suis d’accord.

            David Stratas, j.c.a »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    A‑371‑10

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE, EN DATE DU 28 SEPTEMBRE 2010, RENDUE PAR MONSIEUR LE JUGE HUGHES DANS LE DOSSIER NO T‑772‑09 DE LA COUR FÉDÉRALE)

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC. c.

                                                                        PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SEXTON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                                                                        LE JUGE STRATAS  

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 1er mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brodkin

Sandon Shogilev

 

Pour l’appelante

 

Patrick E. Kierans

Amy E. Grenon

 

POUR L’intimée

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans, s.r.l.

Avocats

 

Pour l’appelantE

 

Ogilvy Renault s. r. l.

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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